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CHAPITRE PREMIER

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Lex déchira la boîte avec excitation, allant jusqu’à arracher le carton dans sa hâte de découvrir son contenu. Les épreuves qu’elle attendait étaient rangées en deux colonnes, les couvertures parfaitement alignées. Elle en sortit une et l’admira, la faisant tourner pour que la jaquette reflète la lumière. Fantastique. Recevoir de nouveaux livres était toujours un moment spécial : l’odeur des pages, le déballage, l’admiration de la couverture en version imprimée.

Cela ramenait toujours Lex à son enfance, lorsque la librairie de son père recevait des caisses de nouveaux livres à vendre. Elle était toujours impatiente de l’aider et elle les sortait du carton pour courir les mettre sur les étagères avant de rester là, à les admirer un moment. Lex avait toujours pensé qu’un jour, elle suivrait ses traces.

Mais ces livres, pensa-t-elle, avaient un autre destin. Lex revint à la réalité, ouvrant la couverture de l’ouvrage et scrutant l’intérieur. Elle cherchait des erreurs d’impression, des coquilles, des erreurs d’alignement. Tout ce qui pourrait nuire à la crédibilité d’un livre sérieux.

Et ce livre était sérieux, même très sérieux. C’était une analyse approfondie des découvertes d’un professeur de physiologie cellulaire et moléculaire de l’université de Yale qui avait passé les deux dernières décennies de sa carrière à un poste de chercheur. Un auteur spécialisé dans les livres documentaires s’était occupé de retranscrire ce sujet particulièrement pointu. Puis, Lex en tant qu’éditrice l’avait parcouru minutieusement pour le compte de la maison d’édition qui l’employait. Le rendre compréhensible pour le scientifique de base avait été un vrai défi, mais c’était une année de travail qui touchait enfin à sa conclusion.

Lex le posa au sommet d’une pile d’épreuves, d’options de couverture et de manuscrits reliés sur son bureau, prête à s’y plonger complètement. Elle parcourut les pages, laissant le doux parfum du livre neuf lui envelopper le visage et s’arrêta pour caresser affectueusement l’une des illustrations. La fin de ce projet était un sentiment doux-amer. De tous les manuscrits dont elle s’était occupée, celui-ci avait été le plus compliqué et le plus satisfaisant à terminer.

Malgré elle, ses pensées s’égarèrent de nouveau vers son père. Un souvenir lui vint à l’esprit tandis qu’elle observait les livres qui étaient restés dans le carton. Le parfum de leurs pages fraîchement reliées la ramena en arrière, bien avant qu’il ne disparaisse de sa vie. Déballer une nouvelle caisse de livres avec lui avait toujours été un moment spécial.

Lex se retourna au son de la voix de son père qui résonnait parmi les étagères.

– Où es-tu ma puce ? demanda-t-il.

– Science-fiction et Fantaisie, répondit Lex, en lui donnant le nom de la section où elle se trouvait.

Le magasin n’était pas très grand, tout juste assez pour que chaque genre de livre ait son espace, mais les étagères étaient tellement collées qu’il était impossible de voir quiconque à travers.

Son père apparut, grand et barbu, les yeux pétillants. Ses cheveux étaient foncés presque noirs, comme ceux dont Lex avait hérité. Il ouvrit ses bras avec un sourire.

–  Ah, voilà ma fée des livres, dit-il. Viens. La nouvelle livraison est arrivée.

– Alexis Blair, tu es en retard !

Lex faillit tomber de sa chaise, lâchant l’épreuve sur le bureau avec fracas. Plusieurs stylos dérangés par l’impact tombèrent au sol, roulant sous son bureau. Elle leva les yeux et vit un autre éditeur devant elle, son corps à moitié caché par la porte. Il y avait à peine assez de place pour que celle-ci s’ouvre entièrement sans taper son bureau dans l’espace confiné, et elle la laissait souvent entrouverte pour laisser entrer de l’air. C’était le plus petit bureau de tout le bâtiment, même le placard à balais était un chouilla plus grand.

– Mon Dieu, murmura-t-elle, elle rougit en regardant sa montre. Désolé ! Je viens de recevoir les épreuves de L’Endocrine Déchiffrée. Je n’ai pas vu le temps passer.

Lex se faufila le long de son bureau qui était bien trop près des étagères situées de chaque côté de la pièce et suivit son collègue dans le couloir.

– Toi et tes livres de sciences, rit-il.

Matt Lang s’occupait du département fiction pour l’antenne des éditions Enlivrez-vous à Boston. Spécialisé dans la littérature Jeunes Adultes, c’était l’un des éditeurs les plus populaires du bâtiment. Même s’il y en avait beaucoup d’autres qui avaient le même poste, il avait réussi à gravir les échelons en quelques années. La rumeur courait qu’il allait remplacer l’une des éditrices seniors lorsque celle-ci prendrait sa retraite, ce qui n’allait pas tarder.

C’était parfaitement injuste, puisqu’il n’avait que vingt-cinq ans. Lex avait sept ans de plus que lui et sa carrière n’avançait pas aussi vite.

– C’est plus fort que moi.

Lex sourit, elle ne pouvait s’en empêcher malgré la jalousie. Matt était tellement charismatique.

– Je suis tellement heureuse lorsqu’il s’agit d’un sujet que j’affectionne vraiment.

– Tu as fait des études de sciences, non ? lança Matt, par-dessus son épaule.

Ils s’éloignaient des bureaux du sous-sol pour remonter vers le premier étage qui était lui aéré et spacieux.

– Dans quel domaine déjà ?

– J’ai fait un double master, chimie et histoire du monde, lui rappela-t-elle.

Non pas que ce soit important, il aurait sûrement oublié dans quelques minutes. Matt avait l’art de faire croire qu’il s’intéressait à tout le monde. Mais en réalité, sa principale préoccupation était sa chevelure brun cuivré et comment la coiffer pour être le plus séduisant.

Lex coinça consciencieusement ses longs cheveux bruns derrière ses oreilles, sentant les pointes caresser son cou. Elle ne savait pas pourquoi ça lui importait. En dehors bien sûr du fait que Matt soit une sorte de superstar au bureau. Pour sa part, elle faisait plus ou moins partie des meubles.

Tout le monde les attendait dans la salle de réunion vitrée, assis autour d’une table ovale, leurs cahiers de notes et stylos posés devant eux. Lex réalisa d’emblée qu’elle avait laissé ses propres affaires sur son bureau. Une autre grossière erreur. Impossible de retourner les chercher maintenant, elle avait déjà tellement retardé la réunion.

– Je l’ai trouvée, annonça victorieusement Matt.

Il passa les portes aux poignées métalliques, les bras levés comme pour recueillir les applaudissements. Ses collègues jouèrent le jeu et il y eut un murmure d’appréciation autour de la table.

– Je suis vraiment désolée, balbutia Lex en se dépêchant de rejoindre sa place. Les épreuves viennent d’arriver, je me suis laissé distraire et…

– Bien, bien, dit Bryce Kowlowski, l’associé principal.

C’était le chef des acquisitions, le patron direct de Lex et il n’avait pas l’air content. Mauvais signe, surtout qu’il avait le pouvoir de décider combien de nouveaux auteurs elle pouvait recruter chaque année. Et elle avait déjà un tout petit budget.

– Asseyez-vous Alexis. Bien. Les rapports mensuels, s’il vous plaît.

– Je commence, dit Matt en souriant.

Il ouvrit son calepin depuis son siège à la droite de Bryce.

– Le lancement du cinquième tome de L'école des sorcières pour filles rebelles se porte très bien. Nous sommes restés numéro un du New York Times et au sommet des ventes chez Barnes & Noble deux semaines d’affilée. Les quatre premiers tomes sont aussi dans la liste. Les négociations avec Warner Brothers sont presque finalisées pour une franchise de sept films.

– Merveilleux, dit Bryce en laissant tomber son stylo sur la table pour l’applaudir. Très bonne nouvelle, Matt. Bon travail.

Autour du reste de la table, Lex et les autres applaudirent docilement. Elle était encore sonnée, ébranlée à l’idée de devoir faire tout son rapport de tête. Non pas qu’il y ait grand-chose à rapporter… Ce qui ne la réconfortait pas.

– Et de votre côté Karen ? demanda Bryce en s’adressant à l’éditrice assise à la droite de Matt.

C’était une belle femme aux traits fins qui avait toujours rappelé à Lex les sorcières du film Hocus Pocus. Prêtes à sacrifier autant d’enfants qu’il serait nécessaire pour lancer leur sortilège de beauté. La seule différence entre elle et ces sorcières était son accent de Boston qui était des plus prononcés.

Ce n’était sûrement pas une coïncidence si Karen était spécialisée dans les biographies et les mémoires. Elle s’occupait généralement des clients célèbres. Autrefois, Lex pensait qu’elle adorait tous les genres littéraires. Mais c’était avant qu’elle n’essaie de lire l’un des livres que Karen avait acquis pour l’entreprise.

– Juste un Trudeau vient de dépasser la barre des cent mille copies, rapporta Karen de sa voix nasillarde.

Elle s’arrêta pour recevoir les félicitations, mais Bryce ne fit que hocher la tête pour l’encourager à poursuivre.

– Les droits pour Entre Dwayne Johnson et Le Rock viennent d’être achetés en vue d’un biopic. Nous constatons un nombre impressionnant de précommandes pour Kevin Hart : Histoires et Nouvelles, qui devrait logiquement se retrouver en haut de tous les classements pour les sorties de la semaine prochaine.

– C’est génial Karen, félicitations, s’exclama Bryce en levant les mains pour une nouvelle tournée d’applaudissements. Deux best-sellers à la suite, bien joué toute l’équipe. Cela va réaffirmer notre position de leader dans la publication de biographies des célébrités. Nous sommes bien partis pour dépasser les éditions Tout Ce Qui Conte.

Des murmures de félicitations s’élevèrent autour de la table mais Lex ne pouvait se résoudre à y participer. C’était tellement superficiel. Elle avait assisté à des réunions où les manuscrits de célébrités avaient été acceptés ou refusés uniquement en fonction du nombre d’abonnés Instagram de leurs auteurs. Il n’y avait aucune intégrité, aucune passion.

Lex se concentra sur la vue de Boston qu’elle apercevait par la fenêtre derrière Bryce et se perdit dans ses pensées tandis que celui-ci continuait son tour de table. Le temps était dégagé et la ville était comme toujours époustouflante. Même si elle avait eu le temps de s’y habituer depuis qu’elle travaillait ici. C’était chez elle, mais la vue ne l’aidait pas à déstresser. Elle essayait désespérément de se souvenir des chiffres qu’elle devait rapporter tout en se maudissant d’avoir oublié son calepin qui contenait précisément tous ses résultats. Elle savait que ça ne changerait pas grand-chose. Les chiffres n’étaient pas élevés comparés à ceux des célébrités.

Pourtant, les autobiographies en elles-mêmes n’étaient ni bonnes, ni véridiques. Elles étaient pleines de rumeurs, de on-dit et d’histoires inventées pour améliorer l’image des célébrités. Tout ce qu’ils avaient à faire, c’était de citer « M. X » ou de prétendre qu’ils changeaient les noms pour des raisons de sécurité et ils pouvaient raconter ce qu’ils voulaient en toute impunité.

– Mademoiselle Blair ? dit Bryce.

Lex sursauta, tirée de sa rêverie. Elle fit tomber le stylo qu’elle tenait sur la table et vit en regardant ses mains que la pointe avait créé une tache noire sur son doigt.

– Et vous ?

Lex bougea inconfortablement sur sa chaise, essayant de cacher son pouce dans la paume de sa main. Elle ne voulait pas que Matt et Karen remarquent sa maladresse et se moque à nouveau d’elle.

– Économie des Colons : Comment Vivaient les Nouvelles Colonies fait partie des favoris pour le Prix Wolfson, et le National Book Award dans la catégorie Documentaires, dit-elle en espérant que Bryce ne lui réclame pas de chiffres. La rumeur d’un Pulitzer d’Histoire court pour Registres postaux et tendances migratoires. Nous n’en serons certains que lors de l’annonce évidemment.

– Et le nombre de ventes ? demanda Bryce dans l’expectative, son crayon planant au-dessus de son calepin.

Lex déglutit.

– Moins de cinq mille, admit-elle.

– Pour lequel ? Économie ou Registres ?

– Pour tout, dit Lex.

Elle sentit plus qu’elle n’entendit les souffles coupés dans la pièce. C’était son plus mauvais mois. La grande majorité de ses ventes avaient été pour des bibliothèques et des écoles.

Le regard de Bryce s’attarda sur elle un moment avant qu’il ne secoue la tête et se détourne pour prendre des notes. Elle savait que ce n’était pas assez. Malheureusement, il n’y avait pas beaucoup de demandes pour les spécialités de sciences et textes historiques. Ces livres étaient importants, tellement importants qu’elle aurait voulu monter sur la table et le crier jusqu’à ce que les autres éditeurs s’en rendent compte. Mais il n’y avait qu’une minorité de personnes dans le monde qui pouvait les comprendre et il y avait encore moins de monde qui voulait les acheter.

Elle savait qu’il n’y avait que la promesse des récompenses et les bonnes critiques qui avaient convaincu Bryce de laisser son département ouvert aussi longtemps. Elle avait cultivé un catalogue des meilleurs auteurs du genre, avec les opinions et les découvertes les plus novatrices. Le problème, c’est qu’ils ne sortaient qu’un livre ou deux à cause du temps qu’il fallait pour les écrire et de leur extrême spécificité. Si elle ne continuait pas à produire des révélations, elle ne pourrait pas garder sa place bien longtemps.

Pourtant, tandis que Bryce libérait les éditeurs, Lex savait que cette année était un bon cru. Ces livres étaient des gagnants, ils avaient le potentiel de changer le monde et ce n’était pas rien.

– Un Pulitzer. Bien joué, dit Karen en s’approchant la main tendue.

Lex savait au ton de sa voix que ça n’avait rien d’une félicitation. Elle se moquait d’elle. Pourtant, elle répondit automatiquement à la poignée de main. Ce geste lui rappela trop tard la tache d’encre sur son doigt et elle constata avec horreur que la marque noire avait déteint sur Karen, lui recouvrant la paume là où le pouce de Lex s’était posé.

Lex était sur le point de dire quelque chose, de s’excuser, mais Karen s’était déjà retournée vers Matt avec un rire hautain, visiblement destiné à Lex pour bien lui faire comprendre que ses félicitations étaient hypocrites. Ce faisant, Karen passa sa main sur son visage, plus précisément autour de son œil comme pour essuyer une larme de rire. Elle se retrouva avec une trace noire ressemblant à un œil de panda sur son maquillage parfait.

Lex se mordit la lèvre. Le stylo était de la marque qu’utilisaient leurs auteurs pour faire les dédicaces, pigmenté et permanent. Elle fit semblant de devoir mieux ranger sa chaise sous la table pour éviter de rire devant Karen. Elle préférait être loin d’elle pour éviter les suspicions lorsque quelqu’un la préviendrait.

– Alexis, dit Bryce la voix basse bien qu’il ne resta plus qu’eux dans la pièce. Pouvez-vous m’accompagner dans mon bureau ?

Alexis sentit une boule se former dans son estomac en entendant le ton de sa voix et il lui fallut un moment pour convaincre son corps de se détourner de la table pour le suivre.

***

– Écoutez, dit Bryce qui se tenait face à Lex de l’autre côté de son bureau.

Celui-ci était décoré de photos de ses enfants, mais derrière lui le mur était rempli de récompenses et de certificats encadrés, et même de couvertures de magazines. Il avait eu une longue carrière pleine de succès.

– Ne croyez pas que je ne trouve pas vos livres importants.

La conversation commençait mal.

– Bien sûr qu’ils sont importants. dit Lex se mettant instantanément sur la défensive. Ils sont révolutionnaires. Déterminants. Les recherches du professeur sur le système endocrinien seront sans doute étudiées en École de médecine pendant des décennies.

– Oui, mais, c’est juste que…, dit Bryce en remontant ses lunettes à grosses montures sur son nez. Ils ne se vendent pas très bien. J’en ai discuté avec les autres partenaires et j’ai parlé en votre faveur, mais selon eux, il n’est pas judicieux pour Enlivrez-vous de continuer à subir des pertes, même pour changer le monde.

Lex le regarda un moment, bouche bée, incapable d’assimiler ses paroles.

– Et les récompenses ? demanda-t-elle. Les critiques ? Elles donnent une bonne image de l’entreprise, elles nous font paraître dans les journaux…

– Malheureusement, elles ne donnent une bonne image de nous qu’aux autres écrivains académiques et aux éditeurs, dit Bryce. Sa bouche formait une grimace contrite.

– Mais Le Pétrole de Champignon a été absolument révolutionnaire dans son domaine, il a reçu un super accueil…

– Malheureusement, transformer les champignons anaérobies en une source de biocarburant est un « domaine » extrêmement réduit. Nous n’en avons vendu que cinq cents copies, soupira Bryce. Je suis vraiment désolé Alexis. Vous êtes une bonne éditrice. Vous avez du flair. Le problème vient du genre de livre dont vous vous occupez et aussi merveilleux soient-ils, ils ne se vendent pas.

Lex essaya de s’éclaircir les idées, elle secoua la tête essayant de comprendre ce qu’il voulait dire.

– Que vais-je… Quel genre de livres voulez-vous que j’édite ?

Bryce s’agita, mal à l’aise, les mains croisées sur la table près de la sienne comme pour s’empêcher de tendre la main vers elle.

– Je suis désolé Alexis, répéta-t-il. Nous partons dans une direction très différente, complètement éloignée des documentaires, en dehors des mémoires. Je voudrais que vous rejoigniez Karen au département des Autobiographies de célébrités.

Lex le fixa silencieusement. Elle l’entendait mais n'arrivait pas à le comprendre. Puis, elle eut l’impression que le sol s’écroulait sous ses pieds. Comment pouvait-il penser qu’elle serait capable de travailler dans le département de Karen ?

– Je ne peux pas faire ça, murmura Lex, la gorge sèche. Je ne peux pas travailler sur les Célébrités.

– Alexis, vous m’avez mal compris, dit Bryce. Ce n’était pas une proposition. Votre département va disparaître et il n’y a pas d’autre poste vacant hormis celui-ci. Vous allez aux Célébrités.

Lex savait au fond d’elle-même qu’elle avait besoin de ce travail et qu’elle aurait des ennuis si elle le perdait. Elle risquait aussi de perdre son appartement et de devoir retourner vivre chez sa mère à l’âge de trente-deux ans. Mais par-dessus tout, elle était absolument certaine d’une chose, elle n’y arriverait jamais.

– Comment suis-je censée travailler sur ces livres ? demanda-t-elle désespérément. Vous savez que c’est impossible. Lorsque je suis arrivée, je voulais travailler pour vous, car vous publiiez de la grande littérature. De vrais livres. Qui faisaient une différence.

– Je sais, soupira Bryce en se frottant les yeux. Les choses ont changé dans le monde de l’édition. Nous sommes en compétition avec les e-books et en ce moment c’est ce qui se vend. Ma hiérarchie se moque des prouesses littéraires, ils ne regardent que les chiffres.

– Je ne peux pas.

Lex regarda sa main et l’encre noire sur son pouce. Étrangement, en cet instant, elle lui rappelait son père qui étiquetait ses livres à la main. Il avait tout misé sur son rêve, celui d’ouvrir une librairie. Quand il avait perdu l’affaire, tout avait changé. Les rêves brisés, l'incapacité de les poursuivre avaient été pires pour lui que perdre son emploi.

– Je sais que les gens vont me croire folle de dire ça, mais je ne peux pas. Pas si je dois perdre ce que j’aime le plus dans ce métier.

– Ne faites pas ça, dit Bryce en secouant la tête. Vous avez tellement travaillé pour avoir ce poste. Ne partez pas maintenant.

– Désolée, dit-elle.

Ses mots lui paraissaient lointains, comme s’ils étaient prononcés par une autre personne.

– Je suis reconnaissante pour tout ce que vous avez fait pour moi, vous avez été mon mentor, vous m’avez défendue quand mes ventes étaient basses. Mais je dois démissionner.

Bryce la fixa, ébahi. Lex n’était pas surprise. De toute sa carrière chez Enlivrez-vous, elle n’avait rien fait d’aussi courageux.

– Je vais vous écrire une lettre de recommandation, dit-il enfin.

– C’est gentil, répondit Lex avec un sourire poli. Je ne pense pas que je retrouverai un travail comme celui-là. Personne ne voudra d’une éditrice de documentaires aux ventes désastreuses et aux titres obscurs. Vous avez raison, le marché a changé. Il est peut-être temps que je change aussi. Je vais rester fidèle à moi-même et voir où ça me mène.

– Je vous serrerais bien la main, dit Bryce avec un sourire larmoyant, mais je voudrais éviter de passer les deux prochaines heures à essuyer de l’encre.

Lex réprima un rire, levant sa propre main en l’air pour dévoiler la tache qu’il avait déjà remarquée.

– C’était une bonne expérience, dit-elle.

– Effectivement. Bryce s’enfonça dans sa chaise l’air abattu. Je vous souhaite bonne continuation, peu importe ce que vous choisirez de faire.

Tant bien que mal, avec des mouvements machinaux, Lex réussit à se lever, à ranger la chaise sous le bureau puis à se tourner vers la porte. Les choses lui paraissent irréelles en cet instant.

– Votre départ prend effet immédiatement, l’interpella rapidement Bryce avant qu’elle ne sorte. C’est la politique de la compagnie dans ce genre de situation. Karen s’occupera d’achever vos manuscrits en cours et nous ferons tout ce qui est possible pour eux. Vous avez droit à un préavis de quatre semaines pendant lequel vous recevrez votre salaire, mais vous ne pourrez pas revenir. À cause de la sécurité des données, des plannings et tout ça. Ils ne veulent pas prendre de risque.

Lex le fixa de nouveau un moment, sa main hésita au-dessus de la poignée de la porte. Ce n’était pas dit méchamment, il avait même l’air désolé de son annonce. Une vague d’indignation la submergea, elle n’aurait pas le temps de dire au revoir. Sauf qu’en y repensant, il n’y avait pas beaucoup de personnes ici qu’elle considérait comme ses amis. Bryce avait toujours été gentil avec elle et compréhensif. Mais c’était terminé.

Elle se détourna et se dirigea vers son bureau comme abasourdie. Lex se dit vaguement qu’elle allait devoir trouver une boîte quelque part pour ranger ses affaires. Puis elle se demanda ce qui allait se passer maintenant.

Un lieu ensorcelé

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