Читать книгу La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung - Рихард Вагнер - Страница 8

IV

Оглавление

Table des matières

Applicables à toutes les œuvres de Wagner à dater de la Tétralogie, y compris la Tétralogie, telles sont les théories dramatiques du Poète, dans leurs lignes les plus générales. A présent que j'en ai terminé la mosaïque, j'aurais voulu montrer sous quelle forme, concrète, cette même Tétralogie vérifie leurs données; car nous voici très près, comme autrefois Wagner[98-1], du point où ces éclaircissements ne se suffiraient plus sans exemples: mais quels exemples irai-je élire? lesquels seront mieux probants que l'œuvre en totalité? Certes, il est tels détails (techniques) que je ne puis taire: si je l'ai fait dans les trois chapitres précédents, le premier de polémique, le second de biographie, le troisième de compilation spéculative, je n'en ai plus le droit dans celui-ci, profession de foi du traducteur.

Mais quoi! ces détails réservés, irai-je faire aux lecteurs l'injure de douter de leur intelligence jusqu'à leur expliquer longuement, par exemple au point de vue de l'«action»: que, l'Ame étant ici l'unique moteur du Drame, cette action est tout intérieure et passionnelle; qu'elle n'en progresse pas moins, cette action, et sans cesse, et de phrase en phrase, et de vers en vers, et de mot en mot, et de geste en geste, dans le dialogue, dans les récits mêmes; et comment, à la suite de scènes jamais trop longues, mais prolongées, où s'est accumulée, sans discontinuer, toute l'électricité dramatique, peu à peu, d'une situation décisive, le fait attendu, brutal, éclate comme un éclair (je ne dis pas: comme un coup de théâtre), toujours visible aux spectateurs, durable assez pour les saisir, pas assez pour distraire de l'action vraie leur cœur? Ne sont-elles pas, ces observations, de celles que n'importe qui saura bien faire soi-même? et la seule que je me puisse permettre n'est-elle pas: que si la Musique acquiert, dans l'œuvre de Wagner, une toute-puissance dominatrice, incontestable, incontestée, elle le doit à ce développement des poèmes (qui en sont le support) par des motifs humains purement psychologiques? Et, si je voulais traiter de l'économie des Drames: lorsque j'aurais noté comment parfois Wagner, avec logique, avec bonheur, en supprime toute «exposition», y ajourne toute explication, n'y nomme tel personnage que longtemps, bien longtemps après l'avoir su rendre intéressant pour nous; quand j'aurais constaté que le Rheingold à part, tous ces Drames ont chacun trois actes[99-1], les treize actes restant, d'ailleurs, rigoureusement inséparables; quand j'aurais souligné que matérielle ou morale, l'action n'y est rompue même par les changements de lieu, les transformations du Décor (sans parler de celles de la Musique) suivant, accompagnant la marche des héros, localisant les interludes: «Hé! serait en droit de me dire quiconque va lire l'ouvrage: nous n'avons pas besoin de vous pour découvrir ces choses; nous avons des yeux, j'imagine! et, à moins que votre Traduction ne soit incomplète...»—Elle ne l'est point; et c'est pourquoi, en ce qui concerne les Arts Optiques[99-2] (Décor, Plastique, Mimique et Danse) j'userai d'une analogue réserve: la Mimique, langue universelle comme la Musique, et comme elle expressive de l'homme émotionnel[100-1], et comme elle suggérant ce que sous-entend le poète, n'est-elle pas précisée dans le texte wagnérien, et, par suite, dans cette Traduction? Qu'ils précèdent, exécutent ou remplacent la Parole, nécessitent ou complètent la Note correspondante, Gestes, Regards, Attitudes, Immobilité même, Wagner n'a-t-il pas tout prévu? N'a-t-il pas tout prévu pour le Décor aussi[100-2]: depuis les jeux de la Lumière, de l'Ombre, élevées à l'importance d'agents actifs du Drame, jusqu'au rythme des Plans, des Couleurs et des Lignes? Il est vrai, surtout si l'on songe au caractère cosmogonique du sujet de l'Anneau du Nibelung, que ces dernières indications pourront paraître parfois brèves, sèches, à force de sobriété: mais si Wagner les a, dans le texte des poèmes, réduites au plus strict minimum, c'est parce que la symphonie, sans être jamais «descriptive», reflète suffisamment le Décor,—ou bien s'y reflète, projetant alors de l'Ame vers la Nature l'action, faisant à cette action participer les Choses, par de magnétiques effluences, par de réciproques influences[100-3]; et dans ce cas, tout ce que le lecteur (soit qu'il manque d'imagination, soit plutôt faute d'avoir la Musique sous les yeux) aurait peine à deviner fût-ce avec du génie, n'est-il pas évident que mieux vaudra le lui dire, en note, à la page même où, fourni par le Drame, l'exemple y gagnera d'être ainsi plus direct?

Restent la question de Langue et la question de Métrique, desquelles j'en avancerais volontiers tout autant: car comment expliquer (je suppose) un jeu-de-mots, l'effet d'une assonance, d'une allitération, ailleurs que là où le Drame en paraît obscurci? Toutefois, une telle double question se rattache, d'une manière trop intime, soit à celle de l'intelligence de l'œuvre entière, soit à celle de la Traduction, pour que je puisse m'abstenir absolument, ai-je dit, de certains aperçus techniques. Ces aperçus, je vais donc m'efforcer de les offrir, sous la forme la plus claire et la moins ambitieuse, sans me faire scrupule d'utiliser les travaux de mes prédécesseurs, de les fondre, de les condenser, sans oublier jamais que j'écris, non pas seulement pour la Critique, mais pour la foule de ceux qui connaissent peu l'allemand.

Wagner, dans Opéra et Drame[101-1], avait posé, principe qui ne semblera naïf qu'aux ignorants: que le Poète-Dramatique, en somme, doit user d'un style dramatique; fonder ce style, quant au dialogue, sur la simple prose naturelle de la conversation commune: accentuer cette prose et l'enrichir, au besoin, d'ornements comme la Rime ou l'Allitération; il donnait des détails sur ce second procédé, qui systématiquement ressuscité, par lui, des vieux chants nationaux germains et scandinaves, allait devenir bientôt, dans l'Anneau du Nibelung, une source de beautés verbales intraduisibles, ainsi que le montreront des notes. La Tétralogie, en effet, est tout entière écrite en vers brefs, non rimés, scandés par les accents de la phrase et par des sons, des syllabes, des voyelles, des mots allitérants[102-1]. Chaque réplique est conforme au langage ordinaire, mais affiné,—sans raffinement,—mais synthétisé,—sans excès, digne, en un mot, d'être un modèle de ce que Wagner avoue pour but: «LA CONVERSATION IDÉALE»; la brièveté en est extrême, et l'on en conçoit la raison: puisque c'est le Musicien qui, la Mimique aidant, nous révèlera leurs émotions, les personnages n'ont guère à nous décrire longuement, invraisemblablement ce qu'ils sentent; et, chaque phrase ne contenant que les termes nécessaires, chaque vers peut correspondre à une ligne de prose, réduite, du maximum d'une quinzaine de vocables, au minimum de cinq, ou six, tous essentiels, groupés eux-mêmes autour d'un mot plus essentiel, qui, ainsi qu'une cime, les domine[102-2]. Mais encore, que sont-ils, ces vocables élus? Qu'on se rappelle ce qu'a dit Wagner, dans la Lettre sur la Musique, plus haut citée[102-3], du perfectionnement des idiomes modernes: «Si nous considérons l'histoire, ajoutait-il, l'histoire du développement des langues, nous apercevons encore aujourd'hui, dans les racines des mots, une origine d'où il résulte clairement que, dans le principe, la formation de l'idée d'un objet coïncidait d'une manière à peu près complète avec la sensation qu'il nous causait[102-4].» Et plus loin, non sans une nuance de vague regret: «Dans leurs développements nécessairement parallèles, les mœurs et la langue furent pareillement assujetties aux conventions, dont les lois n'étaient plus intelligibles au sentiment naturel, et ne pouvaient plus être comprises que de la réflexion[103-1].» Aussi les mots élus par Wagner, pour ses Drames, sont-ils d'abord des mots-racines, délivrés de leur valeur abstraite, conventionnelle, rendus à la sincérité de leur signification sensible; les études d'étymologie, de philologie, qu'il continua toute sa vie, lui permettaient ce retour à la propriété, à l'ingénuité des termes, corollaire de son retour à l'ingénuité des mœurs purement humaines du Mythe. Une telle langue, par son naturel et sa franchise, doit paraître et paraît en effet «difficile» à notre âge d'artifices et de circonlocutions; mais Wagner est allé plus loin: il a osé créer des onomatopées; il a banni les particules, les auxiliaires, les conjonctions, les prépositions, les articles, tous les parasites du dialogue: il fallait, pour rester poète sans cesser d'être musicien, qu'empruntant ses paroles au domaine éternel des libres émotions de l'Ame, il éliminât, comme il dit, tout ce qui était fortuit, indécis, superflu, tout ce qui dénaturait les sentiments des hommes; qu'il conservât seulement «le noyau»; et qu'il en exprimât l'essence,—la quintessence, en un Verbe fort, concis, abrupt...[103-2]. Ce qui ne l'a pas empêché d'ailleurs, toutes les fois que la passion trop exaltée s'épanche, doit déborder, torrentiellement, dans la mélodie musicale, d'épuiser, avec frénésie, les inépuisables trésors de la synonymie allemande: serrant toujours du reste, autant qu'il est possible, alors même, les accents de la phrase; la pliant (sans jamais sacrifier la clarté), non aux exigences des formules, des règles momies de la syntaxe, mais à l'ordre logique des sentiments en jeu, aux nécessités dynamiques de la symphonie concordante.

On ne saurait oublier par suite (et, moins que personne, le traducteur): que, si la conception de chacun des Drames du Ring, la conception de sa Langue et celle de sa Métrique sont, d'une part, une seule et même chose, d'autre part, le Drame étant né, suivant l'expression wagnérienne, «dans le sein maternel de la musique», le style de la phrase musicale, et le style de la phrase parlée, sont deux aspects de la même pensée; que, conformément aux principes posés dans Opéra et Drame, si l'idée musicale a procédé, ici, d'une inspiration poétique, c'est l'inspiration musicale qui, réagissant à son tour[104-1], a donné à chaque vers sa forme; à chaque mot, sa place immuable et nécessaire. Encore ne faudrait-il pas croire, a priori, que, du commencement à la fin, la Symphonie et la Parole gardent, en ce gigantesque ensemble, une équipollente importance: si lié, si indissolublement lié qu'il soit aux autres, chacun des quatre Drames a sa technique intime[104-2], laquelle varie elle-même, peut-on dire au surplus, d'acte en acte, de scène en scène, de vers en vers! Ainsi, pour n'avancer que des généralités, la Parole domine en souveraine dans L'Or-du-Rhin; rivalise avec la Musique dans La Walküre; se laisse faire équilibre par elle dans Siegfried; et lui cède, tout à fait, dans Le Crépuscule-des-Dieux[105-1]: c'est qu'à mesure que l'action approche du dénouement, le texte, explicatif d'abord, en quelque sorte, des situations dramatiques, des sentiments qu'elles déterminent, ne pourrait, ayant de moins en moins à expliquer, conserver sa prédominance qu'à condition de décrire, ensuite, les progrès, les métamorphoses psychologiques, de ces sentiments qu'il a motivés; et pourquoi les décrirait-il, puisque, plus la passion prévaut dans l'Œuvre d'Art, plus la Symphonie, «la Musique, malgré l'obscurité de sa langue selon les lois de la logique, se fait nécessairement comprendre de l'homme avec une puissance victorieuse», une profondeur, une certitude, «que ces mêmes lois ne possèdent pas?»[105-2].

La première conséquence d'une telle économie, c'est que les poèmes ici traduits, si littérairement beaux soient-ils, ne peuvent, ne doivent être jugés d'après les procédés critiques applicables, à notre époque, aux œuvres de «littérature». Pas plus que les partitions de Wagner ne sont des œuvres ordinaires de «musicien» proprement dit, ses poèmes ne sont œuvres de «littérateur»: mais les poèmes, les partitions sont des œuvres purement humaines, contribuant naturellement, concourant simultanément, à l'eurythmique synthèse des Arts qui recréent sur la scène la Vie. Aux yeux du critique littéraire, ils seraient «incomplets», ces poèmes, et (suivant ce que j'ai dit de l'inégale importance de la Parole dans chacun d'eux), «inégaux» aussi, c'est bien évident; mais la merveille, c'est qu'«incomplets», «inégaux», ou tout ce qu'on voudra, ils suffiraient encore, tels quels, à la gloire d'un très grand poète, au sens actuel et restreint de ce mot. Et, quant au critique wagnérien, ne sait-il pas que, s'ils sont «incomplets», c'est de tout ce qu'y ajoutent, à la représentation, la Plastique, la Mimique, le Décor,—la Musique! Ah! de celle-ci, nulle lecture qui puisse donner l'idée! La Musique! à cause d'elle, hélas! jamais les textes, à la lecture, ne suggéreront toutes leurs merveilles; il y faut la représentation, la «réalisation sensuelle intégrale»[106-1]: et comment l'opérer en France si les poèmes n'y sont traduits, adaptés à la mélodie, sous une forme non seulement digne d'eux, mais encore, mais surtout adéquate au rapport, à l'indispensable rapport: de chaque syllabe, avec chaque note?

Or, après ce que j'ai dit de leur Langue, de leur Métrique, on est en droit de douter qu'une pareille traduction,—poétique,—musicale,—et fidèle,—soit possible. Que Wagner éliminât les termes parasites, auxiliaires, particules, prépositions, articles, multipliât les inversions, remplaçât les temps composés par les temps simples, il s'exposait à rendre son texte moins clair: il le restait assez toutefois, puisqu'il suffit d'avoir une certaine connaissance, des anciens poèmes germaniques, pour n'être point déconcerté par des éliminations telles, dont ils offrent assez d'exemples, et aussi parce que l'allemand, comme le latin, possède des flexions casuelles, significatives des régimes divers. Mais le traducteur français qui, faute de ces flexions, se voit condamné aux par, et aux de, et aux du, et à combien d'et cætera, parmi lesquels les que de notre mode subjonctif, par quels prodiges parviendra-t-il à rester clair, lui, et correct, s'il lui faut (et il le lui faut!) faire, avec le temps fort de la phrase musicale, coïncider le temps fort de la phrase poétique[107-1]; bien plus, faire correspondre, à chaque modulation, l'équivalent du mot qu'elle souligne dans l'œuvre; bien plus, ne point placer, jamais, sous les notes courtes, les syllabes appuyées de ce même équivalent[107-2]?

Aussi me garderai-je bien, retenu que je suis, d'ailleurs, par de certaines raisons de convenances particulières, d'écrire tout le mal que je pense de la seule traduction, qui ait été chez nous tentée[107-3]: la seule, sans doute est-ce là son principal mérite, car qui l'oserait appeler musicale, ni française? Excellent critique musical, homme de grand cœur si l'on en juge par ses livres sur Beethoven et sur Mozart, l'auteur de cette version, M. Victor Wilder, n'était, en poésie, qu'un fâcheux librettiste, perverti, le plus consciencieusement, le plus inconsciemment du monde, par trop d'adaptations, plutôt franco-gantoises, des paroles de trop d'Oies du Caire. Si encore, s'attaquant aux poèmes de Wagner, il se fût contenté de n'en pas approprier tous les détails à leur Musique! S'il n'avait, à ce Verbe sévère, substitué le belgimatias le plus conventionnel qui soit, une sorte de musée rimé,—à la flamande,—de tous les ponts-neufs de notre Opéra! S'il ne s'était pas avisé de modifier, à sa fantaisie mal opportune, les sobres, saisissantes indications scéniques! Mais à quoi bon des reproches? M. Wilder est mort, sans s'être rendu compte une heure, cet honnête homme, de la profanation qu'il avait perpétrée[108-1]. A quoi bon des critiques? «Vous qui blâmez si bien, puisque cette traduction musicale vous déplaît, pourquoi n'en faites-vous pas une autre?»—Hé! je ne m'en suis pas dit capable. Et pourtant, quoique j'aie, après tout, quelque œuvre personnel à terminer tout bas, peut-être aurais-je eu la piété, ou, si l'on veut, la présomption de me vouer à cette aventure, s'il n'y avait, provisoirement, impossibilité légale[108-2]; et je dirais même comment j'aurais conçu l'essai, si cette impossibilité (jusqu'au moment où le cri public, grâce au présent volume, j'espère, l'aura détruite) ne rendait superflue toute autre explication.

N'importe! en attendant, les libretti Wilder, tout antiwagnériens qu'ils soient, permettraient toujours à quiconque aurait pris connaissance, ici, et de L'Anneau du Nibelung, et du but de Wagner, de se faire, à la représentation, une pâle image de l'Art que l'Artiste a voulu.—«A la représentation? Fort bien! nous y courons: mais où se donne-t-elle?»—Nulle part en France. Hors de France, nulle part en français. Je n'oublie point que l'Opéra nous joue La «Valkyrie»! mais je n'oublie pas, non plus, que c'est un acte, sur quatre, d'un Drame INDIVISIBLE EN SOI[109-1]; et je me demande pourquoi, dans l'Œuvre de Wagner, on est allé choisir, justement, l'un de ces actes; et je me demande encore pourquoi, l'ayant choisi, l'ayant ainsi dénaturé quand à sa substance poétique, on n'a pas la pudeur, au moins, de l'exécuter comme il doit l'être.

Mon Dieu! je ne réclame pas des «festivals scéniques», périodiquement solennels: je sais trop que l'Œuvre de Wagner n'est nationale que pour l'Allemagne, et que de telles fêtes, en France, n'auraient pas de raison d'être, au moins à l'occasion de cette Œuvre. Je ne réclamerais pas même une salle particulière, ou particulièrement construite. Mais je voudrais qu'on se souvînt, dans une certaine mesure, lorsqu'on monte un Drame de Richard Wagner, des conditions spéciales d'acoustique et d'optique[110-1] pour lesquelles seules ce Drame est fait: sans lesquelles sa beauté, son intrinsèque beauté, n'apparaît plus que dénaturée, déconcertante et monstrueuse, puisqu'on la rend sensible au moyen d'un organe destiné à des fins radicalement contraires[111-1]. Il serait si simple de faire mieux!

J'entends bien qu'on répond: «Faire mieux?... Voyez l'Allemagne!»—La défaite est spécieuse, mais quoi! c'est une défaite. Méditez ce qu'écrivait Wagner il y a quinze ans: «Le public, en général, sembla très satisfait quand les Nibelungen passèrent de scène en scène sur les théâtres des villes allemandes, joués sans la moindre conception des véritables exigences de l'œuvre. Là, généralement défiguré par des coupures et représenté dans des milieux auxquels il n'avait jamais été destiné, l'ouvrage gagna bientôt de si chaleureux applaudissements, qu'il sembla incompréhensible que personne songeât encore à le répéter spécialement à Bayreuth... au moment où l'on m'enviait généralement pour le résultat brillant de mon énergie, et quand le monde, ne prenant pas garde à mon but, que j'avais si soigneusement expliqué depuis si longtemps, se disait avec surprise qu'alors, au moins, on devait supposer que je pouvais être content de tout ce que j'avais réalisé[112-1]!»

Les choses ont-elles changé depuis ces quinze ans? Non pas! Plutôt s'aggraveraient-elles chaque jour, s'il est possible. Et après? Nous irons à Bayreuth, voilà tout: là, du moins, la piété d'une admirable femme, la ferveur de quelques amis de Richard Wagner, perpétuent, en dépit de toutes les hostilités, la tradition sacrée du mort, jusqu'en ses plus minimes détails; là, quoiqu'on y chante en allemand, quiconque possédera bien les Drames, dans une suffisante traduction française, pourra se faire de cet Art une authentique idée. Oui donc! c'est à Bayreuth que nous irons: qui,—nous? Qu'on réponde: combien,—parmi nous? La France a trente-huit millions d'âmes... J'admire, en vérité, ceux des privilégiés qui, depuis des années, nous répètent: «Vous vous dites wagnériens, jeunes gens? Soit: vous n'avez que deux choses à faire: répandre les idées de Wagner,—soutenir Bayreuth[114-1]». C'est très bien, c'est facile à dire; nous voulons bien: notre plume, qu'on y compte!—Et votre bourse?—De même! Mais, pour ce qui est des «idées»: les écrits théoriques n'étaient pas même traduits; et ils l'auraient été que, sans exemples directs, ils auraient risqué de provoquer, en France, d'aussi niais malentendus qu'ils en provoquèrent en Allemagne, jadis. Quant au Théâtre de Bayreuth: les fêtes y sont rares; et c'est loin.

—Et après tout (s'écrie, non sans quelque raison, plus d'un sincère amoureux d'Art), si les Drames de Wagner font partie, comme vous dites, de l'inaliénable patrimoine moral de l'Humanité tout entière, n'est-il pas vrai qu'il en est de même des œuvres—choisissons un dieu—de Michel-Ange? Si je tiens à pénétrer le génie d'un Michel-Ange, il est bien évident que je dois courir à Rome: seulement, qui m'imputerait à crime, sans injustice, les fatalités matérielles qui m'empêcheraient de faire ce voyage? Qui m'imputerait à crime, en ce cas, mon torturant désir de me former un jugement, mes tentatives pour le former par l'étude de fragments plastiques dans les Musées? par des copies, si je n'ai pas mieux? par des gravures, faute de copies? que dis-je! par des volumes, si les gravures me manquent? Cet Œuvre est pourtant de ceux qui n'existent, je pense, qu'à l'instant—pour vous rétorquer votre argument—de sa «réalisation sensuelle intégrale!» Hé bien, que voulez-vous? ce que je ferais pour Michel-Ange, je le fais, exactement, pour les Drames de Wagner: des fragments? les concerts publics m'en rendent sensibles! Des copies? bonnes ou non, les théâtres m'en donnent! Des gravures? dépourvues de la couleur musicale, les traductions y correspondent. Des volumes? la lecture n'en serait-elle pas logique,—plus, même, qu'à propos de Michel-Ange?—«Fuyez au moins», dites-vous, «toute représentation! Evitez tout concert public!»—Pourquoi vous y voit-on, vous qui nous en chassez?—«C'est que nous», répondez-vous, «nous autres, nous savons! A Bayreuth, nous y sommes allés: il n'y a plus nul danger que nous nous trompions, ici, sur le but réel de Richard Wagner. Nous souffrons de l'y voir incompris et morcelé; mais nous n'en sommes pas moins heureux de pouvoir entendre sa Musique: n'avons-nous pas la ressource de fermer les yeux? Ne revivons-nous pas le Drame tel que nous le vîmes ailleurs? A quelle phrase, à quel geste correspond chaque note, ne le savons-nous pas—depuis Bayreuth?»—Vous savez? Superbe égoïsme! Hé! alors, faites savoir aux autres! Admettons que plus de silence eût mieux valu naguère; maintenant, le silence n'est plus possible: trop de malentendus artistiques ont succédé, n'est-il pas vrai? à trop de malentendus soi-disant politiques ou soi-disant patriotiques. Il n'y a rien à tenter en France, affirmez-vous?—C'est à force de n'y rien faire, à force d'y laisser faire, plutôt, que, si nous ne connaissions votre absolue bonne foi, vous nous paraîtriez complices, entendez-vous! des profanations dont vous gémissez. Car, si vous vous refusiez à traduire les poèmes, sous le prétexte, vraiment commode, de «réalisation sensuelle intégrale», vous auriez pu, afin de «répandre les idées», traduire les œuvres théoriques! Je le demande: qui a eu ce courage? Et si nul ne l'a eu pour ces œuvres pourtant (j'en parle en connaissance de cause!) moins intraduisibles, ma foi, nous serons fondés à croire que ce fut par un manque de courage, aussi, de témérité, si l'on veut, qu'on a négligé de s'attaquer à la plus périlleuse des tâches: la traduction du plus démonstratif des Drames (au point de vue du but de Wagner), c'est-à-dire—L'Anneau du Nibelung.

Ce courage (cette témérité si l'on préfère), quelqu'un—l'aura eu! et le courage, aussi, ajournant toute publication, d'oser, la traduction littérale terminée, en faire, combien plus longue et périlleuse! une autre: non, certes, de «vulgarisation», mot trop légitimement dérive de «vulgaire»; mais DE PROPAGANDE,—comme celle-ci. Que si l'on s'obstinait à m'objecter le principe en vertu duquel l'Œuvre d'Art, le Drame, n'existerait point avant le moment de sa «réalisation sensuelle intégrale»:—Wagner, interromprais-je, n'était nullement hostile à l'idée que ses poèmes fussent lus, pour être lus, soit en allemand, soit en français. En allemand? il les a publiés quatre fois, les quatre fois sans nulle musique, ajoutant même, pour la lecture, des mots et des passages exclus des partitions[117-1]. En français? qu'on se reporte au début de ce travail: j'ai fourni là, j'espère, de surabondantes preuves[117-2]! Sans être «wagnérien» plus que Richard Wagner, j'avouerai volontiers, d'ailleurs, qu'une Traduction en prose aurait moins de raisons d'être, si nous en avions une musicalement fidèle: mais cette dernière, on peut, je l'ai dit et je le répète, douter qu'elle soit réalisable; et, l'aurait-on réalisée: impossibilité légale d'en faire usage.—Nous verrons bien!...

M'expliquer? Soit.

Le génie de Wagner «musicien» n'est plus nié:—sa musique, depuis qu'on l'écoute, écrase, volatilise, annihile toutes les autres, excepté celle de Beethoven. Il reste à révéler: le Poète,—le Créateur,—et le Penseur. C'est l'objet du présent volume: les Drames lus, le Poète dramatique sera connu; les Notes lues, le Poète Créateur apparaîtra; l'Étude Critique ci-jointe (que j'admire pour ma part, je suis heureux de lui rendre ce public hommage)[117-3] dévoilera quelques-uns des aspects du Penseur,—comme cet Avant-Propos, nécessairement plus humble, aura montré l'Artiste et le but qu'il poursuivit... Peut-être, alors! le cri public pourra-t-il exiger, du moins, qu'on ne sépare plus des Drames qui sont inséparables; arracher à nos scènes, subventionnées ou non, pour ces Drames ou pour d'autres de Richard Wagner, le genre d'exécutions pour lesquelles ils sont faits; et, même s'il est écrit qu'on n'y parviendra pas, suggérer à nos dramaturges une conception, dont ils ont besoin! plus nationale, plus haute, plus artistique—de l'Art.

Après avoir prouvé la légitimité, je ne suis nullement, comme on peut le voir, embarrassé pour justifier l'opportunité de cette Traduction. Et je ne le serai pas davantage pour justifier ce que j'en ai dit dès les premières lignes de cet Essai: à savoir qu'elle ne se donne point comme littérale, encore moins comme définitive, mais comme provisoirement fidèle: comme la plus fidèle, ajoutais-je, qu'il soit possible, à mon avis, de présenter au Public français contemporain.....

Pour initier ce Public à l'Œuvre wagnérienne, que les engouements d'aujourd'hui, comme les préventions d'autrefois, le préparent assez mal à comprendre, j'ai cru que je ne pouvais, en conscience, le buter de suite au mot-à-mot. Non que le sens de ce mot-à-mot ne soit admirable! Non, surtout, que j'aie eu la sottise de m'imaginer l'«embellir». Mais il est d'une beauté spéciale, comme spéciale est aussi la Langue (on s'en souvient)[119-1], pour l'interprétation de laquelle vague peut sembler la compétence, même d'un Allemand moderne instruit, même d'un Français capable de penser en allemand moderne, si, à cet Allemand ou à ce Français, il manque la connaissance des racines germaniques, l'intelligence, à livre ouvert, des textes du Mittelhochdeutsch, et surtout, c'est trop évident, celle de l'Epopée nationale allemande (plus de cinquante expressions transposées par Wagner, dans le seul Anneau du Nibelung). Je ne parle pas du jeu des Allitérations, auquel il faut, avant de traduire, être rompu par la pratique des vieux Chants germains, scandinaves, sous peine de dénaturer l'œuvre, puisque Wagner a dit qu'il n'aurait pu l'écrire autrement que sous cette forme du vers allitéré... Hé bien, cette poésie si magnifique d'idiome, mais tellement insolite aussi, fallait-il l'offrir dépouillée de toute beauté rythmique ou verbale? Ma conscience m'a répondu: Non! Fallait-il en tenter quelque restitution? Ma conscience m'a répondu: Oui! Et je ne sais si j'ai réussi: mais je crois pouvoir dire, hardiment, qu'entre, d'une part, cette tentative, et, de l'autre, un essai de littéralité pure (dont chacun se peut faire une idée, dans ce volume même, par mes Notes de la «Scène» Première de l'Or-du-Rhin), nul homme de bon sens n'hésitera.

Par bonheur en effet pour moi, semblable essai a été fait. Il a été fait, sur cette «Scène», par MM. Chamberlain et Edouard Dujardin[120-1], et l'étrange résultat, de leurs consciencieux efforts, ne m'aura pas été d'un petit enseignement! Si jamais en effet deux hommes, deux écrivains, pour s'attaquer à pareille tâche, furent qualifiés, ce sont bien eux: l'un, M. Houston-Stewart Chamberlain, qui, ayant consacré sa vie à l'étude de l'Art wagnérien, est, avec le baron de Wolzogen en Allemagne, avec MM. Ernst et Kufferath, Pierre et Charles Bonnier en France, au nombre des plus compétents[120-2]; l'autre, remarquable poète, musicographe autorisé, directeur (aux temps héroïques!) de cette vaillante et noble Revue Wagnérienne dont j'aurai plus d'une fois tenté, puisqu'elle est devenue introuvable, d'humblement condenser, ici, la riche matière «tétralogique». Or voici, à titre d'exemples au hasard, deux des phrases de leur traduction (philologiquement littérale): «Comme est bon que vous une seule ne soyez! De trois, je plais bien à une.....» En faut-il davantage?—J'accède: «O chante encore si doux et fin, comme saint ce séduit mon oreille![121-1]» Ils ajoutaient, je le sais, que c'était «œuvre modeste» intéressante seulement pour «quelques rares curieux»: moi, je me demande si même ces quelques rares curieux auraient eu l'intrépidité de lire quatre Drames d'un tel style,—où je me refuse, dans tous les cas (et le lecteur avec moi, j'espère), à voir l'équivalent, wagnériennement français, de la «conversation IDÉALE» allemande!

Aussi n'ai-je pas eu grand mérite, éclairé par ce précédent, à considérer le mot-à-mot, pour la Tétralogie du moins: comme un point d'arrivée? jamais[121-2]!—Comme un point de départ, au contraire. Pas plus que mes aînés, du reste, je ne voulais me proposer, pour but, un «compromis d'élégante prose»: c'eût été défigurer l'œuvre. Bien mieux: je ne pouvais guère oublier que la Musique amplifie, complète certains mots, s'unit à la Mimique, souvent, et au Décor, pour impartir à d'autres leur spéciale valeur; mais, si j'ai tenu grand compte de ces correspondances, insister sans exemples m'entraînerait trop loin, et combien plus avec exemples! Après tout, au sujet, soit des compensations, soit des transpositions que j'ai cru devoir me permettre, l'Annotation des quatre Drames me fera suffisamment comprendre[122-1].

Pour l'instant, s'il fallait, d'un mot, caractériser l'interprétation que j'ai voulu donner des Poèmes, je dirais qu'elle est DRAMATIQUE, résolument.

Cela n'est point une La Palissade: lisez une traduction du Théâtre de Gœthe, ou du Théâtre de Schiller, ou, tenez! celle qu'a osée M. Charles Nuitter, des Quatre Poèmes d'«Opéras»..... Vous avez le sens presque toujours, en un français coulant, correct, syntaxiste et conventionnel, d'élève de rhétorique fort en version allemande; mais cela ne vous prend pas aux entrailles comme (oui, je me plais à le ressasser!) cette «conversation idéale», qu'a voulue, et réalisée, dans ses textes allemands, Wagner: pourquoi? C'est excessivement simple: les traducteurs ont négligé qu'il s'agit d'œuvres dramatiques, dans lesquelles l'accent des répliques, l'INTONATION joue le plus grand rôle. Ils ne se sont pas joué les Drames à haute voix. Ils n'ont point comparé le son des répliques traduites au son des répliques originales: c'est pourtant essentiel, ce me semble! Et c'est pourquoi des œuvres dramatiques françaises, quand elles sont d'un homme de génie, bouleversent, à la lecture, presque autant qu'au théâtre: au lieu que les plus vivantes des œuvres étrangères, dans une traduction, nous laissent froids; sans doute quelques très rares Artistes parviennent-ils à se rendre compte de leur mouvement, mais au prix d'un effort qui diminue, toujours, la fraîcheur de joie esthétique de la sensation directe. Qu'est-ce donc pour la masse du Public, incapable (faute d'expérience) incapable de cet effort!—Hé bien! voilà un reproche que l'on ne fera pas, je m'en flatte, à ma Traduction de la Tétralogie. Il n'est pas une phrase, pas un mot, qui n'aient été placés, déplacés, remplacés, jusqu'à ce que la correspondance m'ait semblé parfaitement exacte entre chaque son du texte allemand et chaque son du texte français; l'air que ma voix a fait vibrer ne peut fournir la preuve de pareils efforts: mais l'un de mes manuscrits, que je garde soigneusement, porte trace de ce furieux labeur; on y trouverait, me fait-on remarquer, des passages remaniés jusqu'à soixante-douze fois..... Au reste, si jamais tentative fut à pareil point nécessaire, c'est bien à propos d'un Poème comme celui ou ceux d'un Richard Wagner: puisqu'il a voulu «opérer, par la représentation scénique, une impression irrésistible, et faire qu'en sa présence enfin s'évanouisse, dans le sentiment purement humain, toute velléité même de réflexion abstraite[123-1]», il fallait, autant que le permet la prose, viser à produire cet effet sur le lecteur d'une Traduction; lui offrir le Drame, en un mot, sous une forme tellement dramatique, qu'il n'eût aucun effort de «réflexion» à faire pour se rendre compte des répliques, de l'intonation des répliques, de la vraie portée des répliques, dans les textes originaux. J'ose dire qu'aucune version strictement «littérale», dans ces conditions, ne sera FIDÈLE! J'ose dire qu'aucune ne sera lisible! et, une fois de plus, j'en fais la preuve en réclamant qu'on s'imagine ce qu'aurait pu être, à la lecture, pour quatre Drames consécutifs, l'interprétation Dujardin? Wagner est un très grand Poète! et ce Poète fût sorti de l'épreuve ridiculisé pour jamais (en France): trop formidablement différentes sont les races!.....

Cela ne veut pas dire que j'aie «francisé» la Tétralogie. Je n'ai pas essayé. Les analogies linguistiques du persan et de l'allemand d'une part, du latin et de l'allemand d'autre part, m'ont été du plus heureux secours pour conformer wagnériennement la langue de ma Traduction au génie indo-germanique et au génie indo-latin: pour réconcilier, par delà les temps, les idiomes et les syntaxes, dans le «sein maternel», comme eût dit Wagner, de l'étymologie aryenne. Tout détail serait pédantesque et déplacé. Ce que je puis murmurer, c'est que je suis armé, non seulement de l'acquis personnel de mes études, mais des fiches linguistiques de vérification que j'ai prises dans les ouvrages spéciaux[124-1], dans Schade, dans Grimm, etc., sans oublier l'ouvrage aussi, peu philosophique mais précieux, de M. Hans de Wolzogen: La Langue des Poèmes de Richard Wagner[126-1]. Elles me serviront lorsque tôt ou tard, grâce à cette Traduction de propagande, j'espère, on pourra publier, purement et simplement, la littéralité des poèmes wagnériens, sans craindre qu'ils ne soient ou mal compris, ou méconnus. C'est pour contribuer à rendre moins lointaine l'éventualité prévue d'une publication de cette nature, que dans celle-ci, en attendant, quand l'interprétation française (toujours conforme à l'esprit de l'œuvre, à l'intonation du passage) semble s'éloigner de la lettre du texte, une note, de temps en temps, donne le sens littéral: que choisiront peut-être de bien rares Artistes, mais qui eût rebuté le grand public en lui rendant impossible la lecture suivie des quatre Drames, «l'évanouissement», voulu par Wagner, «l'évanouissement de toute réflexion dans le sentiment purement humain».

Pour me résumer et conclure: fort d'une traduction littérale scrupuleusement faite mot à mot; d'une deuxième traduction moins littérale, déjà courante, pas assez littéraire encore; possédant, au fond de ma mémoire, jusqu'aux moins importants des vers et des répliques; ayant médité sur chaque Drame, sur son ensemble et sur son texte, sur les prolongements musicaux, plastiques ou mimiques de ce texte; m'étant joué ces Drames en moi et à haute voix; m'étant identifié, dans les sources les plus lointaines, aux personnages, et métamorphosé avec eux de proche en proche jusqu'en leur métempsychose wagnérienne, je les ai donc recréés dramatiquement, m'attachant à communiquer, à des Français ignorant l'allemand, l'impression de beauté dramatique, dramaturgique et phonétique qu'ils produisent à la lecture, à l'audition, à la représentation, sur des Français connaissant l'allemand,—et l'allemand spécial de Richard Wagner.

Puissé-je y avoir réussi!

Et maintenant, de ces efforts, heureux ou malheureux, mais énormes et consciencieux dans tous les cas, la seule récompense que j'attende, c'est que le Public veuille bien, par respect pour Richard Wagner, par souci de son propre plaisir, de son propre profit moral, lire ce volume avec méthode.

La méthode? Ne découle-t-elle pas de ce long Essai? A qui m'a suivi jusqu'ici, ai-je besoin d'expliquer pourquoi je le supplie de lire d'abord les Drames, une première fois, sans jamais se reporter aux Notes (sauf dans les cas, très rares d'ailleurs, où le sens lui paraîtrait obscur)? Qu'il les vive à plein cœur, ces Drames! Qu'il ne s'en laisse point détourner par tels détails philologiques! Ces détails ont leur importance à qui veut approfondir l'œuvre, ils sont indispensables, certes; mais ils sont inutiles à qui ne veut que la sentir, et c'est de la sentir qu'il s'agit surtout[127-1]. Je ne doute pas que le lecteur, du reste, n'ait ensuite la curiosité,—le besoin, même,—d'aller plus loin.

Qu'il fasse alors des quatre Drames, à loisir, une seconde étude, s'arrêtant à chacune des notes: qu'il s'aide des unes pour deviner certaines beautés intraduisibles; des autres, pour pénétrer mieux le symbolisme des poèmes; d'autres, enfin, pour constater, comparant ces poèmes aux sources, le sublime génie créateur et transformateur de Richard Wagner[128-1].

De ces Notes, qu'il remonte aux pages que tour à tour elles confirment, préparent ou complètent: aux pages où mon ami Edmond Barthélemy, dans ce même volume, lui révélera combien de siècles d'Humanité, scandinave, germanique, ou simplement—humaine, stratifiés autour des racines de cette immense Tétralogie, circulent infiltrés dans sa sève, y viennent des profondeurs ressusciter en Drames, verdoyer en frondaisons de Songe, s'épanouir en floraisons de Pensée féconde et rédemptrice.

Sur Wagner Dramaturge, alors,—sur Wagner Créateur,—et sur Wagner Penseur,—chacun, je suis tranquille, sera pleinement édifié.

La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung

Подняться наверх