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LE BOUCHAGE HERMÉTIQUE

Table des matières


onsieur!… Hé! monsieur!

–Moi, belle dame? –Oui, vous!

–Excusez-moi… Je parie que je m’en vais sans payer…

–Au contraire… monsieur a pris quatre londrès, m’a donné cent sous, et monsieur s’en va sans ramasser sa monnaie.

–Merci, madame…–Bien obligé… au plaisir de vous revoir…

Et Anatole Binard s’éloigne en répétant… bien obligé…

A quelques pas de là… il se cogne dans un promeneur…

–Faites-donc attention, imbécile!

–Imbécile vous-même!…

–Auriez-vous l’intention?…–Tiens, Anatole!

–Tiens, c’est M. Belhomme!… mon futur beau-père… Comment allez-vous, monsieur Belhomme?…

–Pas mal, merci… Vous savez que ma femme est furieuse.

–Contre qui?

–Contre vous.

––Pas possible… Qu’ai-je fait?

–Hier, on vous a attendu à dîner...

–A dîner… Hier?

–Certainement. On avait même confectionné un plat de nouilles à votre intention…

–C’est vrai…

–Mme Belhomme–qui a un faible pour vous-les avait préparées de ses blanches mains. A sept heures, personne. A sept heures et demie, personne. Comprenez-vous la fureur d’Augustine?

–Oh! c’est à se casser le crâne contre les réverbères. Cher futur beau-père… Je suis impardonnable… C’est ma tête… je n’ai plus ma tête. Je ne sais pas à midi ce que j’ai fait le matin… ce que je dois faire le soir. Que voulez-vous? c’est la faute de ma nature. Tout petit, j’oubliais de téter ma nourrice.

–Diable… ce n’est pas encourageant pour nous qui allons vous confier les destinées de notre Adélaïde.

–Ah! voilà qui est bien différent, J’aime votre fille… Je dois l’épouser bientôt, au plus tard… un de ces jours. Au fait, quand dois-je donc l’épouser?

–Comment! vous n’en savez rien?... Ce n’est pas flatteur pour ma famille, mon cher ami!

Anatole s’aperçoit qu’il a dit une bêtise; il veut se rattraper aux branches:

–N’en croyez rien! n’en croyez rien!... Moi oublier une date aussi heureuse!… un jour qui doit faire mon bonheur!… oublier Adélaïde… si belle!... si jeune!… si pure!… Il faudrait que je sois le dernier des idiots!… Non! non! il y a distraction et distraction!… Mon hanneton aurait laissé s’arrêter la pendule de mon bonheur, que mon amour la remonterait, beau-père!… Nous disions donc… qu’est-ce que nous disions?… J’y suis! la rente a baissé; mais cela m’est égal! tous mes capitaux sont chez mon notaire, pour faire face aux premières dépenses de mon invention… Ah! beau-père, quelle invention!… il y a six ans que je poursuis cette idée!... le bouchage hermétique!... Jusqu’à présent, on n’avait rien trouvé de mieux pour boucher une bouteille que de prendre un morceau de liège, de le tailler en rond, de l’enfoncer dans un goulot et de le tremper dans une cire en ébullition! Quels moyens misérables!… Je passe sous silence le bouchage à l’émeri, le bouchage à capsules, le bouchage avec enveloppe de papier d’argent, de plomb, de peau, toutes choses indignes du progrès!...

Un bouchage hermétique… qui ne laissera plus rien échapper… ni les gaz du champagne, ni l’odeur des parfums… se fait donc généralement sentir… j’y suis parvenu.–A l’aide d’une combinaison chimique, je remplace l’horrible cire par un mélange qui adhère au verre lui-même… devient dur comme lui… et arrête, concentre… emprisonne tous les aromes des liquides contenus dans ma bouteille… Dès lors… plus de mauvais vins… plus d’extraits évaporés!…

–Oui, je sais, interrompt M. Belhomme… Je sais que c’est une belle invention… J’y engage moi-même la dot de ma fille… Nous fonderons une société…

–Au capital de trois millions…

–Mais puisque vous avez trouvé votre secret… pour Dieu, laissez-le en repos… et ne pensons qu’au mariage…

–Vous avez raison… ne pensons plus qu’à cette chère enfant.–Je l’aime… monsieur Belbomme… je l’adore… mais entre nous... je flotte.

–Vous flottez?…

–Pour la boucher tout à fait bien...

–Ma fille!… Adélaïde?

–Non… ma bouteille… je ne sais pas si je dois me servir d’une mixture… mélangée à un ciment romain… ou d’une cire amalgamée à un caoutchouc…

–Nous recauserons de cela… On m’attend à la Bourse; Allez faire votre paix avec Mme Belhomme, car je ne vous le cache pas… Adélaïde a pleuré de dépit.

–Elle a pleuré… j’y vole…

Et pour ne pas se laisser distraire… Anatole prend une voiture… se fait conduire rue Pigalle...

Dès son entrée… il constate que la belle-mère est froide… Adélaïde… elle-même, la tendre Adélaïde, une petite boulotte blonde de dix-neuf ans… à la peau blanche… aux lèvres rouges… aux joues roses… à l’œil bleu… aux formes épanouies dans une robe lilas… détourne la tête… et ne lui tend qu’une main… sévère…

Quant à Mme Belhomme… elle pince les lèvres et se renferme dans sa dignité.

Cet accueil glace Anatole qui, ne sachant plus quelle contenance tenir… s’assied sur le bord d’un fauteuil en murmurant:Excusez-moi… c’est mon bouchage… Je flotte…

–Monsieur! reprend Mme Belhomme d’un ton sévère… votre conduite est indigne… je suis bien décidée à ne pas vous donner ma fille!...

Anatole lève les bras au ciel! Il va parler, s’excuser, lorsqu’un gémissement part du fond de la pièce. C’est Adélaïde qui se trouve mal.

–Grand Dieu! s’écrie la mère!… Ma fille!… mon enfant !... Ah! monsieur!... vous avez apporté le désordre dans notre demeure!

On s’empresse auprès d’elle… Anatole est fou.

–Vite… vite un verre d’eau! s’écrie Augustine.

–De l’eau… oui de l’eau… j’y pensais… où de l’eau, belle-maman?

–Là, dans ma chambre.

–J’y vole.

A peine Anatole a-t-il disparu qu’Adélaïde rouvre les yeux et dit à sa mère:

–C’est-y comme cela qu’on fait?

–Oui, ma fille… très bien… il fallait frapper un grand coup pour forcer la main à ton futur… j’espère que la scène se gravera dans sa mémoire; attention, le voici… retrouve-toi mal.

–Oui, maman.

Adélaïde reprend sa pose, elle croit même devoir y ajouter quelques tressaillements nerveux…

Seulement Anatole ne revient pas:

–Qu’est-ce qu’il fait? murmure Augustine… ne te fatigue pas inutilement, mon enfant… je vais voir ce qu’il devient.

Elle entre dans sa chambre,–personne.

–Elle pénètre dans son cabinet de toilette… là, elle trouve son gendre futur… un flacon d’éther à la main…

–Hé bien, monsieur?

–Quoi, belle-maman?

–Qu’est-ce que vous faites-là… quand Adélaïde sé tortille…

–C’est la faute de ce bouchon… à l’émeri… Il ne veut pas sortir… je mettrai cette situation dans mon prospectus:

«Une jeune fiancée tombe en syncope... on vole à son secours… on cherche partout de l’éther… son futur en trouve un flacon… Horreur!... ce flacon bouché à l’émeri… fait résistance... Cinq minutes sont employées à faire sortir ce fatal bouchon… Enfin, on y arrive… hélas! trop tard!... la fiancée était morte!… Si ce flacon avait été bouché par le procédé d’Anatole Binard… cette pauvre enfant aurait été sauvée!»

–Tenez, mon gendre, s’écrie Mme Belhomme exaspérée… vous n’aurez pas ma fille!

Pendant cette discussion, Arthur, le cousin d’Adélaïde, est entré au salon… Adélaïde qui croit que c’est Anatole… reprend son évanouissement… Arthur en profite pour déposer un baiser sur ce sein qui palpite… Adélaïde ouvre un œil languissant… reconnaît son cousin et le repousse en s’écriant:

–Voyons, finis donc Arthur, pas de bêtise. M. Anatole Binard est là!...

–Mais, pourquoi cette crise de nerfs?

–C’est arrangé avec maman.

Mme Belhomme rentre en criant:

–Adélaïde, tu peux te relever; je viens de le flanquer à la porte. Je lui ai dit:–Monsieur, tout est rompu; je vous défends de revenir ici!

–Et il est parti?

–Je ne sais pas s’il est parti; cela m’est égal. Je ne veux pas d’un monsieur qui oublierait sa femme la veille ou le lendemain de son mariage.

–Et vous avez raison, ma tante! ajoute Arthur. Jamais ma cousine ne sera heureuse avec cette girouette. Moi, je l’épouse!

–Toi?… va-t-en au diable! Est-ce que je donnerais mon Adélaïde à un drôle de ton espèce qui, à vingt-cinq ans n’a pas c position?... Ah! je le regrette, cet Anato était bien notre affaire! Il a15,000francs c rentes; de plus, son invention doit rapporte m’a dit ton père, des mille et des cents. Ave un bonhomme pareil, nous aurions été pai faitement heureuses.

–Vous croyez, ma tante?

–J’en suis sûre; jamais, il ne se sera occupé de son ménage… nous l’aurions go verné toutes deux à notre guise… Oui! c’e tait bien le gendre qu’il me fallait.

–Rappelez-le maman.

–Ah! ma cousine, et moi?…

–Toi… fais comme M. Binard, inven quelque chose.

–Quelle idée, s’écrie Arthur… si je mettais en tiers dans son invention.

–Que veux-tu dire?

–Rien... mais je crois que ce sera ami sant…

A quelque temps de là–Anatole Binard s’est montré repentant;–la maman a pardonné, Adélaïde a déployé toutes ses séductions… Arthur lui-même s’est lié intimement avec Anatole… le mariage a lieu dans les meilleures conditions… et un beau soir, Mme Belhomme, en conduisant Adélaïde au lit nuptial, put s’écrier… en essuyant la sueur qui coule de son front. un… Ouf, ça y est…qui ne manque pas d’éloquence.

En bonne mère, elle donna à sa fille les derniers conseils…

–Vois-tu, mon enfant… tu n’as pas à faire à un homme ordinaire… mais à un mari distrait, préoccupé… C’est donc à toi… à ta finesse… à ton esprit que je m’adresse… pour le ten en haleine… et ne point le laisser s’écarter ses devoirs… Avec un autre… je te dirais tiens-toi sur la réserve, n’en fais pas trop Avec celui-ci… je te dis: tu n’en feras jama assez… Puis se retournant avec dignité, elle veut ajouter: Quant à vous mon gendre mais Anatole n’est pas là…

Où est-il?...

–Je ne sais pas, il nous suivait, Arthi l’a saisi au passage.

–Ton cousin? Méfie-toi de ce polisson.

–Oui, maman…

Enfin…, Anatole arrive… il est tout enthousiasmé..

–Mon gendre, s’écrie Augustine…, votre a heureux me fait espérer… qu’Adélaïde…

–Ah! ma chèrè Mme Belhomme!… vous avez raison… Cette nuit sera le plus beau jour de ma vie!… Si vous saviez!...

–Je sais mon ami.

–Belle maman…, mon bonheur est à son comble.

–Je n’en doute pas…

–Mon invention va prendre une face nouvelle. Mon bouchage hermétique est enfin trouvé. C’est le cousin Arthur qui vient de m’en donner l’idée. Il m’a arrêté en bas pour me dire…–Vous avez inventé l’enduit imperméable… la cire inaltérable. Moi…, si vous voulez nous associer, j’ai trouvé un bouchon dur comme du fer.– Je lui ai répondu: Mon ami… ce bouchon il y a longtemps que je le cherche… Je le trouverai… j’initierai ma femme à mes études… Si elle m’aide, nous le trouverons, ensemble.

–Bien, monsieur, répond Augustine Belhomme, voilà une bonne idée…–Je vous laisse à vos travaux.–Seulement, Adélaïde est une jeune fille qui ne connaît rien des choses de la vie. J’espère que c’est doucement –petit à petit–que vous l’initierez... aux mystères de… vos inventions.

–Soyez tranquille, bonne maman, on fera son possible.

Cependant il faut croire que le possible d’Anatole n’a rien d’extraordinaire, car à quelques jours de là, Adélaïde répond à sa mère qui l’interroge:

–Eh bien maman… mon mari est décidément insupportables.. il ne pense qu’à son invention… et ne me parle que de cela…–Sa cire passe encore… mais son bouchon est défectueux… je lui ai dit: prenez celui d’Arthur… il est si entêté qu’il hésite.

En effet Anatole Binard regimbe, il ne voudrait pas d’associé. il cherche...–il essaie… il sue sang et eau pour y aviser… et ce n’est que de guerre lasse qu’il se décide à accepter la collaboration d’Arthur.

Si bien que dans quelques jours nous allons lire cette annonce tirée à des milliers d’exemplaires:

BOUCHAGE HERMÉTIQUE

PAR LE NOUVEAU PROCÉDÉ A. BINARD ET Ce

SUCCÈS CERTAIN

Pour que la découverte soit complète… il faudrait inventer encore quelque chose. Adélaïde, observe M. Belhomme.

–Papa...

–En ta qualité de femme et cousine d’inventeurs, tu devrais chercher ça.

–Oh! papa, j’y pense nuit et jour…

–Ah!... et as-tu trouvé?

–Oui, papa…

–Quoi donc?

–Je crois que j’ai trouvé… la bouteille, répond Adélaïde en rougissant modestement.

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