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Livre Premier
14
NOCTURNE

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Je tâche de distinguer avec précision, comme je distinguerais les qualités d'un insecte, le bruit, le geste, le parfum nombreux qui composent l'agrément de cette salle de restaurant.

Après le théâtre, où je ne sus me plaire, j'y suis venu passer une heure joyeuse. Je veux donc participer au plaisir qui m'environne, me mettre d'accord avec lui, trouver enfin des raisons pour rire, au milieu de ces gens qui finissent par rire sans raison, vaguement, aux anges, à la manière des petits enfants.

Alentour, il y a un grand frisson de voix. On dirait, sous un vent continu, le frisson des feuilles mortes. Cette harmonie n'a plus de sens: elle est un murmure naturel et je voudrais m'y plaire, comme je me plais aux paroles de la forêt, où, s'il ne se trouve plus de dryades vivantes, du moins peut-on surprendre l'écho lointain de leurs chansons dans le soupir que les feuilles ont retenu.

De même que certains soleils couchants, malgré leur excès de coloris, plaisent au regard et ne lassent point, de même, dans cette salle basse, les lampes forment un fond de clarté auquel on s'habitue. Leur éclat rose concerte avec le blanc des nappes en vue d'un agréable effet, et l'imprévu du clinquant d'un bijou, de l'étoile née soudain sur un bracelet de femme, la clarté vive d'une allumette, la note fine d'un verre que l'on brise, étonnent sans déplaire. Il en va pareillement du bruit des voix, pareillement du parfum lourd qui plane, où se mêlent les odeurs de mille végétaux inconnus.

Tout cela est anonyme. Une voix personnelle, le piquant d'une senteur vinaigrée sont les parties de solo dans cette orchestration composite: chant d'un hautbois, d'une clarinette, ou brusque appel de cuivre qui va bientôt se fondre dans le cliquetis et le gazouillis général.

Et, tout en buvant, je me laisse prendre par cette marée de parfums et de sons. Je perds pied. Je vogue et je flotte. Les beaux chapeaux des femmes semblent d'immenses fleurs marines, écloses au ras de la houle, et les garçons qui s'empressent avec de rapides plongeons sont les dauphins noirs de cette mer tropicale.

Les fleurs s'agitent… les vagues s'ouvrent… la mer moutonne… Un invraisemblable soleil blanc éclaire tout cela… Une brise tzigane nous évente…

Je crois… oui… je crois que je suis ivre.

Maxim.

Les moments perdus de John Shag

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