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La naissance de mon fils

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Quelque temps après l’épisode de la voiture, je fais la connaissance d’une fille du village d’à côté. Comme tous les jeunes de notre âge, nous nous fréquentons, mais rapidement survient un problème. La jeune fille – que j’appellerai Pierrette – tombe enceinte. Elle m’explique :

— Je n’ai que seize ans. Je suis trop jeune pour avoir un enfant.

Discussions après discussions, Pierrette m’an-nonce qu’elle souhaite avorter. Pour toute réponse, je lui précise :

— Si tu gardes ce bébé, je serai là pour lui, mais si tu choisis de faire une interruption de grossesse, tu ne trouveras pas d’aide chez moi. Je suis né catholique et je n’ai pas l’intention d’aller contre les lois de Dieu ni contre mes croyances. Tu n’as donc pas de morale ? Comment peux-tu penser à cela ?

Sur ce, Pierrette me répond :

— Puisque tu le prends comme cela, non seulement je vais le faire, mais toi, tu ne t’en tireras pas à si bon compte. Bye, bye...

Deux ans passent, mais je ne souffle mot de cette histoire ni à mon entourage ni à ma famille. Un jour, je revois mon ex-copine et celle-ci m’annonce :

— Tout s’est bien déroulé. Par la suite, j’ai heureusement fait la connaissance d’un jeune homme dont je suis folle amoureuse, et je vais bientôt me marier. Mais toi, mon ami, tu es mal vu des gens qui étaient près de moi pour m’aider.

Quelques années plus tard, après ce drame, mon père décide de m’acheter une voiture. Évidemment, comme un fieffé touche-à-tout, je n’en fais qu’à ma tête. Me croyant intelligent de rouler en état d’ivresse, je suis condamné à une suspension de permis. N’importe qui se serait terré chez lui, mais moi, je juge opportun de m’offrir encore une balade en voiture avant de remettre mon permis aux autorités. Après avoir parcouru une soixantaine de kilomètres, j’aperçois une belle jeune femme devant l’arrêt du bus. Cheveux longs, noirs. Jupette et souliers à talons, c’était la mode à l’époque ! Moi, je ne suis pas mal non plus. Habillé simplement, et comme le veut la mode, des cheveux longs aussi, noirs.

Bref, je fais la connaissance de cette jeune femme et, oubliés, le retrait de permis et la gendarmerie. Alors, ce qui devait arriver arriva...

En fait, j’ai toujours une envie d’aller voir si l’herbe est plus verte chez le voisin que chez moi. Bien que je sois majeur et donc capable de me concentrer, c’est toujours le contraire qui se produit. Il m’est impossible de résister aux filles faciles ou à celles qui portent des souliers à talons hauts. En tant que jeune adulte qui a grandi vite, je ne connais pas d’autres distractions que le sexe. Aller visiter une exposition au musée, voir une pièce de théâtre ou me promener dans un jardin zoologique... rien de tout cela ne m’intéresse ! Pourtant, mon portefeuille qui se vide devrait me raisonner, mais non...

Au fur et à mesure que s’écoulent les mois, je me demande même pourquoi je travaille ! À peine ai-je perçu mon salaire que je le dépense à ce que je pressens comme devenant mon vice. Mais, j’ai tout de même envie de freiner ce jeu, et j’éprouve le besoin de redevenir une personne sérieuse. Que dois-je faire, comment m’y prendre ?

Trop c’est trop, et si je ne m’arrête pas (me dis-je), ce problème va s’accentuer.

Alors, depuis cette rencontre avec cette jolie jeune femme, j’attends désormais avec impatience chaque fin de semaine pour la revoir. Un samedi, elle me prévient qu’elle va me faire une jolie surprise et m’annonce qu’elle est enceinte. Eh oui, mais cette fois-ci, l’âge n’entre plus en ligne de compte puisque « Rose » a trois ans de plus que moi. De plus, je suis fou amoureux d’elle et réciproquement. Heureux de cet événement, nous chantons tous les deux, nous sifflons des airs de musique. Arrive le dimanche soir où il faut de nouveau se quitter. Je reprends confiance en moi, et même si je n’ai pas mon permis en poche, la vie est belle. De retour chez moi, mes parents sont tout étonnés de me voir aussi gai et m’en demande la raison.

— Je dois vous le dire. Rose est enceinte de moi.

— Quoi ? Tu en es sûr ? Comment vas-tu élever ton enfant ? Tu n’as pas de travail !

— Eh bien, je n’ai plus qu’à en trouver.

Après l’étonnement de mes parents et un temps d’adaptation, mon quotidien avec Rose reprend le dessus. Oui, je me considère maintenant comme un « homme », davantage confiant en moi, mais pas totalement. Bien que je sois un peu volage, je prends parfois le temps de m’asseoir dans la nature et de méditer. Un jour, alors que je suis en chemin pour atteindre la forêt la plus proche, j’aperçois une pancarte sur laquelle il est écrit : « Vous ne pouvez pas tendre la main à quelqu’un qui ne le désire pas, mais vous pouvez venir en aide à une personne qui cherche à renforcer son caractère. »

À la suite de cette lecture, je me dis :

— Je sais ce que ce passage signifie, à savoir que je ne peux pas aider une autre personne sans son consentement. Qu’il y aura toujours des famines, des pauvres et des riches ! En revanche, je peux m’aider moi-même. Je peux faire en sorte que les circonstances soient meilleures pour moi. Elle n’est pas inintéressante cette pancarte, mais pour le moment et pour longtemps encore, mes soucis sont d’une autre nature. Je cherche du travail et je n’en trouve pas, et de plus ma copine attend un bébé. Alors, ces quelques mots ne sont que du vent pour moi.

Un beau matin, mon fils, Frédéric, vient au monde pour la plus grande, pour l’immense joie de ses parents. Nous l’élevons avec tout notre amour et il nous comble de bonheur.

Cinq années passent… Je travaille dans une usine et ma concubine s’occupe de notre bébé. Notre rêve de vouloir nous acheter une caravane s’évanouit doucement pour faire place aux soucis quotidiens. Pendant tout ce temps, nous vivons chez mes parents et l’appartement dans lequel nous aurions aimé habiter se fait attendre. Nous sommes aux petits soins auprès de notre fils, peut-être trop d’ailleurs, car il ne lui est pas possible de faire un pas sans que nous ne soyons derrière lui. Mais, rester chez ses parents n’est pas la solution idéale… et nous le ressentons quotidiennement. Cette situation ne pouvant plus durer, un beau jour, ma compagne m’annonce :

— J’aimerais que nous prenions un appartement…

— Mais Rose, nous ne pouvons pas payer de caution, je lui réponds.

— Eh bien, économisons ! dit-elle.

Quelques semaines plus tard, après en avoir bien discuté, nous finissons par louer un deux-pièces. Comme nous sommes en été et qu’il fait chaud, je propose d’emmener mon fils à la piscine. Celui-ci s’en réjouit et me dit :

— Tu sais, je me suis fait de nouveaux copains, papa. À l’école, il y a plein de jeux. C’est mille fois plus amusant que dans notre village.

J’écoute attentivement mon fils, mais reste cependant perdu dans mes pensées et surtout dans mes soucis que je ressasse. Je ne m’entends plus avec Rose ni avec mes parents qui viennent me voir régulièrement jusqu’au jour où, ayant à peine emménagé dans notre nouvel appartement, je découvre une lettre de Rose posée sur la table. « Chéri, je suis partie et je ne reviens que dans deux semaines ! » Inutile de se demander quelle est ma réaction immédiate : je change la serrure de mon appartement pour que Rose ne puisse plus y rentrer à son retour. Ensuite, le petit Frédéric retourne chez sa mémé et rebelote, il doit abandonner ses nouveaux copains pour retrouver ceux du village. Un jour, il me demande :

— Pourquoi faut-il tout recommencer, papa ?

— Tu sais... Ta maman et moi, nous ne nous entendons plus très bien, et nous avons pensé qu’un peu de distance entre nous deux nous ferait le plus grand bien.

— Je ne comprends pas. Et moi, alors ?

— Toi, tu es la part la plus importante de ma vie !

N’osant pas me répondre, Frédéric m’obéit et accepte à contrecœur d’aller à nouveau chez sa grand-mère. Pourtant, l’envie d’ajouter un mot lui brûle les lèvres :

— Tu sais, papa. Je vais chez mémé parce que je t’aime, mais je préférerais rester chez toi.

— Oui, je sais. Moi aussi, je t’aime, et cela me fait autant de mal qu’à toi. Mais l’amour que l’on se porte est si grand que les distances ne représentent rien à côté. De toute façon, je te téléphonerai tous les soirs et le week-end, tu viendras chez moi et tu pourras regarder la télé.

— Et on jouera au jeu de la marelle ?

— Également au jeu de dames, cela aussi tu aimes ?

La suite n’est pas difficile à comprendre. L’enfant, de retour dans le foyer de ses grands-parents, est gâté par eux plus que de raison. Alors, j’essaye d’intervenir, mais sans succès, et je sens que peu à peu je perds le contrôle de la situation, notamment en ce qui concerne l’éducation de mon fils.

Un jour, Rose daigne me passer un coup de fil, mais hélas uniquement pour me cribler de reproches.

— Tu n’avais qu’à être plus à la maison qu’ailleurs, me lance-t-elle !

À dater de ce jour, je me mets à succomber à toutes sortes de tentations. Dépendance à l’alcool, aux cigarettes. Et quand je ressens un creux dans le ventre, je me dirige vers les machines à sous, mais pas longtemps, juste pour le creux, et en espérant qu’un peu d’argent tombera entre mes mains ! N’ayant jamais eu précédemment d’attirance pour ces machines-là, je n’en suis pas trop accro. Jouer ne me plait pas ni ne me tente. Mais que puis-je faire ? À chaque fois que je n’ai plus un sou pour mes besoins personnels, je vends tout ce qu’il me reste. Une veste, mon magnétophone, ou encore l’accordéon que j’avais reçu de mon père…

Mon passé recomposé

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