Читать книгу Petit Bob - Sibylle Riqueti de Mirabeau - Страница 5
BOB CHEZ LUI
ОглавлениеBob.—Robe anglaise en toile à voile, à grand col marin très décolleté; manches relevées au-dessus du coude; chaussettes rayées rouge et bleu; bras et mollets couverts d’égratignures; poches bourrées de choses qui forment de grosses bosses. A côté de lui, un énorme griffon d’arrêt qui a l’air d’un ours.
Bob, assis dans l’herbe, cause avec son chien, et lui fait admirer les objets qui sortent de ses poches inépuisables: un livre, de la ficelle, un mouchoir, des sous, un couteau, des prunes, etc., etc. De temps en temps le chien s’endort; mais, dès que Bob le voit incliner sa grosse tête, il lui plonge les mains dans la barbe et le secoue vigoureusement.
Un monsieur descend de voiture devant la grille.
DANS LE JARDIN
Bob.— Monsieur, c’est-y ici q’vous venez?
Le monsieur.—Mais oui.
Bob, vivement.—Sonnez pas, monsieur, j’vous en prie, j’vais vous ouvrir. Ça m’amuse tant, et comme on m’défend toujours d’ouvrir sans raison, alors comme ça vous en êtes une!... (Il ouvre au monsieur.)
Le monsieur.—Est-ce que madame votre mère reçoit?
Bob.—M’man est en chemise, et il y a quelqu’un avec elle...
Le monsieur.—!!!
Bob.—Mais j’vais voir tout de même. Elle est peut-être partie, la couturière, je vais voir!... (Il revient au bout d’un instant.) Monsieur, m’man vous prie d’entrer.
Ils entrent au salon.
Bob.—Monsieur, vous pouvez vous asseoir, et moi aussi; maman m’a dit de venir avec vous, jusqu’à c’qu’elle soit prête, alors y faut q’je reste.
Le monsieur.—Mais je ne veux pas vous priver de jouer. Que faisiez-vous lorsque je suis arrivé?
Bob.—Oh! pas grand’chose! je m’amusais avec Léon.
Le monsieur.—C’est votre frère?...
Bob.—Non, c’est l’chien d’maman. Mon frère c’est Fred...
Le monsieur.—Ah!... Et vous, comment vous appelez-vous?
Bob.—Moi, c’est Bob, c’est-à-dire c’est Robert que j’m’appelle, mais on dit Bob, c’est comme pour Fred; c’est pas Fred, c’est Frédéric.
Le monsieur.—Et où est M. Fred?
Bob.—Y prend sa leçon; tout à l’heure, ça va être à moi.
Le monsieur.—Êtes-vous déjà très savant, monsieur Bob?
Bob.—Oh! vous savez?... pas encore très... C’est surtout l’écriture qui m’ennuie... pour le reste, j’l’aime, le reste... excepté le catéchisme! Mais faut pas l’dire, parc’ qu’on m’gronde...
Le monsieur.—Comment? on vous gronde quelquefois?
Bob.—Oh! oui, allez!!! Ainsi, c’matin, j’l’ai été bien grondé, c’matin! deux fois, même, que j’l’ai été!
Le monsieur.—Et pourquoi cela?
Bob.—La première fois, c’était pour treize fautes dans quatre lignes... Après, c’est pour avoir... donné quelque chose à un pauvre... par la fenêtre...
Le monsieur.—Vraiment, vous avez été grondé pour avoir donné à un pauvre?... Et que lui aviez-vous donc donné?
Bob.—Ah! justement... c’est que v’là!... C’est ma tasse de chocolat que j’lui ai jetée... du second... nous étions au second... Alors il paraît que ça n’a pas pu lui servir... au contraire... ça l’a mouillé; et y m’a appelé «méchante gale!» Moi, j’ne suis pas méchant, nous allions déjeuner et il criait comme ça, en bas: «J’ai faim... J’ai rien mangé...» (Il imite le pauvre.)
Le monsieur, riant.—C’est une bonne idée de jeter une tasse de chocolat par la fenêtre.
Bob.—M’man n’a pas trouvé.
Le monsieur, cherchant un sujet de conversation.—Et qu’apprenez-vous encore, monsieur Bob?
Bob.—Un tas d’choses, mais ça n’mamuse pas d’en parler quand j’suis pas à ma leçon. Voulez-vous regarder des photographies?
Le monsieur.—Si vous voulez.
Bob.—Tenez, voilà un album qui est plus amusant, parc’ que c’est tous des costumes... des beaux costumes. C’est d’un bal, y a pas longtemps, où qu’étaient m’man et p’pa.
Il prend le livre.
Bob, expliquant.—Ça, voyez-vous, monsieur, c’est une amie d’maman qui est très jolie... Est-ce pas qu’elle l’est?...
Le monsieur.—Oui. Ah! voilà ce pauvre X... en Grec!
Bob.—Non, monsieur, c’est pas un Grec, c’est un eunuque! Mon oncle a dit q’c’était le seul costume qui lui allait!...
Le monsieur, riant.—Ah!!!
Bob.—Vous l’savez bien, dites, monsieur, c’que c’est qu’un eunuque?
Le monsieur.—Et vous, monsieur Bob?
Bob.—Oh! moi, j’ai d’mandé à grand-père, qui sait tout, grand-père... C’est la garde du sultan; elle est désarmée, pour éviter les accidents dans l’service, q’m’a dit grand-père, parc’ que, vous comprenez...
Le monsieur.—Parfaitement...
Bob.—Ça vous amuse-t-y, dites, de regarder les photographies?
Le monsieur.—Beaucoup, monsieur Bob, surtout lorsque vous me les expliquez.
Bob.—C’est-y sérieusement q’vous dites ça?
Le monsieur.—C’est très sérieusement.
Bob.—C’est que, moi, je n’les sais pas toutes, les photographies... Ah! c’monsieur-là, voyez-vous, celui-là, en postillon... Eh bien! mon oncle a dit q’c’était pas un costume pour lui, qu’il aurait dû s’déguiser en emprunt turc!...
Le monsieur, montrant sa photographie.—Et celui-ci, qu’a dit votre oncle de son costume?
Bob, cherchant.—Celui-ci... celui-ci... mon oncle n’a rien dit... C’est m’man qui a dit quelque chose.
Le monsieur, très intéressé.—Ah! et qu’a-t-elle dit?
Bob.—Oh! rien du costume; seulement, voyez-vous, il est à cheval sur une chaise, l’monsieur... alors m’man a ri et elle a dit qu’il était plus à son aise qu’à cheval pour de bon, parc’ qu’à cheval, quand l’cheval du voisin faisait une bêtise, c’était lui qui prenait les crins.
Tête du monsieur.
Bob, l’examinant en dessous et commençant à le reconnaître.—Je ne suis pas très sûr qu’elle ait dit ça... d’celui-là... m’man... Oh!... du reste, on peut mal monter à cheval et puis... et puis être très bien tout de même... On peut savoir faire beaucoup des autres choses... Elle est bien longtemps à venir, m’man, ne trouvez-vous pas?
Le monsieur.—Le temps ne me paraît pas long avec vous, monsieur Bob.
Bob.—Nous avons assez vu les photographies, est-ce pas? Causons, voulez-vous?
Le monsieur.—Volontiers.
Bob.—Racontez-moi quelque chose.
Le monsieur.—Au contraire, c’est vous, monsieur Bob, qui me raconterez ce que vous voudrez.
Bob.—Voulez-vous l’Petit Poucet?... Non?... Aimez-vous mieux Robinson ou Guillaume Tell? voulez-vous, dites, Guillaume Tell?
Le monsieur.—Je connais tout cela; je préférerais vous entendre parler de choses plus... plus modernes.
Bob, pensif.—Plus modernes? politique alors?
Le monsieur, riant.—Politique, si cela vous convient. Vous parlez quelquefois politique, monsieur Bob?
Bob.—Moi, pas souvent... seulement c’est les autres... vous savez... qui parlent toujours d’ça...
Le monsieur.—Et vous écoutez?
Bob.—Oh! non! mais j’retiens tout de même...
Le monsieur.—Et que retenez-vous?
Bob.—Des noms! c’est surtout des noms que j’retiens.
Le monsieur.—Ah! eh bien, voulez-vous me dire les noms des gens au pouvoir?
Bob.—C’est-y ceux qui nous gouvernent q’vous voulez dire?
Le monsieur.—Précisément.
Bob, cherchant.—Voyons... il y a d’abord Gambetta, est-ce pas? et puis, Jules Ferry... et puis M. Andrieux... et puis, je crois q’c’est tout?
Le monsieur.—Il me semble que vous oubliez quelqu’un?...
Bob, cherchant.—Qui donc?... non... je n’sais pas...
Le monsieur.—Voyons... cherchez bien.
Bob, avec explosion.—Madame Adam!
Le monsieur, riant.—Ce n’était pas à elle que je pensais.
Bob.—A qui alors?
Le monsieur.—Est-ce qu’il n’y a pas un président de la République?
Bob, indécis.—Le maréchal? mais c’était quand j’étais p’tit qu’on en parlait!
Le monsieur.—Non, un autre?
Bob, illuminé.—Je sais!! Rochefort qu’y s’appelle.
Le monsieur.—Non.
Bob, agacé.—Alors j’sais pas! C’est pas des choses que j’apprends, ça... Est-ce que vous êtes dedans, vous, monsieur?
Le monsieur.—Dans quoi?
Bob.—Ben, dans la politique?
Le monsieur.—Pas du tout.
Bob.—C’est q’j’entends toujours grand-père qui dit: «Encore un qui s’est fourré dans la politique.» Alors, j’pensais que peut-être c’était votre carrière, comme les autres...
Le monsieur.—Non, non, monsieur Bob.
Bob.—Alors, qu’est-ce que c’est, votre carrière, dites, monsieur?
Le monsieur.—Je n’en ai pas.
Bob.—Tiens, c’est drôle! On m’dit toujours qu’y faut que j’aie une carrière quand j’serai grand, parce qu’y faut que tous les jeunes gens en aient une... et puis vous... vous en avez pas?... Vous êtes pourtant pas vieux, dites?... et vous êtes pourtant grand?...
Le monsieur.—Oui.
Bob.—Alors, c’est peut-être q’vous avez rien pu apprendre?...
Le monsieur, riant.—Mon Dieu, monsieur Bob, sans être un puits de science, je sais à peu près ce qu’on doit savoir; mais il y a beaucoup de gens qui, comme moi, n’ont pas de carrière; ainsi, tenez, votre oncle, est-ce qu’il fait quelque chose?
Bob.—Mais certainement.
Le monsieur, étonné.—Quoi donc?
Bob.—Il va au cercle.
Le monsieur.—Ah! bon!
Bob.—Moi, je n’sais pas encore quelle carrière j’choisirai, y en a plusieurs qui m’plairaient assez...
Le monsieur.—Je parie que vous serez militaire?
Bob.—Oh! ça, non! parc’ que maman dit toujours q’les officiers d’viennent crétins à trente ans; alors, vous comprenez, moi j’aime mieux ne l’devenir qu’à l’âge ordinaire.
Le monsieur.—Je comprends ça.
Bob.—J’aimerais assez magistrat, à cause des belles robes rouges... j’en ai vu, mais je n’pourrai pas...
Le monsieur.—Et pourquoi?
Bob.—Parc’ que mon oncle dit qu’y suffit pas d’avoir l’air bête pour être magistrat, il faut encore avoir d’la tenue... et ça, voyez-vous, je comprends c’que ça veut dire, la tenue... j’en aurai jamais!
Le monsieur.—Qu’est-ce donc que la tenue, monsieur Bob?
Bob, méfiant.—Vous savez bien?
Le monsieur.—Je vous assure que je serai très heureux, si vous voulez bien me l’expliquer.
Bob.—Dame! moi! j’crois q’c’est pas faire de taches à sa robe, pas tirer la langue aux gens auxquels on doit du respect, pas faire manger les chiens dans mon assiette, pas monter aux arbres, pas mettre mes jambes en l’air, pas dire c’que je pense, m’laver les mains chaque fois qu’elles sont sales... enfin, la tenue... c’est faire c’qui ennuie, et pas faire c’qui amuse... Vous croyez pas, dites?...
Le monsieur.—J’en suis convaincu.
Bob.—Est-ce que vous en avez, vous, d’la tenue?
Le monsieur.—Heu! heu!... comme ci, comme ça.
Bob.—Voulez-vous venir un peu monter aux arbres? Là-bas, y a un sapin très commode...
Le monsieur.—Merci... merci...
Bob.—Y a bien aussi un acacia qui a des bonnes branches, mais les acacias c’est très traître; quand on glisse, c’est d’un raboteux... T’nez, voyez-vous cette griffe-là, c’est lui qui m’l’a faite.
Le monsieur.—Laquelle? car vous en avez une collection, monsieur Bob.
Bob.—Celle-là, la grosse, de ce genou-ci... Celles de l’autre jambe, c’est Léon, en jouant... et puis celle-ci au bras, la noire... voyez-vous, c’est en voulant arracher l’porte-plume à m’sieu l’abbé!...
Le monsieur.—Oh! oh!
Bob, calme et indifférent.—Oh! nous nous battons souvent, allez!
Le monsieur.—Mais c’est très mal cela, monsieur Bob!
Bob.—V’là m’man, j l’entends... adieu, monsieur... j’peux m’en aller!
Il se glisse de son fauteuil et disparaît joyeusement.