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CHAPITRE III

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Geneviève était entourée de domestiques dévoués, ce qui, malheureusement, n’est pas la loi commune; mais ils étaient, pour la plupart, fils de vieux serviteurs de sa famille et avaient grandi avec elle. Ils l’aimaient parce qu’elle était bonne, et ils éprouvaient à la voir souffrir une véritable peine. Aussi le cocher n’avait-il pas attendu les ordres de son maître pour aller prévenir le médecin, et la femme de chambre avait-elle préparé tout ce qui pouvait être nécessaire au pansement de la blessure.

Le médecin arriva donc bientôt et examina soigneusement le membre endolori: il trouva que la blessure était, en elle-même, insignifiante. Quelques plombs, amortis par les vêtements, avaient meurtri les chairs; quelques autres avaient pénétré plus avant, le sang avait abondamment coulé; mais il n’y avait rien de grave dans tout cela: quelques jours de repos devaient suffire à amener une guérison complète.

Il ne fut pas aussi satisfait de l’état général de la baronne: l’émotion qu’elle avait éprouvée, la nuit sans sommeil qu’elle avait passée, avaient profondément ébranlé tout son organisme: elle était agitée, fiévreuse, et il ordonna la plus grande tranquillité, ajoutée à un nombre infini de potions calmantes. On tira les rideaux et on la laissa libre de dormir. ou de penser.

Pendant ce temps, Pierre s’était remis en chemin et il poursuivait sa route d’un pas rapide. L’aventure dans laquelle il venait de jouer un rôle lui semblait être un rêve et il avait peine à se persuader de sa réalité. Pourtant il ne pouvait détacher sa pensée de la jeune femme qu’il avait tenue dans ses bras, dont, pour un moment, il avait senti le cœur battre près du sien. Il revoyait ce corps souple et charmant, cette tête intelligente et fine couronnée de si beaux cheveux blonds; il se demandait par quelle cruauté du sort cette femme accomplie se trouvait liée à un mari brutal et vulgaire. Pourquoi cet homme n’était-il pas à genoux devant une aussi belle créature? L’aimait-elle? La rendait-il heureuse? Tous ces points d’interrogation se dressaient à la fois devant lui et troublaient son esprit impatient. Il avait hâte d’arriver à Courancelles, où, sans doute, il trouverait le mot de toutes ces énigmes. Vingt fois il fut sur le point de questionner Louis, qui l’accompagnait toujours; mais je ne sais quel sentiment indéfinissable l’empêcha de le faire. On eût dit qu’il n’osait pas prononcer le nom de celle qui, tout à coup, venait de lui apparaître au milieu de circonstances si dramatiques et si imprévues.

Quand, enfin, il arriva à Courancelles, le déjeuner avait déjà réuni dans la salle à manger les maîtres de la maison et leurs invités. Pierre fut reçu avec acclamation, comme cela lui arrivait partout. N’apportait-il pas toujours avec lui une ample provision de bonne humeur, d’anecdotes piquantes et de conversations utiles? Il raconta, cela va sans dire, les événements qui avaient rempli sa matinée, et demanda du ton le plus indifférent qui étaient M. et Mme de Lanselay?

Bien qu’il appartînt au même monde que ces derniers, le hasard voulait qu’il ne les eût jamais rencontrés. Mme de Lanselay venait tard à Paris; de son côté, Pierre allait souvent à la campagne, où l’appelaient des intérêts majeurs; et, d’ailleurs, il ne fréquentait que les salons où l’on cause et ceux où l’on s’occupe de politique. Il n’y avait donc rien de très extraordinaire à ce que Mme de Lanselay fût une inconnue pour lui. Ce qu’il apprit sur elle n’était pas do nature à diminuer l’intérêt que cette jeune femme avait fait naître en lui. Mme de Courancelles, qui était une personne d’âge mûr et respectable, ne pouvait assez faire l’éloge de ses vertus.

«Quant à M. de Lanselay, ajouta Mme de Courancelles, c’est incontestablement ce que le monde appelle un honnête homme: il ne joue pas, il ne fait pas de dettes et il administre sagement sa fortune; il sait, à l’occasion, obliger un ami; mais la distinction de sa femme lui fait peur, et, quelques mois après son mariage, il cherchait déjà au dehors des distractions d’un ordre peu élevé. L’été, la villageoise coquette qui rêve un ruban; l’hiver, à Paris, la première ouvrière qui court après un dîner ou un billet de spectacle: voilà les dignes objets de ses attentions. Il aime peut-être sa femme, mais il lui en veut d’autant plus de n’avoir pas pu descendre jusqu’à lui. Chacune des paroles de cet homme, dont le manque de tact est le plus grand défaut, est une insulte pour sa femme. Chacun des gestes de cette dernière lui paraît, à lui, comme un reproche dont il ne sent pas la justesse: de là des querelles qui font de cet intérieur un enfer. Son caractère est d’ailleurs intraitable, et il ne peut supporter la moindre infraction à ses ordres. La chasse est sa passion dominante, la principale occupation de sa vie; pour assurer la conservation de son gibier, il ne recule devant aucune rigueur: il est redouté à vingt lieues à la ronde. Pendant les journées entières qu’il passe à courir les bois et les plaines, Geneviève est seule, et depuis qu’il lui a enlevé son fils, elle doit trouver le temps terriblement long. Elle vient souvent me voir, mais la compagnie d’une vieille femme comme moi ne peut lui tenir lieu de tout ce qui lui manque. Pauvre enfant! je vais aller tout à l’heure savoir comment elle se trouve. Viendrez-vous avec moi?»

Je vous laisse à penser si Pierre se montra disposé à suivre sa vieille amie.

Quand ils arrivèrent à Lanselay, le châtelain était absent selon ses habitudes; quant à Geneviève, elle venait enfin de s’endormir, et tout faisait espérer qu’à son réveil elle éprouverait un mieux sensible; mais ces espérances ne se réalisèrent pas complètement. Pendant quelques jours, la fièvre persista, intense, menaçante, et l’on put craindre de sérieuses complications. Pierre venait le matin, le soir; il serait venu pendant la journée tout entière sous les fenêtres de Geneviève, s’il l’eût osé! Il lui semblait qu’à la vie de cette femme qu’il connaissait à peine, sa vie, à lui, était liée; il s’étonnait de la place qu’elle occupait dans sa pensée, mais il avait beau faire, il lui était impossible de penser à autre chose.

Un soir, on lui dit enfin que la baronne était beaucoup mieux, et que le lendemain elle descendrait au salon pour quelques heures; on ajouta qu’elle recevrait «monsieur le comte», à qui elle voulait adresser tous ses remerciements.

A cette nouvelle, Pierre sentit d’abord une grande joie; puis, il devint inquiet, fiévreux, comme s’il se fût trouvé à la veille de quelque événement terrible! Quelle était en réalité la valeur morale de cette femme à laquelle il avait tant pensé depuis quelques jours? Etait-elle ce qu’il avait espéré qu’elle serait? Avait-elle, en effet, toutes les vertus dont on se plaisait à la parer? Avait-elle le cœur généreux qu’on lui prêtait, l’esprit qu’on lui accordait?. Mais, au fait, quel intérêt tout cela avait-il pour lui? Que lui importait? Quoi qu’il en soit, il ne dormit pas cette nuit-là, et il eut toutes les peines du monde à attendre l’heure où il pourrait se présenter au château de Lanselay.

Il trouva Geneviève dans son salon particulier, étendue sur un canapé près d’une fenêtre ouverte; les rayons du soleil entraient librement par cette large baie. Geneviève avait près d’elle une table couverte de fleurs qui parfumaient l’air; tout enfin était gai dans cette pièce où chaque objet révélait le goût exquis de la maîtresse de la maison.

Celle-ci, un peu pâle peut-être, était soigneusement coiffée; ses beaux cheveux blonds, simplement relevés et tordus, laissaient apercevoir un cou blanc et élégant dont les contours parfaits se perdaient dans les plis du fichu qui couvrait ses épaules. Une robe flottante, sous laquelle on devinait deux petits pieds bien chaussés, se drapait gracieusement autour de son corps; et rien, si ce n’est son attitude allongée, n’évoquait l’idée toujours pénible de la maladie.

Etait-ce ce que Pierre avait rêvé? Je ne sais! Dans tous les cas, il n’eût pas fait preuve de goût s’il se fût plaint du tableau charmant que contemplaient ses yeux.

Comme il s’arrêtait sur le seuil, plus ému qu’il ne convenait de paraître: «Venez donc, monsieur, lui dit-on d’une voix fraîche, jeune et douce, venez donc qu’on vous remercie; sans vous, je ne sais pas ce que je serais devenue; je frissonne encore quand j’y pense.» Et une petite main parfumée se tendit vers Pierre qui ne put s’empêcher d’y porter respectueusement les lèvres. Une conversation intéressante s’établit bientôt entre ces deux êtres si intelligents, et les heures se succédèrent sans qu’ils eussent conscience du temps qui s’écoulait. Il semblait à Geneviève qu’elle n’avait jamais causé jusqu’à ce jour; chacune de ses idées, développée, élargie, trouvait un écho chez Pierre; celui-ci, plus brillant qu’il n’avait jamais été, trouvait dans son cœur, dans son esprit, des aperçus nouveaux qu’il développait avec une véritable éloquence, et quand le retour de M. de Lanselay leur apprit qu’il était l’heure de se séparer, ils ne pouvaient en croire le témoignage de leurs oreilles. Ce jour-là M. de Lanselay, de meilleure humeur que de coutume,–il avait fait une chasse miraculeuse,–daigna être poli avec M. de Boislancy et l’invita à venir souvent rendre visite à. sa femme. Aussitôt après le départ de Pierre, Geneviève ressentit une fatigue qu’elle n’avait pas éprouvée jusque-là; elle demanda à regagner la solitude de sa chambre à coucher, où elle était sûre de ne pas être troublée par des visiteurs importuns. Elle avait besoin de reprendre, dans le silence, en tête-à-tête avec elle-même, la conversation si malencontreusement interrompue. Chacune des paroles de Pierre lui revenait à la pensée; jamais elle n’avait éprouvé jouissance semblable à cette fête de l’esprit et elle avait hâte d’être au lendemain pour recommencer.

Elle ne se demandait pas s’il reviendrait, elle savait qu’il en serait ainsi.

Tout entière à l’ivresse de ce plaisir nouveau, elle ne songea pas un instant que le cœur pouvait bien avoir eu sa part dans les joies de la journée… Pourquoi cette pensée lui serait-elle venue?… Pierre ne lui avait pas fait la cour–selon l’expression consacrée, –il ne lui avait pas dit qu’elle était jolie, comme tous ceux qui faisaient profession d’amour pour elle. Il avait causé avec elle comme on cause avec un ami; il avait approuvé ses idées quand il croyait qu’elle avait raison; il avait discuté quand il trouvait qu’elle avait tort. Est-ce que cela ressemble à l’amour?

Naturellement, Pierre revint le lendemain; il revint les jours suivants, jusqu’au jour où une guérison complète permit à Mme de Lanselay de reprendre sa vie ordinaire.

Je n’ose affirmer que cette guérison fut la bienvenue: c’était si doux de vivre loin des devoirs du monde, de passer tout son temps en aimable compagnie, de n’ouvrir sa porte qu’à des hôtes choisis. parmi lesquels M. et Mme de Courancelles étaient, cela va sans dire, toujours les premiers.

Malheureusement, un pareil état de choses ne pouvait durer sans cesse: M. de Lanselay le disait hautement et la raison le répétait après lui.

Quoique Geneviève fût une femme sérieuse, il ne faut pas s’imaginer-qu’elle avait l’habitude de rester tout le jour enfermée avec ses livres. Au contraire, elle participait souvent aux distractions que la vie de campagne amène à chaque instant, et il faut avouer qu’elle y prenait un vif plaisir. Si la vie que menait son mari lui avait paru maussade, c’était par l’abus qu’il faisait de ces sortes d’exercices au détriment de toute autre occupation; mais une promenade à cheval, un rendez-vous de chasse et un déjeuner champêtre, ne la laissaient pas d’ordinaire indifférente.

Seulement, pendant sa convalescence, des plaisirs nouveaux s’étant offerts à elle, il lui semblait que tous les autres avaient perdu leurs charmes et il lui fallut un véritable effort pour reprendre son existence habituelle.

Cependant, comme, grâce au voisinage, les Courancelles et leurs invités étaient de toutes les réunions, elle ne tarda pas à se réconcilier avec ce nouvel état de choses.

Pierre avait été assidu près d’elle pendant sa maladie, il ne le fut pas moins maintenant que des plaisirs plus agités avaient succédé aux doux entretiens des semaines précédentes.

Le vif intérêt que, dès l’abord, Pierre avait ressenti pour Geneviève n’avait pas tardé à se changer en un amour ardent et profond. Les circonstances dans lesquelles la jeune femme lui était apparue, l’indifférence de son mari, le culte que les pauvres paraissaient avoir pour elle, tout était bien fait pour frapper l’imagination d’un homme jeune et passionné. Le charme pénétrant de Mme de Lanselay, son esprit, sa douceur, avaient vite achevé leur œuvre, et, aujourd’hui, Pierre sentait que si son amour était repoussé, c’en était fait du bonheur de toute sa vie.

Lui, cet homme si droit, si honnête jusqu’à présent, il était complètement envahi par la passion qui lui étreignait le cœur; oubliant les principes qui jusqu’à ce jour avaient servi de règle à sa vie, il ne songeait plus qu’à faire partager à celle qui en était l’objet la tendresse qu’il ressentait pour elle. Il en arrivait au paradoxe, et, la voyant si malheureuse, il se trouvait plus qu’excusable en lui apportant, sous prétexte de consolation, un nouvel élément de souffrance. S’il eût été de sang-froid, il eût sévèrement jugé ce qu’il eût appelé sa duplicité; en effet, si jusque-là il n’avait pas fait l’aveu de son amour, c’est qu’il voulait avant tout être sûr d’être aimé. Mme de Lanselay était vertueuse; il ne fallait pas que la lutte entre son cœur et sa vertu fît couler ses larmes; il la voulait heureuse. et était décidé à ne parler que quand, dans son illusion, il serait certain de s’appeler: «le Bonheur!»

En attendant, l’existence qu’il menait n’était-elle pas douce entre toutes? D’ailleurs, l’attente ne lui était pas trop cruelle; il était si sûr de sa victoire, que déjà il songeait à préparer leur vie future. Un joli petit château, appelé le Petit-Lanselay, était à vendre aux environs; il l’acheta; mais il demanda et obtint que cette acquisition fût pour un temps tenue secrète. Il lui fallait d’abord aller passer quelques jours dans sa terre, et il voulait attendre son retour pour faire le pas décisif.

Quant à Geneviève, éblouie par les plaisirs de l’esprit, elle continuait à se faire illusion sur l’état de son cœur. ou plutôt– ceci est plus vrai,–elle se laissait aller au charme de ses sensations nouvelles, et ne voulait pas chercher à les définir!

Un jour, un grand déjeûner devait réunir au pavillon de chasse des Courancelles toute la société des environs. Le temps avait marché, les teintes dorées de l’automne avaient changé l’aspect du paysage, mais le tableau n’en était que plus séduisant. Ce pavillon, situé au sommet d’une colline et abrité par de grands bois, dominait une vaste étendue de pays: en face, le château de Lanselay et ses croupes boisées; un peu plus loin, le petit castel dont nous avons parlé; à vos pieds, la vallée; partout la fertilité, la richesse et la vie.

La société joyeuse qui envahit bientôt ces calmes solitudes n’était peut-être pas d’humeur poétique; elle ne put cependant rester insensible à la grandeur de la scène; on demanda tout d’une voix que la table fût dressée en plein air.

La place destinée à Mme de Lanselay avait été marquée d’avance par un immense bouquet que les gardes des chasses voisines lui offraient pour célébrer son rétablissement. Il était vraiment touchant de voir combien cette femme était aimée de tous. On ne songeait pas d’ailleurs à s’en étonner, tant était grand le charme qui s’exhalait de toute sa personne.

Naturellement, Pierre trouva moyen de s’emparer du siège voisin de celui de Mme de –Lanselay. La conversation un peu bruyante qui s’établit bientôt entre tous les chasseurs ne laissa pas d’abord beaucoup de place à une causerie intime; mais Pierre et Geneviève étaient l’un près de l’autre; ils pouvaient de temps en temps échanger une remarque fine et amusante: que leur fallait-il de plus? Pierre, au moment où Geneviève attachait à son corsage une fleur de son bouquet, lui en avait demandé une; elle lui avait donné, en rougissant, la sœur jumelle de la rose dont elle s’était parée. et elle avait rougi plus encore sous le regard qu’il lui adressa.

La conversation générale continua, vive, animée, et chacun raconta à son tour quelque anecdote plus ou moins drôle. Les amoureux en profitèrent pour s’isoler de plus en plus, et c’est à peine s’ils entendirent les projets qui se tramaient autour d’eux. Une question adressée directement à Pierre le fit descendre du ciel sur la terre.

Il s’agissait d’une grande expédition qui faisait tressaillir d’aise l’âme de tous les chasseurs.

On avait signalé à quelques lieues de là une bande de loups qui avaient dévasté plusieurs bergeries, et il fallait mettre fin aux exploits de ces enragés. «Après demain! n’est-ce pas? dit quelqu’un, le jour vous convient-il?–Approuvé! répondirent vingt voix.–Vous serez des nôtres, n’est-ce pas, Boislancy?–Désolé, mon cher, mais je pars demain!–Vous partez? est-ce bien vrai?…» Et il lui sembla que la voix qui murmurait ces mots à son oreille était tremblante et mal assurée.–«Hélas! il le faut!»

Il regarda Geneviève. Oh! que les hommes sont cruels! Il vit la larme qui brillait au bord de ses paupières; il vit le coin de ses lèvres se plisser. il vit sa main tremblante arracher les fleurs de son bouquet. et il ne dit pas un seul mot. Pour calmer cette émotion poignante, il n’aurait eu qu’à étendre le bras dans la direction du petit Lanselay, il n’aurait eu qu’à dire: «Voyez-vous cette maison? Eh bien! elle est à moi; je l’ai achetée parce que je ne puis plus vivre loin de vous. Dans quelques jours, sur la limite de nos deux domaines, un pavillon s’élèvera où je réunirai les fleurs, les livres que vous aimez, où j’apporterai tout ce que le luxe peut inventer, parce que rien n’est trop beau pour vous. Ce sera mon cabinet de travail, fantaisie d’original perdue au milieu des bois, nul n’y entrera que vous; mais chaque jour je vous y attendrai et chaque jour vous y viendrez plus aimante et plus aimée.» Mais ces mots, il eut le courage de ne pas les prononcer. «L’heure est-elle venue?» se demandait-il, et il n’osait encore se l’affirmer. Pourtant, quand le déjeuner fut fini et que chacun se dispersa, les uns pour reprendre leur fusil, les autres pour faire approcher les voitures, il rejoignit Geneviève qui s’était avancée au bord du plateau et contemplait le paysage qui avait soudain perdu tout son éclat.

«Me jugerez-vous digne, madame, d’être votre messager? Voulez-vous que je vous apporte quelque partition, quelque livre nouveau? car je ne serai pas longtemps absent, et je suis prêt à exécuter vos ordres.»

Si c’était une épreuve, elle ne réussit que trop pleinement: les yeux humides reprirent leur éclat, la bouche redevint souriante, et Pierre allait parler enfin. parler avec éloquence, car son cœur était plein de joie, quand il se souvint que ni l’heure, ni le lieu, n’étaient propices à un entretien de cette nature.

Dans la journée, il chercha à reprendre avec Geneviève la conversation interrompue, mais ce fut vainement qu’il essaya de la trouver seule: il dut partir sans avoir révélé son secret!

Un amour heureux

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