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Livre Premier
8
LE VOYAGEUR

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Il sortait de la taverne accroupie près de ma petite maison, quand, se tournant vers moi qui rentrais, il me regarda.—Son front était couvert de poussière, ses habits étaient misérables. A la main, il portait un bâton, à la ceinture, une gourde qu'il venait sans doute de remplir. Il paraissait heureux. Dans le fond de ses prunelles grises, on voyait des vagues et des nuages.—Bien que ne le connaissant pas, je pensai l'avoir vu, aux heures où le crépuscule repousse doucement les arbres vers la nuit.

Il me dit:

«Savoures-tu les délices d'une halte? Sais-tu si la fille d'auberge sourit toujours, comme autrefois? Comprends-tu le chant des oiseaux et celui des ondes? As-tu cultivé l'espérance et le regret?»

Je répondis:

«Non! je ne connais que les grillons de mon âtre et le chant du coq d'or qui perche sur mon clocher. On m'a beaucoup parlé du regret et de l'espérance, mais je ne comprends bien que la facile vertu de vivre sans tourner la tête, et j'attendrai la mort sans lever le front.—Il est bon de rester près de soi-même, en sa maison.

–Ne parle pas ainsi, me dit le voyageur. Les assiettes de faïence pendues à tes murs ne sont guère que des ornements… Ecoute-moi! La source très lointaine que je rappelle à mon souvenir, jadis, j'y fus plonger ma face. La source était fraîche… elle n'a rien perdu de sa fraîcheur. Quitte tes assiettes de faïence: elles gagneront en beauté.—Une heure fait un souvenir que l'absence rend plus cher.

–Ne puis-je donc imaginer?

–Non, puisque tu n'as rien vu.

–Ne puis-je sentir sur ma joue le souffle des palmes balancées?

–Non, car jamais elles ne t'éventèrent.—On rêve des seules choses que l'on a pu toucher ou de celles, trop distantes pour être atteintes, mais que l'on aperçut.

–Pourquoi partir, si l'ennui me ramène?

–L'ennui trébuche, dès que je ferme les yeux, car, aussitôt, dans l'ombre, je vois une féerie, comme font les spirites dans un cristal.—Et toi? quels sont tes souvenirs?

–Je ne me souviens que de moi-même ou d'histoires inventées.

–Alors, viens avec moi! Je te montrerai de vivantes oasis, la lune rouge qui s'élève des sables, une fille nue avec des sources bouillonnant autour, des flamants, ces grandes fleurs de l'air, aux tiges élancées, le doigt de l'aurore sur la dune, et tu respireras tous les jasmins du soir.

–Ne me perdrai-je pas entre tant de choses nouvelles? Ne regretterai-je pas?

–Non, car nous reviendrons emplir ici nos gourdes et boirons l'eau natale avant de repartir.»

Les hirondelles de mon toit vinrent en piaillant m'entourer d'un cercle d'ailes, mais je pus m'évader et je suivis le Voyageur.

Les moments perdus de John Shag

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