Читать книгу La belle Diane - Pierre Zaccone - Страница 6
III
ОглавлениеCelle-ci n’avait pu s’empêcher de sourire à l’exécution de la vieille. Depuis que Cabassou était là, elle s’était sentie comme subitement réconfortée; une satisfaction immense resplendissait sur ses traits. Il semblait que la vie allait reprendre possession de ce corps amaigri et faible.
–Là! là! dit le colosse en tapotant doucement ses petites mains où la chaleur revenait; maintenant, nous voilà seuls, bien seuls tous les deux! Ah! n’est-ce pas, que cela vous fait plaisir de revoir votre grand Cabassou?
–Oh oui! oui! bien plaisir… balbutia la jeune femme.
–Et à moi donc! Si vous saviez quelle impatience j’avais d’arriver! Aussi dès que l’on m’a dit que vous étiez malade, je n’y ai pas tenu, j’ai voulu venir tout de suite et je suis accouru. Et maintenant, il faut que vous vous portiez bien, vous entendez?… Je suis riche, très riche; on enverra chercher les meilleurs médecins de Marseille. Si ça ne suffit pas, on fera voyager ceux de Paris, toute la Faculté, quoi,! Quand on est riche, n’est-ce pas? on serait bien bête de se gêner! Pauvre chère petite! Quand je songe qu’il y a près de dix années que je n’avais vu ces beaux grands yeux-là! Ah! c’est pas pour dire, les joues ne sont tout de même plus aussi roses; mais les yeux! regardez-moi!… hum! ils ont encore grandi.
Etpendant que le brave garçon s’oubliait ainsi dans la contemplation émue de la jeune femme, celle-ci, mollement attendrie, s’abandonnait aux caresses de cette bonne grosse voix qui lui parlait.
A un moment pourtant, un voile glissa sur son front, et un frisson courut sur ses épaules.
Elle ramena son regard troublé vers Cabassou.
–Mais qui donc vous a dit que j’étais souffrante? interrogea-t-elle d’une voix presque tremblante.
–Té! j’étais chez maman Maurel!… quand la petite est venue la chercher, répondit Cabassou.
Mariettou baissa le front, et sa poitrine se gonfla.
–Oui! dit-elle.., maman Maurel! C’est elle qui vous a appris!… Et elle vous a dit aussi… n’est-ce pas..
Cabassou lui mit la main sur les lèvres.
–Pour ce qui est de ça, dit-il, les sourcils contractés, nous en parlerons plus tard; en ce moment, j’ai à vouss dire, moi, , des choses que je n’ai pas encore confiées à maman Maurel, et que je veux vous raconter à vous, parce que de la manière dont vous les accueillerez dépendra le bonheur de toute ma vie.
–Votre bonheur! répéta la jeune femme avec un étonnement mêlé d’inquiétude.
–Eh! quoi donc! voyez-vous, moi, chère petite, j’ai l’air comme ça, léger et indifférent, peut-être–et ma longue absence ne l’a que trop prouvé;–pourtant je n’ai rien oublié de notre bonne amitié d’autrefois et, chaque fois que j’y pense encore aujourd’hui, je sens un frisson me courir sur la peau. Ah! c’est que je vous aimais bien, allezz! Plus que je ne m’en doutais moi-même. Vous êtes si bonne, vous, si douce, si aimante aussi, que, souvent depuis, je me suis dit que j’aurais été bien heureux si vous aviez voulu de moi pour votre mari.
–Mon mari, vous! fit Mariettou comme en un cri.
–Et pourquoi pas?
–Mais, vous savez bien…
–Quoi?
–Ce qui est arrivé. Mon Dieu! vous oubliez qu’il y a là, tout près de l’alcôve, un petit être.
Cabassou se leva d’un bond et se mit à marcher à grands pas à travers la chambre.
Ses cheveux s’étaient, pour ainsi dire, dressés sur sa tête et ses ongles labouraient âprement sa poitrine.
–Non! dit-il avec une violence mal contenue; non! je n’oublie rien. Mais vous faites bien tout de même de me rappeler l’odieux guet-apens dont vous avez été victime. Car, on m’a dit vrai, n’est-ce pas? C’est bien un guet-apens?
–Oui! répondit la jeune femme, en se cachant la tête dans les mains.
–Et peut-être, la vieille qui était là, tout à l’heure, a été complice de cette infamie?
–Je n’en sais rien.
–Soit, soit! fit Cabassou d’un ton saccadé; ça c’est mon affaire et je m’en charge.
–Mais, ajouta-t-il en approchant sa face convulsée du visage de Mariettou, ce qu’il me faut, ce que je veux connaître à tout prix, c’est le nom du misérable.
La jeune femme leva les yeux au ciel, joignit les mains et fondit en larmes:
–Vous refusez de me dire son nom!… s’écria Cabassou, hors de lui; vous conservez encore assez de pitié pour craindre de me le livrer!…
–Mais, je ne le connais pas!… répliqua Mariettou, avec un sanglot.
–Comment! vous ne l’avez donc pas revu?
–Jamais.
–Il ne s’est inquiété ni de vous, ni de son enfant.
–Non. Comprenez-vous??
–Mille millions de tonnerres! et pas un indice? rien qui puisse mettre sur sa piste.
–Non! rien! rien! répondit la jeune femme, avec force. D’ailleurs, à qui me serais-je adressée. On m’avait enlevée, bâillonnée, une nuit, dans une rue déserte; une voiture était là, toute prête; deux misérables m’y jetèrent évanouie. et quand je revins à moi. je me trouvais dans les bras d’un homme, dont l’ombre même m’empêcha de distinguer les traits!. J’appelai à mon aide; je me défendis avec désespoir; je tentai même de me tuer, préférant la mort au déshonneur!. tout fut inutile!. et le lendemain, lorsque je me revis seule, dans cette chambre où le crime s’était accompli, une fièvre ardente s’empara de moi. et le médecin, appelé en toute hâte, qui me donna des soins, put craindre un instant que je devinsse folle! Il n’en fut rien. De l’ébranlement subi par ma raison, il ne me restait qu’une idée obstinée et fixe... le suicide... Je ne voulais pas survivre à ma honte!. Et j’aurais certainement mis mon projet à exécution, si, en revenant à la santé, je n’avais découvert. que je n’avais plus le droit de mourir.
–Horrible! c’est horrible! grommela Cabassou qui se mordait les poings avec rage, et le tonnerre du bon Dieu n’écrase pas de pareilles canailles!…
–Voilà pourquoi vous m’avez retrouvée vivante, mon ami, continua Mariettou; il me restait un dernier devoir à remplir, c’était de consacrer ma vie à la pauvre créature quin’a pas demandé à venir, et qui est condamnée à vivre, sans avoir même un nom à porter! Mais le ciel n’a pas voulu m’accorder cette suprême consolation, et l’épreuve a été trop cruelle… je me sens depuis quelques jours, à bout de forces, et si j’ai fait appeler maman Maurel, c’est que la vie s’en va et que bientôt mon pauvre enfant sera même privé des caresses de sa mère.
Cependant, quand je vous ai vu tout à l’heure, vous ne sauriez croire quel immense apaisement s’est fait en moi Il m’a semblé que vous m’apportiez le pardon de Dieu! Vous avez touj ours été bon, vous; j’ai bien deviné que vous m’aimiez! et moi aussi, j’avais fait le rêve de vous rendre heureux comme vous le méritez. Mais ce rêve-là, il faut y renoncer, et à l’heure où nous nous séparerons pour toujours, vous ne me refuserez pas de me rendre le seul service que je puisse vous demander; mon ami, vous’prendrez soin de mon enfant et vous l’élèverez comme s’il était le vôtre, et vous lui parlerez souvent de sa mère pour qu’il ne l’oublie pas trop vite; dites, dites, vous le voulez bien, n’est-ce pas?
Cabassou ne répondit pas; il étouffait.
De grosses larmes coulaient le long de ses jouess; il baissait le front et mordait ses lèvres.
–Assez!! assez! balbutia-t-il en sanglotant, c’est trop!. non. c’est trop! d’ailleurs vous ne mourrez pas! il n’est pas possible que l’on ne vous sauve pas. Je vais chercher un médecin, on le paiera bien et il ne vous quittera plus.
–Non, mon ami, ce n’est pas d’un médecin que j’ai besoin; ce qu’il faut aller chercher, c’est un prêtree!
–Mariettou!
–Obéissez-moi, je vous en prie.
–Mon Dieu! mais qu’est-ce que je vais devenir le jour où vous ne serez plus!
Et Cabassou ne bougeait plus!… il restait là, inerte, sans force et sans volonté.
Cependant cette défaillance fut de courte durée; car presque aussitôt, il releva le front et se prit à regarder la jeune femme, avec un intérêt mêlé de stupeur…
Quelque chose d’anormal se passait là…
Mariettou venait encore une fois de laisser retomber sa tête sur l’oreiller, et elle demeurait étendue, immobile, le corps comme frappé d’une rigidité mortelle. Cabassou fut pris de peur.
–Mariettou! murmura-t-il, en se baissant vers la jeune femme.
Mais celle-ci ne parut pas entendre. A peine si le souffle de sa poitrine communiquait une imperceptible ondulation au drap qui la recouvrait. Seulement, de temps en temps, les ailes du nez avaient des battements bizarres et rapides, et l’on entendait, dans sa gorge, un bruit qui ressemblait à un petit sifflement.
C’était sinistre.
Cabassou passa sa main froide sur son front, où la sueur perlait.
–Mariettou!répéta-t-il, avec un frisson par tout le corps.
–Tu sais bien qu’elle ne t’entend pas, dit alors une voix derrière lui.
Le colosse se retourna effaré, et reconnut la mère Maurel.
Il l’attira dans ses bras en pleurant comme un enfant.
–Mais. elle n’est qu’évanouie, n’est-ce pas? balbutia-t-il; elle va revenir à elle. il faut envoyer chercher un médecin.
–C’est ce que j’ai fait.
–Et il va venir?…
–Je l’attends.
Cabassou s’assit dans un coin, pendantque maman Maurel s’approchait du lit.
Cabassou, lui, n’osait plus–à de longs intervalles il se risquait à regarder. Et, chaque fois, il se plongeait la tête dans les mains, comme s’il eût été épouvanté de l’horrible vision!
C’est qu’aussi jamais une altération plus rapide n’avait frappé un visage humain!
Les couleurs avaientdisparu des joues de la pauvre mourante pour faire place à une lividité de marbre.
Les yeux n’avaient pour ainsi dire plus de regard; un cercle blanc se dessinait maintenant autour du nez, et les lèvres remuaient dans le vide avec volubilité, sans produire aucun son!
Tout à coup, cependant, une trépidation violente agita ses membres, et elle se dressa les cheveux dénoués et tombant raides sur ses épaules nues.
–Maman! Cabassou! dit-elle d’une voix forte.
–Nous voici!… nous sommes près de toi… dit maman Maurel.
–Votre main… là!… Mon Dieu… Je vais mourir!
–Non! non! sanglota le malheureux Cabassou.
–Je vais mourir. répéta la pauvre femme; et là! là! mon enfant, mon pauvre petit Richard!
Le colosse avait bondi vers le cabinet qu’indiquait la mourante, et il revint aussitôt, portant dans ses bras un enfant de quatre ans à peine, qu’il alla déposer à côté de sa mère.
Celle-ci le serra sur sa poitrine dans une étreinte désespérée et folle.
–Seul! seul au monde! dit-elle d’une voix déchirante.
–Seul! interrompit vivement Cabassou, quand je suis là! allons donc! Ah! quoi qu’il arrive… il n’aura pas d’autre père que moi, et celui qui tenterait jamais de me l’enlever ne sortirait pas vivant de mes mains!
–Vous me le promettez! dit la jeune femme avec un regard radieux.
–Foi de Cabassou! je le jure!
–Ah! béni soyez-vous! car maintenant, je puis mourir heureuse.
Alors, elle baisa ardemment les mains de Cabassou, adressa un dernier regard à son fils qui ne s’était même pas réveillé, et comme si Dieu n’eût voulu lui acorder que ce dernier répit, elle ferma doucement les yeux, prononça encore quelques paroles diffuses, et finit par s’affaisser lentement dans les bras de maman Maurel.
Cabassou allait se précipiter, repris par toutes les terreurs de tout à l’heure; mais à ce moment, la porte de la chambre s’ouvrit, et un nouveau personnage entra.
Un personnage à l’allure compassée et raide, cravate blanche, habit noir, tenue de tous points correcte. C’était le docteur!
Cabassou courut replacer l’enfant dans son petit lit, et se hâta de revenir vers le docteur.
Celui-ci avait pris entre ses doigts la main de la mourante, et l’œil fixé sur un magnifique chronomètre qu’il avait tiré de la poche de son gilet, silencieusement, il comptait les pulsations.
Au bout de vingt secondes, il fit une moue significative et recouvrit le bras dont il venait de consulter le pouls.
–Eh bien, docteur! fit Cabassou, en se penchant vers lui.
Le médecin mit un doigt sur ses lèvres et gagna la porte.
Cabassou le suivit, anxieux, la poitrine près d’éclater.
Quand ils eurent passé le seuil de la chambre, il renouvela la question.
–Eh bien!… docteur… dit-il, en le dévorant du regard… elle est bien mal, n’est-ce pas?
–Oui… oui… bien mal!… répondit l’homme de l’art.
–Mais… elle ne mourra pas? supplia le colosse… il n’est pas possible…
Le docteur le regarda bien en face…
–Vous êtes un homme! et vous voulez connaître la vérité, dit-il, d’un ton légèrement sentencieux.
–Oui… oui… la vérité, monsieur.., quelle qu’elle soit.
–Eh bien… selon toute probabilité, avant demain matin… cette jeune femme aura cessé de vivre!
Et il salua… et disparut…
Cabassou s’était accroché de ses ongles au mur du couloir,–on eût dit qu’il venait de recevoir un coup de massue sur le crâne…
Mais il était plus fort qu’un bœuf… au bout de dix minutes, il se retrouvait sur pied, et rouvrant la porte avec des précautions infinies, il retournait s’asseoir au chevet de la pauvre Mariettou.
Le reste de la nuit fut lugubre…
Cabassou respectant le grand âge de la mère Maurellui avait dressé un lit dans le petit cabinet occupé par l’enfant, et lui, s’était installé dans un grand fauteuil à portée de la mourante, prêt à répondre au premier appel qu’elle lui adresserait.
Mais la malheureuse ne revint, pour ainsi dire, plus à elle.
Une heure après le départ du médecin, l’agonie commença. le râle l’étreignit à la gorge, et après quelques intervalles très courts, pendant lesquels le souffle paraissait s’affaiblir et s’éteindre, elle ne fit aucun mouvement, aucun geste qui pût donner lieu de penser qu’elle était encore en possession d’elle-même.
Peu à peu, la monotonie même de cette scène poignante communiqua à Cabassou quelques-uns de ces rêves bizarres que l’on fait parfois tout éveillé, pendant les longues nuits d’insomnie et de fièvre.
Tout le passé se réprésenta à lui, dans une sorte d’hallucination effarée.
Il revit la jolie Mariettou, à l’âge où il avait commencé à l’aimer… jeune, vive, accorte, avec ce bel œil noir qui vous regardait sans timidité, comme sans effronterie.
Ah! la jolie fille que cela faisait… et avec quelles ardeurs fougueuses il eût plongé la main dans les flots opulents de ses beaux cheveux.
Et puiss! Un homme était venu! un misérable qui avait lâchement abusé de la pauvre enfant et jeté la honte et l’infamie dans sa vie jusqu’alors si pure!
Ah! que n’eût-il pas donné pour tenir celui-là, ne fût-ce qu’une heure, entre ses ongles irrités.
Rien! pas un nom!… pas un indice qui pût le mettre sur la voie.
Que tenter? à qui demander de faire la lumière sur cet épouvantable crime?
Et à chaque instant, un souvenir venait l’obséder; une silhouette se représentait à lui, hideuse et grimaçante, dont il ne pouvait plus détacher les yeux.
La vieille mégère!
Quelle était cette femme? D’où venait-elle, avec son sourire obséquieux de proxénète? Depuis combien de temps était-elle auprès de Mariettou?
Cabassou ne la connaissait pas; et pourtant… il lui semblait parfois qu’il avait déjà vu ces traits-là quelque part.
Mais en quelle circonstance… à quelle époque… il ne se rappelait pas.
Et il suivait sa pensée à Lravers la nuit sinistre, pendant que la chère victime se débattait dans les affres de la mort!
Tout à coup il se leva brusquement du fauteuil dans lequel il était assis, se pencha haletant vers le lit et prêta l’oreille.
Il n’entendait plus rien!
Mariettou était toujours bien là. Mais tout bruit avait cessé; rien ne bougeait plus: un silence lugubre planait maintenant dans la chambre.
Cabassou prit la main de la jeune femme: elle était glacée.
Il interrogea son cœur: il ne battait plus!
Enfin, il voulut voir son visage, et n’aperçut que deux yeux grands ouverts, dont les paupières restaient immobiles et qui regardaient sans voir!
Elle était morte!
Il jeta un cri épouvanté qui retentit dans toute la maison.