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LE MÉDECIN DES DAMES DE NÉANS
III

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Madame Durosay dormait.

Elle était étendue sur une chaise longue, dans une sorte de boudoir attenant à sa chambre à coucher, d'où elle ne sortait presque pas, et où elle recevait ses familiers. Les fenêtres aux persiennes rabattues laissaient venir du jardin des parfums de réséda mêlés à ceux un peu confus de la chaleur des feuillages et des choses sous le soleil de juin. Un bourdonnement doux d'insectes lointains, et par moment, l'entrée d'une mouche aux zigzags sonores, coupés brusquement par un aplatissement contre une glace, repris, coupés de nouveau, jusqu'au balancement dans la raie lumineuse des volets et une échappée soudaine où le petit murmure s'est brisé sec. Après cela, un de ces silences d'après-midi d'été, caressants comme un bain, de ces silences jamais vides, mais qui portent en suspension, il semble, d'étranges et mous objets légers dont le frôlement est bon comme des sourires ou des baisers qui voletteraient, par impossible, dans l'ombre artificielle. Inoubliables moments qu'il vaudrait la peine de vivre, ne fût-ce que pour les goûter une fois!

La jeune femme était vêtue d'un peignoir blanc aux manches amples, relevées jusqu'au coude, quelques dentelles autour du cou, formant berthe, avec une légère échancrure à la gorge. Elle n'avait pas trente ans et avait toute la beauté que donne l'approche de cet âge aux femmes qui sont brunes, grandes et développées suffisamment. Sa langueur exagérant le blanc de la peau, la largeur et le bistre des yeux bleu limpide et la masse d'ombre des cheveux, la faisaient parfaitement jolie. Elle était assurément la plus adorable personne qu'eût atteint le mal de Néans.

Auprès d'elle, des travaux au crochet, des broderies, entrepris sans goût, inachevés, des journaux de mode, désordonnés, épars, l'indolence et l'ennui, et pire: l'inconscience même de l'ennui. Car elle voulait se trouver fort bien; n'admettait pas qu'elle fût le moins du monde en mélancolie. Elle était si fort atteinte que nul désir ne germait en sa nature ensommeillée.

M. l'abbé, en sa qualité de directeur de cette âme encore pieuse, bien que ralentie, et de plus vieil ami de la maison, conservait le privilège des entrées à toute heure. Il avait celui, plus précieux et plus rare, d'être accueilli avec le sourire d'antan, franchement ouvert, tiédeur dernière. M. Durosay et le docteur le suppliaient d'en user et abuser pour le grand bien de la chère femme. On s'ingéniait à la réveiller. L'abbé, généreux et un peu inoccupé, venait, en bon pasteur, taquiner d'une chiquenaude ou d'un aimable mot sa brebis somnolente.

– Serai-je reçu avec Septime? dit l'abbé, allongeant le nez, et sans le moindre scrupule pour le petit soubresaut qu'il savait avoir causé par son «toc-toc». J'ai donné congé à ce grand enfant que les chaleurs fatiguent, et il vient vous offrir ses hommages…

L'abbé poussait Septime rougissant dans la pièce sombre où vaguait peut-être, pour cet odorat de seize ans, un parfum spécial qui le comblait de timidité. Le menant ainsi «dans le monde», pensait l'abbé, il espérait l'aguerrir, et il avait l'ordre écrit du papa de ne négliger aucune occasion.

Madame Durosay se souleva à demi, et tendit la main que l'abbé, selon sa façon, prit entre ses deux longues mains plates et sèches et garda longtemps. Septime avait le triste moment d'attente des pauvres jeunes gens gênés qui n'ont pas encore dit bonjour et qui n'osent regarder la maîtresse de maison avant d'avoir régulièrement salué; il ondulait sa taille embarrassante et, par-dessus la tête de l'abbé, esquissait de la tête des saluts perdus. Il pensait que l'abbé était ridicule de n'en pas finir à lâcher cette main et qu'il allait l'être lui, plus que son précepteur, par quelque gaucherie stupide dont il ne serait pas maître, en approchant ce bras que madame Durosay avait nu jusqu'au coude. Son cœur battait fortement, le bras lui semblait un objet extraordinaire, qu'il ne comprenait pas même que l'on montrât, bien qu'il en fût bien aise, à cause du trouble qu'on en reçoit.

Enfin, l'abbé fit place et Septime prit la main, avec tant de peur d'en abuser, qu'à peine il l'effleura.

– Monsieur l'abbé, dit la jeune femme, est bien dur pour ses élèves et c'est mal à lui, pour un jour de congé, de les mener visiter les malades.

– Je vous jure, madame, dit l'abbé, que tout le long du chemin, mon galant élève a marché plus vite que moi…

Septime, confus, se sentait l'envie de prononcer quelque mot extrêmement aimable, et il rougit seulement.

Mais madame Durosay ne prenait garde, se plaignant en termes dolents, de la visite fastidieuse du grand médecin qu'on ne faisait venir que pour lui faire peur. M. Durosay tenait à se ruiner en consultations et en pure perte. En somme, que lui voulait-on? Elle mangeait et dormait convenablement, ne se plaignait de rien. Qu'elle remuât? Qu'elle bouleversât toutes choses de son activité? Qu'elle explosât continuellement de belle humeur? Qu'elle ébranlât la maison d'éclats de rire? Mais c'était grotesque à la fin! Et quels sujets, s'il vous plaît, à cette ébriété? Avouez que le bon Dieu perdrait son latin à vouloir établir la vie de plaisir à Néans.

L'abbé, plein d'indulgence et de bonté, se délectait du ton plaisant et d'avoir vu madame Durosay sourire.

– Moins puissants que le bon Dieu, madame, et moins forts en latin, nous avons osé comploter de belles et honnêtes distractions. Monsieur votre mari me parlait tout à l'heure d'un jeu que Septime vous expliquera.

– C'est un lawn-tennis, madame, dit Septime, qu'on organiserait aux Veulottes.

– J'ai joué à ça!.. C'est charmant. Je serai très bien sous le marronnier, à vous regarder faire.

– Eh! allez donc, s'écria M. Durosay, dont la dodue bedaine faisait irruption dans la pièce, échinez-vous donc à dénicher un joujou, à inventer l'impossible pour ces monstres de femmes. Voilà ce qui vous attend; voilà où l'on aboutit!.. Ah! n'épousez jamais, monsieur Septime, ni vous, monsieur l'abbé… ha! ha! ha! ha!

Et le notaire se réjouissait de son tour d'esprit dont la vingtième édition laissait calmes les auditeurs ordinaires.

– Voyons, bellotte, dit-il, sérieux et tendre, en s'approchant de madame Durosay, que faut-il pour votre plaisir? On exécutera vos petits caprices; on vous gâtera comme une enfant-gâteau: c'est le grand médecin qui l'a ordonné.

Il prenait le bras dans ses grosses pattes de dogue, le beau bras à la manche relevée, où Septime remarquait la douce ombre que faisait un duvet léger et le petit creux à l'intérieur du coude, pochette imaginaire et mystérieuse où il soupçonnait, dans le vague de son instinct, que quelque chose de grave ou de grand même, comme la vie d'un ou de beaucoup d'hommes pouvait se venir blottir et étouffer. Pauvre jolie dépression bleuâtre sur le blanc de la peau! Et ces mains énormes et disgracieuses touchaient cela, tapotaient cela comme elles eussent fait des flancs d'un honnête chien, familièrement et sans plus d'émotion. Septime était choqué comme d'un sacrilège.

– On demande, continuait le mari, que vous soyez insupportable, que vous cassiez, brisiez tout, que vous battiez votre époux; que vous fassiez damner monsieur le curé ou venir madame votre mère si bon peut vous sembler!

»C'est le cas de demander, comme disaient les bateliers de la Loire, la «corde à virer le vent», d'avoir faim d'ortolans ou appétit de la lune! Eh bien, qu'est-ce que tu dirais, bellotte, d'un bon petit voyage avec les clefs sous la porte et les clients au diable?

– J'aimerais mieux la paix, mon ami!

M. Durosay plaqua fortement la boîte aux échecs sur la table, et, bien que l'on fût proche de l'heure du dîner, se fit trois fois battre par l'abbé. Madame Durosay classait des journaux de mode, et pour les feuilletons, les passait à Septime. Septime allait du bras nu aux gravures coloriées où des femmes en toilettes de soirée avaient des épaules et des gorges roses, et de cette contemplation silencieuse et bébête sa puberté toute neuve recevait une joie trouble et exquise.

Le Médecin des Dames de Néans

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