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LIV

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De Ruyter laissa le rais à bord du grab en qualité de commandant, et quand tous les préparatifs de notre départ furent terminés, nous nous mîmes en route.

Le personnel de la caravane se composait de de Ruyter, d'Aston, de Zéla, accompagnée de ses femmes et de quelques Arabes de sa tribu. Notre voyage dans l'intérieur des terres se fit sur des mulets, des petits chevaux et des ânes. Nous suivîmes le rivage de la mer, qui était magnifiquement tessellé d'une grande variété de coquillages de toutes les couleurs et de toutes les formes. Je marchais aux côtés de Zéla, qui était gracieusement assise sur un petit cheval dont elle dirigeait vaillamment la marche.

– Chère sœur, lui dis-je, regardez la sublime beauté de ce paysage, voyez comme les nuages gris laissent à découvert le sommet des collines, tandis que leurs bases sont encore cachées par la vapeur: elles ressemblent à un groupe de magnifiques îles ou à une compagnie de cygnes noirs nageant sur un lac calme et silencieux. Quelques-unes sont couvertes d'arbres et de buissons jusqu'à la crête, tandis que d'autres se montrent dépouillées et flétries par les feux volcaniques.

Le sang d'une race intrépide coulait dans les veines de Zéla. Elle avait été élevée au milieu des périls de la guerre, et ne savait point affecter des sentiments qu'elle n'éprouvait pas. Elle traversa les ravins, marcha le long des précipices, passa à gué les ruisseaux et les rivières, non-seulement sans nous arrêter par une représentation de craintes imaginaires, de larmes forcées, de prières, de cris, d'évanouissement; mais encore en ne faisant attention aux dangers réels des passages que pour dire de sa voix douce et mélodieuse que les endroits que nous traversions étaient charmants aux regards, ou bien encore elle arrêtait sa monture sur les bords d'un précipice pour cueillir quelque fleur rare ou arracher les ondoyantes branches du plus gracieux des arbres indiens, l'impérial mimosa, dont la délicatesse est aussi sensible que celle de l'amour vrai, car il fuit le toucher des mains profanes.

– Mettez cette branche fleurie dans votre turban, me dit Zéla en me tendant une de celles qu'elle venait de cueillir, car je suis sûre que dans ces cavernes ou dans ces abîmes il y a des ogres qui nourrissent leurs petits avec du sang humain, et ils aiment à leur donner les hommes jeunes et beaux. Mettez donc la branche dans votre turban, mon frère; je vous nomme ainsi parce que vous m'avez priée de ne point vous appeler mon maître, et ne froncez jamais vos sourcils: je n'aime pas l'expression que cet air sévère donne à votre physionomie, il nuit à votre beauté; le sourire vous va bien, mais ne riez pas maintenant, prenez ma branche, elle sera pour vous un préservatif contre les charmes de la magie.

J'acceptai en souriant les fleurs du mimosa et je les plaçai dans mon turban.

En traversant une plaine sablonneuse, Zéla tressaillit, et sans arrêter son cheval, qui marchait lentement, elle sauta par terre et courut comme une biche vers une colline de sable. N'ayant jamais été le témoin d'une adresse et d'une légèreté semblables, Zéla eut le temps de revenir avant que l'étonnement dans lequel j'étais plongé se fût tout à fait dissipé.

– Un ogre vous a-t-il attirée par un mauvais regard? lui dis-je en riant.

– Oh! non, s'écria-t-elle; regardez, vous qui aimez les fleurs, dites-moi si vous en avez jamais vu une qui soit aussi radieusement belle que celle-ci. Sentez-la, son odeur et sa beauté sont supérieures à celles de la rose, qui perd parfum et fraîcheur par jalousie si elle se trouve auprès de cette invincible rivale.

Je crus un instant que Zéla était ensorcelée par l'odieuse fleur dont elle aspirait si joyeusement la prétendue suavité. Cette fleur était une grande branche rouge, couverte de boutons bruns, de baies jaunes, et exhalant l'horrible odeur du musc.

– En vérité, ma chère sœur, m'écriai-je, la rose aurait autant raison d'être jalouse que vous de craindre le voisinage de la figure de Kamalia, votre nourrice. Cette fleur ressemble à une ronce, et son abominable odeur me rend malade.

Je fus sans doute poussé à accueillir la fleur de Zéla avec ces rudes paroles par l'impatience et le chagrin que me firent éprouver les caresses dont elle couvrit la branche appuyée sur ses lèvres.

Les yeux noirs de Zéla se dilatèrent; et pendant une seconde elle me contempla avec un étonnement plein de tristesse, puis l'éclat de son regard se ternit, et ses longues paupières se couvrirent d'une rosée de perles; la branche aimée s'échappa des mains de la jeune fille, sa figure pâlit, et le son de sa voix eut la navrante tristesse du dernier adieu qu'elle fit à son père, lorsqu'elle murmura faiblement:

– Pardonnez-moi, étranger, je ne me souvenais plus que vous n'étiez pas né dans la tribu de mes pères. Cet arbre, que j'aime, ressemble à celui qui abritait la tente de ma famille; il nous protégeait contre l'ardeur du soleil, quand nous dormions sous son ombre. Nos vierges entrelacent ses fleurs en couronne pour parer leurs fronts, et si elles meurent, on en couvre la pierre de leurs tombeaux. Pardonnez-moi d'avoir cueilli ce souvenir du passé, je ne puis empêcher mon cœur de préférer cette fleur à toutes les fleurs; mais puisque vous dites qu'elle vous rend malade, eh bien!.. je ne l'aimerai plus, je ne la cueillerai plus!.. Puis, ajouta la jeune fille d'une voix entrecoupée par les sanglots, pourquoi parerais-je mes cheveux d'une couronne de cette fleur, puisque j'appartiens à un étranger et que mon père est mort?

Je n'ai pas besoin de dire que non-seulement je ramassai la fleur pour la remettre entre les mains de Zéla, mais encore je lui fis comprendre que mon ignorance était l'excuse de ma conduite. Après avoir calmé le chagrin de la douce et sensible enfant, je courus sur la colline, j'arrachai l'arbre garni de ses racines, et je dis à Zéla:

– Chère sœur, j'ai dédaigné cette fleur uniquement parce que vous avez dit du mal de la rose, la plus belle parure de nos parterres, mais en examinant de près cet arbuste chéri (et je regardai Zéla), je me suis assuré que la rose peut en être jalouse aussi bien que mes compatriotes pourraient l'être de vous. Je planterai cet arbre dans le jardin de notre habitation.

– Vous êtes bon, mon frère, me dit Zéla. Eh bien, moi, je planterai un rosier auprès de lui, et ces deux charmantes fleurs uniront leurs parfums. Notre affection et nos soins pour ces chers arbustes les feront grandir, prospérer et vivre ensemble, sans rivalité jalouse. On doit aimer sans préférence exclusive tout ce qui est beau; moi, j'aime tous les arbres, tous les fruits et toutes les fleurs.

Malgré ces paroles joyeuses et calmes, je voyais à travers les plis vaporeux de la légère robe de Zéla son pauvre petit cœur aussi agité qu'un oiseau mis en cage. Pour arracher ses pensées au sujet qui l'avait attristée, je dis en lui serrant la main:

– Vous devez être fatiguée, chère Zéla; mais ne craignez rien, voici le dernier ruisseau que nous avons à traverser, et nous serons bientôt dans cette magnifique plaine.

– Oh! me répondit la jeune fille, Zéla n'a jamais craint que son père quand il était en colère, car alors ceux qui osaient regarder les éclairs qui déchirent la nue en feu ne pouvaient soutenir le regard de leur chef. La voix de mon père était plus forte que le bruit du tonnerre, et sa lance plus fatale que l'éclat de la foudre. Hier au soir, en parlant à cet homme grand qui est si doux, je croyais que vous alliez le tuer, et je voulais vous dire de ne pas le faire, parce que j'avais lu dans ses yeux qu'il vous aime de tout son cœur; c'est très-mal, mon frère, de se fâcher contre ceux qui nous aiment.

– Vous voulez parler d'Aston, ma chère Zéla, mais je n'étais nullement en colère contre lui: je l'aime beaucoup, et nous sommes les meilleurs amis du monde; la vivacité de mes paroles était puisée dans le sujet de notre conversation, car nous parlions des horribles cruautés qui sont exercées dans l'île Maurice sur les pauvres esclaves.

– Je voudrais bien connaître votre langue, mon frère, j'aimerais tant à vous écouter! Si j'avais compris vos paroles, j'aurais passé une nuit calme; car, ignorant le sujet de votre conversation, j'ai beaucoup pleuré, j'avais tant de chagrin de vous croire fâché contre une personne qui vous aime!

Je rassurai bien tendrement l'adorable jeune fille, et nous reprîmes avec joie notre route. De Ruyter vint nous rejoindre, et nous nous trouvâmes bientôt sur une plaine élevée nommée Vacois, au milieu de l'île. Notre montée avait été très-difficile et très-rude. Devant nous, au centre de la plaine que nous traversions, se trouve la montagne pyramidale dont j'ai déjà parlé, et qu'on nomme le piton du Milieu. Sur notre droite s'étendaient le port et la ville de Saint-Louis. Vers le sud, nous découvrîmes de grandes et magnifiques plaines, dont la riche végétation se mire dans une belle rivière; et vers le nord, d'autres plaines se penchant vers la mer: elles paraissaient les unes arides, les autres cultivées. On distinguait çà et là des champs de cannes à sucre, d'indigo et de riz. Du sud à l'est, le pays volcanique et montagneux est couvert de jungles et d'anciennes forêts, mais le nord-est est presque une surface plane. Dans la plaine où nous nous trouvions, il y a un grand nombre de mares d'eau qui forment de jolis lacs, et à l'époque des grandes pluies, le débordement de ces lacs rend la plaine marécageuse et la couvre de cannes, de roseaux et d'herbes gigantesques.

Telle était la magnifique scène qui se déroulait sous nos yeux. Le soleil, qui s'était levé à l'est au-dessus de la montagne, dispersa les brouillards jaunes du matin et découvrit entièrement les beautés mystérieuses de cette île, fraîche et radieuse comme une vierge sortant du bain.

Nous mîmes pied à terre pour nous reposer sous l'ombrage d'un groupe de bananiers qui semblaient s'être plu à dessiner un cercle enchanté autour d'un chêne incliné vers le lac, dont l'eau, claire et limpide comme un diamant, avait une incommensurable profondeur. Des poissons rouges de la Chine jouaient sur la surface de l'eau, et les mouches-dragons rouges, vertes, jaunes et bleues volaient en bourdonnant autour de nous.

Interrompus dans leurs ablutions matinales, le chaste pigeon ramier et la blanche colombe s'envolaient vers les bois; la perdrix grise courait se cacher, les oiseaux aquatiques plongeaient dans l'eau, tandis que les perroquets jaseurs caquetaient sur les arbres comme des femmes mariées en mauvaise humeur. Pendant le bruissement harmonieux de ses fuites, de ses gais ramages, le nonchalant babouin au ventre rebondi mangeait avec la gloutonne voracité d'un moine: il était inattentif à tout ce qui ne tendait pas à gorger de bananes son insatiable panse.

Un Cadet de Famille, v. 2/3

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