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LE TOUR DU LAC

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Quoique le temps fût abominable, à quatre heures Octave était à cheval pour faire le tour du Lac. Il bravait la bise, la neige et le verglas. Il y avait peu de voitures. Il jugea qu'il ne lui serait pas difficile de reconnaître celle qui signait la Dame de Pique.

Le ciel sombre avait jeté des teintes grises dans son imagination. «Monjoyeux a peut-être raison, pensait-il, le chapitre des illusions perdues va commencer.»

Un petit coupé que traînaient deux chevaux de race débusquait au-dessus du rocher. «C'est peut-être cela, dit Octave.» Et il s'inclina, comme sans y penser. C'était à la fois un salut ou un mouvement de curiosité. La dame tint bon, elle ne dérangea pas sa tête d'un millimètre. «Non, il est impossible que ce soit celle-là!» dit Octave qui avait reconnu la comtesse d'Antraygues.

Son cheval était déjà à vingt pas du coupé quand il détourna la tête.

La comtesse d'Antraygues s'était trahie; elle avait soulevé l'abat-jour du petit oeil-de-boeuf. «Est-ce que ce serait elle?» se dit Octave.

Il voulut tourner bride, mais il aima mieux être discret; il continua sa route, jurant qu'il saurait à quoi s'en tenir à la seconde rencontre, ce qui ne l'empêcha pas de jeter un coup d'oeil scrutateur dans les autres voitures. Son imagination était déjà prise par Mme d'Antraygues. C'était une des plus jolies femmes des fêtes parisiennes. Elle n'avait pas la beauté sculpturale, mais elle avait la beauté charmeuse; je ne sais quoi dans les yeux et dans la bouche qui triomphe plus sûrement des hommes que le jeu des lignes absolues.

Parisis l'avait rencontrée ça et là dans les plus beaux salons, mais à de rares intervalles; elle passait la moitié de son temps en Angleterre et vivait beaucoup dans son hôtel, un des plus jolis nids de l'avenue de la Reine-Hortense, quoique son mari n'y fût presque jamais,—on pourrait dire, parce que.

A la seconde rencontre elle sourit; mais Octave, qui s'y entendait, vit l'émotion à travers le sourire. Cette fois il ne douta plus et éperonna son cheval pour faire deux fois le tour du lac pendant que Mme. d'Antraygues faisait son troisième tour.

Il aurait pu simplifier cette tactique, mais il pouvait compromettre la comtesse; sans parler du cocher et du valet de pied, il y a toujours, au Bois, des yeux vigilants, envieux, jaloux.

Ce n'étaient pas les yeux de M. d'Antraygues, qui passait sa vie au club, à fumer ou à jouer, quand il n'était pas enfermé dans l'appartement de Mlle. Eva, surnommée Belle-de-Nuit.

A la dernière rencontre, Mme. d'Antraygues pencha tout à fait la tête à la portière, avec la coquetterie d'une femme qui s'est trop cachée sous l'éventail et qui est fière de montrer sa figure. Elle semblait dire: «Vous voilà bien attrapé; vous pensiez que j'étais laide et je suis jolie.»

Le coupé partit au grand trot pour remonter l'avenue de l'Impératrice. Octave le dépassa pour revoir encore la comtesse et pour qu'elle eût de ses nouvelles en rentrant à son hôtel. En effet, quand elle rentra, après un tour dans les Champs-Èlysées, sa femme de chambre lui remit une boîte de dragées.

«D'où cela vient-il? demanda Mme. d'Antraygues.—D'une dame des amies de madame la comtesse, qui sans doute a été marraine.—Il n'y avait pas de lettre?—Non, madame.—Qui a apporté cela?—Un nègre.—C'est singulier, dit la comtesse, mes amies n'ont pas de nègre.»

Elle eut un pressentiment. Dès qu'elle fut seule, elle ouvrit la boîte.

«Point de carte! dit-elle, je me suis trompée.»

Elle prit une dragée et la croqua. Ce fut alors qu'elle s'aperçut que les dragées n'étaient pas dans l'ordre idéal travaillé en mosaïque par les marchandes de bonbons.

Elle renversa la boîte dans une coupe à cartes de visite. «Un billet!» dit-elle en rougissant. Son émotion fut si vive qu'elle regarda le billet sans y toucher. «C'est amusant, l'amour!» murmura-t-elle. Elle s'imaginait déjà qu'elle était adorée. Elle prit le billet en regardant la porte: «Il me semble que cela va me brûler les yeux.» Elle lut:

Puisque vous êtes si belle et puisque je vous aime, venez à la fête de nuit des patineurs; n'ayez pas peur d'un amour à la glace. D'ailleurs, vous savez la chanson: Il est plus dangereux de glisser sur le garçon que sur la glace. Je serai voire parachute.

«Je n'irai pas,» dit Mme. d'Antraygues.

Elle y alla. Je vous fais grâce des combats qui se disputèrent son âme. C'était sa première aventure. Elle voulait. Elle ne voulait pas. Elle suivait dans son imagination tous les méandres d'un amour imprévu et tourmenté. Puis tout à coup elle se réfugiait avec la quiétude de la conscience dans les devoirs du mariage. Mais je dois dire que l'image de son mari ne l'y retenait pas longtemps. Elle avait dépensé pour lui ses premières aspirations romanesques; elle s'était aperçue, avant-le dernier quartier de la lune de miel, que son mari n'était pas son homme.

On dira ici, si voulez bien, l'histoire de ce mariage.

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