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LE JEU DE CARTES

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En cette belle année, vers le carnaval, toutes les nuits du beau monde furent panachées par des mascarades de tous les styles. Ces folies enseignent la sagesse. La plupart des gens à la mode n'apprennent ou ne réapprennent l'histoire qu'en s'encarnavalisant, ce qui ne les empêche pas de faire les plus beaux anachronismes,—comme la célèbre Mme d'Amécourt, qui se déguisait en Frédégonde, avec des cheveux poudrés à la maréchale et deux mouches assassines.—Il est vrai qu'elle donna une raison aux pédants: la poudre à la maréchale indiquait l'esprit de conquête de Frédégonde, et les mouches assassines, ses armes déloyales; toutefois, cette nuit-là, Mme d'Amécourt n'eut pas le prix d'histoire de France.

Parmi les bals masqués de l'hiver, il y eut encore, trois jours après la fête de l'ambassade, celui d'une grande dame célèbre à la Cour. On avait même dit qu'elle n'avait donné son bal que pour de très hauts personnages, mais elle le donnait pour tout Paris. Et comme dans tout Paris il y a de tous les mondes, les personnages de la Cour coudoyèrent peut-être quelques personnages du théâtre.—Après tout, où est la vraie comédie? où sont les vraies comédiennes?

Je ne dis pas cela pour quatre belles dames qui, la veille, se rencontrant tout à propos, décrétèrent qu'elles iraient à ce bal déguisées en jeu de cartes, c'est-à-dire en dame de carreau,—dame de pique,—dame de trèfle—et dame de coeur. Trois de ces dames étaient illustres dans le beau monde:—la marquise de Fontaneilles, la duchesse d'Hauteroche, la comtesse d'Antraygues— La quatrième était une jeune fille qui portait un grand nom: Mlle Geneviève de La Chastaigneraye.

Le sort retourna pour elle la dame de coeur. «Tant pis, dit-elle, j'aurais voulu me déguiser en Jeanne d'Arc, c'est-à-dire en dame de pique.»

Les quatre dames se jurèrent le secret au nom de la jeune fille, qui ne voulait pas se hasarder ainsi dans le monde, au nom de la duchesse, une vertu rigide et inaltérable, vraie femme de marbre qui était revenue des passions sans y être allée.

Toutes pensaient, avec quelque raison, faire beaucoup de tapage dans ce bal déjà tapageur; elles ne voulaient pas que leurs noms courussent les journaux du lendemain.

Naturellement, Octave de Parisis alla au bal masqué de Mme de ——. Il ne revêtit cette fois que le petit manteau vénitien. Presque à son entrée, il fut assailli par tout un jeu de cartes qui se dressa gaiement et bruyamment devant lui. C'étaient les quatre femmes qui s'étaient entendues la veille pour se déguiser en Dame de Coeur,—en Dame de Pique,—en Dame de Trèfle,—en Dame de Carreau.

«On ne passe pas! lui cria la Dame de Trèfle d'une voix sonore comme l'argent.—Eh bien! c'est cela, dit Octave, emprisonnez moi tout de suite, mais emprisonnez-moi dans vos bras ou dans ceux de la Dame de Coeur.—Chut! dit la Dame de Carreau, la Dame de Coeur n'emprisonne personne dans ses bras ni dans ses vingt ans.—Qui sait? dit Octave avec un sourire moqueur.—Je le sais bien, moi! dit la Dame de Coeur sans déguiser sa voix.»

Octave lui prit la main. «C'est étrange! dit-il en lui regardant les yeux: n'es-tu pas ma Marguerite de l'autre soir?—Qui sait? dit la Dame de Coeur.»

Le flot poussait le flot, la vague entraînait la vague. Octave avait suivi son jeu de cartes à la porte d'un petit salon, où un diplomate déguisé en sorcier, mais qui ne savait pas trouver le mot, se dérobait à ses chutes bruyantes, devant les railleries de quelques femmes beaucoup plus sorcières que lui. M. de Parisis et les quatre dames s'emparèrent du divan sans s'inquiéter du pauvre diable.

«Expliquez-moi cette légende, dit Octave en s'adressant à la Dame de Carreau, qui lui semblait la plus gaiement babillarde; pourquoi êtes-vous ainsi déguisées toutes les quatre? Qui est Rachel, qui est Argine, qui est Agnès, qui est Pallas?—C'est peut-être tout simplement, dit la Dame de Carreau, parce que les hommes aiment les cartes. Après cela, si tu aimes à déchiffrer les symboles, les énigmes, les hiéroglyphes, regarde bien.»

M. de Parisis dévisagea les quatre femmes à travers leur masque.

«Je commence par reconnaître, dit-il, que vous êtes toutes les quatre fort jolies.—Sache, mon cher, répondit la Dame de Carreau, que nous sommes de trop bonne maison pour nous masquer si nous n'étions pas jolies.—Il n'y a que les bourgeoises cherchant une aventure qui osent mettre un loup sur leur museau quand il est vilain.—Toi! tu as fait tes humanités à l'université de M. de Balzac.—Je n'ai jamais lu qu'un seul livre: Saint-Simon.—Tu te vantes, c'est pour me faire croire que tu sais lire toute seule dans le livre des passions. Mais pourquoi as-tu choisi le rôle de la Dame de Carreau?—Parce que je suis une Agnès?—Oui, une Agnès Sorel. Mais où est ton roi?—Ça et là, dans les salons, je ne sais où, en bonne fortune avec quelque domino pistache.

M. de Parisis s'était penché vers la Dame de Pique. «Voilà ma dame, dit-il; elle s'appelle Pallas; elle a été consacrée par Jeanne d'Arc; c'est la sagesse, c'est la victoire, c'est le sacrifice!—C'est cela, dit la Dame de Pique, volontiers vous me brûleriez vive sur le bûcher de vos amours, monsieur Don Juan!—Et moi, qui suis-je? je demande l'explication de la gravure, demanda la Dame de Trèfle.—Toi tu t'appelles Argine, tu es la reine, tu es le pouvoir, le despotisme, la tyrannie. Veux-tu m'enchaîner à tes pieds?—Je te connais: tu trouves déjà que les chaînes de roses sont trop lourdes. Eh bien! mon cher, tu ne sais pas déchiffrer les hiéroglyphes du moyen âge. Je ne suis pas le pouvoir, je suis mieux que cela: je m'appelle l'or.—Et moi! je suis l'amour, dit la Dame de Pique, si on veut bien le permettre.»

La Dame de Coeur se récria: «Non, tu n'es pas l'amour, tu n'es que la galanterie, car tu n'es que le portrait d'Isabelle de Bavière.—Je n'ai qu'un mot à dire, je suis la Dame de Pique: c'est la dame de coeur, sinon la Dame du Coeur.—Non, tu es la dame des coeurs.—Et qui donc est l'amour, Octave? reprit la Dame de Coeur.—L'amour, lui dit-il avec une voix caressante, c'est toi et je t'aime.—L'amour, lui répondit-elle, c'est moi, et je ne t'aime pas.—Vous avez dit cela, mais comme une femme qui n'a jamais parlé d'amour. Vous êtes adorable dans votre émotion.»

Mlle de La Chastaigneraye ne pouvait cacher les battements de son coeur.

Je ne veux pas redire mot à mot tout ce qui se débita d'extravagant dans le petit salon jaune. Octave de Parisis s'amusait beaucoup à ce jeu. Les quatre dames lui montraient toutes les variétés de la femme, depuis les cimes bleues de l'idéal jusqu'aux abîmes de la passion.

Là, il y avait la vertu et la volupté, la candeur qui se hasarde au précipice, et la malice savante qui se moque de tout.

«Dans l'antiquité, dit tout à coup M. de Parisis, Praxitèle prenait sept femmes pour trouver la beauté: si vous voulez, ma Dame de Pique, ma Dame de Carreau, ma Dame de Coeur, ma Dame de Trèfle, je vous prendrai toutes les quatre pour trouver l'amour.—C'est cela, dit en riant la Dame de Carreau, ce sera un accord parfait.—Vous ne serez jamais sérieux, mon cher Octave, continua la Dame de Trèfle. Regardez-moi, et devenez un homme d'or, j'ai failli dire un homme d'ordre. Vous êtes en train de vous ruiner, prenez garde; quoi qu'en disent les moralistes, l'or, c'est le bonheur.—Non, dit la Dame de Carreau, le bonheur, c'est le pouvoir.—Tais-toi, ambitieuse, dit la Dame de Pique, le bonheur, c'est la passion.»

Octave avait écouté en silence; il se tourna vers la Dame de Coeur: «Et vous, vous ne dites rien?—C'est que je ne suis pas si savante, moi.»

Octave se pencha vers elle pour lui parler à l'oreille. Elle tressaillit et s'offensa, car tout en lui parlant, il touchait ses cheveux de ses lèvres. Que lui dit-il?

Pour la première fois, il se fit un silence éloquent.

Octave entendit ces mots murmurés à demi-voix par la Dame de Trèfle et la Dame de Pique: «C'est la province qui triomphe!—La province! pensa Octave, je ne connais pas la province.»

Et d'un oeil profond, il tenta encore une fois de voir le dessous des masques. «Donc, reprit il tout haut, vous m'êtes apparues toutes les quatre comme les quatre images de la vie: L'OR, LE POUVOIR, LA GLOIRE, L'AMOUR. Je vous avouerai que le hasard me joue de singulières comédies, depuis quelques jours. Je ne parle pas d'une vision qui m'est apparue sur le coup de minuit; mais au bal de l'ambassade, il y a trois nuits, nous causions avec trois de mes amis: De L'OR, DU POUVOIR, DE LA GLOIRE, DE L'AMOUR. «C'est tout simple, dit la Dame de Carreau, ce sont les quatre vertus cardinales. On ne peut pas faire un pas sans marcher sur la queue de leur robe.»

En disant ces mots, la Dame de Pique entraîna ses trois amies à d'autres aventures.

Sur le seuil du petit salon, la Dame de Coeur se retourna vers M. de Parisis et lui dit:—C'EST LA! Octave se demanda sérieusement s'il rêvait. Il voulut la ressaisir, mais elle s'était envolée.

Les grandes dames

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