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LE BAISER DE DON JUAN

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Octave ne fit pas de façons pour fuir la duchesse. Il saisit la main de la Dame de Coeur et la passa à son bras avec toutes les caresses d'un amoureux: «Laissez-moi défaire votre gant, lui dit-il, je vous dirai qui vous êtes.»

Et Octave développa une théorie sur la physionomie de la main. Pour lui, la main c'était le blason, c'était les armes parlantes.

La Dame de Coeur avait la pudeur du gant. «Pour moi, dit-elle, je n'ai pas besoin de votre main pour vous dire qui vous êtes.—Eh bien, parlez-moi de moi-même, je vous jure que je ne me connais pas.»

La Dame de Coeur, qui avait une bonne grâce charmante, avec un esprit d'ange et de démon, lui parla de sa famille, de sa jeunesse, de ses aventures. Il était ravi et effrayé, comme si sa conscience se fût dressée devant lui.

Tout en constatant sa bravoure, son intelligence, son grand air, elle peignit sous ses yeux, d'un trait rapide, tous les Parisis qui avaient joué un grand rôle. Devant de tels portraits, il s'inclinait avec humilité, lui qui était toujours si fier. Cette histoire, la Dame de Coeur la conta à Octave, comme une bonne fée qui l'eût suivi partout depuis son berceau. Elle lui parla de sa mère avec une expression qui le toucha au coeur. Elle lui parla de l'Amérique et de la Chine comme un vrai compagnon de voyage. «Après tout, dit-elle, qu'avez-vous rapporté d'Amérique? une poignée d'or! Qu'avez-vous rapporté de la Chine? un éventail! N'allez-vous pas vous croire un héros parce que vous avez pris Pékin? J'oubliais, parlez-moi donc de votre Chinoise, car ç'a été l'histoire de tout Paris, ô don Juan de Parisis!—Ne parlons jamais des femmes d'hier,» murmura Parisis.

Et comme s'il voulût dire un secret à la Dame de Coeur, il baisa ses beaux cheveux rayonnants. Il les brûla.

Mlle Geneviève de la Chastaigneraye se leva tout indignée et toute rougissante. Le masque la dévorait.

Elle avait pu s'aventurer dans son innocence à jouer son jeu dans cette partie de cartes, mais si elle trouvait doux de parler à Octave, elle s'offensait d'être touchée par Don Juan.

Octave tressaillit à ce beau mouvement. La pudeur a une éloquence qui attère le plus roué.

La Dame de Coeur s'éloigna dans sa chaste dignité, sans que le duc de

Parisis osât lui reprendre la main pour la retenir.

La mascarade était abracadabrante; on avait épuisé tous les symboles; on coudoyait l'Ange des ténèbres et des Cocotes—en papier—les Cocotes des enfants. Il y avait un Assuérus, un Sarcophage, un Obélisque, une Nuit et une Mille et une Nuits; un mâlin s'était déguisé en Facteur pour être un homme de lettres. Il y avait un Orage et une Tempête; il y avait une Californie que tout le monde demandait en mariage. Et des Incroyables et des Mauresques, et des Vallédas, et des Almées, et des Repentirs, et des Diablesses et des Poupées—beaucoup de poupées.

Mais le grand tapage de la soirée, après le jeu de cartes, ce fut l'entrée triomphale du cortège de Cochinchinois portant sur un palanquin l'Impératrice de la Chine. Tout le monde se figura que c'était la Chinoise de M. de Parisis.

Vainement Octave courut tout le bal pour retrouver ses cartes: les quatre dames étaient parties. Vainement il questionna tout le monde: aucune d'elles n'avait soulevé son masque. Ceux qui avaient tenté de jouer à ce jeu-là n'avaient pas retourné le roi, ils avaient été traités comme des valets; on mettait beaucoup de noms sur les masques, mais nul ne mit les vrais noms. C'était la première fois que quatre femmes gardaient si bien leur secret.

Quoiqu'elles fussent parties, le bal conservait, hormis pour Octave, toute sa gaieté et toute sa physionomie. Il retrouva Monjoyeux; ils débitèrent des sottises comme au bal de l'Opéra; car là ou là-bas, c'est toujours le même esprit.

A cet instant, un personnage entra comme un simple mortel. Il était encapuchonné dans un domino noir. Rien ne le désignait à la curiosité. Il n'avait ni la taille, ni la désinvolture d'un vainqueur. Son oeil ne jetait pas des feux bien vifs; sa riposte ne prouvait pas beaucoup de présence d'esprit. D'où vient pourtant que ce personnage fut très remarqué à son arrivée? C'est que plusieurs femmes inoccupées se le disputèrent avec passion. Qu'y avait-il donc dans ce domino? «Je te dis que c'est lui, murmura une de ces dames à l'oreille de Parisis.»

Bientôt le bruit se répandit que le nouveau venu n'était rien autre que l'empereur de la Chine—un souverain fort aimable qui voulait que rien ne lui fût étranger dans son empire. La vie était pour lui un livre toujours ouvert. Il voulait faire le bonheur de tout le monde. Mais ce jour-là c'était par les femmes qu'il commençait. Il avait bien raison: quiconque veut bien gouverner les hommes doit vivre avec les femmes. Aussi la duchesse de Portalèze lui disait que Napoléon 1er regrettait, à Sainte-Hélène, de n'avoir pas suivi ce conseil de la sagesse des nations.

On continuait à se montrer le personnage. Les femmes se jetaient devant lui étourdiment, pour se jeter dans son chemin. «Tu t'imagines, dit l'une; que c'est l'empereur de la Chine, c'est le duc d'Albe, c'est Persigny.—Persigny! Il est là-bas, avec cette grande pyramide qui voudrait bien être son tombeau.—Il doit bien la connaître, pourtant, lui qui a écrit un volume sur les Pyramides.—Ne me parle donc pas de cette femme, c'est une momie. J'ai toujours peur qu'elle ne m'ensevelisse dans ses bandelettes.»

Roqueplan passait là: «Persigny n'est pas si bête, dit-il, ce n'est pas lui qui disputera cette momie pyramidale au jeune Werther qui l'aime de toute la ferveur de ses vingt ans.—Après cela, ajouta Roqueplan, avec son malin sourire, je ne dois pas m'étonner de cet amour, puisque je l'aimais déjà quand j'avais vingt ans.»

Et il donna la main à un autre homme de beaucoup d'esprit, le commandeur de Niagara, qui débitait en zézeyant un beau sonnet sur Venise sauvée, à l'Impératrice—de la Chine,—qui avait bien travaillé pour cela.

Un domino bleu de ciel passait; Octave reconnut une marquise de ses amies. «Ma belle marquise, tu t'es taillé une robe dans ton ciel de lit—ton seul ciel.» La marquise ne répondit pas. «J'espérais que tu allais me dire une bêtise.—Non: j'en fais faire.»

Mme de Pontchartrain passa déguisée en Firmament et s'arrêta devant Octave. «Comment me trouves-tu?—Belle comme le jour.—Alors tu ne me connais pas.—Belle comme la nuit. Tu vois bien que je te connais.»

Mlle de Chantilly passa déguisée en Pie. «Ah! ma chère, lui dit M. de Parisis, pourquoi avez-vous pris ce plumage-là? car cela ne vous déguise pas. Je vous reconnais au premier mot.—Vous avez perdu une belle occasion de vous taire.—Et vous, vous l'avez trouvée.»

Une femme avait eu l'esprit de se déguiser avec les modes d'aujourd'hui sans les exagérer. «N'est-ce pas, Messieurs les philosophes, que ma robe me déshabille bien? Je suis si facile à habiller!—Tu parles par antiphrase.»

La «Mode du jour» souleva son sein sur la gaze, comme Vénus sur la vague. «C'est un sein qui échoue.—Non, par malheur il flotte encore.—Voilà une femme qui a passé le pont-levis du faubourg Saint-Germain. Regardez-moi ses mains, elles viennent des croisades. —Ne t'imagine pas qu'elles se sont croisées en chemin avec celles de tes aïeux.—Passe-tu encore par ta croisée, quand ton mari ferme la porte, fille des croisés?—Retire-toi donc de mon Étoile, dit Monjoyeux à une femme maigre déguisée en Algue-Marine, qui lui jeta ce mot:—Monsieur Mardi-Gras!—Il n'y a qu'une nuit entre nous, mais je ne la passerai pas, Madame Mercredi-des-Cendres.»

Le prince Rio débusqua. «Que cherches-tu? lui demanda Octave.—Une femme perdue.—Ici, mon cher, ce n'est pas un renseignement.—Voici la blonde madame —— qui était si brune l'an passé; on voit qu'elle a touché à la lune rousse. Vois donc, comme elle est vêtue en musique d'Offenbach.—Oui, déréglée comme un papier de musique.»

On débitait des mots à toutes les effigies; c'était plus souvent des gros sous que des pièces d'or. On n'avait pas puisé dans l'arsenal de l'hôtel Rambouillet. Le fusil à aiguille a démonétisé ces armes d'autrefois, si courtoises qu'elles ne touchent plus.

Octave s'esquiva à l'anglaise. Miravault lui dit:

«Tu t'en vas parce que tu n'as plus de coeur dans ton jeu.—Vous vous trompez, mon cher, dit Monjoyeux à Miravault, ce n'est pas le coeur qui pique.»

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