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LE DROIT ET LA LOI
XII

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Que conclure? Une seule chose. En presence de cet ouragan enorme, pas encore fini, entr'aidons-nous les uns les autres.

Nous ne sommes pas assez hors de danger pour ne point nous tendre la main.

O mes freres, reconcilions-nous.

Prenons la route immense de l'apaisement. On s'est assez hai. Treve. Oui, tendons-nous tous la main. Que les grands aient pitie des petits, et que les petits fassent grace aux grands. Quand donc comprendra-t-on que nous sommes sur le meme navire, et que le naufrage est indivisible? Cette mer qui nous menace est assez grande pour tous, il y a de l'abime pour vous comme pour moi. Je l'ai dit deja ailleurs, et je le repete. Sauver les autres, c'est se sauver soi-meme. La solidarite est terrible, mais la fraternite est douce. L'une engendre l'autre. O mes freres, soyons freres!

Voulons-nous terminer notre malheur? renoncons a notre colere.

Reconcilions-nous. Vous verrez comme ce sourire sera beau.

Envoyons aux exils lointains la flotte lumineuse du retour, restituons les maris aux femmes, les travailleurs aux ateliers, les familles aux foyers, restituons-nous a nous-memes ceux qui ont ete nos ennemis. Est-ce qu'il n'est pas enfin temps de s'aimer? Voulez-vous qu'on ne recommence pas? finissez. Finir, c'est absoudre. En sevissant, on perpetue. Qui tue son ennemi fait vivre la haine. Il n'y a qu'une facon d'achever les vaincus, leur pardonner. Les guerres civiles s'ouvrent par toutes les portes et se ferment par une seule, la clemence. La plus efficace des repressions, c'est l'amnistie. O femmes qui pleurez, je voudrais vous rendre vos enfants.

Ah! je songe aux exiles. J'ai par moments le coeur serre. Je songe au mal du pays. J'en ai eu ma part peut-etre. Sait-on de quelle nuit tombante se compose la nostalgie? Je me figure la sombre ame d'un pauvre enfant de vingt ans qui sait a peine ce que la societe lui veut, qui subit pour ou ne sait quoi, pour un article de journal, pour une page fievreuse ecrite dans la folie, ce supplice demesure, l'exil eternel, et qui, apres une journee de bagne, le crepuscule venu, s'assied sur la falaise severe, accable sous l'enormite de la guerre civile et sous la serenite des etoiles! Chose horrible, le soir et l'ocean a cinq mille lieues de sa mere!

Ah! pardonnons!

Ce cri de nos ames n'est pas seulement tendre, il est raisonnable. La douceur n'est pas seulement la douceur, elle est l'habilete. Pourquoi condamner l'avenir au grossissement des vengeances gonflees de pleurs et a la sinistre repercussion des rancunes! Allez dans les bois, ecoutez les echos, et songez aux represailles; cette voix obscure et lointaine qui vous repond, c'est votre haine qui revient contre vous. Prenez garde, l'avenir est bon debiteur, et votre colere, il vous la rendra. Regardez les berceaux, ne leur noircissez pas la vie qui les attend. Si nous n'avons pas pitie des enfants, des autres, ayons pitie de nos enfants. Apaisement! apaisement! Helas! nous ecoutera-t-on?

N'importe, persistons, nous qui voulons qu'on promette et non qu'on menace, nous qui voulons qu'on guerisse et non qu'on mutile, nous qui voulons qu'on vive et non qu'on meure. Les grandes lois d'en haut sont avec nous. Il y a un profond parallelisme entre la lumiere qui nous vient du soleil et la clemence qui nous vient de Dieu. Il y aura une heure de pleine fraternite, comme il y a une heure de plein midi. Ne perds pas courage, o pitie! Quant a moi, je ne me lasserai pas, et ce que j'ai ecrit dans tous mes livres, ce que j'ai atteste par tous mes actes, ce que j'ai dit a tous les auditoires, a la tribune des pairs comme dans le cimetiere des proscrits, a l'assemblee nationale de France comme a la fenetre lapidee de la place des Barricades de Bruxelles, je l'attesterai, je l'ecrirai, et je le dirai sans cesse: il faut s'aimer, s'aimer, s'aimer! Les heureux doivent avoir pour malheur les malheureux. L'egoisme social est un commencement de sepulcre. Voulons-nous vivre, melons nos coeurs, et soyons l'immense genre humain. Marchons en avant, remorquons en arriere. La prosperite materielle n'est pas la felicite morale, l'etourdissement n'est pas la guerison, l'oubli n'est pas le paiement. Aidons, protegeons, secourons, avouons la faute publique et reparons-la. Tout ce qui souffre accuse, tout ce qui pleure dans l'individu saigne dans la societe, personne n'est tout seul, toutes les fibres vivantes tressaillent ensemble et se confondent, les petits doivent etre sacres aux grands, et c'est du droit de tous les faibles que se compose le devoir de tous les forts. J'ai dit.

Paris, juin 1875.

Actes et Paroles, Volume 1

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