Читать книгу Petit Bob - Sibylle Riqueti de Mirabeau - Страница 3

BOB AU SALON

Оглавление

Table des matières

Bob (huit ans).—Costume anglais en velours bleu de roi. Col et manchettes immenses. Cheveux blonds coupés carré sur le front. Chaussettes de soie bleue, mollets «couleur cuir» durs comme du bronze.

Son GRAND-PÈRE.

Bob.—C’est-y bientôt, dis, q’nous allons trouver l’portrait d’maman?

Grand-père.—Mon enfant, je n’en sais rien; je suis absolument perdu...

Bob.—Comment tu t’perds, une grande personne? C’est-y aussi grand que l’bois ici?

Grand-père.—Je te dis que, avec cette nouvelle organisation, je ne retrouve rien, mais tu ne peux pas comprendre ça...

Bob.—Alors, pourquoi me l’dis-tu, si je n’peux pas comprendre? C’est égal, je voudrais bien voir m’man, moi.

Grand-père.—Nous allons chercher.

Bob.—Ah! cette dame bleue! elle est bien jolie! C’est qui, dis?

Grand-père, cherchant.—1304. Portrait de madame G. P... C’est de Carolus Duran.

Bob, admirant.—Ah! c’est très beau; cette belle robe bleue! Mais c’est pas m’man qui fait des tours de force comme ça avec ses mains; vois-tu, grand-père, comme ça plie bien?

Grand-père.—Ne crie donc pas comme tu le fais. Tiens, regarde cet amour d’enfant en rouge, je suis sûr qu’il est plus sage que toi?

Bob, changeant de conversation.—Est-ce que nous n’cherchons plus m’man? Oh! grand-père, quel grand tableau!

Grand-père.—2530. Bataille de Grunwald.

Bob.—Ah! c’est une bataille; je croyais q’c’était un tremblement de terre! Tiens, v’là encore une bien jolie dame, là en robe blanche avec beaucoup d’violettes; vois donc, elle a l’air de marcher. Est-ce que m’man est debout? Moi j’aime mieux qu’on soit assis quand on a pas de chapeau; chez soi, on est assis, dis?

Grand-père.—Oui, ça dépend... Voilà le portrait du général de Galliffet!

Bob.—Ah! qu’il est rouge! Pourquoi l’a-t-on fait si rouge q’ça?

Grand-père.—Parce que c’est la couleur à la mode, et qu’elle lui plaît probablement.

Bob.—V’là encore des dames, mais pas m’man! Pourquoi donc, dis, qu’elles font toutes faire leur portrait à l’hôtel?

Grand-père.—Pourquoi à l’hôtel? Qu’est-ce qui te fait penser à cela?

Bob.—Dame, y a pas de tableaux, pas d’meubles, pas de p’tites tables avec des p’tites choses dessus; ça ressemble pas à chez nous, ça! ça ressemble à quand nous voyageons dans les hôtels.

Grand-père.—C’est vrai, petit Bob, ce que tu dis là; tout ça est sec et froid; ce sont des portraits qui n’ont rien de tranquille ni d’intime, tout est sacrifié à l’effet et l’effet se résume en une note heurtée ou criarde qui attire l’œil et généralement ne le fixe pas. Ces portraits nous montrent des femmes jolies souvent, élégantes presque toujours, dans des cadres d’or, mais pas dans leurs cadres naturels; si les peintres comprenaient à quel point cette absence de vie dans les accessoires enlève de vie à leurs modèles, ils prendraient plus de soin de la mise en scène.

Bob.—Je ne comprends pas bien ce que tu dis; cette bataille-là c’est des soldats turcs?

Grand-père.—Oui, mais on dit «ce sont» des soldats.

Bob.—C’est-y comme ça qui sont, dis, grand-père, les Turcs?

Grand-père.—Je n’en sais rien, je ne les ai jamais vus.

Bob.—Grand-père, ceux-là qui sont couchés dans l’herbe, qui regardent des cygnes, qui sont tout nus, c’est des hommes ou des femmes?

Grand-père.—«Ce sont», on dit «ce sont» des femmes.

Bob.—Oh! la jolie dame en jaune, là-haut, tout là-haut, avec tout plein d’œillets sur sa robe! Oh! grand-père, c’est celle-là q’j’aime le mieux! J’voudrais bien que l’portrait d’maman soit comme ça! Pas toi, dis?

Grand-père.—Non! c’est rudement fatigant d’avoir sous le nez un portrait comme celui-là, pour le reste de ses jours. Quand on renouvelle un portrait tous les ans, à la bonne heure! Mais avoir une robe jaune comme ça pour toujours, il y a de quoi devenir aveugle ou fou.

Bob.—Grand-père, c’est une rue qui est en eau, ça?

Grand-père.—Oui, c’est à Venise, c’est le canal.

Bob.—Est-ce qu’il y en a à Paris, dis, des canals?

Grand-père.—On dit des «canaux». Non, il n’y en a pas!

Bob.—Ah! tant pis!

Grand-père.—Pourquoi?

Bob.—Parc’que j’aurais voulu en voir; là-bas c’est des Turcs, ici, c’est des rues comme à Venise; quand donc que nous verrons quelque chose q’j’aurai vu d’vivant?

Grand-père.—Bob, il faut absolument réformer ton langage; c’est affreux, à ton âge tu devrais parler convenablement; je suis bien sûr que tu n’entends pas tes petits amis parler comme ça.

Bob, indifférent.—Je n’sais pas, mais y font aussi bien des autres choses qu’on me défend, va!

Grand-père.—Tu n’es pas fatigué?

Bob.—Non, mais je voudrais bien trouver m’man. Ah! voilà une bien jolie dame, grand-père!

Grand-père.—Où ça?

Bob.—Là, en robe noire, sur un fauteuil contre lequel elle est assise. Ah! comme elle est jolie avec ses ch’veux gris!

Grand-père.—Ah! c’est un portrait de Jacquet! Où vois-tu des cheveux gris? ils sont blonds!

Bob.—Moi ça m’paraît gris. Pourquoi, dis, grand-père, qu’elle est assise devant le fauteuil au lieu d’être dessus?

Grand-père.—Mais elle est dessus, c’est la perspective qui te fait cet effet-là.

Bob.—Grand-père, la perspective c’est d’avoir l’air devant les choses sur lesquelles on est, dis, alors?

Grand-père.—Mais non, tu es trop petit pour comprendre cela!

Bob.—Ah! ce monsieur qui est couché, qu’il est laid!

Grand-père.—C’est le Marat de Mélingue.

Bob.—Pourquoi, dis, qu’on fait poser des gens si laids q’ça? Ah! les belles prunes! et les guêpes! Oh! que j’en voudrais bien comme ça, de prunes! c’est quoi, dis?

Grand-père.—Dieu, quel langage! C’est le Régal des mouches de Bergeret.

Bob.—Et ce chat? Ce chat qui grimpe dans l’arbre, oh! son œil, le bel œil!

Grand-père.—Il va manger le pauvre oiseau et ses petits; ça s’appelle: Au secours!

Bob.—Oh! le beau chat! Moi, j’aime à toucher les chats, c’est flexible! J’en voudrais bien moi, grand-père, un, de chat!

Grand-père.—On dit: «Grand-père, je voudrais bien un chat.»

Bob.—C’est vrai, va!

Grand-père.—Je te dis de répéter convenablement.

Bob.—Eh bien! grand-père, je voudrais bien un chat.

Grand-père.—Oui, mais tu n’en auras pas, c’est très dangereux.

Bob, vexé.—Ah! c’était pas la peine de me faire répéter alors! Voilà beaucoup, beaucoup de portraits! Mais tout ça, c’est pas du tout des dames comme m’man, c’est plutôt des dames comme nous rencontrons aux Champs-Élysées, tu trouves pas, dis?

Grand-père.—Oui, oui.

Bob.—Tu sais, avec des p’tits chiens, aux chaises? que tu m’dis toujours qui faut pas les toucher, les chiens, qu’ils mordent? Pas vrai, dis, grand-père, que tu m’dis toujours ça?

Grand-père, impatienté.—En attendant nous ne trouvons rien, avec ce diable d’arrangement nouveau; allons-nous-en.

Bob.—Oh! pas encore, dis? Tiens, cette belle dame là-haut, en velours rouge, ça doit être l’portrait d’la République, est-ce pas? J’en ai vu une toute pareille, que c’était son portrait, qu’on m’a dit. Et tous les poissons dans le filet! Vois donc combien il y en a beaucoup!

Grand-père.—C’est la Pêche miraculeuse de Lehoux.

Bob.—C’est singulier, grand-père, la pêche miraculeuse! je croyais q’jamais Dieu n’faisait d’mal à personne?

Grand-père.—Eh bien?

Bob.—Et les pauvres poissons, dis? ça leur fait pas d’mal, tu crois? Vois donc quel œil y font. J’en voudrais bien, dans un bocal, des poissons! des rouges, que j’voudrais! Oh! grand-père!!! une femme géante!!! comme où tu m’as mené, à Saint-Cloud! Tu te rappelles plus, dis?

Grand-père.—Mais où, où une géante?

Bob.—Là, en haut! Je crois que celle que nous avons vue était encore plus grosse que ça! mais, par exemple, elle avait l’air moins distingué.

Grand-père.—Mais, petit misérable, c’est le portrait de la reine Isabelle, par M. de Pommayrac. Ne crie donc pas tout haut des réflexions pareilles.

Bob, tout bas.—Tu t’rappelles bien, dis, maintenant? q’tu m’as fait toucher le mollet qu’elle m’a offert, q’je n’voulais pas, et puis que t’as dit qu’y fallait pas refuser parc’ que c’était son p’tit bénéfice?...

Grand-père.—C’est bon, c’est bon, tu es assommant avec tes souvenirs; tu ferais beaucoup mieux d’appliquer ta mémoire à retenir tes leçons, car tu es faible comme science, mon pauvre Bob.

Bob.—Grand-père, depuis que je suis là, y m’est venu une idée!

Grand-père.—Voyons cette idée.

Bob.—C’est de m’faire peintre!

Grand-père.—Ah! et quel genre choisiras-tu?

Bob.—Quoi? quel genre?

Grand-père.—Les batailles? les tableaux religieux? les animaux? le paysage? le portrait?

Bob.—Je me ferai peintre de femmes.

Grand-père.—Vraiment?

Bob.—Oui, je crois que c’est encore ce qu’il y a de mieux! Je n’ferai que des jolies, j’les mettrai dans un appartement, oh! mais un pour de vrai! où il y aura des tapis, des paravents, des coussins, des tableaux, des fleurs, et un tas de p’tites choses en porcelaine sur de belles p’tites tables en peluche, comme m’man. Je ferai du feu dans la cheminée, une lampe allumée et une pendule qui sonnera; tu verras si ça sera pas joli, mes tableaux!

Grand-père.—Ce sera superbe, je n’en doute pas, mais il faut nous en aller, Bob!

Bob.—Oh! nous passerons par l’jardin, dis? j’ai vu des si belles bêtes blanches, que j’voudrais bien les revoir.

Grand-père.—Soit.

Bob, en arrêt devant un buste.—Tiens! grand-père, voilà la tête du monsieur qui est couché là-haut, q’tu m’as dit que c’était M. Marat.

Grand-père.—Mais non, mais non, viens donc!

Bob.—C’est pas lui, qui que c’est, alors? cherche, puisque tu as un dictionnaire.

Grand-père.—C’est M. Émile de Girardin, mais qu’est-ce que ça peut bien te faire?

Bob, pensif.—C’est que j’voudrais bien en avoir une comme ça, de tête... pour jouer... pour... Tu n’voudrais pas m’en acheter une comme ça, dis?

Grand-père.—Tu es fou! allons, viens.

Bob.—Nous reviendrons, dis, grand-père?

Grand-père.—Certainement non.

Petit Bob

Подняться наверх