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Mes premières frasques

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En 1964, tout en me promenant dans mon village, un bourg de mille habitants, je regarde les fermiers faire sortir les vaches de la cour pour les emmener sur la colline. Une fois sur la route, celles-ci laissent leurs bouses salir le chemin. À cette époque, les routes sont étroites, et les voitures, on peut les compter sur les doigts de la main. Je croise deux à trois tracteurs qui laissent leur boue de terre sur la chaussée.

Le jeune garçon que je suis va chercher tous les soirs son lait frais chez le fermier. Je sens l’odeur des vaches en ouvrant la porte de l’étable et aperçois le paysan qui trait ses bêtes. Comme cela ne me plait pas vraiment, moi qui cherche à en savoir davantage sur la vie, je me dis :

— Il doit bien y avoir sur terre autre chose que cette campagne ! Peut-être qu’en allant dans une ville, j’y verrais plus clair ?

Alors, je décide d’en parler à ma famille en espérant que d’autres réalités existent. Mon père, qui m’adore, me répond :

Oui, il y a ”autre chose” que cette vie campagnarde. L’autobus qui passe dans notre village chaque fin de semaine peut t’emmener à la ville. Tu as treize ans maintenant et tu peux bien t’offrir une petite sortie. Seulement, il ne faut pas oublier de rentrer le soir et pour cela, tu devras acheter un ticket retour. Tu peux en parler au chauffeur de car qui te dira quoi faire. Veux-tu y aller ce dimanche ? Qu’en penses-tu ?

Arrive le dimanche matin où j’embrasse mes parents, puis me dirige vers l’arrêt du bus.

— Que mes parents sont gentils de me laisser aller seul vers l’inconnu ! Jetons un dernier coup d’œil dans mon sac : ai-je pris mon livre ? Oui. Ah ! Voilà mon bus.

Le chauffeur appuie sur le bouton qui ouvre la porte. À peine suis-je monté dans le bus que le conducteur me demande :

— On fait une balade, jeune homme ? Et où voulez-vous aller ?

— Je voudrais un billet aller-retour, s’il vous plait, Monsieur. À quelle heure est le retour ?

— À seize heures ou à dix-huit heures, répond le chauffeur. Voilà le billet aller-retour, jeune homme. Je vous préviendrai quand nous serons arrivés.

Assis au fond du bus, je jette un coup d’œil en arrière et regarde ma maison s’éloigner. Puis, je me retourne et commence ma lecture. De temps à autre, je lève la tête, admire le paysage et me replonge dans mon livre (il faut dire qu’il s’agit davantage de dessins que de texte). Parfois, l’envie me gagne de vérifier sur ma montre si les trente minutes sont passées. Encore dix minutes…ce n’est pas trop tôt ! Mais, je préfère demander au chauffeur :

— On est arrivé, Monsieur ?

— Encore quelques kilomètres.

À travers les fenêtres de l’autocar, je regarde les beaux costumes, les lumières des vitrines, les rails des trains qui se croisent et dont je perçois les sifflements. Pas de tracteurs ni de vaches à travers la route, tout est net, propre. Le chauffeur m’interrompt dans son observation et me prévient :

— Terminus. N’oubliez pas ! Ce soir, à seize heures, ici.

Une fois descendu, je commence ma balade dans la ville et observe avec attention les rues, les passants, tout ce qui est nouveau pour moi. J’aperçois des amoureux en train de s’embrasser, et cette vision, pour moi qui viens de la campagne, me fait immédiatement réagir.

— Si ce n’est pas honteux, devant tous ! Jamais je ne ferai cela. Mais, c’est quoi ce magasin ? Il y a beaucoup de livres. L’un après l’autre, sur les rayonnages. Et les titres ! C’est beau de pouvoir s’instruire. Tiens, de nouveau ils s’embrassent. Peut-être est-ce normal ? Après tout, je suis dans une ville. Ah ! Voilà un café.

À peine entré dans ce lieu, je réalise qu’aucune table n’est disponible. Elles sont toutes occupées par des jeunes de mon âge. Mais, tant pis, je m’assieds tout de même à leur table.

— La chaise est encore libre ? je leur demande.

— Mais oui ! Prenez place. Comment ça va ? Vous n’avez pas l’air de venir de ce coin-là. Ai-je tort ?

— Non. Je viens d’un petit village et je remarque qu’il y a plein de choses à découvrir, ici !

— Ah ! On commence à comprendre : tu es un gars de la campagne. Et comment s’appelle-t-il ce ”paysan” ?

— Joseph.

— Tu viens vraiment d’un village et ça se remarque rien qu’à entendre ton prénom. Retourne dans ta campagne, ”paysan”, et laisse-nous tranquilles !

— Mais je ne veux rien, et mon prénom est un prénom comme un autre…

— Et nous, on n’a pas l’habitude d’être à table avec un jeune de la campagne.

Les citadins se sentent forts, accompagnés de leurs copines qui aiment leur grande bouche et leurs rigolades. Bien sûr, ils s’amusent à me rabaisser et, sans prononcer un quelconque mot de colère, je bois mon coca, puis je m’en vais, mais n’oublie pas. Car à l’intérieur de moi, je bouillonne… et veux en faire voir à ces « gens de la ville ». Alors, parlant tout bas, je me dis :

— Pour le premier jour où je suis dans une ville, je ne veux pas attirer l’attention, mais je reviendrai.

C’est parti ! À moi les joies de la vie. Je m’amuse toute la journée : jeux, petits coups à boire par-ci, par-là... J’ai envie de me montrer plus fort que mes camarades de la ville et veux à tout prix les épater ! Alors, je commence par voler dans un supermarché. Oh, pas grand-chose : un parapluie ! Par chance, je ne suis pas repéré. Je sors alors à toute vitesse du magasin et rejoins les jeunes du café. Croyant les impressionner, je leur lance : « Voilà les gars, c’est fait... » Mais, en entendant cela, mes copains me tournent le dos et me quittent. Alors, je leur demande la raison de leur départ précipité.

On ne veut pas avoir affaire à un voleur. Nous ne faisons pas des choses comme ça, m’explique un des jeunes, prénommé Marc.

Mais, je ne voulais que vous impressionner !

Ainsi, je prends conscience de ma méprise. Mais, trop tard… Ils s’en vont, moi aussi. Sur le chemin du retour jusqu’à la gare d’où je prendrai le bus de seize heures, je murmure :

— Jamais plus, je n’agirai ainsi. Vouloir se montrer en réalisant un petit coup tordu, cela n’amène à rien de bon. Je m’aperçois maintenant que les jeunes de la ville sont aussi honnêtes que ceux de la campagne, même s’ils veulent se rendre intéressants devant leurs copines. Je m’y suis donc mal pris. Cet « ailleurs » semble différent de chez soi, mais les valeurs restent les mêmes à n’importe quel endroit. Je ne veux pas que quelqu’un dans mon village soit mis au courant du larcin que j’ai commis. J’ai honte ! « Bouche cousue », surtout pour mes parents.

Arrive la fin de la journée… Mon paternel me demande :

— Alors, comment s’est passée cette journée, fiston ?

— Très bien. Il a fait beau toute la journée, j’ai fait du lèche-vitrine. La semaine prochaine, j’aimerais bien y retourner.

— On verra, fiston. On verra…

Dans huit jours, je pourrai aller de nouveau en ville où je pourrai boire un café. Je suis sûr que j’épaterai encore mes copains. Effectivement, je retourne de temps en temps en ville, mais pas vraiment pour étonner mes amis.

En effet, les événements vont se dérouler différemment. À dix-huit ans, j’essaie d’obtenir mon permis de conduire. Malheureusement, je ne m’attendais pas à passer un oral et j’échoue. Je devrai repasser le code quatre fois avant de pouvoir dire « ouf, j’ai réussi ! » Bien sûr, les premiers avertis sont mes copains de la ville.

Comme par magie, ceux-ci me répondent :

— Maintenant que tu as le permis, ne voudrais-tu pas une voiture ? Nous avons la solution, ne t’inquiète pas, on t’en procurera une. Laisse-nous un peu de temps et nous viendrons te chercher chez toi.

Deux à trois jours plus tard, les voilà arrivant dans mon village et rejoignant mon domicile. Ils m’aperçoivent dans la rue, m’interpellent et me montrent leur belle voiture de sport. Ils m’expliquent :

— Tu vois, on te l’avait dit. Si tu veux, elle est à toi. Nous avions déjà vendu ce bolide à quelqu’un d’autre, mais comme il n’a pas tenu ses engagements, nous lui avons repris. Il faut juste changer une nouvelle fois la date sur la carte grise, me dit Marc.

— Mais, tu as déjà écrit dessus, je lui fais remarquer.

— Ce n’est pas grave. Je change la date et c’est bon.

— D’accord, je l’achète.

Nous signons un acte de vente, soi-disant en « bonne et due forme », mais le jour où je veux changer la carte grise, la gendarmerie s’en mêle et les soucis commencent. À vrai dire, de sérieux problèmes. Eh oui, les gendarmes m’annoncent qu’il s’agit d’une falsification de papier et que je risque la prison !

Pauvre de moi, avec mon envie de toujours vouloir savoir comment vivent les « gens de la ville », je m’attire les pires ennuis. Je me répète continuellement que je n’agirai plus jamais ainsi, mais ce qui est fait est fait. Je me dis également : « J’ai encore beaucoup de choses à apprendre dans ma vie. »

Mon passé recomposé

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