Читать книгу La belle Diane - Pierre Zaccone - Страница 7
IV
ОглавлениеLe coup fut cruel pour le malheureux Cabassou.
Bien que depuis quelques heures, il s’attendît au atal dénouement, il en fut frappé, comme d’un choc imprévu, et rien nesaurait rendre le désespoir auquel l s’abandonna…
Ses doigts nerveux s’enfonçaient dans ses cheveux abondants et drus; la douleur arrachait au colosse des mots d’enfant… il pleurait àchaudes larmes, roulant sa tête éperdue dans ses deux mains.
Cela dura une heure, pendant laquelle maman Maurel se multipliait autour du lit funèbre, ensevelissant, avec mille tendresses, mille pudeurs maternelles, le beau corps inanimé de la morte…
Cabassou ne voyait rien… n’entendait rien!...
Cependant, au bout d’une heure, comme le silence s’était fait dans la chambre, il releva la tête, écarta doucement les cheveux qui s’étaient embrouillés sur son front, et regarda autour de lui.
Maman Maurel, qui avait pris place dans le grand fauteuil, égrenait son chapelet, tout en marmottant des prières: les deux enfants, la petite fille et le petit Richard, s’étaient agenouillés, les mains jointes, à ses pieds: sur une table placée près du lit, et recouverte d’une serviette blanche, une longue chandelle brûlait, à côté d’un verre d’eau où trempait une branche de buis bénit.
C’était l’épilogue du drame!
Tout était bien fini–il n’y avait plus à se bercer d’illusions,–la pauvre jeune femme qui était là avait rendu son âme à Dieu!
Cabassou se secoua en poussant un soupir qui sembla lui déchirer la poitrine…
Puis il se leva.
La résolution lui était revenue avec la force d’accomplir ses derniers devoirs.
Il s’approcha doucement de la morte, baisa longuement son front glacé et se tournant vers la vieille maman Maurel:
–Maintenant, dit-il d’une voix qui reprenait déjà sa fermeté, je vais m’occuper de faire le nécessaire, pour que la pauvre ait au moins une tombe où elle puisse reposer en paix!
–Ah! je pensais à cela! dit la vieille.
–Eh bien, n’y pensez plus, repartit Cabassou, car c’est moi que cela regarde. la chère morte aura sa tombe; et quant au petit!… puisqu’il y a de par le monde un sans-cœur qui refuse lâchement de remplir son devoir de père… eh bien… c’est moi qui m’en chargerai!
Et soulevant le petit Richard, il l’embrassa avec effusion sur les deux joues…
–Après tout! dit-il, en faisant un effort pour rester calme, c’est l’enfant de Mariettou, n’est-ce pas? et si elle me voit de là-haut, je suis bien sûr que ça lui fera plaisir. Voyons! veux-tu, toi, être l’enfant du grand Cabassou?
L’enfant regardait avec de grands yeux étonnés cette bonne face où la bonté éclatait sous la force, et il se prit à sourire.
–Oui, je veux bien, répondit-il, en jetant les deux bras autour du cou du colosse.
–Et tu resteras avec moi?
–Oui! et avec maman Mariette aussi!.
Cabassou essuya une larme.
–C’est dit! conclut-il pour couper court à toute nouvelle émotion; et puisque c’est convenu, je t’emmène!
–Je vais aller avec toi! dit encore l’enfant.
–Tout de suite.
–En voiture.
–C’est cela, en voiture.
Le petit Richard sauta à terre et battit des mains.
Cabassou s’empressa de l’entraîner.
Il étouffait!…
Le jour venaitdepuis quelque temps déjà: l’air était vif et pur; dès qu’il fut dehors, Cabassou respira.
Il en avait besoin.
D’ailleurs, le tableau qui se présenta à lui, sur les hauteurs, acheva de dissiper les douloureuses impressions de la nuit.
Il s’arrêta un instant pour le contempler.
De l’endroit où il se trouvait, il découvrait tout le panorama magique de la ville de Marseille.
En face, le château d’If et le Lazaret, à droite, le château Vert; à gauche, les Catalans et Notre-Dame-de-la-Garde masquant le château Borelli.
Puis, plus près de lui, presque à ses pieds, le port d’où s’élançait une forêt de mâts, au bout desquels flottaient les pavillons de toutes les nations du monde.
Enfin, un peu à l’écart. un petit sloop de plaisance, gai, pimpant, laissant coquettement voir de temps à autre, son blindage de cuivre qui étincelait aux pre miers feux du jour!
Cabassou eut un mouvement d’immense satisfaction.
Ce petit sloop-là, c’était sa joie… son orgueil… sa vie!… Jamais son cœur n’avait battu d’une ivresse plus grande que le jour où il était arrivé en vue de Marseille… tenant la barre du gracieux petit navire!
Ç’avait été son rêve… toujours… et il avait pu le réaliser.
Seulement, le bonheur avait été de courte durée.
A cette satisfaction qu’il avait éprouvée, en voyant la fortune couronner son travail opiniâtre de dix années, se mêlait surtout la pensée attendrie qu’il ferait quelque jour partager cette fortune à la seule femme qu’il eût jamais aimée.
Et il n’était revenu au pays, que pour la voir mourir, déshonorée… dans ses bras!
La colère et la rage allaient reprendre possession de son être… il réagit énergiquement contre les nouvelles sensations qui menaçaient de le détourner.
Il avait gagné les premières maisons de la ville et venait d’apercevoir unevoiture qui stationnait à quel que distance.
Il héla le cocher, qui vint aussitôt à son appel.
Puis, ayant fait monter le petit Richard, il prit place à ses côtés, et la voiture se mit en marche.
Une bonne partie de la matinée se passa en courses.
Il alla à la mairie, à l’église, chez le marbrier et ce ne fut que vers deux heures, après avoir déjeuné dans un bon restaurant de la Cannebière, qu’il reprit, toujours en compagnie du petit Richard, le chemin de la maison où ils avaient laissé Mariettou.
Quand ils y arrivèrent, Cabassou remarqua tout de suite, à l’agitation de maman Maurel, qu’il avait dû se produire quelque incident inattendu.
–Qu’y a-t-il donc. et d’où vient que je vous trouve toute troublée? demanda-t-il aussitôt, d’une voix presque soupçonneuse.
Maman Maurel mit un doigt sur ses lèvres.
–Plus bas! plus bas! dit-elle mystérieusement.
–Et pourquoi donc?
–On nous écoute, peut-être.
–Qui ça?
–La mère Cadenette. tu sais… la vieille qui prenait soin de Mariettou.
–Ah! ah! et qui lui a permis de nous écouter?… hum!… elle ne me revient déjà pas trop, la vieille sorcière. et si elle ne marche pas droit. on ne se gênera pas pour lui faire prendre des ris.
–Mon enfant! je t’en conjure…
–Bon.., on mettra une sourdine… Voyons! il s’est donc passé quelque chose?
–C’est cela! nous avons eu plusieurs visites. le médecin des morts… puis le menuisier pour prendre la mesure; enfin…
–Enfin?
–Un monsieur que je ne connais pas. que je n’avais jamais vu… et qui est venu s’assurer si c’était bien vrai, que notre Mariettou était morte.
Cabassou fronça les sourcils.
–Et qu’est-ce que ça lui fait à celui-là! grommela-t-il, en serrant les poings. De quel droit. qui lui a dit de venir?
Maman Maurel eut un geste discret.
–Ça, répondit-elle, je n’en sais rien. mais je jurerais que c’est la Cadenette.
–Encore!
–Il m’a demandé sil’on s’occupait de l’inhumation, a paru étonné de ne pas voir le petit Richard et, comme ses questions commençaient à m’irriter, je l’ai prié de revenir quand tu serais là.
–Et qu’a-t-il répondu?
–Il est parti en disant qu’il te verrait, ajoutant que c’était important et que si tu étais un brave garçon…
–Bon! c’est bien! interrompit Cabassou, vous avez bien fait, maman Maurel, de me renvoyer ce paroissien, et, s’il vient, il ne lui faudra pas longtemps pour voir quelle aire de vent j’ai dans mes voiles!
La nuit qui suivit se passa sans autre incident.
Cabassou, qui n’avait pas fermé l’œil depuis quarante-huit heures, ronfla jusqu’au matin à ébranler la maison. Il avait cependant fait des efforts inouïs pour rester éveillé: mais sa nature exubérante avait besoin de sommeil, et ce ne fut qu’aux premiers rayons du soleil qu’il se dressa en sursaut du fauteuil dans lequel il s’était allongé la veille!
Le moment était venu.
On avait coupé à la pauvre Mariettou quelques mèches de ses beaux cheveux dont elle était si coquette naguère; puis on l’étendit dans la bière, entourée des fleurs qu’elle avait le plus aimées… et quand tout fut ainsi préparé, et que le prêtre fut arrivé, le triste cortège quitta la maison et s’achemina lentement vers l’église voisine.
Une dizaine de personnes au plus suivaient le convoi.
Cabassou d’abord donnait la main au petit Richard que l’on avait habillé de noir pour la circonstance, et qui s’admirait dans ses vêtements de drap neuf.
Venaient ensuite maman Maurel avec la petite fille.
Et derrière, quelques commères du quartier.
La messe fut longue. Cabassou, le brave garçon, avait voulu un enterrement digne de la chère morte, et il n’avait pas regardé à la dépense.
On chanta beaucoup, et si l’on ne joua pas de l’orgue, c’est que l’église trop pauvre, n’en avait pas encore.
Enfin, l’office terminé, on gagna le modeste cimetière de banlieue où Mariettou devait être enterrée; on la descendit dans la fosse, le prêtre jeta quelques pelletées de terre qui rendirent un son creux et sourd, en tombant sur le cercueil, et chacun, à son tour, alla l’asperger d’eau bénite.
Tout cela fut triste et morne, et impressionna fortement Cabassou.
Il avait hâte de rentrer et de s’arracher aux douloureuses sensations au milieu desquelles il vivait depuis quelques jours.
Heureusement qu’une diversion l’attendait au retour, et allait le replacer dans un milieu d’action plus conforme à sa nature.
En quittant le cimetière, il avait lâché la main du petit Richard qui était allé rejoindre maman Maurel, et Cabassou marchait seul, à cent pas derrière, se demandant ce qu’il allait devenir, maintenant que le but qu’il comptait donner à sa vie lui manquait.
A un moment, comme il n’était déjà plus qu’à une faible distance de la maison de Mariettou, il entendit derrière lui, des pas qui, depuis quelques minutes, semblaient suivre les siens avec une certaine régularité singulière.
Il se retourna vivement, et aperçut un homme d’une cinquantaine d’années environ, mis avec une grande correction, habit recouvert d’un pardessus noir, cravate blanche, une décoration à la boutonnière.
L’homme, remarquant qu’on le regardait, salua de loin, et pressa aussitôt le pas, pour rejoindre Cabassou.
Ce dernier l’attendait.
–Monsieur Cabassou, probablement?dit l’inconnu, en saluant de nouveau, dès qu’il fut à portée.
–Moi-même, monsieur, répondit Cabassou.
–J’ai eu l’honneur de me présenter hier, continua son interlocuteur, chez la pauvre jeune femme que vous venez de conduire à sa dernière demeure. Mais n’ayant pas eu la bonne fortune de vous rencontrer, j’ai prié madame Maurel de vouloir bien vous prévenir que je prendrais la peine de revenir.
–On me l’a dit, en effet, monsieur; mais vous avez oublié de faire connaître votre nom… de sorte que. j’ignore encore à qui j’ai l’honneur de parler.
–Je m’appelle Chevassoux, monsieur, et je suis notaire, depuis vingt ans, allées de Meilhan, 25.
Cabassou regarda avec un étonnement sincère celui qui déclinait ainsi son nom et sa qualité.
–Eh! de quelle diable d’affaire pouvez-vous avoir à m’entretenir?–demanda-t-il, d’une voix brusque.–Je n’ai, jusqu’à présent, engagé aucune relation avec les officiers ministériels, comme on vous appelle, je crois; et je ne sache pas qu’à Marseille aucun notaire ait jamais eu à s’occuper de Cabassou.
Me Chevassoux s’inclina correctement.
–Aussi, répliqua-t-il, avec un sourire complaisant, n’est-ce pas de vous qu’il s’agit.
–Et de qui donc?
–De mademoiselle Mariettou.
–Hein?
–Et de l’enfant auquel elle a donné le jour, il y a environ quatre ans…
Cabassou fit un soubresaut, et subitement une idée bizarre lui vint.
Il se prit à examiner Me Chevassoux avec plus d’attention.
–De l’enfant? répéta-t-il avec un frisson… Seriez-vous, par hasard, l’intermédiaire de son père.?
–Non, monsieur, répondit le notaire… attendu que je ne le connais pas…
–Cependant…
–Cependant, permettez-moi de poursuivre, je vous prie: ainsi que je viens de vous le déclarer, j’ignore quel est le père du jeune Richard quidevient orphelin, par suite du décès de sa mère, et je ne serais pas intervenu en cette circonstance douloureuse, si je n’y avais été tenu par mon devoir professionnel.
–Expliquez-vous plus clairement.
–Je ne demande pas mieux. Donc, il y. a environ trois ans, je reçus, au siège de mon étude, une lettre chargée, contenant la somme de dix mille francs que l’on me priait de remettre au jeune Richard, le jour où il aurait atteint ses vingt et un ans, ou au lendemain de lamort de sa mère, si celle-ci venait à décéder, avant que l’enfant eût atteint l’âge prescrit. Comprenez-vous?
–Pardieu! c’est clair comme bonjour… repartit Cabassou; et pouvez-vous me dire de quel nom était signée la lettre qui vous donnait ces instructions?
–La lettre n’était pas signée!
–Ah! ah! et vous n’avez pas cherché à découvrir quel pouvait être ce mystérieux donateur?
–Un notaire a ses devoirs comme un confesseur, et il ne doit pas trahir les secrets de la profession.
–Oh! il n’y a pas là tant de mystère! et la chose est évidente… C’est le père! le lâche, qui a indignement abusé de la pauvre Mariettou!. Ah! celui-là. si je le tiens jamais entre mes pattes s!
Cabassou allait s’emballer encore une fois… il se contint…
–Après tout, dit-il… c’est assez nous occuper de ce vil gredin… qui ne s’est souvenu de son enfant, que pour lui jeter une misérable aumône…
–Dix mille francs! appuya le notaire avec intention.
–L’enfant de Mariettou ne touchera jamais à un centime de cet argent, vous entendez bien! C’est moi qui vous le dis!
–Mais la mère meurt sans rien laisser… et son fils…
–Pardon! interrompit vivement le colosse, pardon, papa Chevassoux! La mère n’a laissé qu’un enfant… mai3il y a encore le grand Cabassou qui se chargera, lui, d’élever l’orphelin… et de remplacer l’ignoble coquin à qui il doit la vie!…
–Est-ce votre dernier mot? insista le notaire.
–Le dernier… vous l’avez dit.
–Et que me conseillez-vous au sujet des dix mille francs? Ne penseriez-vous pas qu’il serait équitable d’en faire profiter…
–Qui donc?
–La femme qui a pris soin de la pauvre morte! et à qui, conformément aux instructions du même donateur, j’ai compté, ce matin même, une égale somme de…
L’excellent notaire n’acheva pas. Les cinq doigts du colosse venaient de lui entrer dans le bras, et il se recula effaré.
–Qu’avez-vous donc? demanda-t-il en pâlissant.
–Mille millions de tonnerres! hurla Cabassou, j’allais oublier la vieille macaque, et vous me la rappelez à propos. Ah! si le père se dérobe, celle-là nous reste. Elle connaît l’histoire. Elle a aidé probablement au crime!et je perdrai mon nom, ou il faudra bien qu’elle parle. Venez! venez! monsieur le notaire.
Cabassou voulait entraîner l’officier ministériel, mais ce dernier résistadoucement. C’était la première fois que pendant l’exercice de sa profession, il rencontrait une nature aussi exubérante que celle du colosse, et il se sentait légèrement troublé.
Toutefois, il fit bonne contenance.
–Permettez, monsieur, permettez, dit-il, avec un sourire composé, mais je dois vous faire observer que vous nourrissez là un espoir qui ne pourra pas se réaliser.
–Que voulez-vous dire? fit Cabassou.
–Eh, mon Dieu! une chose fort simple. C’est que la mère Cadenette a dû prendre le premier train pour Paris, et qu’à l’heure où nous voici, elle est loin de Marseille.
–Et vous ne savez pas son adresse?
–Elle ne me l’a pas fait connaître.
Cabassou eut un grondement farouche.
–Cependant, poursuivit-il, ne manifestiez-vous pas, il y a un instant, l’intention de remettre à cette affreuse mégère les dix mille francs que je refuse au nom du petit Richard?
–Sans doute.
–Dans le cas où j’eusse accepté, comment comptiez-vous lui faire parvenir cette somme?
–Je comptais la garder, jusqu’à ce qu’elle vînt elle-même s’enquérir des dispositions arrêtées.
–Vous espérez donc qu’elle reviendra?
–La femme Cadenette est intéressée et cupide, elle prévoyait déjà que vous refuseriez pour l’enfant le don anonyme que j’étais chargé de lui remettre, et, dans cette prévision…
Cabassou serra la main du notaire à la briser.
–Bien! bien! dit-il, vous êtes un homme sagace, vous, et vous ne vous emballez pas comme moi. Elle reviendra, c’est sûr, et si elle revient, ou si elle écrit, enfin, si vous apprenez quelque chose d’elle, vous promettez de me le dire.
–Où vous trouverai-je?
–Je vous laisserai mon adresse, car, vous supposez bien, n’est-ce pas, que je ne vais pas moisir à Marseille, quoique je sois né natif de la localité. Dans quinze jours, j’aurai repris la mer, dans six semaines je serai en Amérique… Mais, avant de m’éloigner, j’aurai leplaisir de vous aller voir et je déposerai entre vos mains mes instructions détaillées, où vous tâcherez de mettre un peu d’orthographe. Est-ce dit?
–C’est dit! fit le notaire.
–Pour lors, à bientôt, papa Chevassoux: et si jamais le cœur vous dit de faire un tour chez les Yankées, demandez Cabassou, et vous verrez comme on vous répondra.
Quoi qu’il en eût dit à Me Chevassoux, notaire, Cabassou ne resta pas quinze jours à Marseille.
Il n’y connaissait, pour ainsi dire, plus personne; c’était, de plus, une nature particulièrement ardente, qui avait besoin de mouvement et d’activité, et à laquelle la liberté américaine faisait défaut.
Et puis, Mariettou morte, il n’avait plus que maman Maurel.
Ce n’était pas assez.
Quant au petit Richard, il était décidé à l’emmener.
Un matin, il l’avait pris dans ses bras, et lui avait demandé s’il voulait bien s’en aller sur mer, avec papa Cabassou.
Et l’enfant, que depuis huit jours, ce dernier promenait dans une belle calèche, qu’il avait conduit à bord de son yacht, dans une jolie embarcation, manœuvrée par six marins en bel uniforme, l’enfant, ébloui et ému, avait répondu par des battements de mains joyeux.
Tout était dit. dès ce moment, rien ne retenait plus Cabassou à Marseille.
Aussi, après avoir assuré le sort de maman Maurel, à laquelle Me Chevassouxfut chargé de servir une pension de trois mille francs; après s’être entendu avec le gardien du cimetière pour que la tombe de Mariettou fût constamment entretenue des fleurs qu’elle aimait, il alla un soir, s’installer à son bord, et attendit la première bonne brise pour appareiller.
Or, deuxjours plus tard, vers six heures du matin, le même groupe de vieux marins, que nous avons déjà vus figurer au début de ce prologue, se trouvait à son poste d’observation, guettant, à l’aide de leurs longues vues, les bateaux qui sortaient du port ou se disposaient à y entrer.
Pendant une heure environ, ils restèrent là, suivant avec attention les divers mouvements qui s’effectuaient sous leurs yeux. Maiss jjusqu’ alors aucun incident ne s’était produit, qui leur eût semblé digne d’intérêt.
Tout à coup, l’un d’eux se dressa de sa place.
–Oh! oh! dit-il en clignant de l’oeil; on dirait qu’on bouge à bord du yacht… Voilà qu’il hisse sa grande diablesse de voile.
–C’est pourtant vrai! ajouta un autre, il faut que le brave petit navire ait les reins solides, pour porter tant de toile que ça.
–Mais c’est qu’il appareille pour de vrai! reprit le premier. Voilà maintenant qu’il lève l’ancre. tout à l’heure il va virer de bord.
–Té!... j’aperçois Cabassouu!
–Où est-il?
–Eh! à la barre, pardieu!... Mais il n’y est pas seul, et devant lui, à cheval sur une de ses grandes jambes, je vois un enfant.
–Oui… oui… le petit de Mariettou, avec lequel il se ballade depuis huit jours.
–Mais. il part! Il retourne en Amérique!… Etre venu de si loin pour ne rester que huit jours. Est-ce possible!
Pendant que ces propos s’échangeaient non loin du restaurant de la Réserve, le yacht avait achevé l’opération de l’appareillage; et maintenant, il avançait mollement vers la sortie du port.
Sa grande voile et son grand foc pendaient inertes et sans souffle, et jusqu’à ce qu’il eut dépassé la pointe du Château, c’était à peine si l’on s’apercevait qu’il marchait.
Mais dès qu’il eut franchi la passe, la brise de terre se fit tout à coup sentir; ses voiles se gonflèrent avec force, et le joli sloop, obéissant à la barre, gagna rapidement le large.
Pendant deux heures, on le vit s’éloigner avec une vitesse d’au moins six nœuds à l’heure, et bientôt on ne l’aperçut plus au loin que comme un point noir qui finit par se perdre dans les brumes de l’horizon.
Cabassou faisait voile pour New-York, emportant avec lui le seul être auquel il pût s’intéresser .désormais:
L’enfant de Mariettou!
FIN DU PROLOGUE