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V
LES AMORCES DU PÉCHÉ

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E lendemain, ce fut la même obsession pour Jeanne que pour Martial, Jeanne avait rêvé de Martial: c’était Martial et non M. Delamare qui lui demandait sa main, c’était lui qui allait à Dax et qui revenait à Versailles. Voyage enchanté: elle se passionnait pour la magistrature, que dis-je! elle allait au Palais de Jus tice écouter son mari dans ses actes d’accusation; elle le trouvait beau dans la majesté de sa robe noire. Terrible réveil: M. de Briançon n’était plus que M. Delamare.

Dans l’après-midi, une amie de sa mère vint prendre Jeanne pour aller au bois. Naturellement elle y chercha M. de Briançon, mais les gens de l’extrême mode ne vont au bois que quand les autres en reviennent. Ce fut donc vainement qu’elle jeta un regard furtif sur toutes les victorias et dans tous les coupés. Mais quand elle remonta l’avenue de l’Impératrice, elle aperçut Martial qui-conduisait un phaéton attelé de deux chevaux noirs, magnifiques bêtes fort connues sur le turf.

Elle espérait qu’il la saluerait d’un regard en passant, mais ce ne fut pas elle qu’il salua: il envoya le plus joli sourire à Mlle Fleur-de-Pêche, cette ingénue de trente-six ans, qui recommence –toujours sa comédie dans le même rôle. Ce sourire, que Jeanne avait voulu prendre au passage, lui fut un coup de poignard.

–Il ne m’a même pas vue, dit-elle avec fureur. Mais que suis-je pour lui? Rien. Si j’étais une héritière, il s’occuperait peut-être de moi, mais une fille du monde sans dot, que peut-on faire de cela, tandis qu’avec ces filles-là on ne perd pas son temps.

Mlle d’Armaillac était bien prise.

Elle ne put s’empêcher de songer que les femmes les plus heureuses n’étaient sans doute pas les plus honnêtes. La vertu n’est donc pas récompensée sur la terre? C’est en vain qu’une jeune fille se sera résignée à tous les devoirs de l’éducation, à toutes les soumissions familiales, à toutes les charités évangéliques, à tous les renoncements du cœur et de l’esprit; en vain elle aura sacrifié l’orgueil du luxe et les enivrements de la passion. Qui lui tiendra compte de tout cela, si ce n’est sa conscience; or la conscience est-elle assez riche pour nous payer toujours à travers la pauvreté plus ou moins dorée? Tandis que celle qui se jette éperdument dans toutes les folies, vit à plein esprit et à plein cœur; c’est pour elle qu’on taille les diamants, qu’on file la soie, qu’on travaille la dentelle, qu’on élève des chevaux de sang qu’on cultive le clos Vougeot et le château Yquem. Worth n’a pas assez de ciseaux ni assez d’aiguilles, les théâtres n’ont pas assez d’avant-scène. Pour celle-ci, la vie est une fête perpétuelle, une fête où on pleure comme dans toutes les fêtes, mais où on rit beaucoup plus qu’on ne pleure. Et celle qui s’est sacrifiée à Dieu et à sa famille, quand elle s’en va de ce monde, n’a souvent que le corbillard des pauvres, tandis que l’autre, qui s’est pavanée dans les sept péchés mortels, a toute une suite de reporters qui vont chantant son épitaphe dans les journaux. Est-ce donc l’heure de la revanche quand elles montent toutes les deux au ciel? Celle qui a traversé toutes les richesses tombe dans l’abîme des misères, tandis que celle qui a traversé tous les sacrifices s’élève dans le rayonnement infini. C’est l’Évangile qui dit cela, mais l’Évangile ne dit-il pas aussi que Dieu a pardonné à Madeleine courtisane et à Madeleine adultère?

Voilà ce que se prêchait à elle-même Mlle d’Armaillac, dans le landau de l’amie de sa mère. Une brèche était déjà faite à sa vertu. Ce fier orgueil qu’elle portait sur le front, dans le regard, au coin des lèvres, n’allait-il pas la perdre au lieu de la préserver?

–Ah! il ne m’a pas vue, murmura-t-elle. Je le forcerai bien à me regarder.

Les larmes de Jeanne : histoire parisienne

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