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LII

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Aucune circonstance digne d'être mentionnée ne marque dans mes souvenirs l'époque de ce mémorable voyage. Nous nous trouvâmes bientôt dans la latitude de l'île Maurice, à trente-deux lieues N. – O. de l'île Bourbon.

En visitant l'île Maurice, en 1521, les Portugais la nommèrent l'île des Cygnes, parce qu'elle était l'asile favori de cet oiseau. Les lourds et avares Hollandais furent les premiers qui prirent possession de cette île, mais vers une époque très-éloignée du passage des Portugais, c'est-à-dire vers l'an 1600. Ces nouveaux possesseurs changèrent le doux nom de l'île des Cygnes en celui de Maurice, faisant, par cette dénomination, un compliment à l'amiral dont Maurice était le prénom.

Comme je l'ai déjà dit, les Français succédèrent aux Hollandais, et ils appelèrent l'île île de France; ils en firent leur place de ralliement et le rendez-vous de tous leurs croiseurs. Les Français avaient soin d'apprendre le moment du départ des flottes indiennes appartenant à la compagnie qui rentraient dans leur patrie ou qui partaient pour l'étranger. Dans l'un ou l'autre cas, ils envoyaient leurs vaisseaux pour les arrêter, et les vaisseaux, secrètement armés en guerre, avaient des lettres de marque.

Ce mode d'attaque faisait beaucoup de tort aux flottes anglaises, qui souvent marchaient protégées par leurs propres vaisseaux de guerre. Mais les petits croiseurs français, qui naviguaient très-vite et qui étaient remplis d'aventuriers intrépides, s'attachaient aux flottes anglaises comme s'attachent des Arabes vagabonds autour d'une caravane dans le désert; tandis que les vaisseaux de guerre anglais étaient empêchés d'agir par la crainte de perdre de vue les vaisseaux marchands, qui pouvaient être arrêtés d'un autre côté pendant leur absence.

Les Français s'exposaient rarement à attaquer les Anglais en plein jour ou quand il faisait beau temps, à moins cependant qu'ils ne fussent soutenus par une frégate, presque toujours à leur suite, dans l'espoir de s'emparer de quelque traînard. Quand il faisait mauvais temps et pendant les nuits obscures, les Français trompaient les Anglais en faisant de faux signaux pour les attirer; cela avait lieu au moment des rafales, qui sont très-fréquentes dans ces latitudes. Si les Anglais perdaient leur convoi de vue, ce qui arrivait souvent, ils étaient sûrs d'être attaqués par un ou par plusieurs de ces corsaires français; mais étant tous très-bien armés, les vaisseaux réussissaient quelquefois à se défendre non-seulement contre les vaisseaux de guerre secrets de l'ennemi, mais encore ils parvenaient à chasser bravement l'escadre française.

La possession de l'île Maurice était d'une très-grande importance pour les Français, car elle les mettait à même de pouvoir harceler le commerce de l'Angleterre et de tenir un pied dans l'Inde. Ils n'épargnaient aucune dépense pour fortifier l'île, et, pour dire la vérité, ils employèrent peu de temps pour obtenir le résultat d'en rendre le sol utile et productif. Ils y introduisirent et y cultivèrent avec succès les épices et les fruits de l'Inde. Ils y ajoutèrent du riz et plusieurs espèces de blé: celui de Bourbon, de la Cochinchine et de Madagascar. Mais l'île étant très-petite (elle n'a que dix-neuf lieues de circonférence), les améliorations apportées par les Français furent naturellement fort limitées.

Par leur négligence, les Hollandais avaient laissé le plus précieux de leurs ports, au nord-ouest, se remplir de la boue et des pierres envoyées par le torrent des montagnes qui s'élèvent tout auprès.

Dirigé par un gouverneur habile et entreprenant, les Français débarrassèrent ce port, bâtirent un mur et construisirent un magnifique bassin pour recevoir leurs vaisseaux de guerre et les mettre à l'abri des vents, qui sont toujours, dans les tempêtes, d'une violence épouvantable.

Nous découvrîmes bientôt la terre de Bourbon, et nous arrivâmes bientôt en vue de l'île Maurice.

Cette île a une forme ovale, et la partie dont nous rasions le côté nord-ouest est grande, inégale, ayant çà et là des signes de végétation.

– Ce côté de l'île, nous dit de Ruyter, a été retourné sens dessus dessous par l'action des volcans, et les gens instruits de cet événement croient que l'île Maurice était autrefois liée à celle de Bourbon, mais qu'elles ont été divisées en deux par la force d'un feu intérieur.

Nous vîmes plusieurs énormes cavernes voûtées dans lesquelles la mer s'écoulait avec un bruit de tonnerre; de gros morceaux de rocher gris, rudes et calcinés, étaient entassés les uns sur les autres dans un désordre fantastique, puis la terre s'éleva peu à peu, et nous vîmes des roches escarpées, même au centre de l'île, s'unissant à une montagne qui s'élève comme un dôme.

– Cette montagne, dit de Ruyter, était autrefois une plaine élevée de treize cents pieds au-dessus de la mer, quoique, du côté où nous sommes, elle nous paraisse d'une roideur impraticable; l'autre côté, au Port-Louis, a l'élévation si graduelle qu'un cheval peut aller au galop jusqu'à son sommet, qu'on nomme le Piton du milieu. Ce piton, pointu comme un pain de sucre, est entouré par une plaine.

Nous découvrîmes encore sept montagnes qui ressemblaient à sept grands géants tenant un conseil; puis plusieurs petits promontoires étendant dans la mer leurs racines pleines de rochers, et qui formaient de magnifiques baies, des rivages couverts de sable blanc et des vallées étroites, entrecoupées par des ruisseaux et des rivières verdoyantes et boisées. Ces vallées étaient remplies d'arbrisseaux et de fleurs.

Aston, de Ruyter et moi, nous étions debout sur le pont, armés de télescopes, et nous admirions le ravissant paysage qui se déroulait devant nos yeux.

– Que cette vallée est tranquille et belle! dis-je à mes amis; allons y demeurer.

Puis, quand la marche du vaisseau nous montrait un site plus enchanteur encore, nous répétions la même exclamation.

Tous les trois, nous aimions les beautés de la nature, et de Ruyter se plaisait à nous faire admirer les changements merveilleux de ce splendide panorama.

– Vraiment, m'écriai-je, cette île est le paradis des poëtes orientaux. Quelle est la personne sensée qui voudra quitter cette terre après l'avoir connue? Ô mes amis, abandonnons l'incertain océan, abandonnons la mer capricieuse, la mer aux sourires perfides qui nous attire vers la souffrance, vers le désappointement et vers la mort!

Aston n'était pas moins enthousiasmé que moi, et notre enchantement était partagé par tout l'équipage. La joie illuminait toutes les figures, chaque cause personnelle de chagrin ou de mécontentement était oubliée; l'union et l'harmonie la plus parfaite régnaient sur le vaisseau. Quand nous jetâmes l'ancre, les hommes montèrent aux mâts comme des écureuils, et dans un instant les voiles furent ferlées. Des canots rôdèrent bientôt autour du grab, presque submergés par la grande quantité de poissons et de fruits qu'ils venaient nous offrir.

Le plaisir qui remplissait mon cœur était presque de l'ivresse, car j'avais à mes côtés ma petite fée orientale, ma belle Zéla, qui, cédant à mes ardentes prières, avait consenti à m'accompagner sur le pont.

Quand le doux vent de la terre vint jouer dans les cheveux de la jeune fille, quand il pressa contre elle ses légers vêtements de gaze, en révélant les contours de ses formes élégantes, Aston la regarda avec une admiration surprise, et compara la belle enfant à un jeune faon.

De Ruyter, qui parlait parfaitement la langue de Zéla, s'approcha d'elle pour lui adresser quelques paroles d'affectueuse bienvenue. Il prit sa main; mais, stupéfait de la merveilleuse beauté de la jeune fille, il resta silencieux, ne pouvant que par sa muette contemplation lui exprimer combien il la trouvait belle. Après quelques secondes de cet éloquent silence, de Ruyter parla à la jeune Arabe d'une voix douce et caressante comme un chant, puis, se tournant vers moi, il me dit en anglais:

– Cette jeune fille est une fée de l'Orient; elle est trop délicate et trop frêle pour être touchée par la main d'un homme. Je vous félicite de tout mon cœur, mon cher Trelawnay, et il n'existe pas un homme qui puisse rester froid et indifférent devant votre bonheur. Par le ciel! mon ami, je croyais que votre mariage était un sacrifice; mais je trouve que vous possédez un diamant pour lequel un roi donnerait sa couronne. Souvenez-vous, mon garçon, que si vous ne gardez pas ce trésor comme on garde son propre cœur, le bonheur vous abandonnera, et la fortune sera toujours impuissante pour vous donner une femme comparable à lady Zéla.

La jeune fille regardait autour d'elle comme une gazelle effrayée. Surprise de se voir entourée et regardée par tant d'étrangers, elle rougit; la pauvre enfant aurait bien voulu rentrer dans sa cabine; mais je tenais sa main emprisonnée dans la mienne et je feignais de ne pas comprendre la prière de son regard.

Pour retenir Zéla le plus longtemps possible auprès de moi, j'envoyai chercher un tapis et des coussins, puis, environnée de ses femmes, la jeune fille s'assit sur le pont.

Un Cadet de Famille, v. 2/3

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