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XLIX

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Van Scolpvelt descendit, tenant dans ses mains la liste des malades et des blessés. Il était toujours si occupé que nous ne l'apercevions presque jamais, à l'exception toutefois de sa tête, qu'il avançait de temps en temps hors de l'écoutille pour prendre l'air, absolument comme le fait une baleine en haussant sa tête au-dessus de l'eau. Le docteur nous expliqua la loi relative aux assassins, dont les corps, dans tous les pays civilisés, étaient disséqués. – En faisant du bien à la science, ajouta-t-il, les assassins sont peu coupables, et il est vraiment dommage que de nos jours il y ait si peu de meurtres. Après avoir émis cette belle réflexion, Van Scolpvelt nous accusa de l'indigne pensée de vouloir paralyser l'essor de la science, les tentatives des hommes studieux, non-seulement en mettant l'obstacle de notre défense à l'amputation des membres, mais encore en le privant d'une dissection après la mort. – Si vous aviez agi avec discernement, vous auriez pendu Torra, qui était un magnifique sujet, et vous m'auriez donné son corps. Je le croyais un honnête homme, mais je vois aujourd'hui qu'il ressemblait aux autres; il conspirait également pour tromper mes espérances, car il m'a trahi en se jetant aux poissons. Ne m'appartenait-il pas légitimement?

Le docteur prit un verre, le remplit de vin, le vida avec gravité et se rendit auprès de ses malades.

– Si je ne voyais pas le docteur boire de temps en temps, dit Louis, je le prendrais pour un démon; mais cependant aucun homme ne peut vivre d'un liquide seul, quelles que soient sa force et sa saveur. Ne le pensez-vous pas?

– Cela suffirait avec l'addition d'une tortue, dis-je en riant; je crois que je pourrais vivre avec ces deux choses. Pensez-vous, Louis, qu'il y ait des tortues au ciel?

– Je suis sûr qu'il y en a, répondit Louis; sans cela, quelle est la personne raisonnable qui désirerait y aller? Le désireriez-vous? Le ciel ne serait pas un paradis sans les tortues, n'est-ce pas? Puis, il y a beaucoup d'eau dans la lune, d'où aurions-nous la pluie, s'il n'en était pas ainsi? De sorte qu'il faut encore qu'il y ait du gin pour chasser l'humidité.

Je montai sur le pont pour la première faction. De Louis et de ses tortues, mes pensées se dirigèrent vers ma petite tourterelle en cage.

Je vis alors les choses sous un aspect plus favorable à mes désirs, tout me parut joyeux, et je me trouvai grandi au moral autant qu'au physique. Mes pensées furent presque semblables à celles d'Alnaschar le bavard, frère du barbier, le marchand de verres; comme la sienne, mon imagination était étourdie. Je pris la résolution d'être d'abord un mari doux et aimant, puis austère et bourru, puis enfin cruel et bienveillant tour à tour. Pendant une heure entière, je me plongeai à plaisir dans les rêveries les plus folles et les plus absurdes, sans qu'une pensée raisonnable vînt un seul instant en obscurcir la lumière. La cloche sonna minuit, et un autre prit ma place. Les soucis de la vie conjugale ne troublèrent pas mon sommeil; je suis encore étonné d'avoir dormi aussi profondément.

Je fus éveillé par le docteur, qui secouait ma jambe. Je me jetai vivement en bas du lit, car j'eus l'horrible crainte que Van ne se fût permis d'opérer sur ma jambe pendant mon sommeil.

– Qu'est-il donc arrivé? lui demandai-je.

– Un des prisonniers, un Arabe, est mourant, et il désire vous voir.

Je plongeai ma tête dans un seau d'eau de mer et je suivis le docteur.

Malgré Louis, qui voulut m'arrêter pour me faire déjeuner, en me disant qu'il était dangereux d'entrer dans une chambre de malade l'estomac vide, je me rendis en toute hâte auprès du prisonnier.

Sérieusement blessé, l'Arabe désirait me recommander d'être bon pour l'enfant de son père, et, en même temps, obtenir la permission de voir Zéla avant de mourir, afin de prendre le message qu'elle voulait envoyer à son père, auprès duquel le mourant allait bientôt se trouver. – Car, ajouta-t-il, je vois l'ange de la mort voltiger sur mon lit, et il est impatient de s'élancer vers le ciel. Soyez un père pour mes deux femmes et pour mes cinq enfants, continua le moribond, et dites-leur qu'il faut, ish Allah (s'il plaît à Dieu), qu'ils continuent la guerre commencée contre les Marratti, parce que, pendant qu'il en restera sur la terre, l'âme de leur père ne pourra pas entrer au ciel.

La dernière prière de l'Arabe fut pour me demander qu'on respectât son corps, qui devait être enseveli dans la mer avec toutes les cérémonies habituelles de son pays. Il me supplia encore de ne pas permettre à l'Indien blanc au long couteau (il désigna Van Scolpvelt) de le scalper ou de lui fracturer les membres. – Car, ajouta l'Arabe, s'il coupe un morceau de mon corps pour le manger, je ne serai pas capable d'être un guerrier dans l'autre monde.

Van Scolpvelt fronça les sourcils, et sa figure exprima un mélange d'horreur, d'étonnement et de férocité; il rugit comme une hyène en fureur. La colère du médecin effraya le malade et hâta sa mort, car il rendit le dernier soupir pendant que j'essayais de calmer l'irritable Van.

Je remis le corps entre les mains des Arabes; ils l'enveloppèrent dans de la toile et répétèrent les cérémonies que j'ai déjà racontées. Seulement je me trouvai dans l'obligation de participer à leurs mystères.

Voici donc un nonchalant garçon de l'Ouest, sans lien ni famille, transformé en scheik de mer, en Arabe, en musulman, et marié. Pour donner l'idée combien ces changements (du moins le dernier, qui gouverne les autres) pesaient peu sur mon esprit, je n'aurais même pas reconnu ma femme au milieu d'un groupe de jeunes filles. Tout occupé de son père, je n'avais point remarqué ses traits. Je ne savais même pas son nom, quoique je l'aie employé ici pour faciliter ma narration. Je possédais un Coran, mais j'ignorais où était le pays que désormais je devais considérer comme le mien.

La première démarche que je fis pour me rapprocher de Zéla fut, je crois, excellente, car cette démarche tendait à obtenir des renseignements sur la dame. En conséquence et pour bien commencer, j'appris d'abord son nom. Ce nom, faiblement gravé dans ma mémoire à cette époque, sera trouvé profondément imprimé sur mon cœur lorsque j'aurai cessé de vivre. Si par hasard un Van Scolpvelt désire disséquer mon corps, je le lui permets volontiers, plus volontiers encore j'accorde cette faveur à l'estimable Van, s'il existe. Il verra bien que je n'ai pas pour la science cette haine sans bornes qu'il m'a si souvent reprochée. Il trouvera joint un codicille à mon dernier testament, et ce codicille exprime le désir que mon corps, enseveli dans un tonneau de vrai skédam, soit envoyé à Amsterdam (ville natale de Van Scolpvelt): l'un sera pour le scientifique docteur, l'autre pour la femme du bon munitionnaire, si toutefois elle a eu l'esprit de faire passer son hydropisie.

Après avoir déjeuné et satisfait la dernière demande de l'Arabe mourant, dont le corps fut jeté dans la mer, mes pensées s'envolèrent vers l'asile de mon épouse vierge. J'avais appris, quoique avec peine, la gutturale prononciation de son nom, tâche fort difficile, car j'avais été obligé d'en répéter cent fois les deux syllabes avant que la vieille duègne fût satisfaite de ma sifflante aspiration. Après cette première étude, la bonne femme me dit:

– Il ne faut ni toucher le voile de lady Zéla, ni effleurer ses vêtements; il ne faut pas beaucoup parler, et ne rester auprès d'elle que pendant quelques minutes, car les pensées de lady Zéla conversent avec l'âme de son père; toutes ses joies de jeune fille sont mortes avec le bon vieillard. Ses yeux, qui autrefois étaient plus brillants que les étoiles, sont maintenant ternes et sans regards; sa figure, plus belle que la lune, est obscurcie par les sombres nuages de l'affliction; ses lèvres, rouges comme du henné, sont blanches de chagrin. Toute sa beauté est cachée sous une éclipse, car les larmes sont sa seule nourriture. La paix et le sommeil ont abandonné la jeune fille, depuis que l'âme de son père l'a laissée seule dans un monde inconnu. Ô étranger, soyez bon pour elle, et le bonheur sera votre récompense.

Un Cadet de Famille, v. 2/3

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