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II

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Vint le moment du contrat. Sento ne faisait pas les choses à demi; d’ailleurs Marieta et sa famille n’étaient pas gens à dédaigner pareille aubaine.

Sento la dotait de trois cents onces d’or, non compris les effets et les bijoux, ayant appartenu à sa première femme.

La maison de Marieta, cette hutte située hors du village, sans autre ornement que la charrette devant la porte, et deux ou trois maigres haridelles à l’écurie, fut visitée par toutes les jeunes filles du pays. On eût dit un jubilé! Toutes, en groupes, se prenant par la taille ou le bras, passaient devant la longue table, couverte de blanc, sur laquelle les cadeaux offerts à la fiancée, et son trousseau s’étalaient avec une magnificence qui provoquait des exclamations de surprise.

—Reine et Très Sainte-Vierge! que de belles choses!

Le linge bis, comme l’est la toile forte, s’élevait en piles régulières presque jusqu’au plafond, bien plié, sentant bon la lessive et la propreté: le tout par douzaines de douzaines, depuis les chemises jusqu’aux torchons de cuisine, aux initiales voyantes. Puis c’étaient les dessous, garnis de dentelles à profusion, les vêtements de grosses soies grinçantes aux reflets métalliques; les jupes de percale à ramages, d’une fraîcheur de printemps; les mantilles, aux arabesques fines et compliquées; les corsets blancs et noirs, pointillés de rouge, dont les contours rigides dessinent les formes avec audace; les châles de Manille, sur lesquels des oiseaux de féerie volent en un ciel de soie blanche, et où l’on voit des Chinois, aux têtes de porcelaine, les uns moustachus et fiers, les autres, tondus et niais, admirer des ingénues, qui rêvent, tout éveillées, dans ces contrées mystérieuses, où les hommes portent des jupes... Près de là, les cadeaux des amis: de jolis bénitiers d’alcôve, avec leurs anges de porcelaine; des boîtes de couteaux, des couverts d’argent, deux candélabres majestueux: ceci, c’était le présent du marquis, du cacique de la région, l’homme le plus éminent d’Espagne, au dire de Sento, qui, lorsqu’il s’agissait de le faire nommer député du district, était tout prêt à empoigner son gourdin ou à mettre l’escopette en joue.

Et, comme digne finale de cette exposition, les bijoux brillaient sur le velours grenat des écrins; les boucles d’oreille ornées de perles, les grandes épingles pour le corsage ou la chevelure; enfin, cette parure, fameuse à Benimuslin, que Mâame Tomasa avait achetée quatorze onces, rue des Platerias.

Heureuse Marieta! Elle faisait la modeste et rougissait, lorsqu’elle entendait vanter son bonheur. Il fallait voir aussi les grosses larmes de sa mère, une femme ridée et maigre, insignifiante, et l’émotion du charretier, qui suivait partout son futur gendre et montrait pour lui toute la considération due à un être supérieur.

La lecture du contrat se fit dans la soirée. Don Julian, le notaire, descendit de sa vieille carriole, accompagné de son clerc, un pauvre diable d’aspect famélique, avec un encrier de corne émergeant d’une poche, et du papier timbré sous le bras.

Don Julian fut porté presque en triomphe, dans la cuisine, où l’on avait préparé un grand chandelier à quatre branches.

Le docte personnage avait l’habitude de lire les contrats en dialecte valencien, tout en intercalant dans le texte des plaisanteries de son cru. Les gens les plus graves n’auraient pu garder leur sérieux devant cet homme de loi à la longue redingote noire, semblable à une soutane, au visage frais et joufflu, aux grosses lunettes relevées sur le front, ce qui, pour les naturels de Benimuslin, était un caprice inexplicable, particulier aux grands talents.

Le notaire se mit à dicter à voix basse. Son clerc griffonnait sur les feuilles de papier timbré, pendant que les amis de la maison arrivaient avec le curé et l’alcade, et que les cadeaux de noce disparaissaient de la longue table, pour faire place aux galettes saupoudrées de sucre, aux confitures à l’amande, aux tartelettes, sèches comme du carton, sans compter une douzaine de bouteilles de marasquin.

Don Julian toussota plusieurs fois, se leva en tirant les revers de sa redingote, et tout le monde devint silencieux, lorsqu’il prit les feuilles où l’encre était fraîche encore, et commença la lecture.

En nommant le futur, il fit une grimace, dont Sento fut le premier à rire. Quand il en vint à la fiancée, il salua Marieta d’une véritable révérence de cour et l’on rit encore; mais quand il s’agit des conditions du contrat, tous devinrent graves; un vent d’égoïsme et de cupidité passa dans cette cuisine; Marieta leva la tête, les yeux brillants, les ailes des narines dilatées d’émotion, lorsqu’elle entendit parler d’onces, de la vigne de l’ermitage, des oliviers du Chemin Creux, et de tout ce qui allait lui appartenir. Sento était le seul qui sourît, satisfait qu’une si honorable assemblée pût apprécier sa munificence.

Lorsque les pièces furent dûment paraphées, les gâteaux et les rafraîchissements commencèrent à circuler. Le notaire faisait de l’esprit, pendant que son famélique clerc s’empiffrait pour lui et pour son patron.

La cérémonie prit fin à onze heures. Le curé venait de se retirer, honteux d’être encore debout, alors qu’il avait à dire la messe de l’aube; l’alcade l’avait accompagné; Sento sortit enfin avec le notaire et son clerc, qu’il emmena chez lui pour y passer la nuit.

Les rues étaient obscures. Par delà la maison de Marieta, c’étaient les ténèbres épaisses enveloppant la campagne d’où s’élevaient des bruissements de feuillage et des chants de grillons. Au-dessus des toits, les étoiles clignotaient dans un ciel d’un bleu sombre, les chiens aboyaient dans les cours en répondant aux hennissements des bêtes de travail. Le notaire et son secrétaire marchaient avec précaution, craignant de se heurter à des cailloux.

Ave Maria purissima! criait au loin la voix rauque du veilleur de nuit. Onze heures! beau temps!

Et don Julian se sentait quelque peu inquiet dans ces ténèbres. Il croyait voir des formes suspectes, des gens aux aguets au tournant de la rue. Soudain une fusée déchira l’ombre, un énorme pétard éclata: tout tremblant, le notaire se colla à une porte, pendant que le clerc tombait presque à ses pieds. Sento demeura vaillamment au milieu de la rue. Crédié! Il savait bien d’où cela venait: «Voyous! Canailles!» rugit-il, d’une voix étranglée par la fureur. Il brandit son gourdin, et avança, menaçant, comme si, au delà de ce tournant de rue, il allait trouver le Déguenillé, avec toute la parenté de Mâame Tomasa.

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