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III
COMMENT ON SOUFFLE SUR LE FEU

Table des matières


R, pendant que René renseignait si bien M. de Briançon, Mlle d’Armaillac n’était pas non plus mal renseignée; voici comme:

A peine son valseur avait-il tourné les talons, qu’un autre était survenu. Jeanne avait d’abord dit qu’elle ne voulait plus valser, mais dans son dépit d’être sitôt plantée là par Martial, elle aima mieux s’étourdir dans une seconde valse; elle avait donc promis de valser encore, comme pour continuer son rêve.

Il restait une place sur le canapé; le nouveau valseur qui connaissait la mère ne fit pas de façon pour s’asseoir près de la fille, pendant qu’on dansait le quadrille. Comme Mme d’Armaillac, une bonapartiste passionnée, discutait alors avec M. de Kératry, qui lui prêchait les douceurs du quatre septembre, le nouveau venu entra de plain-pied dans l’esprit de Jeanne en lui parlant de celui qui venait de valser avec elle.

–Je suis bien sûr, mademoiselle, que vous ne connaissez pas celui qui a tourbillonné avec vous?

–Non, monsieur; si on connaissait son valseur on ne valserait jamais.

Le jeune homme s’inclina.

–Je vous remercie, mademoiselle, mais il ne faudrait pourtant pas me confondre avec M. de Briançon. Je suis un homme, sérieux.

Cette fois, ce fut la jeune fille qui s’inclina avec une adorable raillerie:

–Cela se voit bien, monsieur. Je suis sûre que vous êtes dans la magistrature.

–Vous avez deviné, mademoiselle, je suis depuis hier substitut du procureur de la République.

–Depuis hier, monsieur, et ce bonheur ne vous suffit pas, il faut encore que vous veniez vous amuser dans le monde.

–Oui, M. Dufaure, qui est mon protecteur et qui a plaidé pour la duchesse, m’a obtenu une invitation, en disant que j’étais capable de conduire le cotillon.

Jeanne s’inclina une seconde fois.

–Décidément, monsieur, vous êtes un homme sérieux. Je reconnais bien là la magistrature.

Un silence. Le jeune homme ne trouvait plus rien à dire, mais la jeune fille aurait bien voulu qu’il lui parlât de M. de Briançon.

Il sembla la deviner, car presque aussitôt il lui dit:

–Ce M. de Briançon devrait bien, pour l’honneur de son nom, ne pas scandaliser Paris par ses dévergondages galants; il n’y a pas une drôlesse avec laquelle il ne s’affiche; par exemple, hier encore, figurez-vous qu’il était à l’orchestre des Italiens avec Mlle Cora-Sans-Perles, une bottine au vent s’il en fut.

Jeanne masqua un accent de colère, en disant au jeune magistrat:

–Il paraît, monsieur, que vous les connaissez bien vous-même ces drôlesses.

–Que voulez-vous, mademoiselle, il faut bien connaître son Paris, sans quoi on s’exposerait à faire beaucoup de bêtises, depuis que toutes les femmes ont la même couturière.

–C’est imprimé, dit Mlle d’Armaillac avec impatience.

–Mais, reprit l’indiscret d’un air fin, il y a connaître et connaître; moi, je connais ces demoiselles tout juste pour ne pas leur parler, tandis que M. de Briançon les connaît pour leur avoir trop parlé. Par exemple, le voilà parti, savez-vous où il va? J’ai entendu parler d’un bal et d’un souper je ne sais où, c’est là qu’il conduira le cotillon: à chacun selon ses œuvres. On ne peut pas dire de ces messieurs qu’ils ne voient pas lever l’aurore, car ils se couchent quand le soleil se lève.

Jeanne se mordait les lèvres et agitait son éventail. A chaque mot elle voulait interrompre le bavard, mais elle était plus curieuse encore qu’irritée.

–Oui, ’dit-elle, il paraît que tous les jeunes gens bien nés commencent par cette vie-là, mais ils prennent leur revanche.

–M. de Briançon ne prendra pas sa revanche, il sera toute sa vie détaché d’ambassade; toutes ces demoiselles l’ont compris en se le jetant l’une à l’autre comme un volant à la raquette.

Jeanne ne voulait pas être vaincue, chaque mot la blessait, mais elle ripostait.

–J’ai ouï dire, murmura-t-elle en s’efforçant de garder son masque impassible, que le duc de Morny avait été le meilleur ministre, M. Janvier le meilleur préfet et M. Roqueplan le meilleur directeur de] théâtre. Les imbéciles ne font pas parler d’eux ni en bien ni en mal.

Le jeune magistrat eut bien raison de ne pas prendre cela pour lui, quoique Jeanne le regardât fixement.

–Oh! dit-il, je ne veux pas la mort du pécheur, il faut que jeunesse se passe, mais on doit toujours sauvegarder sa dignité pour l’honneur de son nom et de sa famille. M. de Briançon a mangé les trois quarts de sa fortune, c’est son affaire; mais ne fait-il pas rougir les cheveux blancs de son père en s’accoudant tous les jours sur son balcon avec une créature nouvelle? J’en sais quelque chose, car il demeure au numéro8ou10de la rue du Cirque et moi je demeure au numéro7, presque en face.

–Je suppose, dit Jeanne, que vous vous exercez pour bien parler au palais. Est-ce que vous auriez un réquisitoire à fulminer demain contre M. de Briançon ou un de ses pareils?

–Oh! nous n’avons pas de ces causes-là en province, car je ne suis pas nommé à Paris.

Jamais on n’avait si bien réussi à mettre un homme sur un piédestal–quand on voulait le mettre en pièces–que venait de le faire le substitut du procureur de la République.

Cependant on jouait la valse de Faust. Le jeune magistrat se leva et offrit la main à Jeanne. Elle eut l’idée de l’envoyer valser tout seul, mais elle se résigna. Seulement, je doute qu’il trouvât un violent plaisir dans ce violent exercice, car sa valseuse se fit traîner, comme si elle ne voulût pas aller du même pas que lui. Les curieuses de tout à l’heure firent cette réflexion que le substitut du procureur de la République n’était pas un entraîneur comme M. de Briançon. Il suait à grosses gouttes et semblait soulever une montagne. Aussi, à la reprise, Mlle d’Armaillac le remercia, comme si c’était fini. Il insista, désespéré d’être ainsi lâché, mais elle lui dit: «La tête me tourne,» et elle s’en alla vers sa mère. Une des assistantes s’écria: –Si la tête lui tourne, ce n’est pas lui qui lui fait tourner la tête.

Sans doute le jeune homme ne se tint pas pour battu, car, vers la fin de la soirée, quand il eut beaucoup causé avec la mère, Mme d’Armaillac dit à sa fille:

–C’est la destinée qui nous a conduites ce soir chez la duchesse; ce jeune homme qui a dansé avec toi t’épousera si tu veux.

Tel est l’aveuglement de l’amour que Mlle d’Armaillac s’imagina que sa mère lui parlait de M. de Briançon, mais elle tomba bien vite du haut de cette illusion quand sa mère continua par ces mots:

–C’est un homme accompli, il aura un jour 45,000livres de rente. Il n’est pas noble, mais il est d’une bonne famille. Et puis, la magistrature, c’est déjà la noblesse de robe. D’ailleurs, il s’appelle M. Delamare, on peut supposer qu’il s’appelle M. de la Mare, c’est une simple question d’orthographe. Il vient d’être nommé à Dax; c’est un peu loin, mais ce ne sera qu’un voyage d’agrément pendant la lune de miel, car il paraît qu’il viendra à Versailles avant six mois; Versailles c’est Paris.

Mlle d’Armaillac regarda sa mère à deux fois.

–Dis-moi, lui dit-elle, est-ce que tu parles sérieusement? Tu arranges ma vie avec l’air le plus dégagé du monde; tu m’envoies à Dax comme si tu m’envoyais à Saint-Cloud; tu sais bien pourtant que je n’aime pas la magistrature.

–C’est là ton tort, moi je l’aime beaucoup. Les magistrats ne sont pas ce qu’un vain peuple pense; ils sont galants et spirituels. On ne les épouse pas pour aller vivre avec eux au palais, ils y laissent leurs robes et leurs bonnets carrés; une fois chez eux ou dans le monde, ils sont charmants.

–Eh bien, épouse toi-même M. Delamare, puisque tu aimes tant la magistrature, dit Jeanne à sa mère.

–Voyons, je suis sérieuse, reprit Mme d’Armaillac, c’est une vraie bonne fortune; on ne trouve pas tous les jours45,000francs de rente sous les pas d’un valseur. Songe que tu n’as rien, que mes revenus sont en viager, que nous n’avons pas d’espérances vers quelqu’un des nôtres. On n’épouse plus, à Paris, les filles pour leurs beaux yeux.

–Je ne me marierai pas.

–Tu déraisonnes; il n’y a rien de plus ridicule qu’une vieille fille.

–Je ne suis pas encore majeure.

Mme d’Armaillac avait parlé jusque-là avec douceur, mais elle monta le ton pour dire à sa fille

–Je veux que tu épouses M. Delamare.

–Maman, tu perds la tête; c’est surtout sur ces questions-là qu’il faut dire: Nous voulons.

–Te voilà encore avec tes paroles irritantes C’en est assez. Je te forcerai bien à faire ton bonheur malgré toi; je connais mon devoir.

–Mademoiselle, voulez-vous danser avec moi?

C’était un danseur effréné qui ne voulait pas perdre un quadrille et qui venait fort à propos interrompre cette maternelle et filiale conversation.

–Non, monsieur, je ne danse pas, dit encore une fois Mlle d’Armaillac.

Et se tournant vers sa mère:

–Viens-tu, maman?

–Déjà! Je te reconnais bien là, ce n’était pas la peine de venir.

–Une autre fois, tu viendras toute seule.

Jeanne s’était levée; sa mère se leva exaspérée.

–M. Delamare reviendra tout à l’heure; il me trouvera fort impertinente de ne pas l’avoir attendu.

Tout justement, le jeune magistrat, qui ne cessait de lorgner Jeanne avec admiration, venait de s’approcher.

–La tête ne vous tourne plus, mademoiselle?

–Je vous assure, monsieur, que je ne me sens pas très-vaillante depuis que j’ai valsé.

Jeanne aurait pu ajouter depuis que j’ai valsé avec M. de Briançon.

–Donnez-moi le bras, dit la mère à M. Delamare, vous allez nous conduire au buffet, après quoi nous nous en irons.

–Voulez-vous me permettre de vous accompagner jusqu’à votre porte?

–Non, dit Jeanne, ce n’est pas votre chemin, puisque vous demeurez rue du Cirque.

Un quart d’heure après, Jeanne était seule dans sa chambre. Quoique ce fût une nuit d’hiver et que le rossignol ne chantât pas dans les branches, elle ouvrit sa fenêtre, comme s’il lui eût fallu voyager vers l’inconnu. Le souvenir de M. de Briançon s’imposait à elle avec une force irrésistible; cette figure souriante et railleuse d’un homme qui n’avait que le souci de s’amuser et de rire de tout, était là, toujours là sous ses yeux.

–Oui, dit-elle, c’est ma destinée qui m’a conduite ce soir chez la duchesse.

Les larmes de Jeanne : histoire parisienne

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