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GEORGES DANIEL DE MONFREID, à vrai dire, était connu de Gauguin depuis le retour de la Martinique. Les deux peintres avaient d’abord été deux bons marins. Monfreid naviguait pour son plaisir sur une goélette de trente-six tonneaux, faisant son libre cabotage de Saint-Malo à Port-Vendres, puis en Algérie, puis ailleurs... Mais à terre, il dessinait, accomplissant avec ferveur et gravité cette tâche de donner sa propre vision du monde, qui est à tout le monde. Et Monfreid se trouva parmi les premiers à recevoir de l’œuvre de Gauguin les coups de poing que celui-ci lançait au passage, ou les coups d’épaule qu’il prêtait pour que l’on s’appuyât. On ne peut dire, (et Gauguin, si jaloux de sa maîtrise juste, ne le permettrait pas) que Monfreid en quelque sorte fut élève de Gauguin, — mais qu’il était prêt à en saisir les impulsions libératrices dans toute leur portée, que seuls les plus forts pouvaient atteindre. Et dès lors, Monfreid aperçut, évalua et pesa ce qui était lui-même, et sans jamais subir l’empreinte ni l’emprise écrasante d’un maître meurtrier de toutes les faiblesses, peignit comme il fera jusqu’à la fin de sa vie.

C’est donc de cet un à cet autre que les Lettres, durant douze années, vont s’échanger. L’amitié, établie dès le départ, s’accuse, non pas de jour en jour, car les courriers sont rares. Tous les envois commencent par «Mon cher Daniel...» Daniel est un pseudonyme adopté par Monfreid à ses débuts, et que l’on doit intercaler dans son nom. Mais la formule finale, de la première à la dernière lettre, est en progression de confiance: «Cordialement à tous amis artistes...» — «Poignée de main...» — «Tout à vous...» — «Tout à vous grandement...» — «Tout vôtre, affectueusement...» Et voici qu’au nom de Daniel, Gauguin unit celui d’Annette, «chère à Daniel», et l’image enfantine des jolis cheveux roux «qui broussent dans le jardin...»

Ainsi, à travers une absence si profonde qu’il faut cinq à six mois aux demandes et réponses pour être satisfaites, se nourrit cette double amitié. Des deux côtés, les plus solides vertus de l’artiste. Monfreid, avec un geste de peintre ménager de ses mots, tient Gauguin pour «un grand bonhomme». Gauguin juge son ami un bon juge de ses propres efforts: «Je suis impatient, lui écrit-il, du courrier prochain où vous me parlerez des tableaux que j’ai envoyés: j’ai hâte de savoir si je suis dans l’erreur ou non.» Et encore, s’adressant à un acheteur des Degas, Cézanne, Renoir et de Monfreid : «A l’énumération de votre collection, je vois que je suis en compagnie de maîtres, et cela rend heureux mais aussi bien timide... J’y vois des Daniel. Enfin il y a donc des hommes qui savent apprécier la peinture! Daniel, en outre qu’il est artiste, est la plus belle nature loyale et franche que je connaisse... »

Les deux peintres s’étaient confrontés jusque dans leurs valeurs sociales. Gauguin, au mépris du troupeau des hommes, apportait ce «don magnifique» fait à la multitude par quelques-uns. Monfreid répondait d’un regard aussi net, aussi dur, aussi dépouillé de toutes les écoles et même, en tant qu’homme, possédait plus. Gauguin passa pour un «mufle» un «impudent parasite», un «égoïste», un «monsieur sans-gêne», (épithètes relevées dans les jugements de ses bons amis). Monfreid, de l’accord unanime, fut en cette histoire comme en toutes un parfait gentilhomme. C’est en laissant derrière lui, à l’autre face du monde, ce répondant et ce garant, que Paul Gauguin s’en fut aux îles Pacifiques.

Dès lors, il n’y a de vrai compagnon pour lui que l’antique indigène retrouvé. Monfreid affirme: le seul aveu de Gauguin partant Pour Tahiti fut cette décision répétée, obstinée:

— «Je veux aller chez les sauvages».

Pour toujours il ne cherche plus d’autre confident proche, d’autre spectateur étonné, — ni d’autre spectacle, — que l’homme et que la femme maoris.

Lettres de Paul Gauguin à Georges-Daniel de Monfreid

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