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III
LE BLOCUS.

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Table des matières

La caverne où le comte de Rochetonnerre avait fait pénétrer René de Vauquelin était étroite et basse. Ses parois abruptes et semées de crevasses et de saillies étaient ornées de nombreuses fourrures parmi lesquelles pendaient, en guise de trophée, des armes de toute espèce qui avaient appartenu autrefois aux Peaux-Rouges.

Quelques quartiers de venaison sèche et différents ustensiles de cuisine attestaient que cette retraite n’était pas seulement un refuge, mais une véritable demeure. Des peaux de bête entassées dans un coin, des blocs de pierre servant de sièges complétaient cette installation,

Le jeune officier avait poussé un faible soupir en reprenant ses sens. Il promena autour de lui un regard étonné et porta machinalement la main à la tête. La douleur et la vue du sang, en même temps que l’expression toute amicale du visage de son compagnon, le rappelèrent promptement à sa situation. Il se dressa sur son séant.

–Les Indiens! dit-il d’une voix tremblante, comme quelqu’un qui cherche à recueillir ses souvenirs. Oui, c’est bien cela: j’étais blessé, j’allais tomber, vous m’avez sauvé la vie. Et c’est la seconde fois aujourd’hui que je vous dois de n’avoir pas péri.

Il saisit avec effusion la main rude et calleuse du comte et la couvrit de baisers.

–Mon Dieu! dit Rochetonnerre, vous en eussiez fait tout autant à ma place. Il n’y avait pas à choisir, et surtout pas à réfléchir. Votre mort était certaine. Vous tombiez d’une telle hauteur que vous ne pouviez manquer d’être horriblement meurtri, sans compter que les Peaux-Rouges vous attendaient au bas du rocher.

–Sont-ils partis?

–Je ne le crois pas, mais ils sont assez loin de nous pour que nous n’ayons pas à nous préoccuper d’eux. Ne craignez rien, mon ami, laissez-les hurler à leur aise, ils ne viendront pas ici, à moins que nous ne leur montrions le chemin. Un enfant de dix ans tiendrait tête à toute une tribu, de l’endroit où nous sommes.

Tandis qu’il parlait ainsi, le comte s’était rapproché de l’entrée de la caverne et regardait prudemment ce qui se passait au dehors. Il ne vit d’abord que le cadavre d’un Indien qui flottait à la surface de la crique. Peu à peu cependant il crut distinguer derrière les arbres de la forêt des formes sombres qui rampaient sans bruit dans la direction du rocher et s’arrêtaient de distance en distance, comme si elles eussent craint qu’une nouvelle fusillade ne les accueillît.

–Eh bien? demanda le jeune officier en voyant revenir son compagnon.

–Mes prévisions étaient fondées. Les Peaux-Rouges reviennent à la charge, et je parierais qu’ils vont rester là jusqu’à ce qu’ils aient eu la chance d’atteindre l’un de nous, si, bien entendu, nous ne leur en ôtons pas l’envie une fois pour toutes. Ils ne sont pas maladroits, il faut en convenir. Quelques lignes plus bas, et c’en était fait de vous. Votre tête vous fait-elle beaucoup souffrir?

–Un peu, mais pas à beaucoup près autant que cette égratignure, répondit le jeune homme, en montrant une profonde blessure qu’il avait au côté.

–Je n’avais pas vu cela, mais rassurez-vous, j’ai là dans ce tesson un baume souverain; laissez-moi vous en frotter et lier un bandage par-dessus. Dans deux jours il n’y paraîtra plus rien.

Cette opération terminée, Rochetonnerre alla reprendre son poste à l’entrée de la caverne.

Tout à coup il haussa les épaules. Il venait d’apercevoir quelques sauvages qui étaient descendus dans la crique et faisaient le tour du rocher avec l’intention manifeste de chercher à rejoindre leurs ennemis.

–Allez toujours! murmura-t-il, vous serez bien fins si vous trouvez l’autre entrée.

–Il y a donc une autre entrée? demanda le lieutenant avec anxiété.

–Oui. Mais pour qu’ils pénètrent de ce côté dans la caverne, il faut que nous leur ouvrions la porte. S’il en était autrement, nous aurions pris, vous et moi, ce chemin qui est beaucoup moins dangereux et moins fatigant. Vous comprenez bien qu’un vieux renard comme moi ne s’enferme pas sans avoir plus d’une issue.

Et le comte eut un éclat de rire.

–Je ne suis pas aussi rassuré que vous, dit le lieutenant. En admettant qu’ils ne puissent pas entrer, ils peuvent nous bloquer et nous réduire à la famine.

–Vous comptez sans ces provisions, dit Rochetonnerre en montrant les quartiers de venaison.

–Soit. Mais où trouver à boire? La boisson n’est pas moins nécessaire que les aliments.

–N’avons-nous pas la crique, qui contient assez d’eau pour entretenir toute une armée?

–Vous oubliez que la crique est au pouvoir des Indiens. Comment y descendrez-vous sans qu’ils s’en aperçoivent et vous en empêchent?

–Cas prévu comme tous les autres, mon cher ami. J’avoue que ce point m’a longtemps embarrassé; mais soyez tranquille, il est résolu. Je n’ai pas besoin de descendre chercher de l’eau, je la monte.

Le jeune homme eut un geste d’incrédulité.

–Vous voyez cette corne suspendue là-bas et pourvue d’une grande corde. Quoi de plus facile que de la laisser couler le long du rocher jusqu’à ce qu’elle plonge dans la crique et s’y remplisse d’eau? Pendant que l’un de nous se charge de cette opération, l’autre peut coucher les Peaux-Rouges en joue. Vous me direz qu’ils tireront sur nous à leur tour; mais il n’y a pas un homme sur cent, et pas un Peau-Rouge sur mille, qui puisse nous atteindre à cette distance. En supposant qu’une de leurs balles finisse par briser la corne, j’en ai plusieurs de rechange, comme vous voyez. Quant à la seconde entrée de la caverne, elle est de l’autre côté du rocher, et à moins de tomber dessus par hasard, on la chercherait toute une année sans la trouver. Elle est entièrement cachée sous les arbres. A dix mètres environ de l’ouverture, une pierre que j’ai taillée à dessein ferme étroitement la voûte. Cette pierre, retenue par des coins, est en quelque sorte enclavée dons le roc. On ne peut donc la mouvoir que de ce côté-ci. Une galerie qui donne à gauche de l’ouverture permet, en cas de besoin, de ranger la pierre pour ne pas gêner le passage. Une seconde pierre protège l’entrée de la pièce où nous sommes.

En même temps qu’il achevait ces paroles, le comte montra un énorme quartier de rocher qui s’adaptait parfaitement à la voûte et était maintenu en place par des fragments de pierre faisant office de coins.

–Comment donc avez-vous découvert cette caverne? demanda le jeune homme.

–C’est un ours qui m’y a mené. Elle lui servait de retraite. Je l’ai guetté toute une journée. J’ai là sa peau dans le tas de fourrures que vous voyez dans ce coin. Une fois la bête morte, j’ai surveillé son antre pendant deux jours consécutifs. J’ai eu enfin la conviction que la caverne n’avait point d’autres habitants. J’y suis entré, je l’ai explorée avec le plus grand soin, j’ai reconnu tout l’usage que je pouvais en tirer, et dans mes moments perdus j’ai installé les divers objets que vous avez sous les yeux. J’en ai fait ma demeure définitive depuis la mort de ma femme.

Le comte se tut. Une expression de chagrin se peignait sur ses traits.

–Y a-t-il longtemps que vous avez perdu votre compagne? dit l’officier.

–La fièvre l’a emportée en quelques jours. La pauvre créature a sacrifié sa vie pour sauver la mienne. Mon fils et ma fille sont maintenant au fort Duquesne. Je ne les reverrai point avant d’avoir assouvi ma vengeance. Tous ceux que j’avais juré de châtier ont péri. Il ne reste que Brissot et l’Ours-Maigre. Ils m’ont jusqu’ici échappé; mais j’ai comme un pressentiment que l’heure tant attendue est proche maintenant. Du reste, ma carrière touche à sa fin, et je ne puis me faire à la pensée de quitter cette vie sans avoir apuré mes comptes avec ces scélérats.

Il y eut un silence.

Le lieutenant s’était assoupi. Le comte avait les regards attachés sur l’endroit où les sauvages, couchés dans les hautes herbes sur le bord de la crique, épiaient patiemment ce qui se passait.

Soudain plusieurs éclats de pierre tombèrent par l’ouverture de la caverne, en produisant un grand cliquetis.

Les deux compagnons échangèrent un regard significatif.

Furieux d’être déçus dans leurs projets et ne voyant pas d’autre moyen de pénétrer dans la retraite de leurs ennemis, les Peaux-Rouges avaient pris le parti de tenter l’escalade du rocher. Ils ignoraient encore comment ils auraient à s’y prendre, mais ils comptaient sur leurs rifles pour tenir les visages pâles en respect, et ils espéraient bien que, grâce à la supériorité du nombre, leur attaque serait couronnée de succès.

Rochetonnerre ne perdait de vue aucun de leurs mouvements. Il avait jeté son rifle et retiré de sa ceinture son long couteau où se voyaient encore des taches de sang.

René de Vauquelin venait de se réveiller.

–Jeune homme, dit le comte avec un accent railleur, vous aurez tout à l’heure à mettre le nez à la fenêtre et à trouer une boutonnière dans la carcasse du premier diable rouge qui s’avisera de tirer sur moi. Pour le moment ménagez vos munitions.

Le silence qui avait succédé à la chute des éclats de pierre se trouva bientôt interrompu par un bruit sourd et presque imperceptible. Ce bruit qui ressemblait à un grincement n’échappa point à l’oreille attentive des Français.

A peine eut-il cessé, que des hurlements partirent de la crique. Presqu’en même temps une pluie de flèches et de balles s’abattit contre le rocher. Plusieurs des projectiles tombèrent inoffensifs aux pieds des deux compagnons.

Tapis contre la grande pierre dressée debout, et regardant par les meurtrières, ils prenaient plaisir aux vaines tentatives des assaillants.

Vauquelin, indécis, attendait les instructions du comte.

–Il est évident, dit-il à voix basse, que ni vous ni moine pouvons nous montrer. Ce serait nous exposer à une perte certaine.

–En effet, dit Rochetonnerre. Mais ce jeu ne tardera point à prendre fin. Une fois que leurs camarades seront arrivés au haut, ceux qui tirent maintenant d’en bas suspendront leur feu, à moins qu’ils ne visent au hasard, pour nous effrayer ou nous faire prendre le change. Pour le moment il ne nous reste qu’à nous asseoir dans la caverne et à attendre les événements.

Ils descendirent.

Tout à coup le comte toucha l’épaule du jeune officier, puis leva le doigt avec un mouvement expressif.

Le lieutenant vit distinctement les jambes d’un Peau-Rouge engagées dans l’ouverture de la caverne.

En même temps l’Indien se cramponnait à la corde.

Doucement, sans produire aucun bruit, Rochetonnerre se dressa debout.

Il ouvrit largement la bouche pour laisser l’air pénétrer plus abondamment dans sa poitrine.

Ensuite il saisit son large couteau entre les dents, de manière à avoir les mains libres.

Cependant le Peau-Rouge opérait sa descente avec précaution.

Bientôt les deux compagnons purent apercevoir ses reins musculeux.

Enfin l’Indien toucha terre.

Au même moment une main de fer le saisit par le milieu du corps et l’entraîna avec une puissance irrésistible.

A cette brusque attaque, le Peau-Rouge, éperdu, poussa un cri féroce. Il lâcha la corde, qui alla frapper la paroi de la caverne avec un bruit strident.

Le cri d’alarme du sauvage eut de nombreux échos.

Supposant que leur compagnon avait péri en tombant et oubliant un moment qu’il devait s’attendre à rencontrer de la résistance, les Indiens, qui attendaient l’issue de cette première tentative, exhalaient leur douleur en lamentations déchirantes.

Toutefois ceux qui étaient restés dans la forêt semblaient avoir mieux que les autres compris l’exactitude des faits. Altérés de vengeance, ils criblèrent en signe de représailles le rocher de leurs flèches.

Le lieutenant n’avait pas négligé la recommandation du comte. Déjà son rifle avait fait bonne besogne.

Tout à coup le jeune homme poussa un cri d’horreur.

Tandis que Rochetonnerre arrachait le sauvage du rocher auquel celui-ci essayait de s’accrocher, le comte perdit lui-même l’équilibre et alla se jeter contre la paroi de la caverne.

Une minute de plus, et c’en était fait de lui; mais il ne laissa point à son ennemi le temps de se rendre compte de la situation. Sa main s’appesantit sur la gorge du Peau-Rouge. En même temps il l’empoigna par la ceinture.

Mettant alors en œuvre la force herculéenne dont il était doué, il souleva l’Indien de terre et courut avec son fardeau à l’entrée de la caverne.

Le sauvage, lancé par-dessus la pierre, fendit l’espace en jetant un cri d’épouvante.

Un instant après il s’abattait aux pieds de ses compagnons, le corps en lambeaux.

Cependant l’effort surhumain déployé par le comte faillit lui être funeste.

Entraîné par le mouvement, il était arrivé jusqu’au bord du rocher, lorsqu’il sentit une violente douleur à la poitrine, et s’affaissa, privé de sentiment.

Il allait inévitablement rouler dans l’abîme, quand le jeune officier le retint et le tira en arrière.

Les Indiens, terrifiés à la vue de leur compagnon mis en pièces, ne s’étaient pas aperçus que leur ennemi était à la portée de leurs armes.

Grâce à la présence d’esprit du lieutenant, le comte avait échappé à la mort.

Rochetonnerre, vivement ému, pressa doucement la main de son sauveur.

Un moment après il s’évanouit.

Heureusement Vauquelin avait sous la main un flacon d’eau-de-vie. Il desserra les lèvres affreusement pâles du comte et lui versa dans la bouche tout ce qui restait de la liqueur brûlante. L’effet fut immédiat. Le comte ouvrit les yeux et eut un soupir de soulagement.

–Comment vous sentez-vous maintenant? lui dit le jeune homme avec anxiété.

–Mieux, mon ami, beaucoup mieux. C’est toujours cette vieille blessure. Je ne tarderai pas à m’en aller. Les accès deviennent de plus en plus fréquents et douloureux. J’ai cru un moment que j’allais partager le sort du Peau-Rouge, et sans vous j’étais infailliblement perdu. Je ne saurais assez vous remercier.

–Je n’ai fait qu’acquitter une partie de ce que je vous dois, repartit l’officier. Mais que comptez-vous faire maintenant?

–Attendre. Rien de plus. Nous ne pouvons sortir d’ici avant la nuit, et, dans tous les cas, ils ne peuvent nous surprendre. Je ne suppose pas qu’ils aient envie de recommencer leur tentative de sitôt. Nous pouvons donc nous reposer et réparer nos forces, sans nous soucier d’eux. Avez-vous faim? Vous avez là de la viande, seulement il me semble difficile en ce moment de la faire cuire.

–J’ai faim en effet. Mais avant de prendre quoi que ce soit, je voudrais boire; la soif me dévore.

–Un peu de patience, et vous serez servi à souhait. Mon procédé m’a toujours réussi jusqu’ici. Il est vrai que c’est la première fois que j’ai à opérer sous les yeux des Peaux-Rouges.

Le comte se leva avec peine et atteignit la corne qui lui servait à puiser de l’eau.

Tandis que Vauquelin le couvrait de son rifle, Rochetonnerre commença de mettre son plan à exécution.

Les sauvages avaient disparu, emportant les cadavres de leurs compagnons.

La corne, retenue par une longue corde, descendit promptement,

Les deux hommes blancs croyaient n’être point troublés dans leur besogne. Ils se trompaient.

Un des Peaux-Rouges, plus hardi que les autres, sortit du fourré qui les abritait et se précipita vers la crique.

Le lieutenant, qui avait suivi ses mouvements, le coucha en joue et fit feu.

L’Indien chancela.

–Arrêtez, jeune homme, cria Rochetonnerre. N’achevez pas ce pauvre diable. Sa bravoure vaut qu’on l’épargne. Aussi bien notre corne se remplit, et le Peau-Rouge ne peut plus nous faire de mal.

En effet, la corne, pleine jusqu’au bord, montait lentement.

Le comte, heureux de son succès, allait vanter son habileté, quand un nouvel incident l’arrêta.

La corne, retenue par une saillie du rocher, était demeurée stationnaire. Avant qu’on eût pu la dégager, un coup de fusil partit de la forêt.

La corne, frappée en plein, vola en éclats.

Des ricanements et des cris de triomphe partis de l’abri où se cachaient les Peaux-Rouges, accueillirent cette prouesse.

Toutefois Rochetonnerre ne se laissa point décourager.

Ramener la corde à lui et y attacher une autre corne fut l’affaire d’un instant.

Cependant le sauvage qui avait risqué sa vie pour empêcher le chasseur dans son opération était parvenu à se relever et avait regagné son abri en se traînant.

La seconde corne descendit rapidement et alla se remplir.

Cette fois la réussite fut décisive.

La nouvelle corne, échappée aux balles et aux traits des sauvages, arriva toute pleine.

Les deux compagnons s’empressèrent d’étancher leur soif. Ensuite ils mangèrent quelques tranches de viande sèche.

Ce repas sommaire terminé, ils allumèrent leurs pipes et s’étendirent sur les fourrures.

Vauquelin, moins accoutumé que le comte aux fatigues de la vie des prairies, s’endormit.

Rochetonnerre fit le guet,

La nuit venue, l’officier se réveilla et releva son compagnon, qui lui recommanda de ne pas le laisser sommeiller plus de deux heures.

–Nous ne pouvons rester bloqués ici, dit-il, et il importe de profiter des ténèbres pour effectuer notre sortie.

Le supplicié vivant

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