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Dialogue avec mon fils
ОглавлениеUn jour, alors que Frédéric est devenu un jeune homme, il souhaite en savoir plus sur ce père, mon père, cet homme si bon qui l’avait en partie élevé.
— Papa, parle-moi de grand-père, s’il te plait.
— On a dit de lui qu’il buvait, qu’il avait une descente facile ! Mais il ne faut pas oublier la cause de ce penchant. Il avait une raison… Moi qui le connaissais, je sais qu’il était un homme très complexé. Il avait la descente facile, c’est vrai, mais entre nous, je ne crois pas que la boisson ne soit venue de rien !
— Il avait donc vraiment une raison ?
— Oui, j’en suis sûr ! D’ailleurs, j’ai hérité des mêmes complexes. Par exemple, ma timidité excessive m’a toujours empêché de saisir les occasions qui se présentaient, comme lors d’un entretien d’embauche ou quand il s’agit d’une relation ! Je ne me sens pas à la hauteur et, plutôt que de dépasser mes peurs et de réagir, je laisse ma place à quelqu’un d’autre qui, je pense, sera forcément mieux que moi. Par la suite, cela me fait très mal, mais ce n’est pas grave… Ce n’est que moi qui le ressens.
— Est-il vrai que tu es jaloux ?
— Je suis jaloux comme un pou et je ne supporterais pas que ma compagne me délaisse pour un autre.
— Tu as les défauts de grand-père !
— Et en plus, je reste bouche bée devant une demoiselle et préfère me faire tout petit en évitant de parler de mes soucis. En résumé, je me sens inférieur aux autres et je m’imagine que ce sont toujours eux qui ont raison.
— Un peu comme grand-père ! De père en fils, et de fils à petit-fils !
— En définitive, grand-père était un homme gentil. Mais, comme il avait du mal à s’adapter, il préférait rester seul, comme moi. À son époque, tout était différent. La plupart des hommes aimaient aller se saouler au café. Aujourd’hui, la nouvelle génération est beaucoup plus compliquée. En plus des problèmes de boisson et de drogue qu’elle peut connaitre, elle gère ses difficultés relationnelles via les agences matrimoniales ou différents lieux de rencontres, sur Internet, dans les clubs échangistes et que sais-je encore... Les mariages homosexuels, les divorces, les familles recomposées, rien de cela ne me convient. Je regrette le temps de nos grands-parents où l’on considérait encore autrui. Grand-père était un homme dont on dit qu’il aurait donné sa chemise ! Et toi, Frédéric, tu as eu la chance de le connaitre. Il aimait son « petit bout de chou », comme il t’appelait, et lorsqu’il a quitté ce monde, tu l’as cherché partout. « Où est grand-père ? » as-tu demandé. On t’avait simplement caché son décès. C’est bizarre, la vie. Tu vis avec ta famille… et vient un jour où tu ne t’y attends même pas – tu n’as même jamais pensé que ce jour puisse exister –, les gens que tu aimais le plus te quittent. Même si ce n’est pas juste, que faire ? En fin de compte, il faut être en harmonie avec tout le monde, car personne ne peut nous prévenir de l’heure et du jour de notre départ.
— Papa, c’est vrai que tu as des traits de grand-père !
— Oui, bien sûr, tu as raison. D’ailleurs, d’habitude, j’évite de rester trop longtemps dans un café – je suis comme cela –, parce que depuis mon enfance, je n’arrive pas à faire confiance aux autres. Se rapprocher trop près de moi est une chose impossible. J’imagine que les gens recherchent la compagnie d’un gars qui sourit et non pas d’un qui fait grise mine. Sourire aux gens ? Non, et pas question de changer. Je ne veux pas me dévoiler sous mon meilleur jour. De cette manière, j’en ai manqué des occasions avec mon air de supériorité ! Je me montre « froid », la tête dans les étoiles, puisque je veux toujours me dépasser, mais comment ?