Читать книгу Histoire du cognac - Robert Delamain - Страница 5
ОглавлениеPaysage caractéristique de la Champagne Charentaise aux molles ondulations de terrains où sur un sol de craie s’étalent les vignobles de la Grande Champagne, burinant les pentes de leurs alignements réguliers.
RÉGION DE COGNAC PRISE DANS SON ENSEMBLE LES ORIGINES DU COMMERCE CHARENTAIS AVEC LES PAYS DU NORD DE L’EUROPE
La région de Cognac, telle qu’elle a été déterminée par une tradition de plus de 300 ans, et telle qu’elle a été définitivement fixée par le décret du 1er mai 1909, comprend approximativement les deux départements de la Charente et de la Charente-Inférieure; il faut en exclure une partie du pays de Marans ainsi que la région au nord de Ruffec et à l’est de La Rochefoucauld. Elle comprend par contre une petite parcelle du département de la Dordogne, qu’elle ne fait qu’effleurer au delà de la Dronne, aux environs de Saint-Aulaye et un lambeau des Deux-Sèvres, laissant en dehors Frontenay-Rohan-Rohan.
On peut dire également qu’elle correspond à peu près, à part de petites enclaves en Périgord et en Poitou, aux trois anciennes provinces d’Angoumois, Saintonge et Aunis qu’englobaient les diocèses d’Angoulême et de Saintes, survivances des deux provinces gallo-romaines du Pagus Engolismensis et du Pagus Santonensis. Ces deux «pays» formaient eux-mêmes, au temps de l’indépendance gauloise, une seule province, la «Cité » des Santons. Cité des Santons; — pays gallo-romains d’Angoumois, de Saintonge et plus tard d’Aunis — diocèses de Saintes et d’Angoulême — provinces féodales d’Angoumois, Saintonge et d’Aunis — départements révolutionnaires de Charente et Charente-Inférieure, sont agglomérés par des caractères communs et différenciés par des éléments distincts, basés les uns et les autres sur des particularités géologiques, géographiques, climatiques, géobotaniques et ethniques qui ressortiront d’elles-mêmes au cours de ce travail.
On peut dire encore que la région de Cognac correspond dans ses lignes générales, au bassin de la moyenne et de la basse Charente y compris la majeure partie de la Boutonne, la Seudre et les affluents de droite de la Dronne, de la Lisonne au Lary.
Ou bien encore qu’elle comprend tous les terrains du supra-jurassique et du crétacé qui se sont déposés à l’entrée du détroit poitevin, recouverts, surtout dans le sud, par des îlots de formations tertiaires.
L’Angoumois, la Saintonge et l’Aunis étaient réputés au temps de César pour la richesse de leur sol et pour l’aisance des communications qu’elles offraient aux échanges. Si ces trois «pays» étaient alors renommés pour l’abondance de leurs blés, l’influence romaine semble y avoir développé deux autres sources de richesse: le vin dont les prêtres celtes avaient jusqu’alors interdit la culture, et le sel que les Romains apprirent à extraire, sur notre littoral, en quantités beaucoup plus grandes qu’antérieurement, suivant les méthodes méditerranéennes que la chaleur de notre climat avait permis d’adopter.
Le commerce du blé, du vin et du sel est la base de toute l’économie et de la prospérité de cette région.
Le sel de Saintonge et d’Aunis fut pendant tout le haut moyen âge le principal objet d’échange entre la Marche, le Limousin, l’Auvergne et le Périgord, d’une part, et le littoral saintongeais, d’autre part. Les chemins sauniers furent et restèrent longtemps les plus parcourus de la contrée. Peu à peu les bateaux à sel remontèrent le fleuve de Charente jusqu’à Saint-Savinien, d’abord, puis jusqu’à Saintes. Au XIIe siècle le port saunier de Cognac et même celui de Basseausous-Angoulême, étaient assez importants pour être mentionnés dans les chartes de donations. Et pendant de longs siècles ce sera presque exclusivement pour faciliter le transport du sel des côtes de Saintonge, que la royauté travaillera à améliorer la navigation de la Charente, jusqu’à Angoulême et plus tard à l’établir jusqu’à Civray.
Le sel de Saintonge était d’autre part considéré dans les pays du nord de l’Europe comme étant le meilleur du monde et les flottes anglaises et hollandaises venaient le charger sur les côtes ensoleillées de Saintonge et d’Aunis où les récoltes étaient plus régulières et plus abondantes que dans la région de Guérande. Il était particulièrement «conservatif», suivant l’expression de Bernard Palissy. Les Normands connaissaient, depuis les incursions du IXe siècle, les côtes de Saintonge; ils savaient l’importance du commerce dont était l’objet le sel, une des denrées dont ils avaient le plus besoin, et aussi pour eux une des plus rares. Au XIIe siècle les bateaux norvégiens venaient chercher le sel de Saintonge pour les salaisons de morue et de harengs qui se pratiquaient dans les petits ports d’Oslo et de Tönsberg. Ce commerce est alors surtout entre les mains des Flamands et particulièrement des Frisons. Toutefois les premiers documents du XIIe siècle qui mentionnent ces chargements de sel pour la Norvège, indiquent également l’envoi de vins de Saintonge que les Flamands chargeaient tant à La Rochelle qu’à Saintes et à Saint-Jean-d’Angély. Si le sel était indispensable aux Norvégiens pour leurs salaisons, le vin était devenu pour eux un breuvage ardemment convoité qu’ils consommaient dans leurs festins, mélangé de miel ou parfumé de graines odorantes. Par contre, les Norvégiens trouvaient sur les côtes atlantiques, des débouchés pour les deux seuls produits qu’ils pouvaient échanger, les poissons salés et le bois.
Ainsi, dès le XIIe siècle, les Flamands assurent un incessant échange entre le sel et le vin de Saintonge d’une part et le bois et les salaisons de Norvège d’autre part. Ces échanges se développèrent par la suite quand le commerce avec le nord de l’Europe fut assuré par les villes hanséatiques et en particulier par Lubeck dont les flottes apportaient à La Rochelle et en Saintonge les salaisons, les bois et les fourrures et en repartaient chargées de sel et de vin pour les rives de la Baltique, le golfe de Finlande et les côtes de Norvège. Le roi Sverrin en 1186 dut chasser les Hanséates du port de Bergen en raison des désordres que l’usage exagéré du vin qu’ils apportaient y provoquait. Les Hanséates avaient eux-mêmes créé des pêcheries à Skanör et à Falsterbo où le sel de Saintonge était employé pour les salaisons.
Lorsque le commerce maritime du nord de l’Europe fut entre les mains des cités wendes, ces échanges augmentèrent encore entre la Saintonge et les côtes de Suède, la Livonie, la Lithuanie, l’Allemagne du Nord et la Pologne. Le droit maritime hambourgeois mentionne en 1270 le sel et le vin de Saintonge .
Alambic du manuscrit 2327 Bibl. Nat. écrit en texte grec.
Alambic de Synesius IVe siècle.
D’après Berthelot, Introduction à l’Etude de la Chimie des Anciens
Il en était de même avec l’Angleterre. Lorsque Aliénor d’Aquitaine devint reine d’Angleterre, La Rochelle était déjà en relations avec l’Angleterre pour l’achat des vins et du sel de Saintonge. Les Rochelais avaient obtenu de Jean sans Terre en 1205 des lettres de sauvegarde pour aller librement vendre leur vin en Flandre et ils avaient obtenu en 1204 la liberté de circuler dans tous les ports britanniques à l’exception de Londres. On l’expédiait par des flottes spéciales et on le vendait dans les tavernes de Londres. En 1214 Jean sans Terre, qui avait épousé la fille du comte d’Angoulême, chargeait les prudhommes de Cognac d’acheter, pour lui, du vin de Saintonge. La reine d’Angleterre possédait le comté d’Angoulême et la terre de Cognac par son second mariage avec Hugues de Lusignan; son fils, Henri III, roi d’Angleterre, y prenait son vin.
«Or gisoyent, écrit Froissart, les nefs anglesches a l’ancre a l’embouchure de la Tamise et attendoyent la flotte des nefs qui en cette saison étaient allé à La Rochelle. Quand les marchands des Flandres eurent fait leurs exploits en La Rochelle et au païs de Xaintonge et chargé leurs nefs de grand’foison de vin de Xaintonge, et ils virent qu’ils eurent bon vent, ils se désancrèrent du havre de La Rochelle et se mirent en chemin par mer pour retourner en Flandres. Et costoyant la Basse-Bretagne et puis le Normandie droitement sur l’emboucque de la Tamise où ces nefs ansglesches etoyent... Aux vaisseaux s’approcha la grosse navire d’Angleterre. Là eut sur mer dure bataille et des nefs effondrés de part et d’autre... Après ce que les Anglois eurent déconfit Messire Jehan Burcq, ils en eurent grand profit et par spécial ils eurent bien neuf mille tonneaux de vin dont la vinée toute l’année en fut plus chère en Flandres, en Hainaut et en Brabant et à meilleur marché en Angleterre. Et là passèrent jusqu’à Londres où ils furent receus à grand’joye, car les bons vins de Xaintonge ils avaient en leur compagnie. Et feirent ces vins-là ravaler à quatre deniers sterlings au galon».
Surgères envoyait, en 1332, au Vergeroux par le canal du Guay-Charreau une moyenne de 3.000 tonneaux de vin par an, soit plus de 25.000 hectolitres pour l’étranger.
Innombrables sont les preuves de la réputation qu’avaient les vins de Charente à l’étranger et le vin d’Aunis pouvait se vanter «de repaître toute l’Angleterre, les Bretons, Flamands, Normands, Ecossais, Norvégiens et Danois et de tous ces pays de rapporter de beaux esterlins».
Avec ces deux produits, le vin et le sel, que venaient chercher les étrangers dans les ports de la côte saintongeaise, s’était créé dans la masse rurale du bassin charentais une mentalité propice aux échanges commerciaux, mentalité exceptionnelle à une époque où toute l’économie était ailleurs fermée dans les limites de la seigneurie et où seigneurs et tenanciers devaient trouver dans le domaine seul de quoi se nourrir et se vêtir.
Pour les navigateurs de tout le nord de l’Europe, la côte de France au-dessous de la Loire était la région où ils avaient pour la première fois la sensation d’entrer dans la zone bénie du Midi, où la chaleur du soleil rend la vie facile, où mûrissent les fruits et où coule le vin. La baie de Bourgneuf, et la côte de Saintonge abritée derrière ses îles, étaient pour eux les premières accessibles des terres ensoleillées.
Les paroles que le poète suédois Nicander met dans la bouche du Viking, en son invocation au soleil couchant, me reviennent à l’esprit: «Ah que ne suis-je avec toi, si près du rivage désiré, si près de la terre nouvelle et bienheureuse».
Tous ces faits sont succintement rappelés pour montrer que, lorsqu’au début du XVIIe siècle, on commença à distiller du vin en Aunis, Saintonge et Angoumois, pour en faire de l’eau ardente, il existait déjà depuis plusieurs siècles un courant régulier d’échanges entre les côtes de Saintonge ou même les ports de la Charente, et toutes les contrées du nord de l’Europe. Ils expliquent l’essor extraordinaire que prit en quelques années le commerce d’exportation des eaux-de-vie. Ils expliquent aussi comment, grâce à l’aménagement du fleuve en vue du transport du sel jusqu’à Angoulême, les eaux-de-vie de Cognac trouvèrent dans la Charente navigable que descendaient et montaient régulièrement les gabares à sel, des facilités particulièrement favorables pour atteindre aussi bien les havres du littoral que le centre de la France par le Poitou, le Limousin et le Périgord.
En effet, au début du XVIIe siècle était apparu en Aunis et en Saintonge un produit nouveau, l’eau-de-vie.