Читать книгу Nouvelles histoires de femmes - Pedro Garcias - Страница 5
ОглавлениеUNE FARCE DE DEMOISELLE
vez-vous rencontré la mère Rabet?
–La mère Rabet, la marchande de meubles de la rue Saint-Antoine?
–Justement! Ah! la pauvre femme! elle vous aurait fait pitié.
–Que lui est-il donc arrivé?
–Une catastrophe épouvantable! Vous savez qu’elle doit marier sa fille à Victor Bonpied.
–Ce Bonpied est bien laid, sa fille Ernestine est bien jolie; vous me direz que cela ne fait rien, qu’un mari est toujours bien, pourvu qu’il épouse. Moi je ne suis pas de votre avis. Ce Victor peut avoir bon pied, dans un ménage cela ne suffit pas, il faut avoir bon œil, il faut avoir tout bon, or je doute que Victor…
–Qu’en savez-vous?
–Rien… mais Victor est maigre, tousseteux, pâlot; enfin, au physique, il n’a rien pour plaire à une jeunesse de la vigueur d’Ernestine, grosse, grasse, réjouie, bien éduquée, ayant enfin toutes sortes de qualités… contraires au tempérament de son futur; et il serait arrivé un accident qui encombrerait la route matrimoniale que je n’en serais pas surprise… racontez-moi cela.
–Vous n’en direz rien, parce que ça touche à l’honneur.
–Ah! bon Dieu… moi, raconter ce que l’on me dit, j’aimerais mieux me couper le bout de la langue; pour la discrétion, nous pouvons nous donner la main.
–Donc, voilà la chose: hier, j’ai rencontré la Rabet, elle avait l’air d’une folle, elle s’est jetée dans mes bras, en s’écriant: ah! Mme Depuispeu, je suis bien aise de vous demander avis, il m’arrive un accroc horrible.
A la veille de marier Ernestine… voilà qu’Ernestine…–je n’oserai jamais vous dire ça… tout haut, penchez-vous?…
Je me penche et elle me dit la chose tout bas…
–Ah! Seigneur! que je fais en joignant les mains, est-il Dieu possible… une jeune fille élevée dans de si bons principes.–Car, il faut rendre justice à la mère Rabet, quoique veuve depuis dix-sept ans et dans toute la force de l’âge (elle n’a pas plus de cinquante-neuf ans…) jamais au grand jamais,–tout le quartier est là pour mettre la main au feu… la chère dame n’a eu la moindre intrigue: elle vend des vieux meubles pour du neuf, de l’étoupe pour du crin.–C’est vrai.–Mais ce n’empêche pas d’être honnête… au contraire.
–Bref, comment la chose a-t-elle eu lieu?
–De la manière la plus naturelle qu’elle répond.
–Je l’espère bien, que je dis…
–Ernestine m’avait demandé à aller au bal chez une de ses amies de pension qui venait d’épouser un bijoutier en faux. Je lui dis: Ernestine prends garde, le bal n’est pas bon aux jeunes filles, attends d’être mariée, parce que quand tu seras mariée, cela regardera ton mari qui en supportera toutes les conséquences. Ernestine me prie, me supplie, je pense qu’au fait, un bal est bientôt passé; son futur n’en saura rien, et je serai là.pour veiller sur son honneur, mais la femme propose et le commerce dispose. Justement, ce jour-là, une commande considérable, je confie l’honneur d’Ernestine à son cousin Frédéric. Frédéric me promet d’avoir l’œil dessus, et les voilà partis en fiacre.
Ils reviennent à8heures du matin… je trouve bien quelque chose d’extraordinaire dans l’allure de ma fille. Mais je pense qu’elle s’en est trop donné et je n’y regarde pas de plus près...–le lendemain… le surlendemain… trois jours se passent… Ernestine avait toujours un drôle d’air… enfin nous recevons une lettre de son futur… qui voyage pour les toiles à matelas…
–Ma fille, que je dis! sois heureuse. Victor arrive ce soir.
–Ah!... me fait-elle d’un ton si froid, s indifférent, que je m’écrie:
–Je t’annoncerais l’arrivée de l’ambassadeur turc, que tu paraîtrais plus joyeuse, est-ce que tu n’aimerais pas Victor Bonpied.
La-dessus, elle se jette dans mes bras, e m’apprend en sanglotant, qu’elle ne peut pas le souffrir, et qu’elle aime son cousin Frédéric.
–Pas de bêtise que je m’écrie: Frédéric est un polisson sans fortune, jamais tu ne seras à ui.
–Hélas, me répond-elle, maman, c’est déjà fait! je bondis, je veux des explications, et j’apprends qu’après la nuit fatale du bal… je ne fais qu’un saut de chez nous chez Frédéric... Frédéric est parti pour Lille, où il a un emploi dans un journal. Si j’avais été libre, je serais partie pour Lille, mais la mère propose, le commerce dispose. J’avais une vente forcée par autorité de justice et je reste. Voilà où en sont les choses. Victor arrive à sept heures moins un quart, donnez-moi un conseil: qu’est-ce que vous feriez à ma place?
–Moi je ne dirais rien, je laisserais aller. Si Victor s’aperçoit d’un changement quelconque, après la noce, il sera toujours temps de lui en faire un aveu.
–Mais, s’il se fâche.
–Bah! laissez-moi donc tranquille. S’il se fâche, il se raccommodera… et puis, il me fait l’effet de ne pas avoir inventé les pianos à queue et les rasoirs mécaniques… d’autant plus que, si tout mauvais cas est niable, c’est bien ce cas-là. Il dit si, vous dites non… Ernestine est de votre avis: la preuve est impossible… donc il aurait tort.
–Merci, qu’elle me fait, vous êtes de bon conseil.
Et elle s’en est allée, la chère femme, plus légère et bien tranquille.
Rassurée? Madame Rabet ne l’est pas du tout.
Depuis son aveu, Ernestine n’a pas ajouté un mot. Victor vient lui faire sa cour tous les soirs de huit à neuf heures, le mariage est toujours fixé au trente et un et nous sommes le dix-sept.
Madame Rabet est sur des charbons ardents
Elle cherche toutes les façons de circonvenir son futur gendre,–en dehors de ses sourires, de ses politesses, elle essaye de le cuirasser contre certains préjugés qui sont vraiment enracinés dans l’esprit étroit de certains bourgeois mesquins.
–En vérité, s’écrie-t-elle, quelle drôle de mode? et que le monde est bête!
–Quelle mode, demande Victor en mouillant l’ongle de son petit doigt qu’il frotte ensuite sur le drap de son pantalon, un tic qui lui est habituel.
–De tenir absolument à la virginité chez une épouse.
–Dame, répond Victor en mouillant son ongle, c’est assez juste.
–Allons donc, monsieur, c’est absurde.
–Pourtant, continue Victor, en frottant son ongle sur sa cuisse, il est absolument nécessaire, quand on épouse une jeune fille, que cette jeune fille…
–Justement, voilà l’absurdité, car enfin, vous M. Victor, qui êtes un homme d’esprit, un homme d’un jugement que je qualifierai extraordinaire, qui avez fait vos classes, et serez un jour la gloire du commerce français, pourriez-vous me dire à quoi ça sert?
–A cette question faite à brûle-pourpoint, Victor reste coi, il frotte plus que jamais l’ongle de son petit doigt, la Rabet triomphe.
–Ah! vous le voyez, vous n’en savez rien. C’est un usage bête, un usage ridicule qui ne peut qu’amener des inconvénients dans les ménages, car, supposons… C’est une simple supposition, parce que Ernestine est la vertu même, l’innocence en portrait: enfin, supposons qu’Ernestine soit privée de cetornement, quel mal cela fait-il? et d’ailleurs cela se voit-il?
Victor, de plus en plus ahuri, est forcé de convenir que cela ne se voit pas.
–Ah! vous voyez bien! s’écrie la Rabet, sans compter que la chose dépend des goûts, on m’a parlé d’un milord bien connu, milord Ouestenberlant.
–Vous vous trompez, vous voulez dire Nordenberlant.
–Nord ou Ouest, comme vous voudrez; enfin, cet Anglais ne pouvait pas souffrir... cette coutume stupide et avait pour cela un majordome–enfin, si Ernestine était dans ce cas-là, qu’est-ce que vous feriez?
–Je me retirerais incontinent, madame, répond Victor d’une voix sévère.
Le lendemain de cette scène, Victor envoyait à Mme Rabet une lettre qui contenait un papier. Ce papier racontait à Victor qu’Ernestine avait été au bal en fiacre, avec son cousin Frédéric, etc., etc. La lettre finissait ainsi:
«Si c’est une calomnie, madame vous viendrez me chercher.»
–Qu’il aille au diable! interrompit la Rabet, lui et ses préjugés.
–Trois mois après, Ernestine épousait son cousin, et le lendemain…
–Ah! dites donc maman, s’écriait Frédéric en riant, vous savez, le bal, l’affaire du fiacre!...
–Oui, je sais polisson.
–Eh bien, ça n’était pas vrai.
–Pas vrai? s’exclama la Rabet.
–Non maman, ajouta Ernestine en rougissant, c’était une farce.