Читать книгу Les Veillées du château - Stéphanie-Félicité Du Crest comtesse de Genlis - Страница 3
PRÉFACE.
ОглавлениеJE n’ai point placé au hasard, à la suite les unes des autres, les histoires qui forment ce recueil. Avant de songer au plan romanesque, c’est-à-dire aux événements, aux situations, j’avais préparé le plan des idées, l’ordre dans lequel je devais les présenter pour éclairer graduellement l’esprit et élever l’âme. Cette chaîne de raisonnements ainsi disposée, il ne me restait plus qu’à trouver les caractères, les petits incidents, les situations qui pouvaient servir à démontrer, de la manière la plus frappante, les vérités que je voulais établir.
Il n’y a point de sujet moral qu’on ne puisse traiter avec agrément et point de livre de morale utile s’il est ennuyeux. Un ouvrage de ce genre, on l’admirera sans doute; mais s’il a plus de cent pages, il est impossible de le lire avec plaisir.
Vouloir persuader, sans tâcher de plaire ou d’intéresser, sans chercher et saisir tous les moyens qui peuvent fixer l’attention de ceux qu’on désire gagner et convaincre, c’est selon moi une étrange inconséquence. Lorsqu’on parle au cœur, on est sûr d’être écouté. Pourquoi donc bannir des ouvrages de morale le sentiment et l’imagination? Ce ne sont point de froids raisonnements qui rendront les hommes meilleurs; ce sont des exemples frappants, des tableaux faits pour toucher et s’imprimer fortement dans l’imagination: c’est enfin la morale mise en action.
Les ouvrages qui ont le plus influé sur les mœurs ont tous une forme agréable, intéressante, et c’est particulièrement à cette forme qu’on doit attribuer le bien qu’ils ont produit. Celui même qui ne veut ni se corriger ni s’instruire lit ces ouvrages pour s’amuser, et en les lisant il se corrige, il s’instruit malgré lui: voilà les livres véritablement utiles. Les autres moralistes ressemblent à ces gens qui donnent de bons conseils uniquement pour montrer la solidité de leur raison, et qui du reste savent bien qu’ils ne persuaderont ni ne toucheront, et qu’on les écoutera avec distraction et ennui.
D’ailleurs, beaucoup de personnes sont naturellement portées à croire que tout ouvrage agréable doit être frivole; celui qui les intéressera, quelque moral qu’il puisse être, il ne sera à leurs yeux qu’une jolie bagatelle.
Une des choses qui a le plus contribué à décréditer les livres de morale présentés sous une forme intéressante, c’est la multitude d’ouvrages dangereux sous le titre de Romans moraux ou de Contes moraux, que nous avons vus paraître depuis vingt ans. On pourrait comparer ces ouvrages à des poisons déguisés, à ces drogues de charlatans, offertes comme des remèdes salutaires, d’autant plus pernicieuses, qu’elles portent des noms imposants et qu’on les prend avec confiance.
Ces livres ont inspiré du mépris pour le genre; mais il ne fallait mépriser que les ouvrages décorés d’un titre qui ne leur convenait pas: car c’est à ce genre même que Fénelon, Richardson, Addison, etc., ont dû leur succès et leur gloire. Si je croyais qu’il fallût avoir les talents de ces grands hommes pour adopter, avec quelques espérances de succès, le genre qu’ils ont créé, je n’aurais certainement jamais eu la plus légère tentation d’écrire; car nul autre genre n’avait d’attrait pour moi. J’ai cru qu’avec un cœur sensible et de la raison on pouvait présenter des tableaux instructifs et touchants. Je n’ai point eu la prétention ni l’espoir de faire un ouvrage d’un mérite supérieur, mais j’ai cédé au désir d’offrir aux bonnes mères mes réflexions, aux enfants quelques leçons utiles.
Afin d’appuyer, autant que je l’ai pu, les vérités morales par des faits et des exemples frappants, j’ai cité dans cet ouvrage plusieurs traits d’histoire.
Je me suis efforcée d’inspirer aux enfants le goût de l’étude et des arts. Je leur parle de tout, afin de leur donner des notions générales qu’on n’a point communément dans l’enfance, et surtout de faire tourner leur curiosité vers des objets dignes de l’exciter et de la satisfaire.
Je n’exagérerai pas, en disant que, pour composer le seul conte de la Féerie de l’Art et de la Nature, j’ai été obligée de lire et relire plus de cent volumes. L’amour-propre ne peut attacher de prix à un travail qui n’exige ni instruction ni talent, tel que celui qui consiste à lire, et ensuite à composer de petits extraits bien courts, bien superficiels, pour des enfants de dix ou douze ans; mais du moins ce travail prouve de la patience et du zèle: il est permis de se vanter et de s’applaudir d’avoir eu le courage de s’y livrer.
Puisse cet ouvrage obtenir le suffrage des mères de famille, qui, retirées dans leurs châteaux, mènent cette vie si douce, si vertueuse, dont je n’ai su peindre qu’imparfaitement le charme et la tranquillité !