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IV
PORTRAIT D’UN AMOUREUX ET D’UNE
AMOUREUSE

Table des matières


ARTIAL de Briançon ressemblait à beaucoup de nos jeunes contemporains qui s’abandonnent lâchement au courant au lieu de le remonter avec courage.

Il faisait comme les autres, disait-il, quand on lui reprochait son désœuvrement. Les autres, c’étaient ses amis du club, ceux-là qui feront quelque chose un jour, mais qui, en attendant, se lèvent à grand’peine pour déjeuner, vont passer une heure chez quelqu’une de ces dames, montent à cheval pour faire le tour du lac, à moins qu’ils ne conduisent leur cocher de ce côté-là, rentrent pour dîner dans un cabaret à la mode, comme le café Anglais, vont perdre leurs soirées où il plaît à ces demoiselles, se risquent quelquefois dans le monde, sous prétexte que c’est encore par là qu’on fait son chemin.

Martial n’était dénué ni d’esprit, ni de cœur; on citait plus d’un mot de lui; il s’était bien conduit comme capitaine de mobiles pendant la guerre; en politique et en art, il avait prouvé qu’il ne pensait pas comme tout le monde; mais il était enchaîné par les mauvaises habitudes; la paresse, son hôtesse familière, émoussait tous les matins sa volonté. Avec une fortune médiocre, il se disait qu’il faudrait bien pourtant un jour qu’il se décidât à faire œuvre d’homme, sinon œuvre de citoyen, qu’il travaillât pour lui, sinon pour les autres. Mais que faire? Il connaissait de près M. le duc Decaze: peut-être commencerait-il la carrière diplomatique par les consulats. Il regrettait de n’avoir pas continué le métier de soldat, après la Commune, puisqu’il serait aujourd’hui capitaine. Il avait un oncle banquier, mais son oncle n’aurait pas voulu de lui pour le dernier de ses commis; lui, d’ailleurs, croyait que la Banque est trop roturière, quoique ses hauts barons aient depuis longtemps prouvé qu’ils avaient le haut du pavé. M. de Briançon se disait, comme beaucoup d’autres, qu’en fin de compte, le vrai travail pour lui était de trouver une femme riche, qui serait trop heureuse de s’appeler Mme la comtesse de Briançon.

Il s’avouait bien un peu que les devoirs de la vie, réduits à cette recherche d’une dot, n’étaient pas dignes d’un galant homme, mais il se donnait raison, en se disant que ce n’était pas lui qui avait fait sa destinée. Il ne désespérait pas d’ailleurs de prendre un jour sa revanche. Ne pouvait-il pas entrer de plain-pied dans la carrière politique? Déjà on lui avait proposé une candidature de conseiller d’arrondissement. En attendant, il conseillait les femmes du XXIe arrondissement.

Comme l’avait dit M. Delamare, quand Martial sortit de l’hôtel de la duchesse, ce fut pour aller au café Anglais, où il était attendu avec une bruyante impatience. Dès qu’il ouvrit la porte, une cantatrice inédite qui était au piano courut se jeter à sa rencontre et l’étreignit à tours de bras: on eût dit qu’ils ne s’étaient pas vus depuis un an; c’était bien plus long, ils ne s’étaient pas vus depuis un jour.

–Je ne t’attendais plus, dit la cantatrice, un peu plus je me jetais dans les bras du vicomte.

–Je t’aurais repêchée, ma chère Marguerite.

La dame, c’était Marguerite Aumont. Quoiqu’elle fût là avec des soupeuses un peu trop compromises, c’était une créature qui marquait beaucoup de distinction native dans ses airs nonchalants. On en eût fait une femme du monde, dans le meilleur monde. Elle était emportée par le courant, mais elle essayait de le remonter.

Elle s’était prise d’un vif amour pour le comte de Briançon, parce que lui-même était supérieur à tous les jeunes gens de son groupe. Elle devait débuter à l’Opéra ou aux Italiens, mais cette heure tant attendue n’avait pas encore sonné.

–Et pourtant, disait-elle, ce sera l’heure de mon triomphe.

Marguerite ne manquait ni de voix ni de méthode; belle et grande, elle avait toutes les souplesses et toutes les élégances d’une comédienne qui a traversé la bonne compagnie. On ne doutait pas qu’elle ne prît pied sur la scène, où rien qu’en se montrant, elle devait éveiller toutes les sympathies. Au théâtre il faut charmer les yeux comme les oreilles.

Martial adorait Marguerite comme Marguerite adorait Martial. Je ne surprendrai personne en disant que cette adoration n’empêchait pas Martial de dépenser son cœur avec toutes les femmes, mais je surprendrai tout le monde en disant que Marguerite, depuis six mois, n’avait pas trahi une seule fois Martial; aussi commençait-on à parler d’elle comme d’une femme légendaire.

Vous pressentez que Mlle d’Armaillac venait bien mal à propos jeter son cœur dans cet incendie.

Le souper ne fut pas moins gai au café Anglais que chez la duchesse.

Mais, voilà bien le cœur humain: seul parmi ses amis, Martial fut mélancolique; quoiqu’il aimât éperdument Marguerite Aumont, il sentait que le souvenir de Mlle d’Armaillac le frappait au vif.

Les larmes de Jeanne : histoire parisienne

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