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IV

Table des matières

Après sa sortie forcée de la maison de banque, M. Grimod, encore tout meurtri par l’étreinte du banquier, avait repris le chemin de la rue de Naples pour aller conter à sa sœur le piteux résultat de sa démarche.

Mme de Lanchaire était derrière sa persienne, d’où elle avait regardé, entre les feuilles de bois, le départ du cortège funèbre. Elle vit de loin son frère qui arrivait tout penaud, l’oreille basse, ralentissant le pas comme un enfant en faute qui craint d’être grondé.

Un sourire de dédain plissa ses lèvres. Elle n’avait pas besoin de l’entendre maintenant; elle savait d’avance ce qu’il venait lui dire. L’attitude seule de cet-homme trahissait sa défaite et son insuccès. Aussi, il n’était bon à rien. Comment cet inoffensif, ce nul, pouvait-il être son frère? Elle était bien à plaindre de traîner derrière elle ce zéro, qui allait retomber à sa charge.

Ce fut avec ces dispositions peu aimables qu’elle reçut et écouta le pauvre Grimod. Quand il en vint à la lutte finale, à son expulsion par le banquier, la veuve ne put contenir son indignation.

–Et tu t’es laissé faire! poule mouillée! tu t’es laissé jeter à la porte! Tu n’as pas écrasé cet homme, tu ne lui as pas rendu coup pour coup! Si j’avais été à ta place, moi, je l’aurais tué!

Et, en parlant ainsi, une arrière-pensée se faisait jour en elle. La lâcheté de son frère faisait contraster trop violemment l’énergie de l’autre pour qu’elle n’en fût point frappée. Albert Colroy était bien l’homme qu’elle avait deviné, brave, fort, ayant des qualités et des défauts virils. Ah! une femme serait fière et heureuse de porter son nom, de s’unir à lui. Elle n’aurait point besoin de se protéger elle-même. Son mari ne permettrait pas même aux soupçons ni aux médisances mondaines de s’élever jusqu’à elle. Elle serait comme une reine, respectée, honorée; elle serait la compagne d’un vaillant.

Et plus ses pensées intimes se reportaient sur Colroy plus elle accablait son frere, son frère battu, et qui, naturellement, devait avoir tort.

–Tu t’y es mal pris. Tu ne sais rien faire. Un être incapable! Une nature flasque! Tiens, ne t’occupe plus de rien. J’agirai à ta place, et tu verras.

Aucune conclusion ne pouvait être plus agréable à M. Grimod. Aussi remercia-t-il sa sœur avec effusion.

–Laisse-moi tranquille, lui répondit-elle brusquement. Va te promener, puisque tu n’es pas capable d’autre chose. Je te préviendrai quand j’aurai du nouveau.

Son frère parti, Mme de Lanchaire se replongea dans ses projets d’avenir.

Albert Colroy était décidément bien le mari qu’il lui fallait, celui qu’elle s’était choisi et qu’elle voulait.

Il ne s’agissait plus que de le prendre.

Comment?

Là était la question.

Mme de Lanchaire avait été amenée à faire la connaissance du banquier à la suite de relations d’affaires; sur le conseil de M. Raimbert, elle avait déposé ses fonds chez Albert Colroy; elle s’était entièrement fiée à lui. Colroy, qui ignorait les relations de la veuve et du maître de forges, avait été touché de la grande marque de confiance qu’elle lui donnait. Galant par éducation, parfaitement élevé, aimable naturellement, il avait été très empressé auprès de sa cliente. Il avait même cru devoir se rendre un jour à une invitation à diner qu’elle lui avait envoyée. Puis il lui avait fait quelques visites, de plus en plus espacées.

Rappelé par Mme de Lanchaire, il était revenu pour disparaître de nouveau. A cette époque la veuve n’éprouvait encore pour lui qu’un caprice. Depuis la mort de M. Raimbert la situation avait changé; Mme de Lanchaire avait maintenant un intérêt considérable à savoir exactement ce que Colroy pensait d’elle.

Quelle réponse allait-il faire à la dernière lettre qu’elle lui avait écrite? Allait-il accepter le rendez-vous qu’elle lui proposait? Mme de Lanchaire avait assez confiance dans ses avantages physiques pour l’espérer. Si elle obtenait cet entretien, elle considérait la victoire comme à peu près certaine. Coquette, raffinée, elle saurait bien le séduire, l’envelopper, le conquérir. N’avait-elle pas tout ce qu’il fallait: assez de beauté, assez d’audace? N’était-elle pas prête à tout pour assurer sa victoire?

Il y a deux chemins pour arriver au cœur de l’homme:

L’un est celui de la vertu; c’est le plus long. Les apparences modestes, l’attitude virginale, la naïveté d’une Agnès font germer et naître l’amour lentement, doucement.

L’autre chemin est celui de la passion. Il convenait mieux à la nature et à l’âge de Mme de Lanchaire, trop marquée pour jouer les ingénues. Aimer un homme, le lui faire comprendre, lui prouver qu’on est prête à tout oublier pour lui, c’est le prendre par ses deux points faibles: par son orgueil, que l’on flatte; par ses sens, que l’on excite. Pour se faire épouser, les femmes ont toujours eu deux moyens: tout refuser ou tout accorder. Mme de Lanchaire était pour le second système. Elle était la femme qui a l’air de se donner à vous et qui vous prend. Ce n’est point un non-sens que le titre de maitresse porté par une femme qui a cédé. Maîtresse, elle est en effet, et dominatrice.

Quant à la réclamation de son frère, dont elle s’était chargée, c’était le moindre de ses soucis. Il serait temps de s’en occuper plus tard, suivant que les circonstances tourneraient bien ou mal pour elle. Si elle réussissait dans ses projets d’avenir, ce n’est point5,000francs de rente à servir à M. Grimod qui la gêneraient; n’aurait-t-elle point, avec sa fortune, la fortune colossale d’Albert Colroy? Si, au contraire, elle échouait, il lui serait possible alors de se servir de cette revendication comme d’une arme pour assurer la revanche de son orgueil froissé.

Telles étaient les réflexions et les projets de Mme de Lanchaire. Impatiente, énervée, elle éprouva le besoin de prendre l’air, de sortir un peu. Elle fit atteler et alla faire un tour au Bois. Elle portait une délicieuse robe de soie prune. Pas un seul instant, en effet, elle n’avait songé à prendre des vêtements de deuil. M. Raimbert était mort, tout était donc fini entre eux. Le souvenir même du bienfaiteur était bien loin de sa pensée. Quand, par hasard, il se représentait à son esprit, c’était avec un certain sentiment de joie que Mme de Lanchaire savourait la liberté que la mort du maître de forges lui assurait. Elle pouvait donc enfin sortir de son ombre, se montrer, chercher à se hausser dans le monde aux places les plus honorées, les plus en vue. La courtisane d’hier rêvait de jouer l’honnête femme.

Quelles que fussent du reste ses préoccupations, la plus intense, celle qui dominait toutes les autres, la plus actuelle aussi, était de savoir comment Albert Colroy allait répondre à sa lettre. Tout pouvait dépendre du petit mot qu’elle attendait.

Après deux heures de promenade, elle donna ordre à son cocher de la ramener chez elle.

En calculant les probabilités, elle s’était dit que si Albert Colroy témoignait un peu d’empressement à lui être agréable, la lettre à laquelle son sort était attaché pourrait être écrite dans la journée, jetée à la poste presque aussitôt. Alors la distribution de huit heures lui apporterait la solution tant désirée. Elle faisait des vœux ardents pour qu’il en fût ainsi, pour qu’elle n’eût pas à attendre au lendemain, à passer une nuit blanche, une de ces longues nuits où l’esprit se tourmente et s’inquiète. Aussi, à peine rentrée, recommanda-t-elle bien à Fanny de guetter l’arrivée du facteur.

Fanny promit de veiller avec soin. N’était-elle pas toujours empressée de bien servir sa maîtresse? Ne lui avait-elle pas toujours témoigné le dévouement le plus absolu? L’autre nuit n’avait-elle pas bien mérité de Madame en l’aidant si vaillamment à porter le corps de M. Raimbert? Du reste, Madame avait toujours su reconnaître les services qu’on lui rendait, ajoutait Fanny. C’était la meilleure des maîtresses. Avec elle, on n’avait pas besoin de dire ce que l’on désirait. Elle savait le deviner.

A ce discours de sa soubrette, Mme de Lanchaire, préoccupée, fit d’abord la sourde oreille.

Un éclair passa dans les yeux fauves de Fanny; mais ce ne fut qu’un éclair rapide, aussitôt éteint. La grande fille osseuse reprit aussitôt sa physionomie doucereuse, et d’une voix câline recommença l’éloge de sa maîtresse: «Ah! certes, le service de madame était agréable. Avec elle, on n’avait point à essuyer de ces bourrades qui rendent les journées des femmes de chambre si rudes et qui leur font venir des larmes dans les yeux. Mme de Lanchaire était si bonne qu’on ne pouvait faire autrement que se dévouer pour elle. Madame était si généreuse; madame n’avait jamais manqué une occasion de s’attacher davantage sa femme de chambre.

L’invite était directe. Mme de Lanchaire la comprit. Elle comprit aussi qu’il était de son intérêt d’acheter le silence de cette fille.

–Je suis en effet très contente de vous, mon enfant, lui dit-elle, et je tiens à vous le prouver. Je vous donnais soixante francs par mois; je porte vos appointements à cent francs.

–Madame est bien bonne et je la remercie bien; mais je serais désolée que madame pût croire un seul instant que je disais tout cela dans le but de…

–C’est bien, fit Mme de Lanchaire, qui coupa court à l’entretien; mais, surtout, n’oubliez pas ma lettre.

A huit heures cinq, Fanny descendit chez le concierge, et en remonta presque aussitôt, rapportant le papier si vivement attendu.

Mme de Lanchaire renvoya sa bonne et, bien seule, assise au coin du feu, elle décacheta le mot de M. Albert Colroy. A peine l’eut-elle parcouru des yeux qu’elle se leva brusquement, toute rouge de colère.

–Cette fois, il n’y a pas à se tromper, s’écria-t-elle, il me dédaigne. M’adresser, à moi, une réponse aussi impertinente! «Si vous avez à m’entretenir d’une affaire, je suis à mon bureau le matin. «Et ce post-scriptum insolent: «De huit heures du matin à midi.» Me traiter comme la première venue, comme un chien! Pour repousser ainsi les avances que je lui ai faites, il faut qu’il en aime une autre. Qui? Ah! je le découvrirai bien. Cette femme, quelle qu’elle soit, je la perdrai, je le jure!

Une coquine

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