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Dialogue avec Gabrielle
ОглавлениеUn jour, j’aperçois une jeune fille qui attendait au coin de la rue et je me dis : « Mais, oui, je la connais, c’est Gabrielle ! » Après le traditionnel bonjour, elle ajoute qu’elle souhaitait m’avouer quelque chose depuis longtemps, mais qu’elle n’osait pas. Voilà ce qu’elle m’annonce :
En fait, tu n’aimes personne. Tu n’éprouves donc rien ? C’est comme si l’amour d’une personne ne t’atteignait pas ou n’arrivait pas à ta cheville.
— C’est vrai ! Dès que quelqu’un s’inté-resse à moi, j’ai tendance à être méfiant. Je m’invente plein d’idées sur cette personne, et alors mes peurs reprennent le dessus. Mon imagination me joue des tours.
Le jour où ma concubine m’a quitté, j’ai eu beaucoup de peine, à tel point que je ne savais plus comment réagir aux situations de la vie. Après un certain temps, tout est heureusement redevenu normal. Mais moi, je sais que j’ai changé à ce moment-là et que j’ai adopté un comportement plus sévère.
Maintenant, je ne ressens pas le besoin d’être à deux. D’ailleurs, qu’est-ce que cela signifie d’être à deux ? On n’est jamais sûr de rien. Tu as un rêve, celui de construire une maison, mais le jour où tu te retrouves seul suite à un divorce ou une simple séparation – quand la personne aimée va chercher ailleurs –, que fais-tu alors ? Disputes, querelles, séparations, impatience, histoires de jalousie. Non, Gabrielle, cette vie n’est pas pour moi. Et puis, j’aime trop ma liberté et je veux expérimenter tout ce que la vie présente. Quant à ma timidité, je la subis depuis tout jeune, je crois même l’avoir apportée en ce monde. D’ailleurs, on m’a déjà formulé ce reproche : “ Ne garde pas tout pour toi, mais partage davantage avec les autres. ”
Par ailleurs, j’aime regarder une belle jeune femme. La regarder, l’observer, bref, lui faire remarquer ma présence. Mais, quand elle s’approche trop près de moi, je pense de nouveau que je dois me tenir sur mes gardes ! Une foule d’idées me revient alors en tête, comme le fait de ne pas avoir de travail, de disposer seulement de quoi vivre. Et, dans de telles circonstances, une relation risquerait de courir tout droit à l’échec, car je mettrais en jeu les sentiments d’autrui.
Que fais-tu de tes journées ? me demande gentiment Gabrielle.
— Je m’adonne à l’écriture. Si tu as le temps, Gabrielle, je vais à ma voiture et je te rapporte ce que j’ai rédigé.
Et tu as écrit beaucoup ?
— Une quarantaine de pages. Mais, viens avec moi !
Gabrielle m’accompagne et je lui montre mes derniers manuscrits, puis je lui demande ce qu’elle en pense.
Dis donc, tu en fais des fautes ! L’une après l’autre…
— Quoi ? Tu plaisantes, ce n’est pas possible !
Énormément de fautes, même. Mais, ce n’est pas grave que tu fasses des fautes. Continue ta route et écris toujours et encore jusqu’à mieux te connaitre, te sentir bien dans ta peau. Tu crois tout savoir de toi, et pourtant ce n’est pas le cas. Tu vois, tu n’as même pas imaginé un instant que tu puisses faire autant de fautes. C’est dur à avaler pour toi, pas vrai ?
Un autre conseil : lis beaucoup de livres sur la question qui t’intéresse, recopie, souligne les phrases qui te donnent envie de les relire par la suite. Si vraiment tu es passionné par la littérature, il te restera du chemin à parcourir, crois-moi. La première tâche qu’il te faille accomplir, c’est de perfectionner ton français. Ensuite, il faudra que tu clarifies ta situation. Que tu remettes de l’ordre dans ta façon de vivre. Que tu aies envie de ne plus connaitre la dépendance afin que personne ne puisse te reprocher quoi que ce soit. Enfin, le plus important, c’est que tu puisses te faire respecter à nouveau. C’est ce but qu’il te faut atteindre en tout premier, même si cette démarche peut prendre quelques mois ou… plusieurs années. Dans ton cas, Joseph, tel que je connais ta vie, tu devras te donner beaucoup de peine pour remonter la pente. Ne crois pas que je veuille te démoraliser, j’exprime simplement le fond de ma pensée.
— Alors, moi aussi, je peux réussir ?
Mais, qui t’a dit que tu ne pouvais pas ? Sers-toi de tes qualités, développe-les ! Un peu de courage, de persévérance, et tu pourras réaliser tout ce que tu souhaites. Mais il ne faudra plus rebrousser chemin.
— Que veux-tu dire ?
Tu ne devras plus retomber dans tes anciennes dépendances ni leur donner de l’importance. Il te faudra donc les mettre en veilleuse jusqu’à pouvoir les ôter.
— C’est plus vite dit que fait ! Il ne faut pas commencer à rêver.
Garde aussi ton désir d’écrire, bien au chaud. Et ne le dis à personne.
— Pourquoi ?
Si tu le racontais à qui veut t’entendre, tu aurais affaire à différentes opinions et tu n’aurais plus envie de poursuivre ton objectif. Cela compte aussi pour ton entourage.
— Oui, mais je n’ai pas l’entourage qu’il faudrait. Mes proches, ils ont une autre façon de voir la vie. Tout d’abord, il faut que je me trouve du boulot. J’ai un fils en bas âge. Je ne peux pas penser qu’à moi-même.
C’est vrai, tu as raison. D’abord ton fils, et après ton projet. Tu es ce que tu es, et rien ne se perd. Garde ce secret bien au fond de toi, suis ton quotidien comme il est actuellement, et dans quelques années, tu pourras ressortir tes écritures du fond du tiroir pour les retravailler. Joseph, il faut que je parte, je dois aller chercher mes enfants à l’école.
— Un dernier mot, Gabrielle ?
Tout se mérite, Joseph. Bon, je dois me sauver maintenant. Passe une bonne journée. On se reverra un autre jour. On pourra reparler de tout cela, pas vrai ?
Avec joie. À bientôt, Gabrielle.
Les mois, les saisons, les années passèrent sans que je ne revoie Gabrielle ni n’entende ses gentils conseils. Si seulement je pouvais de nouveau la rencontrer ! Elle m’avait conseillé de faire table rase de tous mes petits défauts, ce qui signifie, à mon avis, d’abord faire place nette puis remettre ma vie en ordre. Si je ne commence pas de cette façon ou seulement en faisant semblant de trouver une issue positive, dans trente ans, je serai toujours en proie à mes pensées négatives. C’est sûr ! Je ne m’estimais même plus et ce sentiment négatif était la résultante de mes longs moments d’errance.