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Livre Premier
6
PARFUMS

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La nuit est toute bleue.

Je me promène, seul, dans une rue ancienne, aux murs tièdes. D'étranges odeurs viennent à moi. Je ne puis ni songer, ni regarder, ni jouir de l'ombre. Je me sens occupé par ces odeurs. Elles s'insinuent en moi. Je les écoute, en quelque sorte.

Ce ne sont ni des parfums, ni des puanteurs. On ne sait, au juste, si elles déplaisent ou si elles attirent. Je suis loin des relents affreux qui empestent les villages nègres, loin des odeurs du Paris nocturne, loin des émanations orientales. C'est indigène. C'est singulier.—Fuyantes, nombreuses, colorées, les odeurs de cette nuit provençale m'intéressent.

Sur le fond d'huile chaude, je perçois des souvenirs de poisson frais. J'ai respiré cela dans plus d'un port… Une odeur pareille, jadis, je me souviens… à Héligoland, devant la mer du Nord, grise et dure.

Une lampe a dû filer quelque part… oui, c'est bien une lampe qui file, comme à l'époque où j'habitais ce petit entresol au quartier latin.—Tiens! de l'ail… et, presque aussitôt, un rappel de fruits mûrs.

Je m'approche d'une maison. La boutique d'un herboriste assurément… parfum médicinal de vieille prairie… parfum de fenaison conservée. Les bottes de verdure sont pendues au plafond, je pense. On doit vendre, là, des onguents, des drogues brevetées, du papier gommé pour tuer les mouches… Sans doute la patronne est-elle sage-femme… Et voici une odeur matinale de linge humide.

Je me déplace à travers ces odeurs. Chaque pas que je fais m'en livre une nouvelle. Il me semble que je les rencontre, comme l'on rencontre des personnes.—Je tiens certaines d'entre elles pour des amies, certaines ont seulement des traits connus,—certaines sont étrangères et me surprennent.

Ce parfum violent! je l'ai respiré, il y a quelque temps, sur la gorge d'une fille du port. Cela s'achète au bazar… cinq sous le flacon… C'est un peu graisseux.—La fille s'achète aussi, quelques pas plus loin, à prix modique.

Oh! les fruits, encore! les fruits de tout à l'heure! Un étalage s'ouvrait là durant le jour.

Tandis que je change ainsi d'odeurs, ma mémoire va et vient, me rapportant des analogies, me rappelant des odeurs de même vertu, de même couleur,—des odeurs parentes.

Vous connaissez l'enivrante odeur de feuilles mortes et mouillées que l'on découvre parfois en forêt? Je l'aime. Sous les branches, elle croupit, chargée d'éther, s'exhalant lourdement, lente et génératrice. Elle s'attache aux mousses d'alentour et les brises la portent mal… Je viens de la rencontrer. Que fait-elle ici?… Un rat énorme sortait d'une bouche d'égout, à mes pieds, quand, soudain, l'odeur aimée me toucha.

Tout à fait la même?… peut-être pas… mais si semblable!… Dans la fraîche forêt d'Ecosse, te rappelles-tu le beau crépuscule?… nous rôdions ensemble, écoutant le chant d'une source, quand nous devinâmes le parfum tout proche. Alors nous nous tûmes, afin de ne point l'effaroucher… comme nous l'aurions fait pour un rayon de lune ou pour le rossignol.

Mais l'odeur est courte, elle vient de se dissiper, et cette ruelle m'apporte déjà la senteur de la mer.—Marchons encore… Il est tôt… l'air fraîchit…

Halte! halte! Voici la surprise!… Derrière ces volets, je vois une très faible lumière rouge. Ils ont laissé leurs fenêtres ouvertes… Respirons bien l'odeur! goûtons-la tout entière!—Ah! les sampans qui se balancent… et la chute du soleil à l'horizon du Faï-tsi-loung… et le bruit de cuivre d'un gong… C'est de l'opium qui s'exhale d'une fumerie… c'est de la fumée secrète et grise qui fuit… avec un peu de l'odeur d'un corps de femme.

Toulon.

Les moments perdus de John Shag

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