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CHAPITRE IV

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Après cette journée si remplie d’émotions diverses, Geneviève rentra à Lanselay, brisée de corps et d’esprit. Elle fut pourtant obligée de présider le dîner, ce qui fut pour elle un véritable supplice; mais, le soir, aussitôt qu’elle put quitter le salon, elle s’empressa de remonter chez elle.

Elle était en proie à une vive agitation; les pensées les plus diverses se heurtaient dans son cerveau, et il lui semblait que sa tête était prête à éclater. «Mon Dieu, se disait-elle, subitement éclairée sur l’état de son cœur; mon Dieu! que se passe-t-il en moi? suis-je arrivée à cette heure redoutable que je croyais écartée à jamais? Est-il donc vrai que je l’aime?… Hélas! c’est un fait trop réel!… Oui! je l’aime et ne puis supporter la pensée de son absence. Mais, grand Dieu! faites qu’il ne m’aime pas, lui! car s’il devait m’aimer, que deviendrais-je?… que ferais-je?… Il me faudrait renoncer à cette intimité charmante dont j’ai si bien pris l’habitude; il me faudrait retomber dans la solitude, dans le vide!… Mais à quoi vais-je donc penser? Pourquoi m’aimerait-il? Suis-je devenue tout à coup semblable à ces femmes dont j’ai tant ri autrefois, qui s’imaginent que tous les hommes sont à leurs pieds? Suis-je donc si charmante qu’on ne puisse me voir sans mourir d’amour? Je suis folle, vraiment… Mais alors, pourquoi venait-il si souvent?... Pourquoi? Mais simplement parce que la chasse n’est pas son seul plaisir, à lui; parce que personne ici, excepté moi, ne s’occupe des questions qui l’intéressent, voilà tout!»

Mais, chose étrange, cette pensée, loin de la consoler, ajouta encore une amertume à toutes celles dont son cœur était déjà rempli. Ses larmes coulèrent plus abondantes, plus amères, et elle se trouva malheureuse comme elle ne l’avait jamais été.

Il n’est pas besoin de dire que les journées qui suivirent furent tristes à mourir. Le temps était devenu pluvieux et il semblait qu’il eût voulu se mettre à l’unisson du cœur de la pauvre Geneviève. D’ordinaire, pour celle-ci, les jours de pluie étaient ceux qui s’écoulaient le plus rapidement. Sûre de n’être pas dérangée, elle lisait, faisait de la musique et les heures fuyaient sans qu’elle s’en aperçût. Pourquoi donc n’en était-il plus ainsi? Pourquoi son piano était-il muet et ses livres couverts de poussière? C’est qu’un sentiment nouveau s’était emparé de tout son être… c’est qu’elle était écrasée par l’incertitude de savoir si elle était aimée… c’est qu’elle luttait contre elle-même, car sa piété la défendait encore, et elle avait la ferme volonté de résister à son amour.

Elle priait, mais il lui semblait que sa prière n’était pas écoutée; elle se demandait avec effroi si elle était de celles que Dieu paraît abandonner en ce monde, mais qui sont marquées au front pour servir d’avertissement aux autres par l’expiation terrible à laquelle elles sont destinées. Elle avait peur. et puis. elle finissait par s’avouer que la plus cruelle de toutes ses tortures était encore le doute dans lequel Pierre l’avait laissée.

Un jour, elle fut arrachée à ses tristes pensées par un message de Mme de Courancelles… C’était une invitation à dîner pour le lendemain… De Pierre, pas un mot, et pourtant Geneviève se sentit au fond de l’âme une joie inaccoutumée… Un secret instinct lui disait qu’il serait là, et elle prit de sa toilette –sans oser s’avouer son espérance–les soins les plus minutieux. Pour la première fois, peut-être, elle se regarda dans son miroir avec une scrupuleuse attention; et quand elle vit son image reflétée dans cette grande glace qui la reproduisait tout entière, elle ne put s’empêcher de sourire. C’est qu’elle était bien belle ainsi! Sa longue robe noire toute couverte de bouquets de roses faisait si bien ressortir la blancheur et la perfection de ses épaules et de ses bras!

Tout à coup, elle se souvint qu’il–cet il à qui l’on ose à peine donner un nom–qu’il ne l’avait jamais vue en robe décolletée… et cette pensée amena sur ses joues une teinte rosée qui la rendait encore plus jolie. elle fut sur le point de changer de toilette; mais il était tard, et ses chevaux–jeunes et fringants–s’impatientaient déjà au bas du per ron; elle partit donc.

Quand elle entra dans le salon de Mme de Courancelles, la première personne, ou plutôt la seule qu’elle vit… ce fut Pierre! Il lui sembla que son cœur s’arrêtait, que le sang lui montait au cerveau et qu’elle allait tomber; elle fit un effort sur elle-même et ce fut avec sa grâce habituelle qu’elle salua chacun d’un mot amical. Pierre vint le dernier; mais elle ne put prendre sur elle de prononcer une seule parole quand elle laissa sa main tomber dans celle qui se tendait vers elle.

Mme de Courancelles, innocente complice du drame qui se nouait sous ses yeux, les avait placés à table l’un près de l’autre: elle savait combien ils aimaient à parler des choses qui les intéressaient tous deux, et, en qualité de maîtresse de maison, elle avait l’art et le soin de choisir pour chacun de ses convives la place qui lui convenait le mieux. Elle exprima le regret que M. de Lanselay, appelé à Evreux pour la fameuse histoire du braconnier qui avait enfin été arrêté, ne pût occuper celle qui lui avait été destinée.

Pierre parla d’abord de tout, excepté de ce qui lui brûlait les lèvres; il discuta le livre nouveau, la partition à la mode; mais il avait beau faire, la conversation quittait malgré lui la région où elle se tenait d’habitude et prenait une tournure qui paraissait effrayer Mme de Lanselay… Celle-ci était heureuse pourtant; mais n’est-il pas permis d’éprouver un peu d’effroi alors que se joue le bonheur ou le malheur d’une vie tout entière?

Pierre ne pouvait ni ne voulait se taire plus longtemps, mais il sentait qu’il fallait, avant tout, ne pas effaroucher cette âme délicate...; il fallait l’habituer à la pensée qu’elle était aimée; il fallait que, pour ainsi dire, sans s’en douter, elle descendît cette pente glissante qui devait la jeter dans les bras de son amant.

Ces pensées l’avaient rendu silencieux pendant quelques instants, au bout desquels il murmura tout bas. si bas qu’elle seule l’entendit:

«M’avez-vous un peu regretté pendant mon absence? Avez-vous pensé à nos douces causeries?

–Pouvais-je les oublier?

–Vous ne me demandez pas pourquoi je suis revenu? Est-ce que cela vous paraît naturel que je vienne si souvent à Courancelles, où je n’étais jamais venu il y a six semaines?

–Non, mais je trouve tout simple que le plaisir de retrouver vos aimables hôtes vous attire près d’eux pendant la saison d’automne.

–Etes-vous bien sûre que ce soit là le vrai motif de mon retour?…» Et ses yeux ardents et doux plongeaient jusqu’au fond de ceux de Geneviève, qui, profondément troublée, sentait sa voix trembler et ses joues se couvrir d’une rougeur révélatrice… Elle ne répondit pas; il continua:

«Hé bien! vous ne me demandez pas la vraie raison de mon retour? Peut-être, après tout, l’avez-vous devinée?–Il n’est pas besoin d’être sorcier pour cela!–Allons, puisque vous ne voulez pas me répondre, je vais vous apprendre une nouvelle: j’ai acheté le château dont le parc confine au vôtre, et, demain, je vais m’y installer.»

Cette révélation causa à Geneviève une émotion facile à comprendre.

«Ah!» dit-elle seulement; et, tremblante, éperdue, elle détourna les yeux pour éviter le regard qui cherchait le sien!

Elle n’avait plus à douter maintenant, elle comprenait qu’elle était ardemment aimée, et, malgré la joie dont son âme était remplie, elle avait peur à cette heure décisive. Pour ainsi dire, à son insu, Pierre avait pris une place immense dans sa vie...; elle n’aurait pu renoncer à le voir…; elle sentait qu’elle l’aimait comme elle en était aimée; mais ce n’est pas sans luttes qu’on renonce à toute une vie vertueuse et irréprochable.

Son émotion était si intense qu’elle se sentait sur le point de s’évanouir; son cœur battait à se rompre et soulevait les plis de son corsage… il lui semblait que tous les yeux étaient fixés sur elle et elle eût voulu fuir. Quant à lui, il savourait son triomphe; il voyait bien qu’elle luttait encore; mais il la savait vaincue et il se fût montré sans merci si un mouvement des convives ne l’eût prévenu de la fin du repas. Il s’empara du bras de Geneviève avec une douce autorité et elle se laissa conduire au salon, où il resta près d’elle jusqu’au moment où l’on annonça que le café était servi dans la serre.

Le salon de Courancelles s’ouvrait sur un jardin d’hiver où l’on se rendait généralement après le dîner et où les hommes étaient autorisés à fumer.

Là, les plantes les plus rares étaient réunies; les fleurs les plus brillantes et les plus parfumées s’étageaient en gradins le long des murs et offraient aux yeux le spectacle le plus éblouissant.

Au milieu, abrités par de grandes plantes vertes, étaient placés des divans moelleux qui faisaient de cette serre un lieu confortable autant que délicieux. Aussi, messieurs les fumeurs y faisaient-ils de longues stations, et il faut avouer que ces dames ne dédaignaient pas de les y accompagner.

Dans l’état d’esprit où elle se trouvait, Mme de Lanselay avait besoin d’être seule...; elle chercha donc un coin écarté où elle s’assit dans l’ombre et le silence, au milieu d’un massif qui la dérobait à tous les regards, excepté pourtant à ceux de Pierre, qui ne la perdait pas de vue.

Bientôt il la suivit; mais elle était si absorbée dans ses réflexions qu’elle ne l’entendit pas venir. Puis, tout à coup, une sensation étrange fit tressaillir tout son être....; elle sentit le regard brûlant qui l’enveloppait tout entière; elle leva la tête et aperçut Pierre qui, debout devant elle, la contemplait avec amour. Ses yeux rencontrèrent les yeux tendres et caressants de M. de Boislancy, qui semblaient lui communiquer une vie nouvelle, et, cette fois, ils ne se détournèrent pas. Elle restait là, immobile, fascinée! elle sentait que si elle faisait un mouvement, elle allait tomber dans les bras prêts à s’ouvrir pour la recevoir.

La voix de Mme de Courancelles vint rompre le charme et la ramena au salon, où l’attendait une fâcheuse surprise.

Ses chevaux avaient été surexcités outre mesure par le voisinage de tous ceux qui avaient amené les divers invités; l’un d’eux s’était détaché et il avait été fort difficile de le reprendre. Dans sa course folle, il avait renversé le cocher qui cherchait à l’atteindre, et le pauvre homme était incapable de monter sur son siège: il avait une foulure au poignet gauche, ce qui ne lui permettait pas de prendre les rênes.

«Tout cela n’est qu’ennuyeux pour vous, chère amie, dit Mme de Courancelles; je vais garder vos chevaux, votre cocher, et ma voiture vous ramènera.–Oh! non, reprit Mme de Lanselay, mon mari ne serait pas content si ses chevaux ne revenaient pas ce soir; puisque je suis condamnée à vous causer un ennui, prêtez-moi votre cocher; il mènera mes chevaux, et, demain, je vous le renverrai en faisant chercher le mien.»

Ceci paraissait être la chose la plus simple du monde, et, pourtant, ces mots étaient à peine tombés de ses lèvres que déjà Geneviève regrettait de les avoir prononcés.

C’est que Pierre, prenant la parole, s’était exprimé en ces termes:

«Mme de Lanselay a raison, c’est la meilleure combinaison: cependant, comme le cocher de Mme de Courancelles n’est pas habitué à mener des chevaux jeunes et difficiles, il serait imprudent à vous, madame,– et il se retourna vers Geneviève,–de vous aventurer seule sur la grande route par cette nuit sombre. M. de Courancelles va vouloir vous accompagner; mais, à son âge, avec ses rhumatismes, ce serait peut-être pour lui une longue expédition!

–Je vous remercie, mon ami, reprit M. de Courancelles, mais comment reviendrez-vous?

–Vous savez que demain je vais m’installer au castel; que mes gens y sont déjà... Eh bien! j’y resterai ce soir, j’en serai quitte pour une promenade de quelques minutes à travers bois.»

Tout cela était si naturel qu’il n’y avait pas la moindre objection à faire. Geneviève garda donc le silence; mais, au fond de son cœur troublé, elle envisagea ce retour avec inquiétude.

Connaissez-vous rien de plus charmant que ces voitures étroites, attelées de chevaux rapides, qui renferment dans leurs flancs capitonnés deux êtres qu’il nous est permis de supposer jeunes et amoureux? Pour moi, je n’ai jamais pu, sans un sentiment d’envie, les voir passer, tant il me semble que c’est là l’image la plus complète du bonheur intime et respecté.

Et pourtant, qui sait? Peut-être,–tant nous semblons prendre plaisir à gâter le bonheur qui nous a été donné,–peut-être, perdrions-nous nos illusions s’il nous était permis de nous asseoir, invisibles comme Asmodéc, entre les deux êtres dont tout à l’heure nous enviions la félicité! Ils sont là, l’un près de l’autre, la main à portée de la main: leur amour légitime n’a pas besoin de se cacher; sous les yeux de tous, ils peuvent échanger les douces confidences dont le cœur n’est jamais las. Tout leur sourit dans la vie! C’est pour cela peut-être qu’ils ne comprennent pas jusqu’à quel point ils sont privilégiés.

Geneviève, qui n’avait jamais goûté les joies réservées aux heureux ménages, s’était dit souvent qu’il devait être charmant, quand on s’aime, d’être ainsi à côté l’un de l’autre réunis dans l’étroite intimité d’un doux tête-à-tête…

Aussi fut-elle troublée jusqu’au fond de l’âme quand elle vit Pierre s’élancer sur le marchepied et prendre place à ses côtés.

Mais elle ne connaissait pas encore cet être volontaire et patient qui avait nom: Pierre de Boislancy.

Celui-ci avait trop approfondi l’étude du cœur humain en général, il avait trop appris, en particulier, à lire dans celui de Mme de Lanselay pour ne pas s’apercevoir que le charme était rompu et que l’heure présente n’était pas propice aux doux épanchements. Elle était en garde contre lui, contre elle-même; il fallait la rassurer d’abord. Il ne pouvait pourtant se dégager des préoccupations qui le dominaient, et chacune de ses paroles fut un hommage discret, une assurance de l’amour le plus absolu. Elle oublia, en écoutant ces mots si doux dont le cœur est avide, les incertitudes qui la déchiraient et goûta pleinement le charme de cette promenade trop tôt achevée au gré de tous les deux.

Mais quand elle se retrouva seule dans cette chambre où, si souvent depuis quelque temps, elle avait cherché un refuge, elle se laissa tomber à genoux et sanglota amèrement. «Comme je l’aime! se disait-elle, et comme je suis aimée! Ah! si je pouvais étouffer le murmure de ma conscience, comme je serais heureuse! Mais, c’est impossible, il faut fuir, car si je le revoyais?... Il souffrira, lui aussi, mais il oubliera plus vite que moi; les hommes ont tant de choses qui remplissent leur vie! Mais, moi? allons! Dieu me donnera la force nécessaire, et j’accomplirai le sacrifice que le devoir m’impose!!!»

Quand, le lendemain, elle descendit à l’heure accoutumée, ses joues étaient pâles, son regard fixe et dur: on voyait qu’elle avait pris une résolution terrible, on sentait qu’elle souffrait, et tout cœur généreux se fût élancé au-devant d’elle pour la consoler et l’aider à porter sa peine; mais M. de Lanselay n’était pas un cœur généreux. De plus, il était encore sous l’empire de l’ennui que lui avait causé son voyage de la veille et de la colère qu’il avait éprouvée quand il avait su que ses chevaux avaient été confiés à des mains étrangères.

Mais, sans faire attention aux symptômes d’orage qui se montraient pourtant sérieux et menaçants, Mme de Lanselay pria son mari de l’entendre avant de rejoindre ses chiens et ses piqueurs.

«Mon ami, lui dit-elle, je me sens souffrante,–et son visage disait trop clairement qu’elle ne mentait pas.–Je crois qu’un changement d’air me serait indispensable; me permettez-vous d’aller passer l’hiver à Nice?

–Encore une folie nouvelle, s’écria M. de Lanselay; vraiment, on n’en a jamais fini avec vous!… vous ne savez quoi inventer!

–Mais je souffre, vous dis-je, et ce n’est pas sans motifs que je vous fais cette demande!

–Vous vous imaginez que je vais tout quitter pour vous suivre dans un pays où je n’aurai rien à faire? vous n’y pensez pas, je crois?

–Plusieurs de mes amies vont passer l’hiver dans le Midi, ne pourrais-je les accompagner?

–Pour que le monde dise que je ne me soucie pas de vous, pas de votre santé! Avez-vous juré de me rendre ridicule? Mais cela ne sera pas! Non, Madame, vous n’êtes point malade et vous n’irez point à Nice! De ceci je vous réponds.»

Et il la quitta sans en vouloir entendre davantage.

La pauvre Geneviève, épuisée par cette lutte inutile, demeura sans force. Cette scène s’était passée dans le petit salon où, pendant sa convalescence, elle avait si souvent reçu Pierre. Le souvenir de celui qu’elle aimait était encore plus présent là que partout ailleurs; elle le voyait, lui parlait, elle entendait sa voix… elle était vaincue, enfin! Elle avait fait les efforts que sa conscience lui ordonnait de faire; son mari n’avait pas voulu la comprendre.; son fils n’était pas là pour la sauvegarder!... Que pouvait-elle maintenant?.

Elle laissa sa tète tomber entre ses mains et resta ainsi quelques instants. Puis, se parlant à elle-même, elle se dit tout haut: «Mon Dieu! pardonnez-moi; mais je l’aime trop!»

«Est-ce vrai?» répondit à son oreille une voix bien connue.

Elle se leva d’un bond, comme poussée par un ressort; elle vit Pierre qui venait d’entrer doucement et qui la regardait avec amour: il lui tendit les bras; elle s’y précipita et cacha sa rougeur sur ce cœur qui ne battait que pour elle.

«Enfin!» murmura-t-il, et il étreignit avec passion cette femme qui se donnait tout entière et à jamais!

Un amour heureux

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