Читать книгу Avis au peuple sur sa santé ou traité des maladies les plus fréquentes - S.A.D. Tissot - Страница 11

CHAPITRE II.
Causes qui augmentent les Maladies du Peuple. Attentions générales à avoir.

Оглавление

Table des matières

§. 12. Les causes, que j'ai détaillées dans le premier chapitre, produisent les maladies; & le mauvais régime, que le peuple observe quand il en est attaqué, les rend beaucoup plus facheuses, & beaucoup plus souvent mortelles. Il est imbu d'un préjugé, qui coute toutes les années la vie, dans ce pays, à beaucoup de ceux qui sont attaqués de maladies aigües, & qui n'ont point de Medecin; c'est que toutes les maladies se guérissent par la sueur, & que, pour procurer la sueur, il faut prendre beaucoup de choses chaudes & échauffantes, se tenir dans un endroit très chaud, & être excessivement couvert. Ce sont des erreurs funestes à la population de l'état; & l'on ne peut trop inculquer aux gens de la campagne, qu'en cherchant à se faire suer au commencement de la maladie, ils se tuent. J'ai vu des cas dans lesquels les soins qu'on s'étoit donnés pour forcer cette sueur, avoient procuré la mort du malade, aussi évidemment que si on lui avoit cassé la tête d'un coup de pistolet. La sueur emmene ce qu'il y a de plus liquide dans le sang; elle le laisse plus sec, plus épais, plus inflammatoire; & comme dans toutes les maladies aigües, excepté un très petit nombre qui sont très rares, il est déja trop épais, la sueur augmente évidemment le mal. Bien loin d'ôter l'eau du sang, l'on doit chercher à lui en donner. Il n'y a point de paysan, qui ne dise, quand il a une pleurésie, ou une inflammation de poitrine, que son sang est trop épais, & qu'il ne peut pas circuler. En le voyant dans le vase, il le trouve noir, sec, brulé. Comment le sens commun ne lui dit-il pas, que, bien loin de faire sortir l'eau d'un tel sang par les sueurs, il faut y en ajouter?

§. 13. Mais quand il seroit aussi vrai, qu'il l'est peu, que la sueur est utile au commencement des maladies, les moyens qu'on emploie pour la procurer, n'en seroient pas moins mortels. Ces moyens sont, 1o. d'étouffer le malade par la chaleur de l'air & des couvertures. L'on redouble de soins, pour empêcher qu'il n'entre de l'air, qui, par là même, est bientôt extrêmement corrompu; & l'on procure une telle chaleur, par le poids des couvertures, que ces deux causes seules sont capables de produire, dans un homme sain, la fievre la plus ardente, & une inflammation de poitrine. Plus d'une fois je me suis senti saisi en entrant dans ces chambres, d'une difficulté de respirer, que je dissipois en faisant ouvrir. Les gens instruits devroient se faire un plaisir de faire comprendre au peuple, dans les fréquentes occasions qui s'en présentent, que l'air nous étant plus nécessaire, que l'eau ne l'est au poisson, dès qu'il cesse d'être pur, notre santé souffre nécessairement; & rien ne le corrompt plus promptement, que les vapeurs qui sortent du corps de plusieurs personnes, renfermées dans une petite chambre qu'on n'aire point. Il n'y a qu'à vouloir ouvrir les yeux, pour sentir le danger de cette conduite. Si l'on donne de l'air frais à ces pauvres malades, & qu'on les découvre, on voit sur-le-champ la fievre, l'oppression, l'angoisse, les rêveries, diminuer.

§. 14. 2o. On ne leur donne que des choses chaudes, & surtout de la thériaque, du vin, du faltran ou des vulneraires de suisse (dont la plupart des herbes ou fleurs sont dangereuses dès qu'il y a de la fievre) & du safran, qui est encore plus dangereux. Dans toutes les maladies fievreuses, il faut rafraichir & tenir le ventre libre. Tous ces remedes échauffent & resserrent: l'on peut juger quel mauvais effet ils produisent. Un homme bien portant, tomberoit infailliblement dans une fievre inflammatoire, s'il prenoit la quantité de vin, de thériaque, de faltran, que le paysan prend quelquefois, lorsqu'il est déja attaqué d'une de ces maladies. Comment pourroit-il n'en pas mourir? Aussi il en meurt, & quelquefois avec une promptitude étonnante. Malheureusement, chacun peut en voir autour de soi de terribles & fréquens exemples.

§. 15. L'on me dira peut-être, que souvent les maladies se guerissent par la sueur, & que l'expérience doit guider. Je réponds, que la sueur guerit, il est vrai, quelques maladies dès le commencement, comme ces points qu'on appelle fausses pleurésies, quelques douleurs de rhumatisme, quelques fluxions: mais c'est seulement quand ces maladies dépendent d'une transpiration arrêtée, que la douleur se déclare tout de suite, & que, sur-le-champ, avant que la fievre ait épaissi les humeurs & enflammé quelque partie, on donne quelque boisson chaude, comme du faltran & du miel, qui, en rétablissant la transpiration, enleve la cause du mal[7]. La sueur est aussi utile dans les maladies, quand à force de boire, on en a détruit les causes: elle sert à entraîner avec elle, une partie des humeurs qui causent les maladies, après que les plus grossieres ont passé par les selles & par les urines, & à emmener cette quantité d'eau qu'on avoit été obligé de mettre dans le sang, & qui y est devenue superflue. Il est, à cette époque extrêmement important, de ne pas l'empêcher volontairement ou par imprudence; il y auroit souvent autant de danger à le faire, qu'il y en a à vouloir faire suer dans les commencemens; & cette sueur, si on l'arrête, se rejettant sur quelque partie intérieure produit souvent une nouvelle maladie plus dangereuse que la premiere. Il faut donc être aussi attentif à ne pas arrêter imprudemment la sueur, qui vient naturellement à la fin des maladies, qu'à ne pas l'exciter au commencement: celle-là est presque toujours utile; celle-ci presque toujours dangereuse. D'ailleurs, si elle étoit nécessaire, on s'y prendroit très mal pour la faire venir, puisqu'en échauffant si fort les malades, on allume une fievre prodigieuse; on les met en feu, & la peau reste extrêmement seche. L'eau tiede est le meilleur des sudorifiques. Si les malades suent abondamment & par un effort de la nature seule pendant un ou deux jours, cela leur procure un soulagement de quelques heures: bientôt ces sueurs finissent, on croit alors reconnoître la nécessité de l'exciter de nouveau pour augmenter le soulagement, on réitere les mêmes remedes sans qu'ils rappellent les sueurs. On double les doses, on augmente l'inflammation; le malade meurt dans des angoisses horribles, & avec une inflammation générale. L'on attribue la mort à ce qu'il n'a pas sué assez, pendant qu'elle dépend réellement de ce qu'il a trop sué au commencement, & de ce qu'il a pris des remedes sudorifiques & du vin. Il y a long-tems qu'un habile Medecin Suisse a averti ses compatriotes, que le vin leur étoit mortel dans les fievres. Je le réitere; mais je crains fort que ce ne soit avec aussi peu de succès. Le paysan, qui naturellement n'aime pas le vin rouge, le boit en maladie par préférence; & c'est un grand mal, parceque le vin rouge empêche les selles plus que le vin blanc, n'aide pas autant les urines, & augmente l'épaississement du sang, qui est déja trop considérable.

[7] Alors même, il faut éviter de produire un trop grand mouvement dans le sang, qui empêcheroit plus qu'il n'aideroit la sueur.

§. 16. L'on augmente encore leurs maux, par les alimens qu'on donne trop tôt ou en trop grande quantité, ou de mauvaise nature. La maladie affoiblit nécessairement, & la folle crainte, que l'on a que le malade ne meure de foiblesse, porte à lui donner des alimens, qui, en augmentant sa maladie, le tuent en augmentant ou en redonnant la fievre. Cette crainte que l'on a que ce défaut de nourriture ne donne la mort, est absolument chimerique; jamais cette cause n'a tué aucun fievreux. Ils peuvent être plusieurs semaines à l'eau, & n'en sont que plus forts au bout de ce terme; au lieu qu'en cherchant à les nourrir, bien loin de les fortifier, la nourriture augmente la maladie, & par-là-même le malade est plus foible.

§. 17. Dès qu'il y a de la fievre, l'estomac ne digere plus; tout ce qu'on avale se corrompt, & devient une source de pourriture, qui n'ajoute rien aux forces du malade, mais qui augmente beaucoup celles de la maladie; ainsi, tout ce qu'on prend devient un vrai poison, qui détruit les forces: mille exemples le prouvent. On voit ces pauvres malheureux, qu'on oblige à prendre de la nourriture, perdre leurs forces, & tomber dans l'angoisse & dans les rêveries, à mesure qu'ils avalent.

§. 18. On leur fait du mal, non-seulement par la quantité de la nourriture, mais aussi par sa qualité. On leur fait avaller des bouillons de viande les plus forts, des œufs, des biscuits, & de la viande, s'il leur reste la force de la mâcher. Il faut absolument que les malades succombent sous le poids de ces choses données mal-à-propos. Si l'on donne à un homme sain de la viande corrompue, des œufs pourris, du bouillon gâté, il est attaqué par des accidens violens, comme s'il avoit pris du poison, & c'en est réellement; il a des vomissemens, des angoisses, une diarrhée horrible, de la fievre, du délire, le pourpre. Quand on donne ces alimens en bon état à un fiévreux, la chaleur & les matieres corrompues qui sont déja dans son estomac, les ont bien-tôt pourris, & au bout de quelques heures ils produisent tous les effets dont je viens de parler. Qu'on juge s'ils peuvent convenir.

§. 19. C'est une vérité établie par le plus grand Médecin, il y a plus de deux mille ans, & constatée par ses successeurs, que tant qu'un malade a de mauvais levains dans l'estomac, plus on lui donne d'alimens, plus on l'affoiblit. Ces alimens, gâtés par les matieres infectes qu'ils trouvent, sont incapables de nourrir, & deviennent un nouveau germe de maladie: aussi ceux qui savent observer, remarquent constamment, que quand un fiévreux a pris ce qu'on appelle un bon bouillon, il a plus de fievre, & il est par-là même plus foible. Donner un bouillon à la viande bien frais, à un homme qui a beaucoup de fievre ou des matieres corrompues dans l'estomac, c'est précisément lui rendre le même service que si on lui donnoit deux ou trois heures plûtard un bouillon corrompu.

§. 20. Je dois le dire: ce préjugé mortel, qu'il faut soutenir les malades par de la nourriture, est encore trop répandu parmi les personnes même que leurs talens & leur éducation devroient soustraire à des erreurs aussi grossieres que celles-là. Il seroit bienheureux pour le genre humain, & le terme de ses jours seroit en général bien plus long, si l'on pouvoit lui persuader cette vérité si bien démontrée en médecine; c'est que les seules choses qui puissent fortifier un malade, sont celles qui peuvent affoiblir la maladie. Mais l'opiniâtreté est inconcevable à cet égard; elle est un second fléau attaché à la maladie, & plus fâcheux qu'elle. De vingt malades qui périssent dans les campagnes, il y en a souvent plus des deux tiers qui auroient guéri, si, mis simplement dans un endroit où ils fussent à l'abri des injures de l'air, ils eussent eu de l'eau fraîche en abondance; mais les soins mal entendus dont je viens de parler, n'en laissent réchaper aucun.

§. 21. Ce qu'il y a de plus horrible dans cet acharnement à échauffer, dessecher & nourrir les malades, c'est qu'il est totalement opposé à ce que la nature indique. Le feu, l'ardeur dont ils se plaignent, la sécheresse de la peau, des lévres, de la langue, de la gorge; la rougeur des urines, l'ardeur qu'ils ont pour les choses rafraîchissantes, le plaisir, le bien que leur fait l'air frais, sont des signes qui nous crient à haute voix, que nous devons les rafraîchir par toutes sortes de moyens. Leur langue sale, qui prouve que l'estomac est dans le même état, leur dégoût, leur envie de vomir, leur horreur pour les alimens, & surtout pour la viande, la puanteur de leur haleine, celle des vents qu'ils rendent par haut & par bas, souvent celle de leurs selles, prouvent que tout leur intérieur est plein de matieres corrompues, qui corromproient tous les alimens qu'on y mettroit; & que tout ce qu'il y a à faire, c'est de délayer ces matieres par des torrens de boissons rafraîchissantes, qui les disposent à être évacuées aisément. Je le redis, & je souhaite qu'on y fasse attention, tant qu'on a un goût d'amertume ou de pourriture, qu'on a du dégoût, ou que l'haleine est mauvaise, qu'on a de la chaleur & de la fievre, que les selles sont puantes & les urines rouges, la viande, le bouillon à la viande, les œufs, tout ce dans quoi l'une ou l'autre de ces choses entrent, la thériaque, le vin pur, toutes les choses chaudes, sont de vrais poisons.

§. 22. Je paroîtrai peut-être outré au public, & à quelques Médecins; mais les Médecins éclairés, les vrais Médecins, ceux qui observent les effets de chaque chose, trouveront au contraire que bien loin d'outrer, j'expose foiblement leur sentiment, qui est celui de tous les bons Médecins depuis plus de deux mille ans; celui que la raison approuve, & que l'expérience confirme tous les jours. Les erreurs que je viens de combattre coûtent des millions d'hommes à l'Europe.

§. 23. Il ne faut pas omettre que, lors même que le malade a le bonheur de ne pas mourir, malgré tout ce qu'il a fait pour cela, le mal n'est pas fini, & les effets des alimens & des remedes échauffans sont de lui laisser le germe de quelque maladie de langueur, qui, se fortifiant peu à peu, éclate au bout de quelque tems, & lui fait acheter, par de longues souffrances, la mort qu'il desire.

§. 24. Je dois encore montrer le danger d'une autre pratique; c'est de purger un malade, ou de lui donner l'émétique dès les commencemens de la maladie. L'on fait par-là des maux infinis. Il y a des cas dans lesquels les évacuans, au commencement du mal, conviennent; ils seront indiqués dans d'autres chapitres: mais tant qu'on ne les connoît pas, il faut établir comme une regle générale, que ces remedes sont nuisibles; ce qui est vrai le plus souvent, & toujours quand les maladies sont inflammatoires.

§. 25. L'on espere, par leurs secours d'enlever les embarras de l'estomac, la cause des envies de vomir, de la mauvaise bouche, de la soif, du mal-aise, & de diminuer le levain de la fievre. L'on se trompe le plus souvent; parceque les causes de ces accidens ne sont point ordinairement de nature à céder à ces évacuations. La tenacité des ordures qui sont sur la langue, doit nous faire juger de celles qui tapissent l'estomac & les intestins. L'on a beau la laver, la gargariser, la racler; tout est inutile: ce n'est qu'après avoir fait boire le malade pendant plusieurs jours, & avoir diminué la chaleur, la fievre, & la viscosité des humeurs, qu'on peut enlever ce sédiment, qui se détache même peu à peu de lui-même; le mauvais goût se dissipe, la langue redevient belle, la soif cesse. L'histoire de l'estomac, est la même que celle de la langue; aucun secours ne peut le nettoyer dans les commencemens. En donnant beaucoup de remedes délayans & rafraichissans, il se nettoie lui-même; & les envies de vomir, les rapports, l'inquiétude passent naturellement & sans purgatif.

§. 26. Non-seulement on ne fait point de bien par ces remedes, mais on fait un mal très considérable, en appliquant des remedes acres & irritans, qui augmentent la douleur & l'inflammation; qui attirent les humeurs sur ces parties, où il y en a déja trop; qui n'évacuent point la cause de la maladie, parcequ'elle n'est pas prête à être évacuée, qu'elle n'est pas mûre; mais qui évacuent ce qu'il y a de plus liquide dans le sang qui par-là même reste plus épais; qui évacuent la partie utile, & laissent la nuisible.

§. 27. L'émétique, surtout donné dans une maladie inflammatoire, & même inconsidérément dans toutes les maladies aigües, avant que d'avoir diminué les humeurs par la saignée, & les avoir délayées par d'abondantes boissons, produit les plus grands maux; les inflammations de l'estomac, des poulmons, du foie; les suffocations, les phrénésies. Les purgatifs occasionnent quelquefois une inflammation générale des boyaux, qui conduit à la mort. Il n'y a point de ces cas dont l'étourderie, l'imprudence & l'ignorance ne m'aient fait voir quelques exemples. L'effet de ces remedes, dans ces circonstances, est le même que celui du sel & du poivre, qu'on mettroit sur une langue séche, enflammée & sale, pour l'humecter & la nettoyer.

§. 28. Il n'y a personne qui, avec du bon sens, ne soit en état de sentir la vérité de tout ce que j'ai dit dans ce chapitre; & il y auroit de la prudence, pour ceux mêmes qui ne sentiroient pas la solidité de ces avis, à ne pas les braver, & à ne pas les heurter trop hardiment. Il s'agit d'un objet important; & dans une matiere qui leur est étrangere, ils doivent, sans doute, quelque déférence aux avis des gens qui en ont fait l'étude de toute leur vie. Ce n'est pas moi que je veux qu'on écoute, ce sont les plus grands Médecins, dont je ne suis dans ce cas que le foible organe. Quel intérêt avons-nous tous à défendre aux malades de manger, de s'étouffer, & de boire des choses chaudes qui enflamment leur fievre? Quel avantage peut-il nous en revenir, de nous opposer au fatal torrent qui les entraîne? Quelle raison peut persuader que des milliers de gens, pleins de génie, de savoir, d'expérience, qui passent leur vie au milieu des malades, uniquement occupés à les soigner & à observer tout ce qui leur arrive, se font illusion & se trompent sur l'effet des alimens, du régime, des remedes? Peut-il entrer dans des têtes sensées, qu'une garde qui conseille un bouillon, un œuf, un biscuit, mérite plus d'être crue, qu'un Médecin qui les défend? Il n'y a rien de plus désagréable pour celui-ci, que d'être obligé de disputer continuellement pour ces miseres, & de craindre toujours que des soins mortellement officieux ne détruisent, par des alimens qui augmentent toutes les causes du mal, l'effet de tous les remedes qu'il emploie pour les combattre, & n'enveniment la plaie à mesure qu'il la panse. Plus on aime un malade, plus on veut le faire manger; c'est l'assassiner par tendresse.

Avis au peuple sur sa santé ou traité des maladies les plus fréquentes

Подняться наверх