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L’EAU-DE-VIE DE VIN

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A vrai dire, la distillation du vin pour en obtenir de l’eau-de-vie, ne semble pas s’être généralisée dans la région de Cognac avant le commencement du XVIIe siècle. Mention est bien faite dans un document de 1549 de l’achat par un marchand de La Rochelle de «quatre barriques playnes d’eau-de-vie bonne et marchande» et plus tard en 1571 de la vente à La Rochelle d’eau-de-vie faite par la veuve du sieur Jehan Serazin, marchand et faiseur d’eau-de-vie, ce ne sont là que des faits exceptionnels. Le P. Arcère écrit en 1742: «La fabrication des eaux-de-vie dans le pays d’Aunis n’est pas très ancienne s’il faut s’en rapporter au témoignage de feu M. Masse. «Il n’y a pas encore 90 ans, dit-il (en 1712) à ce que m’ont assuré les anciens du pays, que l’on commença à convertir les vins en eau-de-vie». Ceci nous reporte, pour l’Aunis, à l’année 1622.

Par ailleurs, ni dans le registre des délibérations du corps municipal de Saintes, ni dans celui de Cognac l’eau-de-vie n’est mentionnée antérieurement à 1600. Elle ne figure pas dans la nomenclature, établie au xvie siècle, des marchandises entrant par la Charente ou par voie de terre au port de Cognac. Elle n’est pas comprise parmi les denrées à tout moment réquisitionnées à Saintes pour l’armée catholique qui occupait la Saintonge.

En 1576 F. de Corlieu écrit: «Il y a une contrée en Angoumois d’une terre fort fertile en blés telle que peut être la Beauce, qu’on appelle Champaigne et cette Champaigne a cela de plus que la Beauce qu’elle porte grande quantités de vins excellents qui par les rivières se transportent dans les autres parties du monde», mais il n’est pas fait mention de l’eau-devie.

Or à Colmar la distillation du vin était déjà contrôlée en 1506 . Un inspecteur avait, cette même année, visité les brûleurs de vin (Weinbrenner). En 1533 le vin distillé était un article courant et en 1540 deux corporations de fabricants d’eau-de-vie étaient en lutte.

En 1559 les jurats de Bordeaux, pour prévenir les incendies, défendaient à toutes sortes de gens sans exception «de faire ni faire faire aucune eau ardente dans la ville» ni d’en tenir au delà de quelques barils de deux ou trois pots; il y avait donc là, déjà, la menace d’un abus qu’il s’agissait d’arrêter avant qu’il ne devint un danger pour la ville.

A Paris, en 1514 se constitue la Corporation des sauciers-limonadiers-vinaigriers-distillateurs en eaux-de-vie dont se séparent en 1537 les distillateurs, uniquement occupés de la distillation et de la vente de l’eau-de-vie et de l’esprit de vin. Ils se constituent en corporation en 1637. Leurs statuts portent que des visites pourront être faites dans Paris et dans la banlieue «de toutes distillations d’eau-de-vie et eau forte qui se feront dans la dite ville et qui arriveront dans la dite ville tant par eau que par terre, par marchands forains ou autres, lesquels ne pourront les vendre et exposer en vente que si la visite a été faite». Cette industrie est même réglementée puisque les distillateurs ne pourront travailler que bonne lie et baissière de vin et ne pourront employer «de bière ni de lie de cidre». Ils ne pourront d’autre part faire entrer dans leur composition «poivre, graine de genièvre, gingembre et autres drogues non convenables au corps humain». Car l’eau-de-vie n’était vendue que sous forme de liqueur, c’est-à-dire d’eau-de-vie parfumée avec des plantes aromatiques suivant les recettes indiquées par les chimistes et en particulier par Arnaud de Villeneuve.

L’eau-de-vie n’est donc plus dès le début du XVIe siècle exclusivement un médicament. C’est également dans certaines régions de France une boisson courante et déjà populaire.

Or ce n’est que vers 1622 en Aunis, comme nous l’avons vu et vers 1630 en Saintonge et en Angoumois, que se généralise la distillation du vin. Ce retard assez étrange vient de plusieurs causes. D’abord ces provinces avaient pour leurs vins des débouchés qui leur semblaient ne jamais devoir se fermer. D’un côté elles avaient les provinces du centre de la France et, de l’autre, l’étranger. Depuis quatre ou cinq siècles la majeure partie de leurs vins était exportée dans tous les pays du nord de l’Europe; les bateaux étrangers venaient les chercher soit dans la baie de Bourgneuf, en partie sous le nom de vins du Poitou, soit à La Rochelle dont l’essor commercial s’était constamment accru, soit enfin à Tonnay-Charente. Aucun autre produit ne paraissait susceptible d’être l’objet d’un trafic aussi étendu et aussi avantageux.

De plus l’usage de l’eau-de-vie ne répondait à aucun besoin de la population locale et avoisinante, vivant dans un climat particulièrement doux et où la consommation du vin était depuis longtemps traditionnelle.

Enfin la misère effrayante dans laquelle cette population vécut pendant les guerres de religion où les campagnes, particulièrement en Saintonge, étaient mises à sac aussi bien par les protestants que par les troupes royales envoyées pour écraser l’hérésie, ne lui permettait pas de s’orienter vers une industrie nouvelle et coûteuse, pour obtenir un produit dont l’écoulement était incertain.

Ce qui a poussé les paysans d’Angoumois et de Saintonge à distiller leurs vins, ce fût la détresse dans laquelle les avait jetés la mévente de ces vins chargés de droits excessifs. Lors de la révolte des Croquants en 1636, les paysans d’Angoumois, comprenant, entre autres, les députés de Cognac, Merpins, Jarnac et Châteauneuf, disent avoir été entraînés dans l’émeute par désespoir, succombant sous le faix insupportable des impôts; ils demandent que soit diminué l’impôt sur le vin transporté par la rivière de Charente, attendu que les provinces voisines, d’Aunis et de la Basse-Saintonge «qui vendent à meilleur marché à cause de leur impôt plus toléralbe et qu’ils sont plus près de la mer, fournissent et chargent seuls les estrangers, et par ce moyen les vins des suppliants, où gist toute leur attente pour retirer le coût des futailles et de la culture des vignes, leur demeurent sur les bras, les contrainct de les bailler et vendre à vil prix pour les alambiquer et convertir en vinaigre et eaux-de-vie». La distillation des vins n’est alors pour eux qu’un pis-aller; ils ne la considèrent nullement comme susceptible d’améliorer leur situation. Ils n’y voient aucun avantage pour l’avenir. Ils y voient au contraire un grave inconvénient, celui de «dégarnir tout le pays de bois de chauffage, pour les brûler».

En somme ils trouvent privilégiés les producteurs voisins de la mer, car ceux-ci peuvent continuer à exporter leurs vins, sans avoir à les distiller.

Or en 1698, c’est-à-dire 62 ans plus tard, l’intendant Bernage écrit: «Il se vend très peu de vins aux étrangers qui ne les trouvent pas assez forts pour passer la mer; mais quand les vins blancs d’Angoumois sont convertis en eaux-de-vie, qui est leur destination ordinaire, les flottes anglaises et danoises viennent les chercher en temps de paix aux ports de Charente et il s’en fait une consommation avantageuse à la province».

D’autre part, Masse, parlant de la distillation des vins d’Aunis, dit en 1712 «qu’elle est devenue si commune que le moindre paysan un peu aisé fait brûler son vin, dont les marchands font un grand débit; c’est ce qui a déterminé tout le monde à planter des vignes» et il ajoute: «D’ailleurs le vin que l’on recueille est plus propre pour l’eau-de-vie que pour boire».

Ainsi en l’espace de 60 ans, la distillation des eaux-de-vie s’est, dans les provinces d’Angoumois, Saintonge et Aunis, partout généralisée. Cette généralisation si rapide fut, nous l’avons vu, en grande partie due à des débouchés nouveaux s’offrant d’eux-mêmes grâce aux relations maritimes qui, pendant plus de quatre cents ans, s’étaient constamment développés entre l’Europe du Nord et le littoral charentais pour le commerce du sel et du vin.

A partir de cette époque le commerce des vins et eaux-de-vie de la région de Cognac va lier sa destinée au port maritime de La Rochelle, au port fluvial de Tonnay-Charente ainsi qu’à celui de Rochefort où Colbert venait de fonder un arsenal pour l’armement de la marine royale et qui allait devenir un des grands centres de ravitaillement des colonies nouvellement conquises.

Qui plus est, ce commerce aura bientôt pour objet principal les eaux-de-vie, au détriment du sel de Saintonge, auquel les étrangers préféraient maintenant celui que produisaient à meilleur compte les salines du Portugal, et au détriment du vin qui, chose étrange, ne supportait plus les voyages en mer.

Ce changement qui s’est produit dans le commerce des vins entre 1630 où ils étaient expédiés par quantités considérables à l’étranger et 1698 date à laquelle, suivant Bernage, ils ne supportent plus le voyage en mer, constatation si fréquemment répétée par la suite, a intrigué plusieurs auteurs. En général on attribue ce revirement à ce qu’il y aurait eu à cette époque une modification dans les cépages. Cette hypothèse n’est pas invraisemblable, quand on se souvient des difficultés qu’on éprouva en Bourgogne à combattre les progrès, au détriment du Pinot, du mauvais cépage qu’était le Gaumez, ainsi que des ordonnances royales prescrivant son arrachage et demeurées si longtemps lettres mortes. Nous n’observons, à vrai dire, aucune modification dans les cépages charentais avant le grand hiver de 1709 au cours duquel presque toutes les vignes furent détruites par les gelées . En réalité, à l’étranger, le goût s’était affiné et le public n’acceptait plus les vins détériorés par le voyage dont il se contentait antérieurement. C’est ce qui conduisit les marchands anglais, comme nous le verrons plus loin, à distiller les vins avariés qu’ils recevaient et, plus tard, à importer des eaux-de-vie de la région de Cognac plutôt que des vins.

Cette inaptitude du vin de la Saintonge et de l’Angoumois à supporter les voyages en mer et cette nécessité de le convertir en eau-de-vie, sont, par la suite, constamment confirmées. Le mémoire de 1731 sur l’Etat de l’Angoumois dit: «A l’égard des vins à boire, il n’en descend que très peu, et encore à fort vil prix, à Rochefort. Les cantons du vignoble de Saintonge nouvellement plantés plus près (des ports) y en fournissent du meilleur et à moindre prix de transport. Il n’y a dans l’élection d’Angoulême que quelques petits cantons où il s’en vend à cause de leur bonté, et néanmoins à bon marché ; le reste, hors la provision des propriétaires, se convertit par nécessité absolue en eau-de-vie ».

En 1745 les gentilshommes bouilleurs de cru diront encore que «la plus considérable partie du revenu de ces provinces consiste dans leurs vins, dont la quantité est trop grande pour se consommer dans le pays et dont la qualité ne peut supporter le transport, surtout le passage en mer, en sorte qu’ils sont nécessités de les convertir en eaux-de-vie».

Ce sont autant de témoignages qui montrent qu’à la fin du XVIIe siècle et postérieurement, la transformation du vin en eau-de-vie était dans ces provinces le parti le plus avantageux qu’on pouvait en tirer.

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