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UN BON PETIT CŒUR

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Table des matières


on cher Jules… ma fille est une exception… Je n’ai jamais vu âme plus tendre…–Toute petite c’était une véritable sensitive… que nous n’osions pas gronder!… A ces mille accidents légers qui amènent ordinairement un regard sévère sur la figure des parents… nous avions substitué… un rire constant…–si elle cassait une tasse… on riait… –si elle ne savait pas sa leçon… on prenait un air gai…–Tout cela de peur de la voir se désoler… car ses larmes n’avaient pas l’insignifiance des pleurs de l’enfance…–Le moindre accident la jetait dans le désespoir. elle a pleuré trois jours la mort d’un moineau!… Un peu plus âgée… elle ramenait à la maison tous les chiens errants du quartier…–Un beau soir, à la campagne, on nous l’a rapportée complètement nue… elle avait distribué son bonnet, sa robe… ses bas… ses souliers… jusqu’à sa chemise, à des petits malheureux…; et comme elle était déjà grandelette… vous voyez d’ici le tableau.

–Ce que vous me dites d’Amélie, ma chère madame Pillois, me fait grand plaisir…– j’avais depuis longtemps jugé son caractère d’après sa figure…–Rien n’est plus doux… que son charmant visage… l’œil bleu à fleur de tète respire la bonté… le sourire est angélique…–son nez légèrement busqué… son petit menton en avant… tout en elle dénote la nature du mouton…–Madame Pillois… j’aime… j’adore votre fille!... J’ai trente ans–je connais les femmes–je l’ai choisie, certain d’être, avec elle, le plus heureux des maris.

–Mon Dieu… je ne demande pas mieux, cher monsieur Laverne… je sais que vous ferez le meilleur des époux… je fais tout bas des vœux pour vous...–mais songez, si je n’ai jamais contrarié Amélie pour des bagatelles–combien je dois être réservée quand il s’agit d’une chose aussi grave…–le mariage!…

–Promettez-moi, au moins, de parler pour moi…

–Je vous le promets.

En effet, le soir même, madame Pillois tient parole.

–Amélie?

–Maman!

–Que penses-tu de monsieur Jules Laverne?

–Maman… je pense qu’il est très bien!

–N’est-ce pas?

–Il est galant, poli, distingué…

–Il te plaît?…

–Oui, maman, beaucoup!… Ah! mon Dieu!

–Quoi donc, ma chérie?

–Ah! mon Dieu! !

–Dis vite ce que tu as!… Amélie! ma fille! Vas-tu te trouver mal!… C’est peut-être à cause de ce monsieur?

–Non, maman!… Oh! mon Dieu! ! !

–Je te jure que je ne tiens pas à lui!... Veux-tu que je lui donne son compte?

–Oh! non, maman!… Pauvre jeune homme!

–Eh bien! alors… qu’est-ce que tu as?…

–C’est cette petite mouche, qui vient de se brûler les ailes à la lampe!...

–Ah! c’est… Pristi! que tu m’as fait peur!

–Maman, c’est plus fort que moi! Il me semble que c’est moi qui me jette à travers les flammes!

–Chère mignonne… pauvre sensitive… Quel cœur!… quelle sensibilité! !… Qu’est-ce que cela deviendra quand tu seras mariée?

–Crains-tu quelque chose?

–Non..., non, ma fille… au contraire… rassure-toi, au contraire.–Que craindrais-je? –les maris ne sont-ils pas toujours bons…, généreux… aux petits soins... Te rappelles-tu ton père?

–Non… J’étais trop jeune.

–Ah! tant mieux!

–Tu dis?…

–Rien…, c’est bien dommage…, c’était une crème. M. Jules Laverne aussi sera une crème!…

–J’en suis sûre.

–Pas plus de méchanceté qu’un soufflé à la vanille...

–Il me regarde avec des bons yeux de chien… En parlant de chien… j’en ai vu un, hier, qui était crotté… mouillé… et fatigué… J’ai fait arrêter la voiture… Mais le cocher n’a jamais voulu le laisser monter… Oh!… ces vilains cochers!…

–Pour en revenir à M. Jules Laverne… Il m’a demandé ta main.

–Ah!... lui aussi!... C’est drôle… Ils veulent tous m’épouser, Henri et Ernest,– mes deux cousins,–et M. Legras; ils sont cinq.

–Moi… je choisirais…

–Ah! mais maman… je ne peux pas.

–Comment, tu ne peux pas choisir?

–Non. Tous les cinq m’ont dit: Ah! mademoiselle, promettez-moi… de ne pas en épouser un autre… si vous ne voulez pas que je devienne le plus malheureux des hommes.

–Et?

–… J’ai promis.

–Hé bien, nous voilà dans une jolie position…

Enfin, après cent ménagements, mille détours, la mère a trouvé un moyen de marier sa fille. Il a été convenu avec les prétendants… qu’on tirerait au sort…

Chacun, dans l’espoir d’un bon numéro, a consenti après avoir fait le serment de ne plus chercher à attendrir l’âme de la trop sensible Amélie.

Jules Laverne (il ne nous est pas bien prouvé que la mère ne tricha pas), l’emporta au tirage de cette nouvelle loterie.

En tous cas, Mme Pillois ne pouvait faire un meilleur choix… ce mari continua l’œuvre de la famille… Il eut pour cette adorable sensitive mêmes soins, mêmes précautions… si bien que la chère mariée put croire que la terre était peuplée d’êtres absolument bons… tendres et doux. Jamais lune ne mérita mieux d’être appelée lune de miel.

Un exemple à l’appui de cette dénomination, exemple que nous recommandons à tous les maris délicats, désireux d’éviter l’ombre d’une douleur à leur compagne.

Le grand souci de la maman (toutes les mères me comprendront), était… (comment dirais-je pour ne pas effrayer les chastes oreilles?) était… le passage de Vénus... pour Amélie. Huit jours avant l’expérience… elle ne quittait pas son gendre…

–Jules… je vous en prie…, si vous avez un peu d’amitié pour moi–d’amour pour elle–mettez à cela tous vos soins.–Vous

n’avez pas épousé une fille ordinaire. Songez que le moindre bobo la jette dans les larmes… Si elle n’a jamais pu supporter la –mort d’un oiseau–que va-t-elle éprouver à la perte de celui-là?… Jules… si nous ne trouvons pas un moyen–elle en mourra.

Jules se grattait le front… cherchait.–Le cas n’ayant pas de précédent… lui paraissait insoluble.

–Il y aurait bien un moyen, avoua la mère.

–Lequel, belle-maman?

–Ce serait de ne jamais essayer.

Mais ce moyen ne faisant pas les affaires de Jules… Il fut décidé qu’on chercherait autre chose.

Mme Pillois entra un jour, l’air triomphant, en s’écriant:

–J’ai trouvé!...

–Quoi? fit Jules.

–C’est absolument simple… Vous allez voir… Je passais sur la place du Trône… il y avait un rassemblement… je m’arrête… et m’aperçois que j’avais devant moi. une sorte de dentiste, habillé en Mangin. J’allais m’éloigner… je suis retenue par cette phrase… «Oui, messieurs… je vais arracher la dent de ce client sans douleur, sans la moindre douleur… Non-seulement vous n’entendrez aucun cri sortir de sa bouche… mais encore il ne s’apercevra pas que cette dent, qui doit avoir des racines effroyables, me restera entre les doigts…» Aussitôt… je m’écrie: «Mon Dieu, si ce moyen pouvait servir pour Amélie…»

–Hé bien, belle-maman?

–Mon gendre, le ciel m’avait conduit à la barrière du Trône… Voici en quoi consiste l’invention de cet arracheur… Suivez-moi bien… Au moment de l’opération… son domestique donne un si effroyable coup de tampon sur une grosse caisse… que le patient, effrayé, fait un bond terrible… Cette frayeur et ce bond l’empêchent positivement de sentir la moindre douleur… Comprenez-vous?

–Non, répond Jules… je ne vois pas trop…

–Mais c’est absolument simple… Pour une raison ou pour une autre… vous avez une grosse caisse à côté de votre lit…, au moment de… vous tapez dessus… le bruit effraye Amélie… qui elle aussi fait un bond… et… le tour est joué.

–Jules promit d’essayer… mais la difficulté d’avoir une grosse caisse près du lit… sans éveiller les soupçons sur cette nouvelle table de nuit, fit qu’on se décida pour un tam-tam.

Il paraît que la chose réussit admirablement.

Ce fut donc au bruit de ce gong chinois qu’Amélie fit la traversée… sans douleur.

Bref, les délices du mariage n’auraient pas cessé si Jules Laverne avait eu le bonheur silencieux… Mais il se vanta; sa joie réveilla ses ex-concurrents évincés.

Les deux cousins, Henri et Ernest, firent ensemble cette réflexion:

–Quand on pense que ce polisson-là ne l’a emporté que d’un numéro sur nous! Voyons donc s’il n’y aurait pas une revanche à prendre!

Cette revanche, ils essayèrent de la prendre en abusant lâchement du bon petit cœur d’Amélie.

–Jouons le désespoir… s’était dit Henri.

Et, un jour qu’elle était seule, Amélie le vit entrer, pâle, défait, se soutenant à peine.

–Mon Dieu1Henri, qu’avez-vous?

–Ah! ma cousine… ne cherchez pas à connaître la cause du chagrin qui me dévore…

–Au contraire… Henri… qui donc vous consolerait?

–Amélie… mon mal n’a pas de consolations… Désormais… je suis seul au monde!… Je saurai souffrir en silence… sans murmurer…

A la première phrase… Amélie avait les larmes aux yeux… à la seconde, elle pleurait… à la troisième, elle se jetait dans les bras d’Henri, en s’écriant:

–Mon cousin!… je ne suis donc pas là, moi?

Et nous ne savons pas où les choses en seraient arrivées séance tenante, si Ernest, qui avait guetté Henri, ne se fût présenté au moment psychologique…

Ce diable d’Ernest était pourtant bien peu redoutable… Ses maîtresses disaient de lui

–C’est un bien bon garçon!

–Très gentil… un peu petit…

–C’est un nain.

–Un nain… puissant.

–Enfin… il paye beaucoup.

–Pour bien peu.

Cette réputation fit que Henri lui céda facilement la place, en disant tout bas à Amélie

–Demain à trois heures… éloignez tout le monde… je viendrai… achever le récit de mes souffrances.

Mais Ernest avait compris… Et quand la chère enfant rentra, après avoir accompagné Henri, elle retrouva son second cousin… non moins pâle… non moins défait que le premier… et la scène recommença…

–Grand Dieu1Ernest, qu’avez-vous?

Ernest ne fit aucune difficulté pour dire ce qu’il avait…

–J’ai... ah! ma cousine… j’ai… tenez, voilà ce que j’ai.

Il tira un revolver, de sa poche.

–C’est même tout ce qui me reste…

–Pourquoi faire?

–Pour m’arracher la vie:

Amélie poussa un cri terrible… et lui enleva l’arme des mains.

–Malheure!... il veut mourir!

–A l’instant… sous tes yeux.

–Il me tutoie

–On tutoie bien les anges!… insensée qui n’a pas compris qu’en te cédant à un autre je lui cédais ma part de paradis… Amélie, as-tu pu croire une seconde que je survivrais à ta perte? Non… non… non!… rends-moi mon revolver.

–Jamais!

Elle le poussa sous un meuble.

–Mais que veux-tu que je fasse?

–M’oublier!

–T’oublier! Dis donc au roseau d’oublier son étang… dis donc aux étoiles d’oublier le soleil… dis donc à la brebis d’oublier son agneau!… Je ne peux pas… rends-moi mon revolver…

Il voulut aller le reprendre à genoux… Elle se cramponnait à ses vêtements… les mains jointes… disant:

–Ernest… mon petit Ernest!…

Ses larmes l’étouffaient; elle était si belle ainsi… les cheveux défaits, le corsage ouvert... qu’Ernest n’y put résister et, la soulevant dans ses bras:

–Viens, dit-il!…

–Où cela?

–Me sauver…

–Je ne demande pas mieux.

–Ni moi non plus… Tu es prête à tout?

–A tout.

–Même si je te demandais un baiser?

– Un baiser… Je ne comprends pas.

–Quand tu fais la charité à un pauvre… demandes-tu à comprendre sa misère?

–Non…

–Hé bien… je te demande la vie… donne-la moi sans hésiter!…

–Un baiser suffira?

–Un baiser d’abord.

–Prends-le donc.

–Ah!... quel bon petit cœur!

–C’est assez.

–Assez!… Quoi, tu ne m’auras tendu ta coupe pleine que pour y laisser à peine tremper mes lèvres!… Ne vois-tu pas que je t’aime… que je te veux tout entière?

–Ernest, je ne comprends plus.

–Quand tu fais la charité… Non, je te l’ai déjà dit, ça m’est égal… Je te veux, tu ne peux pas me refuser cela… parce que ton cœur est bon, ton âme est pitoyable…

–Ernest, finissez.

–Alors, rends-moi mon revolver.

–Jamais!

–Alors, sauvez-moi… Ah! il n’y a pas à sortir de là… Rendre le revolver ou me sauver… Choisis!…

–Mais il me semble que c’est bien mal, de vous sauver… par ces moyens-là.

–Parce que vous n’avez pas la vraie foi… Ah! quand je pense à mes pauvres enfants!

–Vous avez des enfants, mon cousin?

–Cinq! ma chère Amélie… cinq petits orphelins qui vont mourir de froid et de faim… quand je ne serai plus là pour les entretenir.

–Oh! les pauvres petits!

–Les voyez-vous… tout nus! sur la neige?

–Oh! oui.

–Ils te supplient de sauver leur père!

–Oh!… oui!… oui! ! !

L’émotion fut si forte qu’Amétie tomba, éperdue… évanouie, dans les bras d’Ernest…

Tout à coup la porte s’ouvre avec fracas;

la mère entre et pousse un cri.

Ce cri réveille Amélie.

–Malheureuse enfant… que fais-tu

–Maman, c’est Ernest… qui veut mourir.

–Allons donc! Relevez-vous, monsieur.

–En voulez-vous la preuve?… tenez… derrière le canapé vous trouverez un revolver…

Mme Pillois… ramasse l’arme, et regar

dant sévèrement Ernest:

–Sortez! dit-elle.

–Mais, ma tante, murmure Ernest.

–Allons… monsieur–sortez! vous dis-je…–puis, se retournant vers Amélie qui tremble.

–Ma fille… ajoute-t-elle… ton cousin est sans excuse de t’avoir fait si grande peur… son pistolet n’était même pas chargé…

–Ah! le méchant!

–Quant à Henri, dont j’ai surpris la visite…

–Oh! maman… il doit être sincère…

–Je n’en doute pas… Aussi est-ce moi qui me charge de le consoler.

–Combien vous êtes charitable!…

–Et à l’avenir, crois-moi, ma chère Amélie… garde ton petit cœur pour ton mari.

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