Читать книгу Actes et Paroles, Volume 1 - Victor Hugo, Clara Inés Bravo Villarreal - Страница 19
CHAMBRE DES PAIRS
1845-1848
III
LA FAMILLE BONAPARTE
Оглавление[Note: Une petition de Jerome-Napoleon Bonaparte, ancien roi de Westphalie, demandait aux chambres la rentree de sa famille en France, M. Charles Dupin proposait le depot de cette petition au bureau des renseignements; il disait dans son rapport: "C'est a la couronne qu'il appartient de choisir le moment pour accorder, suivant le caractere et les merites des personnes, les faveurs qu'une tolerance eclairee peut conseiller; faveurs accordees plusieurs fois a plusieurs membres de l'ancienne famille imperiale, et toujours avec l'assentiment de la generosite nationale." La petition fut renvoyee au bur des renseignements. Le soir de ce meme jour, 14 juin, le roi Louis-Philippe, apres avoir pris connaissance du discours de M. Victor Hugo, declara au marechal Soult, president du conseil des ministres, qu'il entendait autoriser la famille Bonaparte a rentrer en France. (Note de l'editeur.)]
14 juin 1847.
Messieurs les pairs, en presence d'une petition comme celle-ci, je le declare sans hesiter, je suis du parti des exiles et des proscrits. Le gouvernement de mon pays peut compter sur moi, toujours, partout, pour l'aider et pour le servir dans toutes les occasions graves et dans toutes les causes justes. Aujourd'hui meme, dans ce moment, je le sers, je crois le servir du moins, en lui conseillant de prendre une noble initiative, d'oser faire ce qu'aucun gouvernement, j'en conviens, n'aurait fait avant l'epoque ou nous sommes, d'oser, en un mot, etre magnanime et intelligent. Je lui fais cet honneur de le croire assez fort pour cela.
D'ailleurs, laisser rentrer en France des princes bannis, ce serait de la grandeur, et depuis quand cesse-t-on d'etre assez fort parce qu'on est grand?
Oui, messieurs, je le dis hautement, dut la candeur de mes paroles faire sourire ceux qui ne reconnaissent dans les choses humaines que ce qu'ils appellent la necessite politique et la raison d'etat, a mon sens, l'honneur de notre gouvernement de juillet, le triomphe de la civilisation, la couronne de nos trente-deux annees de paix, ce serait de rappeler purement et simplement dans leur pays, qui est le notre, tous ces innocents illustres dont l'exil fait des pretendants et dont l'air de la patrie ferait des citoyens. (Tres bien! tres bien!)
Messieurs, sans meme invoquer ici, comme l'a fait si dignement le noble prince de la Moskowa, toutes les considerations speciales qui se rattachent au passe militaire, si national et si brillant, du noble petitionnaire, le frere d'armes de beaucoup d'entre vous, soldat apres le 18 brumaire, general a Waterloo, roi dans l'intervalle, sans meme invoquer, je le repete, toutes ces considerations pourtant si decisives, ce n'est pas, disons-le, dans un temps comme le notre, qu'il peut etre bon de maintenir les proscriptions et d'associer indefiniment la loi aux violences du sort et aux reactions de la destinee.
Ne l'oublions pas, car de tels evenements sont de hautes lecons, en fait d'elevations comme en fait d'abaissements, notre epoque a vu tous les spectacles que la fortune peut donner aux hommes. Tout peut arriver, car tout est arrive. Il semble, permettez-moi cette figure, que la destinee, sans etre la justice, ait une balance comme elle; quand un plateau monte, l'autre descend. Tandis qu'un sous-lieutenant d'artillerie devenait empereur des Francais, le premier prince du sang de France devenait professeur de mathematiques. Cet auguste professeur est aujourd'hui le plus eminent des rois de l'Europe. Messieurs, au moment de statuer sur cette petition, ayez ces profondes oscillations des existences royales presentes a l'esprit. (Adhesion.)
Non, ce n'est pas apres tant de revolutions, ce n'est pas apres tant de vicissitudes qui n'ont epargne aucune tete, qu'il peut etre impolitique de donner solennellement l'exemple du saint respect de l'adversite. Heureuse la dynastie dont on pourra dire: Elle n'a exile personne! elle n'a proscrit personne! elle a trouve les portes de la France fermees a des francais, elle les a ouvertes et elle a dit: entrez!
J'ai ete heureux, je l'avoue, que cette petition fut presentee. Je suis de ceux qui aiment l'ordre d'idees qu'elle souleve et qu'elle ramene. Gardez-vous de croire, messieurs, que de pareilles discussions soient inutiles! elles sont utiles entre toutes. Elles font reparaitre a tous les yeux, elles eclairent d'une vive lumiere pour tous les esprits ce cote noble et pur des questions humaines qui ne devrait jamais s'obscurcir ni s'effacer. Depuis quinze ans, on a traite avec quelque dedain et quelque ironie tout cet ordre de sentiments; on a ridiculise l'enthousiasme. Poesie! disait-on. On a raille ce qu'on a appele la politique sentimentale et chevaleresque, on a diminue ainsi dans les coeurs la notion, l'eternelle notion du vrai, du juste et du beau, et l'on a fait prevaloir les considerations d'utilite et de profit, les hommes d'affaires, les interets materiels. Vous savez, messieurs, ou cela nous a conduits. (Mouvement.)
Quant a moi, en voyant les consciences qui se degradent, l'argent qui regne, la corruption qui s'etend, les positions les plus hautes envahies par les passions les plus basses (mouvement prolonge), en voyant les miseres du temps present, je songe aux grandes choses du temps passe, et je suis, par moments, tente de dire a la chambre, a la presse, a la France entiere: Tenez, parlons un peu de l'empereur, cela nous fera du bien! (Vive et profonde adhesion.)
Oui, messieurs, remettons quelquefois a l'ordre du jour, quand l'occasion s'en presente, les genereuses idees et les genereux souvenirs. Occupons-nous un peu, quand nous le pouvons, de ce qui a ete et de ce qui est noble et pur, illustre, fier, heroique, desinteresse, national, ne fut-ce que pour nous consoler d'etre si souvent forces de nous occuper d'autre chose. (Tres bien!)
J'aborde maintenant le cote purement politique de la question. Je serai tres court; je prie la chambre de trouver bon que je l'effleure rapidement en quelques mots.
Tout a l'heure, j'entendais dire a cote de moi: Mais prenez garde! on ne provoque pas legerement l'abrogation d'une loi de bannissement politique; il y a danger; il peut y avoir danger. Danger! quel danger? Quoi? Des menees? des intrigues? des complots de salon? la generosite payee en conspirations et en ingratitude? Y a-t-il la un serieux peril? Non, messieurs Le danger, aujourd'hui, n'est pas du cote des princes. Nous ne sommes, grace a Dieu, ni dans le siecle ni dans le pays des revolutions de caserne et de palais. C'est peu de chose qu'un pretendant en presence d'une nation libre qui travaille et qui pense. Rappelez-vous l'avortement de Strasbourg suivi de l'avortement de Boulogne.
Le danger aujourd'hui, messieurs, permettez-moi de vous le dire en passant, voulez-vous savoir ou il est? Tournez vos regards, non du cote des princes, mais du cote des masses, – du cote des classes nombreuses et laborieuses, ou il y a tant de courage, tant d'intelligence, tant de patriotisme, ou il y a tant de germes utiles et en meme temps, je le dis avec douleur, tant de ferments redoutables. C'est au gouvernement que j'adresse cet avertissement austere. Il ne faut pas que le peuple souffre! il ne faut pas que le peuple ait faim! La est la question serieuse, la est le danger. La seulement, la, messieurs, et point ailleurs! (Oui!) Toutes les intrigues de tous les pretendants ne feront point changer de cocarde au moindre de vos soldats, les coups de fourche de Buzancais peuvent ouvrir brusquement un abime! (Mouvement.)
J'appelle sur ce que je dis en ce moment les meditations de cette sage et illustre assemblee.
Quant aux princes bannis, sur lesquels le debat s'engage, voici ce que je dirai au gouvernement; j'insiste sur ceci, qui est ma conviction, et aussi, je crois, celle de beaucoup de bons esprits: j'admets que, dans des circonstances donnees, des lois de bannissement politique, lois de leur nature toujours essentiellement revolutionnaires, peuvent etre momentanement necessaires. Mais cette necessite cesse; et, du jour ou elles ne sont plus necessaires, elles ne sont pas seulement illiberales et iniques, elles sont maladroites.
L'exil est une designation a la couronne, les exiles sont des en-cas. (Mouvement.) Tout au contraire, rendre a des princes bannis, sur leur demande, leur droit de cite, c'est leur oter toute importance, c'est leur declarer qu'on ne les craint pas, c'est leur demontrer par le fait que leur temps est fini. Pour me servir d'expressions precises, leur restituer leur qualite civique, c'est leur retirer leur signification politique. Cela me parait evident. Replacez-les donc dans la loi commune; laissez-les, puisqu'ils vous le demandent, laissez-les rentrer en France comme de simples et nobles francais qu'ils sont, et vous ne serez pas seulement justes, vous serez habiles.
Je ne veux remuer ici, cela va sans dire, aucune passion. J'ai le sentiment que j'accomplis un devoir en montant a cette tribune. Quand j'apporte au roi Jerome-Napoleon, exile, mon faible appui, ce ne sont pas seulement toutes les convictions de mon ame, ce sont tous les souvenirs de mon enfance qui me sollicitent. Il y a, pour ainsi dire, de l'heredite dans ce devoir, et il me semble que c'est mon pere, vieux soldat de l'empire, qui m'ordonne de me lever et de parler. (Sensation.) Aussi je vous parle, messieurs les pairs, comme on parle quand on accomplit un devoir. Je ne m'adresse, remarquez-le, qu'a ce qu'il y a de plus calme, de plus grave, de plus religieux dans vos consciences. Et c'est pour cela que je veux vous dire et que je vais vous dire, en terminant, ma pensee tout entiere sur l'odieuse iniquite de cette loi dont je provoque l'abrogation. (Marques d'attention.)
Messieurs les pairs, cet article d'une loi francaise qui bannit a perpetuite du sol francais la famille de Napoleon me fait eprouver je ne sais quoi d'inoui et d'inexprimable. Tenez, pour faire comprendre ma pensee, je vais faire une supposition presque impossible. Certes, l'histoire des quinze premieres annees de ce siecle, cette histoire que vous avez faite, vous, generaux, veterans venerables devant qui je m'incline et qui m'ecoutez dans cette enceinte … (mouvement), cette histoire, dis-je, est connue du monde entier, et il n'est peut-etre pas, dans les pays les plus lointains, un etre humain qui n'en ait entendu parler. On a trouve en Chine, dans une pagode, le buste de Napoleon parmi les figures des dieux! Eh bien! je suppose, c'est la ma supposition a peu pres impossible, mais vous voulez bien me l'accorder, je suppose qu'il existe dans un coin quelconque de l'univers un homme qui ne sache rien de cette histoire, et qui n'ait jamais entendu prononcer le nom de l'empereur, je suppose que cet homme vienne en France, et qu'il lise ce texte de loi qui dit: "La famille de Napoleon est bannie a perpetuite du territoire francais." Savez-vous ce qui se passerait dans l'esprit de cet etranger? En presence d'une penalite si terrible, il se demanderait ce que pouvait etre ce Napoleon, il se dirait qu'a coup sur c'etait un grand criminel, que sans doute une honte indelebile s'attachait a son nom, que probablement il avait renie ses dieux, vendu son peuple, trahi son pays, que sais-je? … Il se demanderait, cet etranger, avec une sorte d'effroi, par quels crimes monstrueux ce Napoleon avait pu meriter d'etre ainsi frappe a jamais dans toute sa race. (Mouvement