Читать книгу Actes et Paroles, Volume 1 - Victor Hugo, Clara Inés Bravo Villarreal - Страница 18
CHAMBRE DES PAIRS
1845-1848
II
CONSOLIDATION ET DEFENSE DU LITTORAL
Оглавление[Note: Dans la seance du 27 juin, un incident fut souleve, par M. de Boissy, sur l'ordre du jour. La chambre avait a discuter deux projets de loi: le premier etait relatif a des travaux a executer dans differents ports de commerce, le second decretait le rachat du havre de Courseulles. M. de Boissy voulait que la discussion du premier de ces projets, qui emportait 13 millions de depense, fut remise apres le vote du budget des recettes. La proposition de M. de Boissy, combattue par M. Dumon, le ministre des travaux publics et par M. Tupinier, rapporteur de la commission qui avait examine les projets de loi, fut rejetee apres ce discours de M. Victor Hugo. La discussion eut lieu dans la seance du 29. (Note de l'editeur.)]
27 juin et 1er juillet 1846.
Messieurs,
Je me reunis aux observations presentees par M. le ministre des travaux publics. Les degradations auxquelles il s'agit d'obvier marchent, il faut le dire, avec une effrayante rapidite. Il y a pour moi, et pour ceux qui ont etudie cette matiere, il y a urgence. Dans mon esprit meme, le projet de loi a une portee plus grande que dans la pensee de ses auteurs. La loi qui vous est presentee n'est qu'une parcelle d'une grande loi, d'une grande loi possible, d'une grande loi necessaire; cette loi, je la provoque, je declare que je voudrais la voir discuter par les chambres, je voudrais la voir presenter et soutenir par l'excellent esprit et l'excellente parole de l'honorable ministre qui tient en ce moment le portefeuille des travaux publics.
L'objet de cette grande loi dont je deplore l'absence, le voici: maintenir, consolider et ameliorer au double point de vue militaire et commercial la configuration du littoral de la France. (Mouvement d'attention.)
Messieurs, si on venait vous dire: Une de vos frontieres est menacee; vous avez un ennemi qui, a toute heure, en toute saison, nuit et jour, investit et assiege une de vos frontieres, qui l'envahit sans cesse, qui empiete sans relache, qui aujourd'hui vous derobe une langue de terre, demain une bourgade, apres-demain une ville frontiere; si l'on vous disait cela, a l'instant meme cette chambre seleverait et trouverait que ce n'est pas trop de toutes les forces du pays pour le defendre contre un pareil danger. Eh bien, messieurs les pairs, cette frontiere, elle existe, c'est votre littoral; cet ennemi, il existe, c'est l'ocean. (Mouvement.) Je ne veux rien exagerer. M. le ministre des travaux publics sait comme moi que les degradations des cotes de France sont nombreuses et rapides; il sait, par exemple, que cette immense falaise, qui commence a l'embouchure de la Somme et qui finit a l'embouchure de la Seine, est dans un etat de demolition perpetuelle. Vous n'ignorez pas que la mer agit incessamment sur les cotes; de meme que l'action de l'atmosphere use les montagnes, l'action de la mer use les cotes. L'action atmospherique se complique d'une multitude de phenomenes. Je demande pardon a la chambre si j'entre dans ces details, mais je crois qu'ils sont utiles pour demontrer l'urgence du projet actuel et l'urgence d'une plus grande loi sur cette matiere. (De toutes parts: Parlez! parlez!)
Messieurs, je viens de le dire, l'action de l'atmosphere qui agit sur les montagnes se complique d'une multitude de phenomenes; il faut des milliers d'annees a l'action atmospherique pour demolir une muraille comme les Pyrenees, pour creer une ruine comme le cirque de Gavarnie, ruine qui est en meme temps le plus merveilleux des edifices. Il faut tres peu de temps aux flots de la mer pour degrader une cote; un siecle ou deux suffisent, quelquefois moins de cinquante ans, quelquefois un coup d'equinoxe. Il y a la destruction continue et la destruction brusque.
Depuis l'embouchure de la Somme jusqu'a l'embouchure de la Seine, si l'on voulait compter toutes les degradations quotidiennes qui ont lieu, on serait effraye. Etretat s'ecroule sans cesse; le Bourgdault avait deux villages il y a un siecle, le village du bord de la mer, et le village du haut de la cote. Le premier a disparu, il n'existe aujourd'hui que le village du haut de la cote. Il y avait une eglise, l'eglise d'en bas, qu'on voyait encore il y a trente ans, seule et debout au milieu des flots comme un navire echoue; un jour l'ouragan a souffle, un coup de mer est venu, l'eglise a sombre. (Mouvement.) Il ne reste rien aujourd'hui de cette population de pecheurs, de ce petit port si utile. Messieurs, vous ne l'ignorez pas, Dieppe s'encombre tous les jours; vous savez que tous nos ports de la Manche sont dans un etat grave, et pour ainsi dire atteints d'une maladie serieuse et profonde.
Vous parlerai-je du Havre, dont l'etat doit vous preoccuper au plus haut degre? J'insiste sur ce point; je sais que ce port n'a pas ete mis dans la loi, je voudrais cependant qu'il fixat l'attention de M. le ministre des travaux publics. Je prie la chambre de me permettre de lui indiquer rapidement quels sont les phenomenes qui ameneront, dans un temps assez prochain, la destruction de ce grand port, qui est a l'Ocean ce que Marseille est a la Mediterranee. (Parlez! parlez!)
Messieurs, il y a quelques jours on discutait devant vous, avec une remarquable lucidite de vues, la question de la marine; cette question a ete traitee dans une autre enceinte avec une egale superiorite. La puissance maritime d'une nation se fonde sur quatre elements: les vaisseaux, les matelots, les colonies et les ports; je cite celui-ci le dernier, quoiqu'il soit le premier. Eh bien, la question des vaisseaux et des matelots a ete approfondie, la question des colonies a ete effleuree; la question des ports n'a pas ete traitee, elle n'a pas meme ete entrevue. Elle se presente aujourd'hui, c'est le moment sinon de la traiter a fond, au moins de l'effleurer aussi. (Oui! oui!)
C'est du gouvernement que doivent venir les grandes impulsions; mais c'est des chambres, c'est de cette chambre en particulier, que doivent venir les grandes indications. (Tres bien!)
Messieurs, je touche ici a un des plus grands interets de la France, je prie la chambre de s'en penetrer. Je le repete et j'y insiste, maintenir, consolider et ameliorer, au profit de notre marine militaire et marchande, la configuration de notre littoral, voila le but qu'on doit se proposer. (Oui, tres bien!) La loi actuelle n'a qu'un defaut, ce n'est pas un manque d'urgence, c'est un manque de grandeur. (Sensation.)
Je voudrais que la loi fut un systeme, qu'elle fit partie d'un ensemble, que le ministre nous l'eut presentee dans un grand but et dans une grande vue, et qu'une foule de travaux importants, serieux, considerables fussent entrepris dans ce but par la France. C'est la, je le repete, un immense interet national. (Vif assentiment.)
Voici, puisque la chambre semble m'encourager, ce qui me parait devoir frapper son attention. Le courant de la Manche…
M. LE CHANCELIER. – J'invite l'orateur a se renfermer dans le projet en discussion.
M. VICTOR HUGO. – Voici ce que j'aurai l'honneur de faire remarquer a M. le chancelier. Une loi contient toujours deux points de vue, le point de vue special et le point de vue general; le point de vue special, vous venez de l'entendre traiter; le point de vue general, je l'aborde.
Eh bien! lorsqu'une loi souleve des questions aussi graves, vous voudriez que ces questions passassent devant la chambre sans etre traitees, sans etre examinees par elle! (Bruit.)
A l'heure qu'il est, la question d'urgence se discute; je crois qu'il ne s'agit que de cette question, et c'est elle que je traite, je suis donc dans la question. (Plusieurs voix: Oui! oui!) Je crois pouvoir demontrer a cette noble chambre qu'il y a urgence pour cette loi, parce qu'il y a urgence pour tout le littoral.
Maintenant si, au nombre des arguments dont je dois me servir, je presente le fait d'une grande imminence, d'un peril demontre, constate, evident pour tous, et en particulier pour M. le ministre des travaux publics, il me semble que je puis, que je dois invoquer cette grande urgence, signaler ce grand peril, et que si je puis reussir a montrer qu'il y a la un serieux interet public, je n'aurai pas mal employe le temps que la chambre aura bien voulu m'accorder. (Adhesion sur plusieurs bancs.)
Si la question d'ordre du jour s'oppose a ce que je continue un developpement que je croyais utile, je prierai la chambre de vouloir bien me reserver la parole au moment de la discussion de cette loi (Sans doute! sans doute!), car je crois necessaire de dire a la chambre certaines choses; mais dans ce moment-ci je ne parle que pour soutenir l'urgence du projet de loi. J'approuve l'insistance de M. le ministre des travaux publics; je l'appuie, je l'appuie energiquement.
Vous nous mettez en presence d'une petite loi; je la vote, je la vote avec empressement; mais j'en provoque une grande.
Vous nous apportez des travaux partiels, je les approuve; mais je voudrais des travaux d'ensemble.
J'insiste sur l'importance de la question. (Parlez! parlez!)
Messieurs, toute nation a la fois continentale et maritime comme la France a toujours trois questions qui dominent toutes les autres, et d'ou toutes les autres decoulent. De ces trois questions, la premiere, la voici: ameliorer la condition de la population. Voici la seconde: maintenir et defendre l'integrite du territoire. Voici la troisieme: maintenir et consolider la configuration du littoral.
Maintenir le territoire, c'est-a-dire surveiller l'etranger.
Consolider le littoral, c'est-a-dire surveiller l'ocean.
Ainsi, trois questions de premier ordre: le peuple, le territoire, le littoral. De ces trois questions, les deux premieres apparaissent frequemment sous toutes les formes dans les deliberations des assemblees. Lorsque l'imprevoyance des hommes les retire de l'ordre du jour, la force des choses les y remet. La troisieme question, le littoral, semble preoccuper moins vivement les corps deliberants. Est-elle plus obscure que les deux autres? Elle se complique, a la verite, d'un element politique et d'un element geologique, elle exige de certaines etudes speciales; cependant elle est, comme les deux autres, un serieux interet public.
Chaque fois que cette question du littoral, du littoral de la France en particulier, se presente a l'esprit, voici ce qu'elle offre de grave et d'inquietant: la degradation de nos dunes et de nos falaises, la ruine des populations riveraines, l'encombrement de nos ports, l'ensablement des embouchures de nos fleuves, la creation des barres et des traverses, qui rendent la navigation si difficile, la frequence des sinistres, la diminution de la marine militaire et de la marine marchande; enfin, messieurs, notre cote de France, nue et desarmee, en presence de la cote d'Angleterre, armee, gardee et formidable! (Emotion.)
Vous le voyez, messieurs, vous le sentez, et ce mouvement de la chambre me le prouve, cette question a de la grandeur, elle est digne d'occuper au plus haut point cette noble assemblee.
Ce n'est pas cependant a la derniere heure d'une session, a la derniere heure d'une legislature, qu'un pareil sujet peut etre aborde dans tous ses details, examine dans toute son etendue. On n'explore pas au dernier moment un si vaste horizon, qui nous apparait tout a coup. Je me bornerai a un coup d'oeil. Je me bornerai a quelques considerations generales pour fixer l'attention de la chambre, l'attention de M. le ministre des travaux publics, l'attention du pays, s'il est possible. Notre but, aujourd'hui, mon but a moi, le voici en deux, mots; je l'ai dit en commencant: voter une petite loi, et en ebaucher une grande.
Messieurs les pairs, il ne faut pas se dissimuler que l'etat du littoral de la France est en general alarmant; le littoral de la France est entame sur un tres grand nombre de points, menace sur presque tous. Je pourrais citer des faits nombreux, je me bornerai a un seul; un fait sur lequel j'ai commence a appeler vos regards a l'une des precedentes seances; un fait d'une gravite considerable, et qui fera comprendre par un seul exemple de quelle nature sont les phenomenes qui menacent de ruiner une partie de nos ports et de deformer la configuration des cotes de France.
Ici, messieurs, je reclame beaucoup d'attention et un peu de bienveillance, car j'entreprends une chose tres difficile; j'entreprends d'expliquer a la chambre en peu de mots, et en le depouillant des termes techniques, un phenomene a l'explication duquel la science depense des volumes. Je serai court et je tacherai d'etre clair.
Vous connaissez tous plus ou moins vaguement la situation grave du Havre; vous rendez-vous tous bien compte du phenomene qui produit cette situation, et de ce qu'est cette situation? Je vais tacher de le faire comprendre a la chambre.
Les courants de la Manche s'appuient sur la grande falaise de Normandie, la battent, la minent, la degradent perpetuellement; cette colossale demolition tombe dans le flot, le flot s'en empare et l'emporte; le courant de l'Ocean longe la cote en charriant cette enorme quantite de matieres, toute la ruine de la falaise; chemin faisant, il rencontre le Treport, Saint-Valery-en-Caux, Fecamp, Dieppe, Etretat, tous vos ports de la Manche, grands et petits, il les encombre et passe outre. Arrive au cap de la Heve, le courant rencontre, quoi? la Seine qui debouche dans la mer. Voila deux forces en presence, le fleuve qui descend, la mer qui passe et qui monte.
Comment ces deux forces vont-elles se comporter? Une lutte s'engage; la premiere chose que font ces deux courants qui luttent, c'est de deposer les fardeaux qu'ils apportent; le fleuve depose ses alluvions, le courant depose les ruines de la cote. Ce depot se fait, ou? Precisement a l'endroit ou la providence a place le Havre-de-Grace.
Ce phenomene a depuis longtemps eveille la sollicitude des divers gouvernements qui se sont succede en France. En 1784 un sondage a ete ordonne, et execute par l'ingenieur Degaule. Cinquante ans plus tard, en 1834, un autre sondage a ete execute par les ingenieurs de l'etat. Les cartes speciales de ces deux sondages existent, on peut les confronter. Voici ce que ces deux cartes demontrent. (Attention marquee.)
A l'endroit precis ou les deux courants se rencontrent, devant le Havre meme, sous cette mer qui ne dit rien au regard, un immense edifice se batit, une construction invisible, sous-marine, une sorte de cirque gigantesque qui s'accroit tous les jours, et qui enveloppe et enferme silencieusement le port du Havre. En cinquante ans, cet edifice s'est accru d'une hauteur deja considerable. En cinquante ans! Et a l'heure ou nous sommes, on peut entrevoir le jour ou ce cirque sera ferme, ou il apparaitra tout entier a la surface de la mer, et ce jour-la, messieurs, le plus grand port commercial de la France, le port du Havre n'existera plus. (Mouvement.)
Notez ceci: dans ce meme lieu quatre ports ont existe et ont disparu, Granville, Sainte-Adresse, Harfleur, et un quatrieme, dont le nom m'echappe en ce moment.
Oui, j'appelle sur ce point votre attention, je dis plus, votre inquietude. Dans un temps donne le Havre est perdu, si le gouvernement, si la science ne trouvent pas un moyen d'arreter dans leur operation redoutable et mysterieuse ces deux infatigables ouvriers qui ne dorment pas, qui ne se reposent pas, qui travaillent nuit et jour, le fleuve et l'ocean!
Messieurs, ce phenomene alarmant se reproduit dans des proportions differentes sur beaucoup de points de notre littoral. Je pourrais citer d'autres exemples, je me borne a celui-ci. Que pourrais-je vous citer de plus frappant qu'un si grand port en proie a un si grand danger?
Lorsqu'on examine l'ensemble des causes qui amenent la degradation de notre littoral … – Je demande pardon a la chambre d'introduire ici une parenthese, mais j'ai besoin de lui dire que je ne suis pas absolument etranger a cette matiere. J'ai fait dans mon enfance, etant destine a l'ecole polytechnique, les etudes preliminaires; j'ai depuis, a diverses reprises, passe beaucoup de temps au bord de la mer; j'ai de plus, pendant plusieurs annees, parcouru tout notre littoral de l'Ocean et de la Mediterranee, en etudiant, avec le profond interet qu'eveillent en moi les interets de la France et les choses de la nature, la question qui vous est, a cette heure, partiellement soumise.
Je reprends maintenant.
Ce phenomene, que je viens de tacher d'expliquer a la chambre, ce phenomene qui menace le port du Havre, qui, dans un temps donne, enlevera a la France ce grand port, son principal port sur la Manche, ce phenomene se produit aussi, je le repete, sous diverses formes, sur divers points du littoral.
Le choc de la vague! au milieu de tout ce desordre de causes melees, de toute cette complication, voila un fait plein d'unite, un fait qu'on peut saisir; la science a essaye de le faire.
Amortissez, detruisez le choc de la vague, vous sauvez la configuration du littoral.
C'est la un vaste probleme digne de rencontrer une magnifique solution.
Et d'abord, qu'est-ce que le choc de la vague? Messieurs, l'agitation de la vague est un fait superficiel, la cloche a plongeur l'a prouve, la science l'a reconnu. Le fond de la mer est toujours tranquille. Dans les redoutables ouragans de l'equinoxe, vous avez a la surface la plus violente tempete, a trois toises au-dessous du flot, le calme le plus profond.
Ensuite, qu'est-ce que la force de la vague? La force de la vague se compose de sa masse. Divisez la masse, vous n'avez plus qu'une immense pluie; la force s'evanouit.
Partant de ces deux faits capitaux, l'agitation superficielle, la force dans la masse, un anglais, d'autres disent un francais, a pense qu'il suffirait, pour briser le choc de la vague, de lui opposer, a la surface de la mer, un obstacle a claire-voie, a la fois fixe et flottant. De la l'invention du brise-lame du capitaine Taylor, car, dans mon impartialite, je crois et je dois le dire, que l'inventeur est anglais. Ce brise-lame n'est autre chose qu'une carcasse de navire, une sorte de corbeille de charpente qui flotte a la surface du flot, retenue au fond de la mer par un ancrage puissant. La vague vient, rencontre cet appareil, le traverse, s'y divise, et la force se disperse avec l'ecume.
Vous le voyez, messieurs, si la pratique est d'accord avec la theorie, le probleme est bien pres d'etre resolu. Vous pouvez arreter la degradation de vos cotes. Le choc de la vague est le danger, le brise-lame serait le remede.
Messieurs les pairs, je n'ai aucune competence ni aucune pretention pour decider de l'excellence de cette invention; mais je rends ici un veritable, un sincere hommage a M. le ministre des travaux publics qui a provoque dans un port de France une experience considerable du brise-lame flottant. Cette experience a eu lieu a la Ciotat. M. le ministre des travaux publics a autorise au port de la Ciotat, port ouvert aux vents du sud-est qui viennent y briser les navires jusque sur le quai, il a autorise dans ce port la construction d'un brise-lame flottant a huit sections.
L'experience parait avoir reussi. D'autres essais ont ete faits en Angleterre, et, sans qu'on puisse rien affirmer encore d'une facon decisive, voici ce qui s'est produit jusqu'a ce jour. Toutes les fois qu'un brise-lame flottant est installe dans un port, dans une localite quelconque, meme en pleine mer, si l'on examine dans les gros temps de quelle facon la mer se comporte aupres de ce brise-lame, la tempete est au dela, le calme est en deca.
Le probleme du choc de la vague est donc bien pres d'etre resolu. Feconder l'invention du brise-lame, la perfectionner, voila, a mon sens, un grand interet public que je recommande au gouvernement.
Je ne veux pas abuser de l'attention si bienveillante de l'assemblee (Parlez! tout ceci est nouveau!), je ne veux pas entrer dans des considerations plus etendues encore auxquelles donnerait lieu le projet de loi. Je ferai remarquer seulement, et j'appelle sur ce point encore l'attention de M. le ministre des travaux publics, qu'une grande partie de notre littoral est depourvue de ports de refuge. Vous savez ce que c'est que le golfe de Gascogne, c'est un lieu redoutable, c'est une sorte de fond de cuve ou s'accumulent, sous la pression colossale des vagues, tous les sables arraches depuis le pole au littoral europeen. Eh bien, le golfe de Gascogne n'a pas un seul port de refuge. La cote de la Mediterranee n'en a que deux, Bouc et Cette. Le port de Cette a perdu une grande partie de son efficacite par l'etablissement d'un brise-lame en maconnerie qui, en retrecissant la passe, a rendu l'entree extremement difficile. M. le ministre des travaux publics le sait comme moi et le reconnait. Il serait possible d'etablir a Agde un port de refuge qui semble indique par la nature elle-meme. Ceci est d'autant plus important que les sinistres abondent dans ces parages. De 1836 a 1844, en sept ans, quatrevingt-douze navires se sont perdus sur cette cote; un port de refuge les eut sauves.
Voila donc les divers points sur lesquels j'appelle la sollicitude du gouvernement: premierement, etudier dans son ensemble la question du littoral que je n'ai pu qu'effleurer; deuxiemement, examiner le systeme propose par M. Bernard Fortin, ingenieur de l'etat, pour l'embouchure des fleuves et notamment pour le Havre; troisiemement, etudier et generaliser l'application du brise-lame; quatriemement, creer des ports de refuge.
Je voudrais qu'un bon sens ferme et ingenieux comme celui de l'honorable M. Dumon s'appliquat a l'etude et a la solution de ces diverses questions. Je voudrais qu'il nous fut presente a la session prochaine un ensemble de mesures qui regulariserait toutes celles qu'on a prises jusqu'a ce jour et a l'efficacite desquelles je m'associe en grande partie. Je suis loin de meconnaitre tout ce qui a ete fait, pourvu qu'on reconnaisse tout ce qui peut etre fait encore; et pour ma part j'appuie le projet de loi. Une somme de cent cinquante millions a ete depensee depuis dix ans dans le but d'ameliorer les ports; cette somme aurait pu etre utilisee dans un systeme plus grand et plus vaste; cependant cette depense a ete localement utile et a obvie a de grands inconvenients, je suis loin de le nier. Mais ce que je demande a M. le ministre des travaux publics, c'est l'examen approfondi de toutes ces questions. Nous sommes en presence de deux phenomenes contraires sur notre double littoral. Sur l'un, nous avons l'Ocean qui s'avance; sur l'autre, la Mediterranee qui se retire. Deux perils egalement graves. Sur la cote de l'Ocean, nos ports perissent par l'encombrement; sur la cote de la Mediterranee, ils perissent par l'atterrissement.
Je ne dirai plus qu'un mot, messieurs. La nature nous a fait des dons magnifiques; elle nous a donne ce double littoral sur l'Ocean et sur la Mediterranee. Elle nous a donne des rades nombreuses sur les deux mers, des havres de commerce, des ports de guerre. Eh bien, il semble, quand on examine certains phenomenes, qu'elle veuille nous les retirer. C'est a nous de nous defendre, c'est a nous de lutter. Par quels moyens? Par tous les moyens que l'art, que la science, que la pensee, que l'industrie mettent a notre service. Ces moyens, je les ignore, ce n'est pas moi qui peux utilement les indiquer; je ne peux que provoquer, je ne peux que desirer un travail serieux sur la matiere, une grande impulsion de l'etat. Mais ce que je sais, ce que vous savez comme moi, ce que j'affirme, c'est que ces forces, ces marees qui montent, ces fleuves qui descendent, ces forces qui detruisent, peuvent aussi creer, reparer, feconder; elles enfantent le desordre, mais, dans les vues eternelles de la providence, c'est pour l'ordre qu'elles sont faites. Secondons ces grandes vues; peuple, chambres, legislateurs, savants, penseurs, gouvernants, ayons sans cesse presente a l'esprit cette haute et patriotique idee, fortifier, fortifier dans tous les sens du mot, le littoral de la France, le fortifier contre l'Angleterre, le fortifier contre l'Ocean! Dans ce grand but, stimulons l'esprit de decouverte et de nouveaute, qui est comme l'ame de notre epoque. C'est la la mission d'un peuple comme la France. Dans ce monde, c'est la mission de l'homme lui-meme, Dieu l'a voulu ainsi; partout ou il y a une force, il faut qu'il y ait une intelligence pour la dompter. La lutte de l'intelligence humaine avec les forces aveugles de la matiere est le plus beau spectacle de la nature; c'est par la que la creation se subordonne a la civilisation et que l'oeuvre complete de la providence s'execute.
Je vote donc pour le projet de loi; mais je demande a M. le ministre des travaux publics un examen approfondi de toutes les questions qu'il souleve. Je demande que les points que je n'ai pu parcourir que tres rapidement, j'en ai indique les motifs a la chambre, soient etudies avec tous les moyens dont le gouvernement dispose, grace a la centralisation. Je demande qu'a l'une des sessions prochaines un travail general, un travail d'ensemble, soit apporte aux chambres. Je demande que la question grave du littoral soit mise desormais a l'ordre du jour pour les pouvoirs comme pour les esprits. Ce n'est pas trop de toute l'intelligence de la France pour lutter contre toutes les forces de la mer. (Approbation sur tous les bancs.)