Читать книгу Avis au peuple sur sa santé ou traité des maladies les plus fréquentes - S.A.D. Tissot - Страница 8

INTRODUCTION.

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Table des matières

La diminution du nombre des habitans dans la plûpart des Etats de l'Europe, est une vérité de fait, qui frappe tout le monde, dont on se plaint par-tout, & que les dénombremens démontrent. Cette dépopulation se remarque principalement dans les campagnes. Elle a plusieurs causes; je me croirois heureux, si je pouvois contribuer à remédier à une des principales, qui est la mauvaise méthode employée dans les campagnes pour traiter les malades; c'est-là mon unique objet: mais l'on me permettra d'indiquer les autres causes concourantes. On peut les réduire à deux classes générales. Il sort plus de monde des campagnes qu'autrefois, & l'on peuple moins par-tout.

Il y a plusieurs especes d'émigration: l'on sort pour se mettre dans les troupes de terre & de mer, ou pour prendre différens états hors de son pays; on se fait domestique, commerçant, &c.

Le service, tant de terre que de mer, nuit à la population, de plusieurs façons. Premierement il ne rentre pas autant d'hommes qu'il en sort; les combats, les dangers & les fatigues de la guerre, les affaires particulieres, les mauvaises nourritures, les excès dans le boire & le manger, la débauche & les maladies qui en sont les suites, le mal du pays; les maladies épidémiques pestilentielles ou contagieuses, causées par l'air pernicieux de Flandres, de Hollande, d'Italie, de Hongrie, les longues croisieres, les voyages aux Indes Orientales & Occidentales, en Guinée, &c. en emportent un grand nombre. La désertion d'ailleurs, dont ils craignent les suites en rentrant chez eux, en oblige plusieurs à s'expatrier pour toujours. D'autres, au sortir du service, embrassent des établissemens, dont le service leur a fourni l'occasion, & qui les éloignent de tout retour. En second lieu, en supposant même qu'ils revinssent tous, le pays souffriroit également de leur absence, parcequ'ils sont absens dans le tems de la plus grande aptitude à la population; parceque, quand ils reviennent, ils ont perdu cette aptitude par l'âge, les infirmités, les débauches; parceque souvent, s'ils se marient, leurs enfans, victimes des déréglemens paternels, sont foibles, languissans, maladifs, meurent jeunes, ou vivent incapables d'être utiles à la société; enfin, parceque le goût du libertinage qu'ils ont contracté en empêche plusieurs de se marier. Mais quoique ces inconveniens soient réels & très connus, cependant, comme le nombre de ceux qui peuvent sortir de cette façon est borné, qu'il est même peu considérable, relativement au nombre des habitans que le pays devroit avoir, que cette expatriation a peut-être été nécessaire dans un tems, & pourroit le redevenir si les autres causes de dépeuplement finissoient, c'est, sans doute, la moins fâcheuse, & la derniere qui demandera quelque considération.

L'expatriation, qui a pour objet le changement d'état, est encore plus considérable ou plus nombreuse; elle a ses inconvéniens particuliers qui sont en grand nombre, & malheureusement c'est une épidémie, dont les ravages vont en croissant; par une raison simple: c'est que le succès d'un seul en détermine cent à aller courir les mêmes hazards, & que peut-être quatre-vingt-dix-huit échoueront. L'on est frappé du bien, l'on ignore le mal. Je suppose qu'il soit parti, il y a dix ans, cent personnes pour aller ce qu'on appelle chercher fortune; au bout de six mois ils étoient tous oubliés, excepté de leurs parents: qu'il en soit revenu un cette année avec quelques biens au-dessus de son patrimoine, ou qu'il y en ait un qui ait une place où il y ait peu à travailler, tout le pays en est instruit, & s'en occupe; une foule de jeunes gens sont séduits & partent, parceque personne ne pense que des quatre-vingt-dix-neuf, qui étoient partis avec lui, la moitié a péri; une partie est misérable, & le reste est de retour, sans avoir gagné autre chose que l'incapacité de s'occuper utilement dans son pays & dans sa premiere vocation: & ayant privé le pays d'un grand nombre de cultivateurs, qui, en faisant valoir les terres, y auroient attiré beaucoup d'argent & l'aisance. Le petit nombre qui réussit est publié; la foule qui échoue reste dans un profond oubli. Le mal est très grand & très réel. Quel pourroit en être le remede? Il suffiroit peut-être de faire connoître le danger, & le moyen est aisé: il n'y auroit qu'à tenir annuellement un registre exact de ceux qui sortent, & au bout de six, huit, dix ans, en publier la liste avec le succès de leur voyage. Je suis trompé, ou, au bout d'un certain nombre d'années, l'on ne verroit pas autant de gens quitter leur lieu natal, dans lequel ils peuvent vivre heureux en travaillant, pour aller dans les pays étrangers chercher des établissemens, dont les listes que je propose leur démontreroient l'incertitude, & combien l'état qu'ils auroient eu dans leur patrie est préférable à celui qu'ils ont eu. L'on ne partiroit qu'avec des avantages presque sûrs; il sortiroit beaucoup moins de gens; trouvant moins de concurrens, ils réussiroient mieux; trouvant moins de leurs compatriotes hors de chez eux, ils y reviendroient plus souvent; par-là même il resteroit plus d'habitans au pays, il en rentreroit davantage, & ils y rapporteroient plus d'argent. Le pays seroit plus peuplé, plus riche & plus heureux, parceque le bonheur d'un peuple, qui vit sur un sol fertile, dépend beaucoup de la population, & un peu des richesses pécuniaires.

Non-seulement l'on sort beaucoup du pays, & par-là même il y a moins de gens pour le peupler; mais ceux qui y restent, peuplent, à nombre égal, moins qu'autrefois; ou, ce qui revient au même, parmi le même nombre de personnes, il y a moins de mariages; & le même nombre de mariages fournit moins de baptêmes. Je n'entre point dans le détail des preuves; il ne faut que regarder autour de soi pour en être convaincu. Quelles en sont les causes? Il y en a deux principales; le luxe & la débauche, qui nuisent à la population par plusieurs endroits.

Le luxe oblige le riche qui veut figurer, & l'homme à revenus médiocres, mais son égal au moins à tout autre égard, & qui veut l'imiter, à craindre une nombreuse famille, dont l'éducation consumeroit des revenus consacrés aux dépenses d'apparat; & d'ailleurs s'il falloit partager son bien entre plusieurs enfans, ils en auroient tous très peu, & seroient hors d'état de soutenir le train des peres. Quand le mérite est apprécié par la dépense extérieure, l'on doit nécessairement tâcher de se mettre, & de laisser ses enfans, dans une situation propre à soutenir cette dépense. De-là peu de mariages quand on n'est pas riche; peu d'enfans quand on est marié.

Le luxe nuit d'une autre façon. La vie déréglée qu'il a introduite, affoiblit la santé, ruine le tempérament, & la propagation s'en ressent nécessairement. La génération qui passe, compte des familles de plus de vingt enfans; celle qui vit, ne compte pas vingt germains: malheureusement ce raisonnement contraire à la population, se fait jusques dans les villages; & on n'y est plus convaincu, que le nombre des enfans fait la richesse du cultivateur, celle qui vient ne connoîtra plus les freres.

Un troisieme inconvénient du luxe; c'est que le riche se retire des campagnes pour vivre en ville, & qu'il augmente son domestique, en le tirant de la campagne; cette augmentation de domestiques est préjudiciable aux campagnes qu'elle prive de cultivateurs, & à la population: ces domestiques n'étant pas à l'ordinaire, occupés suffisamment, ils prennent le goût de la vie oisive; ils deviennent incapables de reprendre le labeur de la campagne, pour lequel ils étoient nés; étant privés de cette ressource, ils ne se marient pas, soit parcequ'ils craignent d'avoir des enfans, soit par libertinage, & parceque beaucoup de maîtres ne veulent pas de gens mariés; ou ils se marient tard, ainsi il nait moins de citoyens.

L'oisiveté les affoiblit par elle-même, & les conduit à la débauche, qui les affoiblit encore davantage; ils n'auront jamais que peu d'enfans mal sains, qui ne seront point en état de fournir des bras aux terres; ou qui, élevés dans les villes, ne voudront pas aller à la campagne.

Ceux qui se conduisent le plus sagement, qui conservent des mœurs, qui font quelques épargnes, accoutumés à la vie de la ville, & craignant la peine de celle des champs, dont ils ignorent d'ailleurs la conduite, veulent devenir petits marchands ou artisans, & c'est une perte pour le peuplement, parcequ'un nombre de laboureurs crée plus d'enfans qu'un nombre égal de citadins, & que, sur un nombre donné, il meurt plus d'enfans à la ville qu'à la campagne.

Les mêmes maux ont lieu pour les domestiques du sexe. Après dix ou douze ans de service, les servantes de la ville ne peuvent pas redevenir de bonnes campagnardes; & celles qui embrassent cet état, succombent bientôt à ce travail, pour lequel elles ne sont plus faites. Si l'on revoit une femme mariée à la campagne, un an après qu'elle a quitté la ville, il est aisé de remarquer combien ce genre de vie l'a vieillie; souvent la premiere couche, dans laquelle elles n'ont pas tous les soins que leur délicatesse exigeroit, est l'écueil de leur santé; elles restent dans un état de langueur, de foiblesse, de dépérissement; elles n'ont plus d'enfans; elles deviennent, & elles rendent leurs maris des membres inutiles à l'augmentation du peuple.

Les avortemens, les enfans dépaysés après une grossesse cachée, l'impossibilité de trouver des épouseurs, sont souvent les effets de leur libertinage.

Il est à craindre que ces maux n'aillent en croissant depuis que, manque de sujets, ou par des vues d'œconomie, on commence à prendre pour domestiques des enfans, dont les mœurs & le tempérament ne sont point formés, & se ruinent d'un pas égal par le séjour de la ville, la fainéantise, le mauvais exemple & les mauvaises compagnies.

Il resteroit, sans doute, bien des choses à dire sur ces importans objets; mais outre que je ne veux point trop allonger cet ouvrage, & que beaucoup d'autres occupations ne me laissent point de tems pour tout ce qui n'est pas Médecine, je craindrois de sortir de mon sujet: tout ce que j'ai dit jusqu'à présent en fait partie, puisqu'en donnant au peuple des avis sur sa santé, il falloit lui indiquer les causes qui la corrompent; mais ce que je pourrois dire de plus, paroîtroit peut-être étranger.

Je n'ajoute qu'un mot. Ne pourroit-on pas, pour remédier à des maux qu'il est impossible de prévenir, choisir quelque canton du pays, dans lequel on chercheroit, par des récompenses, 1o. à arrêter tous ses habitans; 2o. à les encourager par d'autres récompenses, à une population plus abondante. Ils n'en sortiroient point; ainsi ils n'iroient pas s'exposer à tous les maux dont j'ai parlé; on ne s'y marieroit point à des étrangers qui pourroient y apporter le désordre; ainsi vraisemblablement ce quartier, au bout d'un certain tems, seroit trop peuplé, & pourroit fournir des colonies pour les autres.

Une cause plus puissante que celles que l'on a rapportées, a produit jusqu'à ce moment en France, la dépopulation; c'est la décadence de l'agriculture, les habitans de la campagne fuyant la milice: les corvées, les impôts, & attirés à la ville par l'intérêt, la paresse & le libertinage, ont laissé les campagnes presque désertes. Ceux qui y sont restés, n'étant point encouragés au travail, ou ne suffisant pas pour ce qu'il y a à faire, se sont contentés de cultiver ce qu'il leur falloit absolument pour subsister; ils ont gardé le célibat, ou se sont mariés tard; ou, à l'exemple des habitans des villes, ils ont refusé à l'Etat, à leur femme, à la nature, ce qu'ils leur devoient. La terre privée de cultivateurs par cette expatriation & cette inaction, n'a point rapporté, & la dépopulation des campagnes a augmenté tous les jours, parceque la mesure de la subsistance est celle de la population, & que l'agriculture peut seule multiplier les subsistances. Une seule comparaison fera sentir l'importance & la vérité de ces principes, à ceux qui n'en ont pas vu le développement & la démonstration dans les ouvrages de l'ami des hommes. «Un ancien Romain, toujours prêt à retourner labourer son champ, vivoit lui & sa famille d'un arpent de terre: un sauvage qui ne seme ni ne laboure, consume seul le gibier que cinquante arpens de terre peuvent nourrir; conséquemment Tullus Hostilius avec mille arpens de terre, pouvoit avoir cinq mille sujets; tandis qu'un chef de Sauvage, borné au même territoire, auroit à peine vingt hommes: telle est la disproportion immense que l'agriculture peut établir dans la population; c'en sont ici les deux extrémités. Un Etat se dépeuple en proportion de ce qu'il s'éloigne de l'une & se rapproche de l'autre.» On voit évidemment, que s'il y a quelque part augmentation de subsistances, il y aura bientôt augmentation de population, qui, à son tour, facilitera encore l'augmentation de la subsistance. Dans un tel pays, il y aura abondance d'hommes, qui, après avoir fourni le nombre nécessaire au service des armes, au commerce, à la Religion, aux arts, & aux professions de toute espece, &c. donnera encore des colonies qui iront porter au loin le nom & le bonheur de leur Nation: il y aura abondance de choses, dont le supperflu sera transporté chez l'étranger, pour en avoir d'autres que le pays ne fournit point; & l'excédent de l'échange, donné en argent, rendra la Nation riche, & par-là redoutable à ses voisins & heureuse. L'agriculture en vigueur peut produire tant d'avantages, & ce siecle aura la gloire de l'avoir renouvellée en favorisant les Agriculteurs, en les encourageant, & en établissant les sociétés d'agriculture.

Je passe enfin à la quatrieme cause de dépopulation; c'est la façon dont le peuple est conduit dans les campagnes quand il est malade. J'en ai été pénétré de douleur plusieurs fois. J'ai été témoin, que des maladies qui auroient été très legeres, devenoient mortelles par le traitement: & je suis convaincu, que cette cause fait seule autant de ravages que les précédentes; elle mérite bien, sans doute, toute l'attention des Médecins, dont la vocation est de travailler à la conservation de l'humanité. Pendant que nous donnons nos soins à sa partie la plus brillante dans les villes, sa moitié la plus nombreuse & la plus utile périt misérablement dans les campagnes, ou par des maux particuliers, ou par des épidémies générales, qui, depuis quelques années, paroissent dans différens villages, & y font des ravages considérables. Cette réflexion affligeante m'a déterminé à donner ce petit Ouvrage, qui est uniquement destiné pour ceux que leur éloignement des Médecins met dans le cas d'être privés de leurs secours. Je ne détaillerai point ici mon plan, qui est fort simple; je me contente de dire, que j'ai donné tous mes soins à le rendre le plus utile qu'il m'a été possible; & j'ose espérer que, si je n'ai pas montré tout le bien qu'on peut faire, au moins j'ai fait connoître les traitemens pernicieux qu'il faut éviter. Je suis intimement convaincu qu'on peut faire mieux que moi; mais ceux qui seroient en état, ne l'entreprennent pas: j'ai plus de courage, & j'espere que les gens qui pensent, me sauront quelque gré d'avoir donné un Ouvrage, dont la composition est rebutante par sa facilité même, par les détails minutieux qu'il exige, par la nécessité de ne dire que les choses les plus connues, & par l'impossibilité d'y traiter aucune matiere à fond, ou d'y développer aucune vue nouvelle & utile; c'est le travail d'un Pasteur, qui écriroit un catéchisme pour de petits enfans.

Je n'ignore pas cependant, que l'on a déja quelques ouvrages destinés pour les malades de la campagne, qui sont privés de secours; mais les uns, quoique faits dans un bon but, produisent un mauvais effet: de cette espece sont tous les recueils de remedes, sans description de maladie, & par-là même sans aucune regle sûre pour l'application; tels, par exemple, que le fameux recueil de Madame Fouquet, & quelques autres dans le même goût. Les autres se rapprochent du plan du mien; mais plusieurs ont embrassé trop de maladies, & par-là même sont devenus trop volumineux; d'autres ont été trop courts sur chaque article: d'ailleurs ils n'ont point insisté assez sur les causes des maladies, sur le régime général, les mauvais traitemens & les signes des maladies; leurs recettes ne sont point généralement aussi simples & aussi aisées à préparer qu'elles doivent l'être; enfin ils paroissent la plûpart s'être ennuyés de cet ouvrage vraiment triste, & l'avoir expédié trop promptement. Il n'y en a que deux, que je dois nommer avec respect, & qui, s'étant proposé un plan fort semblable au mien, l'ont rempli avec une supériorité qui mérite toute la reconnoissance du public. L'un est M. Rosen, premier Médecin du Royaume de Suede, qui, depuis quelques années, s'est servi de son crédit pour faire le plus grand bien aux peuples. Il a fait retrancher dans les almanachs, ces contes ridicules, ces avantures extraordinaires, ces conseils d'astrologie pernicieux, qui, en Suede, comme ici, ne servent qu'à entretenir l'ignorance, la crédulité, la superstition, & les préjugés les plus faux sur la santé, les maladies & les remedes; & il a pris la peine de composer sur les maladies populaires des traités simples, qu'il a substitués à ces tas de sottises: mais ces petits ouvrages, qui paroissent annuellement dans chaque almanach, n'ont point encore été traduits du Suedois, & par-là même, je n'ai pu en tirer aucun parti. L'autre est M. le Baron de Swieten, premier Médecin de Leurs Majestés Impériales, qui a bien voulu se donner les soins de faire, il y a deux ans, pour les armées, ce que je fais aujourd'hui pour les campagnes. Quoique mon ouvrage fût en grande partie composé quand le sien m'est parvenu, j'en ai pris différens morceaux; & si nos vues eussent été précisément les mêmes, j'aurois cru rendre un plus grand service en cherchant à répandre son livre, qu'en en publiant un nouveau; mais comme il n'a rien dit sur plusieurs articles que je traite fort au long, qu'il a traité de plusieurs maladies qui n'entrent pas dans mon plan; qu'il ne dit rien de quelques autres, dont je suis obligé de traiter: nos deux ouvrages, sans parler de la supériorité du sien, sont très différens relativement au fond des maladies; mais dans les maladies que nous examinons l'un & l'autre, je me fais une gloire d'être presque toujours dans ses principes.

Cet Ouvrage n'est point fait pour les vrais Médecins; mais peut être, outre mes amis, quelques-uns le liront. Je leur demande une grace, c'est de vouloir bien entrer dans l'esprit de l'Auteur, & ne point le juger comme Médecin d'après ce livre: je les avertis même ici, qu'ils feront mieux d'en quitter la lecture, qui ne doit rien leur apprendre. Ceux qui lisent pour critiquer, trouveront un plus vaste champ dans les autres brochures que j'ai publiées. Il n'est pas juste qu'un Ouvrage, qui n'a de but que l'utilité de mes compatriottes, me procure du désagrément: l'on doit être exempt de la critique, quand on a eu le courage d'entreprendre un travail qui ne peut mériter aucun éloge.

Après ces généralités, je dois entrer dans quelques détails sur les moyens qui me paroissent les plus propres à faciliter les bons effets que j'espere de mes soins. Je donnerai ensuite l'explication de quelques termes dont j'ai été obligé de me servir, & qui ne sont peut-être pas généralement connus.

Le titre d'avis au peuple, n'est point l'effet d'une illusion qui me persuade que ce livre va devenir une piece de ménage dans la maison de chaque paysan. Les dix-neuf vingtiemes ne sauront, sans doute, jamais qu'il existe; plusieurs ne sauroient pas le lire; un plus grand nombre, quelque simple qu'il soit, ne le comprendroit pas: mais je le destine aux personnes intelligentes & charitables qui vivent dans les campagnes, & qui, par une espece de vocation de la Providence, sont appellées à aider de leurs conseils tout le peuple qui les environne.

L'on sent aisément que j'ai en vue premierement, Messieurs les Curés: il n'y a point de village, de hameau, de maison foraine dans tout le pays, qui n'ait droit à la bienfaisance d'un d'entr'eux; & je sais qu'il en est un grand nombre, qui, touchés du triste sort de leurs ouailles malades, & effrayés des horreurs de leur situation, ont desiré cent fois d'être à même de pouvoir leur donner des soins pour le corps, dans le tems même qu'ils les disposent à se préparer à la mort, ou à tirer parti de la maladie, pour vivre dans la suite plus saintement. Je me féliciterai si ces Ecclésiastiques respectables trouvent ici quelques secours, qui puissent leur aider à satisfaire leurs intentions bienfaisantes. Le respect, l'amour de leur troupeau, leur vocation à de fréquentes visites dans les maisons, le devoir qui leur est imposé de détruire les préjugés fâcheux & la superstition, leur charité, leurs lumieres, la facilité que leurs connoissances physiques leur donnent à saisir toutes les vérités de ce petit Ouvrage, sont autant de raisons qui me persuadent qu'ils auront toute l'influence possible sur la réforme qu'il est à souhaiter de faire dans la Médecine du peuple.

J'ose en second lieu, compter sur les Seigneurs de Paroisse, dont les conseils, extrêmement respectés par leurs paroissiens, sont si propres à décréditer une mauvaise méthode, & à en accréditer une nouvelle, dont ils saisiront aisément tous les avantages. Les fréquents exemples que j'ai vu de la facilité avec laquelle ils entroient dans le plan d'un Curé, l'empressement qu'ils ont à faire soulager les malades de leurs villages, la générosité avec laquelle ils pourvoient à leurs besoins, me font espérer, en jugeant de ceux que je ne connois point, par ceux que je connois, qu'ils saisiront avec empressement un nouveau moyen de faire du bien dans leur voisinage. La vraie charité sent, que, manque de lumieres, elle peut nuire, & cette crainte la tient en suspens; mais elle saisit avidemment toutes les lueurs qui peuvent la diriger.

En troisieme lieu, les personnes riches ou au moins aisées, que leur goût, leurs emplois, ou la nature de leurs fonds fixent à la campagne, où elles se réjouissent en faisant du bien, seront charmées d'avoir quelques directions dans l'emploi de leurs soins charitables.

Dans tous les villages où il y a quelques membres des trois classes que je viens d'indiquer, ils sont presque toujours informés très promptement des maladies du lieu, parcequ'on s'adresse à eux pour du bouillon, de la thériaque, du vin, des biscuits, en un mot pour tout ce dont on croit que les malades ont besoin. A l'aide de quelques questions aux assistans, ou d'une visite au malade, ils jugeront au moins du genre de la maladie; & par une sage direction, ils préviendront une foule de malheurs. Ils donneront du nitre, au lieu de thériaque; de l'orge ou du petit lait, au lieu de bouillon; ils ordonneront des lavemens ou des bains de pied, au lieu de vin; & des grus à l'eau, au lieu de biscuits. L'on ne croira qu'au bout de quelques années le bien qui peut résulter de ces attentions si aisées & souvent répétées. L'on aura d'abord un peu de peine à changer une vieille habitude; mais quand elle sera détruite, la bonne s'enracinera tout aussi fortement, & j'espere que personne ne fera d'efforts pour la détruire.

Il est inutile de dire que je fonde plus d'espérance sur les soins des dames, que sur ceux de leurs époux, de leurs peres, ou de leurs freres: une charité plus active; une patience plus soutenue; une vie moins ambulante; une sagacité que j'ai admirée chez plusieurs à la ville & à la campagne, & qui fait qu'elles observent avec une grande exactitude, & qu'elles démêlent les causes cachées des symptomes, avec une facilité qui feroit honneur aux meilleurs Praticiens; enfin un don marqué pour s'attirer la confiance du malade, sont autant de caracteres, qui établissent leur vocation; & il y en a un grand nombre, qui la remplissent avec un zele digne des plus grands éloges, & qui devroient servir de modeles.

Les Maîtres d'école doivent encore être tous supposés avoir un degré d'intelligence suffisant, pour tirer parti de cet ouvrage; & je suis persuadé qu'ils pourroient faire un très grand bien. Je voudrois que, non seulement ils cherchassent à connoître la maladie, c'est la seule chose un peu difficile, & je crois l'avoir applanie autant qu'on le peut; mais encore qu'ils apprissent à appliquer les remedes. Un très grand nombre rasent: j'en ai vu qui saignoient, & qui donnoient des lavemens avec beaucoup d'adresse; tous apprendroient aisément à le faire, & il ne seroit peut-être pas hors de place d'introduire l'usage d'exiger, dans leurs examens, qu'ils sussent saigner. Ces talens, celui de juger du degré de la fievre, d'appliquer les vésicatoires & de les panser, seroient du plus grand usage dans les lieux où ils demeurent. Leurs écoles, souvent peu nombreuses, ne les occupent qu'un petit nombre d'heures par jour, la plûpart n'ont point de domaines à cultiver; quel meilleur usage pourroient-ils faire de leur loisir, que de l'employer au soulagement des malades? Leurs opérations pourroient être taxées à un prix assez modique, pour n'incommoder personne; & ce petit revenant bon rendroit leur situation encore plus douce: outre que cette distraction les préserveroit d'être entraînés quelquefois, par facilité & par désœuvrement, à prendre le goût de la boisson. Il y auroit encore un avantage à les accoutumer à cette espece de pratique, c'est que, soignant les malades, & ayant l'habitude d'écrire, ils seroient à même, dans les cas graves, de consulter ceux dont on croiroit avoir besoin.

Je ne doute point que parmi les laboureurs mêmes, il ne s'en trouve plusieurs tels que j'en connois, qui, remplis de sens, de jugement, & de bonne volonté, liront avec plaisir ce livre, le saisiront & en répandront avec empressement les maximes.

Enfin, j'espere que plusieurs Chirurgiens, répandus dans les campagnes, & qui exercent la Médecine dans leur voisinage, voudront le lire, entreront dans les principes que j'y établis, & en adopteront les conseils, quoiqu'un peu différens peut-être de ceux qu'ils ont suivis jusqu'à présent. Ils sentiront qu'on peut apprendre à tout âge, & de tout le monde; & ils ne se feront pas de peine de réformer quelques-unes de leurs idées, dans une science, qui, proprement, n'est pas la leur, & à l'étude de laquelle ils ne se sont jamais livrés, sur celles d'un homme qui s'en est uniquement occupé, & qui a eu plusieurs secours qui leur manquent.

Les sages-femmes pourront aussi rendre leurs soins plus efficaces, dès qu'elles voudront bien s'éclairer. Il seroit à souhaiter que généralement elles le fussent davantage, sur l'art même qu'elles exercent: les exemples de maux qu'on auroit évités avec plus d'habileté, sont assez fréquens pour faire desirer qu'on pût les prévenir; & cela ne seroit pas impossible: rien ne l'est, quand ceux qui ont l'autorité, veulent fortement; mais il faudroit qu'ils fussent instruits du mal, & il est très pressant.

J'ai donné les recettes des remedes les plus simples, & j'ai indiqué la façon de les préparer, avec assez de détail pour espérer que personne ne sera embarrassé à cet égard; mais qu'on ne croie point que cette simplicité nuit à l'utilité, & qu'ils sont moins efficaces: je déclare que ce sont les mêmes dont je me sers dans la ville, pour les malades les plus opulens. Cette simplicité est fondée en nature: le mêlange d'un grand nombre de drogues est ridicule. Si elles ont les mêmes vertus, pourquoi les mêler? Il vaut bien mieux se borner à celle qui est la plus efficace. Si elles ont des vertus différentes, l'effet de l'une détruit l'effet de l'autre, & le remede devient inutile.

Je n'ai donné aucun conseil, dont l'exécution ne fût aisée & très pratiquable. L'on trouvera cependant, que quelques-uns sont peu faits pour le gros du peuple, & je n'en disconviens pas; mais je les ai mis, parceque je n'ai point perdu de vue les personnes, qui, sans être peuple, vivent à la campagne, & qui ne peuvent pas toujours se procurer un Médecin, aussi-tot, aussi souvent, ou aussi long-tems qu'elles le voudroient.

Un grand nombre des remedes se tire uniquement de la campagne, & peut s'y préparer; mais il y en a cependant qui doivent se prendre chez les Apoticaires. J'ai marqué les prix auxquels je suis persuadé que tous les Apoticaires du pays les donneront au paysan peu riche; &, en les marquant, je ne l'ai point fait pour éviter qu'on ne les lui fît payer trop cher; je n'avois point cette crainte, mais pour que, voyant la modicité du prix, il ne craignît point d'aller à l'emplette. Il aura presque toujours la dose de remede nécessaire à chaque maladie, pour moins d'argent qu'il n'en mettoit à acheter de la viande, du vin, des biscuits, & d'autres choses qui le tuoient. Si le prix des remedes, tout modique qu'il est, excédoit ses facultés, sans doute les bourses des communes & des pauvres y suppléeroient; enfin il y a dans beaucoup de pays des maisons de Seigneurs, de particuliers qui font annuellement une certaine dépense charitable en remedes; sans l'augmenter, je ne leur demanderai que d'en changer l'objet, & de vouloir bien distribuer les remedes indiqués ici, au lieu de ceux qu'ils distribuoient auparavant.

L'on objectera encore, que la plûpart des campagnes sont très éloignées des villes, & que le paysan n'est pas à portée, par-là même, de se procurer d'abord ce dont il a besoin. Je réponds, qu'il y a effectivement plusieurs villages très éloignés des villes où il y a des Apoticaires; mais si l'on en excepte certains endroits des montagnes, il y en a peu qui soient à plus de trois ou quatre lieues de quelque petite ville, où il se trouve toujours quelque Chirurgien, ou quelque Marchand qui vend des drogues. Ce n'a peut-être pas été, jusques à présent, celles que j'indique; mais ils s'en fourniront dès qu'ils pourront en espérer le débit; & ce sera pour eux une nouvelle branche de commerce. J'ai eu soin d'indiquer le tems que chaque remede pouvoit se garder sans risque. Il y en a d'un usage très fréquent, dont les Maîtres d'école pourroient eux-mêmes avoir une certaine provision. Je suppose aussi, s'ils veulent bien entrer dans mes vues, qu'ils seront munis des instrumens nécessaires aux soins qu'ils rendront. S'il s'en trouve pour qui des lancettes, un instrument propre à ventouser, une seringue, (qui peut être remplacée par des vessies,) fussent une emplette trop considérable, les communes pourroient la faire, & les instrumens passeroient au successeur. Il ne faut pas espérer que tous puissent ou veuillent apprendre à en faire usage; mais un seul peut suffire aux besoins de quelques villages voisins, sans que ses devoirs en souffrent.

L'exemple journalier de gens qui viennent me consulter du-dehors, sans pouvoir répondre aux questions que je leur fais, & les plaintes de plusieurs Médecins à cet égard, m'ont engagé à donner le dernier chapitre. Je finirai celui-ci par quelques remarques, propres à faciliter l'intelligence de quelques termes qu'il a fallu employer dans l'ouvrage.

Le pouls bat ordinairement chez une personne bien portante, depuis l'âge de dix-huit ou vingt ans, jusques à soixante-dix, entre soixante & soixante-dix fois par minutes: il se rallentit un peu quelquefois, chez les vieillards; & chez les enfans, il bat plus vite: jusques à trois ou quatre ans, cette différence va au moins à un tiers; elle diminue ensuite peu-à-peu.

Une personne intelligente, qui aura touché souvent son pouls, & souvent celui des autres, jugera assez exactement du degré de fievre d'un malade. Si le pouls n'est que d'un tiers plus vite, elle n'est pas extrêmement forte: elle est forte quand cette augmentation est d'une moitié; très dangereuse, l'on peut presque dire mortelle, quand on est parvenu au point d'avoir deux battemens au lieu d'un. Il ne faut pas juger du pouls seulement par la vitesse, mais encore par la force ou la foiblesse, la dureté ou la molesse, la régularité ou l'irrégularité.

Il n'y a pas besoin de définir le pouls fort & le pouls foible: le fort est presque toujours d'un bon augure; &, s'il l'est trop, on peut l'affoiblir: le foible est souvent fâcheux.

Si le pouls, en frappant le doigt, fait sentir un coup sec, comme si l'artere étoit de bois ou de quelque métal, on l'appelle dur; l'opposé s'appelle mou; le dernier vaut généralement mieux. Si le pouls est fort & mou, encore qu'il soit vite, on doit conserver beaucoup d'espérances. S'il est fort & dur, cela indique ordinairement une inflammation, & demande la saignée & le régime rafraichissant. S'il est petit, vite & dur, le danger est très grand.

L'on appelle pouls régulier, celui dont tous les battemens sont à des distances égales, dont il ne manque point de battemens, (s'il en manque il est intermittent,) & dont tous les battemens se ressemblent, de façon qu'il n'y en a pas alternativement un fort & un foible.

Tant que le pouls est bon, que la respiration n'est pas embarrassée, que le cerveau ne paroît pas fortement attaqué, que le malade prend les remedes, qu'ils produisent l'effet qu'on en attend, qu'il conserve des forces, qu'il sent son état, l'on doit espérer de le guérir: quand tous, ou le plus grand nombre de ces caracteres manquent, il est dans un pressant danger.

Il est souvent question de la transpiration arrêtée. L'on appelle transpiration, cette humeur qui sort continuellement par les pores de la peau, & qui, quoiqu'elle soit peu visible, est cependant très considérable; puisque, si une personne bien portante a mangé ou bu huit liv. dans un jour, il n'en sort pas quatre par les selles ou par les urines, & que le reste se dissipe par la transpiration insensible. L'on sent aisément, que si une telle évacuation vient à s'arrêter, & si cette humeur, qui devoit sortir par la peau, se jette sur quelque partie intérieure, il peut en résulter des maux fâcheux: c'est une des causes les plus fréquentes des maladies.

Je n'ajoute qu'un mot; toutes ces directions sont destinées uniquement pour ceux qui ne peuvent point avoir de Médecin. Je suis bien éloigné de croire, qu'elles puissent en tenir lieu, même dans les maladies que j'ai traitées le plus au long, & au moment où il arrive, elles doivent être mises de côté. La confiance doit être nulle ou entiere; sur elle sont fondés les succès: c'est au Médecin à juger du mal, & à choisir les remedes; & l'on doit sentir le peu de convenance qu'il y a, à lui proposer d'en employer quelques autres préférablement à ceux qu'il conseille, uniquement parcequ'ils ont réussi chez un autre malade, dans un cas qu'on croit à peu près semblable: c'est proposer à un cordonnier de faire un soulier pour un pied, sur le modele d'un autre, plutôt que sur la mesure qu'il a prise.

Avis au peuple sur sa santé ou traité des maladies les plus fréquentes

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