Читать книгу Évolution des procédés - la séparation de l'air atmosphérique en ses éléments, l'oxygène et l'azote - Raoul Pictet - Страница 8
Obtention de l’oxygène par le procédé dit de rectification
ОглавлениеNous allons dans ce chapitre faire un examen théorique très serré des trois systèmes utilisés en pratique aujourd’hui, lesquels dérivent tous du procédé de 1899 avec des variantes trop faibles pour pouvoir les séparer l’un de l’autre.
Afin d’éviter des longueurs, nous représentons ces trois systèmes dans un dessin schématique unique.
Les trois systèmes sont ceux-ci:
1° 1899. Séparation de l’air atmosphérique en ses éléments (Raoul Pictet).
2° 1902. Séparation de l’air atmosphérique en ses éléments (von Linde).
3° 1903. Séparation de l’air atmosphérique en ses éléments (G. Claude).
Pour bien faire comprendre ces trois procédés qui paraissent identiques par leur titre, mais ne diffèrent que par le nom des inventeurs et la date des brevets déposés, il nous faut exposer la théorie de base du procédé de rectification employé dans ces trois systèmes.
Dès l’année 1896 où j’avais obtenu de très grandes quantités d’air liquide, je me suis occupé à imaginer un appareil permettant la transformation intégrale et continue de l’air liquide en ses éléments. J’avais déjà. en 1895, fait construire une petite colonne à plateaux par la maison Escher Wyss, de Zurich. Cette colonne ne put pas être mise en fonction régulière pour répondre à la solution du problème, car elle n’était pas basée sur la régénération continue de l’air liquide. Elle était comme l’appareil de von Linde de 1895, à marche discontinue et épuisait vite sa provision d’air liquide.
C’est en allant en Amérique du Nord, en 1898, que sur le bateau, je conçus pour la première fois un système précis pour la régénération intégrale de l’air liquide et la séparation méthodique de ses éléments azote et oxygène.
Voici les vues générales de ce procédé qui ont servi de base au brevet de 1899, déposé à New-York, en décembre, et qui fut le premier en date dans ce domaine.
Etablissons d’abord les phénomènes et les lois physiques qui sont nécessaires pour construire tout appareil destiné à la séparation des liquides mélangés en leurs constituants.
Nous trouvons ces lois et ces préceptes dans deux brevets de 1880 et 1881 qui protègent une série de dispositions de colonnes à rectifier l’alcool sous basses températures ainsi que la séparation des liquides mélangés, quelle que soit du reste leur nature, ou leur pouvoir volatil.
Les mélanges d’alcool et d’eau se séparent d’une façon à peu près complète par une rectification obtenue bien au-dessous des températures normales, lesquelles à cette époque étaient + 79°, 5 et + 100°.
Au moyen d’appareils frigorifiques et du vide, j’obtenais un coulage abondant d’alcool presque chimiquement pur en faisant couler de l’alcool condensé au haut d’une colonne par un réfrigérant spécial.
Les vapeurs d’eau et d’alcool montaient de bas en haut se dégageant des flegmes chauffés à — 10° ou — 15° par un courant d’eau ordinaire entrant à + 15° et sortant à + 2° ou + 3°. L’alcool condensé dans le réfrigérant du haut de la colonne et sous très faible pression, descendait sur des plateaux à surface contre lesquels les vapeurs montantes se condensaient partiellement en ramenant dans la caillebasse du bas de l’eau, les huiles et toutes les impuretés.
L’alcool pur se vaporisait sur ces plateaux et remontait dans le haut de la colonne où la température de condensation oscillait à volonté selon les qualités d’alcool que l’on voulait obtenir, entre — 30° et — 100° centigrades.
Une partie de cet alcool retombait dans la colonne, l’autre partie était condensée mais servait au coulage industriel comme rendement utile.
Ces procédés utilisés sur une grande échelle aujourd’hui dans les appareils à distiller dans le vide, précisaient d’une façon absolue les lois physiques et la construction des colonnes à rectifier les liquides mélangés.
Comme le chauffage de la colonne était obtenu par un courant d’eau, ou un échappement de vapeur, je n’avais nullement indiqué alors en 1880 la possibilité de chauffer la caillebasse et les plateaux de la colonne avec les vapeurs mêmes des mélanges liquides!
C’est là le point nouveau qui m’apparut comme la base nécessaire de la récupération de l’air liquide lorsque je voulus appliquer au mélange de l’azote et de l’oxygène liquide les lois de mes brevets de 1880.
Pour bien faire entendre l’importance capitale de ce principe voici la série des phénomènes que comporte le cycle complet de la transformation de l’air atmosphérique liquide en ses éléments.
Nous prenons un volume de 100 mètres cubes d’air atmosphérique, supposé pour simplifier, absolument pur sans vapeur d’eau, sans acide carbonique, et composé de 21 parties d’oxygène et de 79 parties d’azote.
Nous comprimons cet air à une pression de 5 atmosphères; le travail consommé élève la température de l’air. On emporte, par un courant d’eau froide qui baigne le serpentin de sortie de l’air comprimé la chaleur ainsi engendrée.
Nous avons donc à la température normale de + 15° une masse d’air sous pression de 5 atmosphères.
Nous abaissons la température de + 15° à — 195°. Il faut enlever à cette masse d’air une quantité de chaleur représentée par la chaleur spécifique de l’air, multipliée par le volume, multipliée par l’écart de température.
Soit A cette quantité de chaleur.
Il faut enlever à cette masse d’air sa chaleur de liquéfaction, car à — 195° l’air liquide bout sous la pression atmosphérique. Soit B cette quantité de chaleur latente de liquéfaction.
On conçoit donc que si la masse d’air de 100 mètres cubes est comprimée dans un serpentin sous la pression de 5 atmosphères et qu’au travers des parois de ce serpentin on soutire d’abord A calories et aussi B calories, tout l’air constituera une masse d’air liquide à l’intérieur du serpentin.
Admettons maintenant que l’on ait posé une vanne de réglage à l’extrémité du serpentin et qu’en l’ouvrant on laisse échapper l’air liquide qui se trouve à l’intérieur, de telle façon que l’air liquide sortant, noie le serpentin d’où il s’échappe.
Il suffit de développer dans un cylindre ce serpentin dont les spires terminales pénétrent par le bas. L’air liquide s’échappant viendra de lui même noyer progressivement les spires superposées.
Admettons que nous ayons ainsi rempli le bas du cylindre d’une certaine quantité d’air liquide et qu’on règle la vanne d’échappement de l’air liquide de telle sorte que l’air comprimé à cinq atmosphères arrivant par le serpentin soit de même poids dans l’unité de temps que le poids d’air liquide qui sort par la vanne de réglage; on aura ainsi constitué un état de régime qui pourrait durer indéfiniment si la chaleur ambiante de la salle n’était pas une cause incessante d’apport de calories dans cet appareil refroidi à — 195°.
Supposons donc l’enveloppe protectrice de cet appareil parfaite, il devient évident que 100 mètres cubes d’air pur à + 15° comprimés à 5 atmosphères descendront du haut du cylindre vers le bas contre un courant de 100 mètres cubes d’air pur qui le réchaufferont de — 195° à + 15°. En descendant la masse d’air cédera A calories et la masse montante d’air pur équivalente comme volume se réchauffant de — 195° à + 15° absorbera A calories.
Ces changements de température s’effectuent dans des masses d’air identiques et sous pression constante pendant qu’ils s’opèrent.
Outre cela, 100 mètres cubes d’air se liquéfiant à — 195° cèdent leur chaleur latente de condensation à 100 mètres cubes d’air pur liquéfiés qui se vaporisent autour du serpentin au fond du cylindre.
Chacun de ces changements d’état absorbe et cède B calories.
Si nous admettons que la surface du serpentin noyée dans l’air liquide soit presqu’infinie, et la conductibilité du métal soit parfaite, la plus légère surpression de d’atmosphère suffira pour amener la complète liquéfaction de l’air à l’intérieur du serpentin et sa revaporisation à l’extérieur. On pourra faire passer B calories avec une différence de température de ou de degré, correspondant à la différence des tensions maxima des vapeurs de l’air liquide que l’on comprime légèrement à l’intérieur, tandis que la pression atmosphérique est maintenue à l’extérieur.
On verra ainsi deux courants d’air, l’un entrant, l’autre sortant de l’appareil et ayant chacun la même pression et la même température.
Aucune séparation des constituants de l’air liquide n’aura eu lieu.
Que faut-il donc ajouter à cet appareil si simple pour obtenir deux courants différents de gaz sortants tandis qu’un seul courant d’air entrant les alimentera tous les deux?
Un des courants sortants doit être l’oxygène, l’autre courant sortant sera l’azote.
Il faut se servir de la loi fondamentale des tensions des vapeurs des liquides mélangés, loi qui caractérise l’état liquide des constituants du mélange et la nature des vapeurs qu’ils émettent.
Voici d’abord quelques faits précis:
Prenons dans une sphère de verre, munie de robinets, 46 volumes d’oxygène pur liquide et 54 volumes d’azote pur liquide.
Agitons ces liquides pour les dissoudre et les mélanger intimément et refroidissons cette ampoule jusqu’à ce que la tension des gaz dans la sphère soit exactement la pression atmosphérique. Un petit manomètre attenant à la sphère nous prouve que nous avons obtenu ce résultat lorsque le liquide est refroidi à environ — 192°.
Nous prélevons dans une éprouvette, un peu des vapeurs qu’émet le mélange à cette température de — 192°. Nous trouvons que ces vapeurs n’ont nullement la composition du mélange d’où elles proviennent.
L’analyse nous donne 21 % d’oxygène et 79% d’azote.
Donc par le fait uniquement de l’état liquide et des forces physiques de dissolution mises en jeu, l’oxygène est retenu dans le liquide et la proportion de l’oxygène gazeux tombe de 46 % à 21 %, donc à moins de la moitié de sa valeur dans le mélange.
L’azote au contraire passe de 54 % à 79 %.
On peut agiter autant qu’on le veut le mélange, les vapeurs restent en équilibre stable avec un liquide dont la teneur est très différente. Voilà le fait capital sur lequel repose tout procédé de séparation par rectification des mélanges liquides.
Continuons encore:
Prenons 21 volumes d’oxygène et 79 volumes d’azote qui sont émis simultanément par un mélange liquide de 46 volumes d’oxygène et de 54 volumes d’azote. Liquéfions ces 21 parties d’oxygène, ces 54 parties d’azote et mélangeons ces liquides dans la même ampoule. Pour obtenir que la tension des vapeurs de ce mélange soit égale à la pression atmosphérique, nous constatons d’abord qu’il faut le refroidir à — 195° centigrades.
Nous utilisons l’éprouvette pour cueillir un peu des vapeurs émises par ce mélange et nous voyons que ces vapeurs détiennent 7 % d’oxygène et 93 % d’azote.
Le volume de l’oxygène est tombé de 21 % dans le liquide, à 7 % dans les vapeurs.
Pour l’azote le volume a passé de 54 % à 93%.
La température d’ébullition du mélange dans le premier cas était — 192°, maintenant — 195°.
Continuons encore:
Nous prenons 7 % d’oxygène en volume émanant de ce mélange et les liquéfions.
Nous prenons 93% d’azote en volume et les liquéfions.
Nous mélangeons ces deux quantités d’oxygène et d’azote liquides dans l’ampoule et nous recommençons les observations.
Le point d’ébullition de ce mélange est descendu à — 195°,4.
L’analyse des vapeurs nous donne 2,8 % d’oxygène et 97,2 °/% d’azote.
Si nous continuons comme précédemment, le prochain mélange liquide contenant 2,8 d’oxygène et 97,2 d’azote bout à — 195°,5 et donne 0,5 % d’oxygène et 99,5 d’azote.
Le mélange suivant donne 0,08 % d’oxygène et 99,92% d’azote.
La température d’ébullition de ces derniers mélanges est celle de l’azote liquide pur à quelques millièmes de degrés près, soit — 195°,5.
Si maintenant, au contraire de ce que nous avons fait dans la série d’expériences précédentes, nous forçons les doses d’oxygène liquide contenues dans l’ampoule, nous trouvons que la température s’élève progressivement jusqu’à — 182°,5 point d’ébullition de l’oxygène liquide, mais qu’à cette température les plus petites traces d’azote dans le liquide ont déjà une influence des plus marquées dans la température du liquide, mélange des deux liquides azote et oxygène, et que le pourcentage de l’azote dans les vapeurs dépasse de beaucoup son pourcentage dans le liquide.
L’azote gazeux se dégage donc dans tous les cas et quelle que soit sa teneur dans un mélange quelconque d’oxygène et d’azote liquides plus rapidement que proportionnellement à la valeur relative de son pourcentage dans le mélange qui se vaporise.
Comment utiliser ces constatations capitales pour la séparation méthodique de l’oxygène et de l’azote de l’air atmosphérique dans notre appareil cylindrique contenant un serpentin dans le bas?
Nous représentons dans la figure 1 (Pl. I) cet appareil schématique et voici sa théorie et comment son agencement permet la solution du problème.
Tout l’appareil est constitué par une colonne verticale contenant de 80 à 100 plateaux superposés, assez voisins les uns des autres.
Ces plateaux sont construits exactement comme le sont ceux de nos brevets de 1880-1881, spécialement destinés aux opérations de rectification des liquides mélangés.
On peut les faire percer de tout petits trous permettant aux vapeurs de passer de bas en haut au travers d’une mince couche de liquide qui s’y trouve, sans que le liquide puisse fuir par ces petites ouvertures retenu par les forces capillaires, aidées d’une légère contre-pression des gaz qui cherchent leur orifice d’écoulement au haut de la colonne et sont ainsi forcés de surmonter la pression faible de chaque plateau.
Ces plateaux peuvent être à calottes. Les gaz sont obligés en traversant ces calottes de barbotter dans le liquide de chaque plateau.
Enfin, et c’est là un fait très important, ces plateaux peuvent agir seulement comme surface par écoulement libre de plateau à plateau. Le liquide tombant du haut de la colonne est forcé de mouiller la surface de ces plateaux au contact desquels passent, en remontant, tous les gaz ou vapeurs venant du bas de la colonne.
Ces trois formes de plateaux sont décrites très complètement dans les brevets vieux de 34 ans!
Tous les plateaux à calottes et les plateaux perforés possèdent des trop-pleins permettant au liquide, tombant du haut de la colonne sur le plateau supérieur, de descendre automatiquement et sans contre-pression gênante jusqu’au bas de la colonne, dans le réservoir terminal où se trouve le serpentin.
Cette disposition très visible et compréhensible dans la figure 1 nous permet d’expliquer maintenant le fonctionnement, dès le début des opérations, pour atteindre progressivement l’état de régime.
Dans la figure 1 nous représentons en D un compresseur ordinaire quelconque pouvant comprimer, dans l’exemple particulier numérique que nous choisissons, 500 mètres cubes d’air atmosphérique à l’heure sous une pression de 5 atmosphères.
Cette compression va produire une certaine quantité de chaleur que nous enlevons par un courant d’eau. Le serpentin refroidisseur n’est pas représenté dans la figure pour éviter toute complication inutile aux faits essentiels qui nous occupent.
Ces 500 mètres cubes d’air, comprimés à 5 atmosphères passent dans un échangeur normal, dans lequel les 500 mètres cubes d’air sortant sous forme de deux courants froids, l’un d’oxygène l’autre d’azote, échangent leur température avec les cinq cents mètres cubes d’air comprimés entrant.
Un de ces courants sera le courant d’oxygène, l’autre un courant d’azote mélangé avec un peu d’oxygène.
Cet échangeur ne fait pas non plus partie de ia figure 1 car il est accessoire pour la présentation des phénomènes essentiels de la rectification.
Au sortir de l’échangeur les 500 mètres cubes d’air comprimés à 5 atmosphères et refroidis près du point de leur liquéfaction par leur passage au travers de l’échangeur, arrivent en E, au bas de la colonne dans le serpentin EEE.
Au sortir du bas de la colonne le serpentin E s’élève jusqu’au haut de la colonne et l’on voit une vanne F qui est placée sur ce tube E.
Après la vanne F le tube continue, traverse le dôme de la colonne et laisse couler le liquide qu’il contient sur le plateau supérieur G.
Le liquide descend de là de plateau en plateau et coule jusqu’en bas.
Deux tubes de sortie des gaz se voient sur la colonne, l’un en K, sert à laisser échapper l’oxygène qui traversera d’abord l’échangeur puis se rendra de là au gazomètre alimentant le remplissage des bonbonnes ou les emplois immédiats de l’industrie.
L’autre tube de sortie est tout en haut en H et permettra à l’azote, associé à un peu d’oxygène, de s’échapper au dehors après avoir aussi traversé l’échangeur.
Ces dispositions fort simples sont très exactement représentées dans la figure 1 où la suppression du réfrigérant de la compression et de l’échangeur ne modifie en rien les explications qui vont suivre, et que nous allons exposer avec une scrupuleuse précision.