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Livre Premier
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PRIÈRE AU VENT

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Oh! tais-toi! tais-toi!… Je t'ai entendu, toute la nuit, depuis l'heure où j'ai commencé à me promener, comme une bête, dans ma chambre froide, jusqu'à l'heure où le soleil est venu me dire que la nuit était enfin close! Tais-toi! je t'en supplie! laisse-moi au moins le jour! permets que je vive durant ce jour! que je vive comme tout le monde, sans souffrir à chaque minute de ta lamentable déclamation, de tes plaintes et de tes sanglots!

Le crépuscule bleuissait quand je suis rentré chez moi, et, tout de suite, je t'ai entendu: tu faisais bruire un arbre devant ma fenêtre… cela me parut mélodieux, et je voulus écouter. Je croyais que ce bruissement léger saurait me distraire, mais, bientôt, j'y découvris un petit sifflet ironique et fin qui terminait chacun de tes souffles, et je compris que tu te moquais de moi… Oui, j'avais pleuré durant le jour! oui, j'avais souffert amèrement! pourquoi m'en défendre? c'est là le commun destin des hommes!… mais toi, pourquoi m'as-tu raillé? car tu m'as raillé cruellement et ton petit sifflet, qui recommençait toujours, était, en vérité, trop peu charitable!

«Tu souffres mal!» disait ta voix de flageolet «Tu souffres mal!»… Eh quoi! je souffrais à ma façon! Je souffre avec les forces dont je dispose, sans affectation, je te le jure! et, toujours, le flageolet répétait: «Tu souffres mal!»

Alors, j'ai commencé à marcher de droite et de gauche, dans ma chambre, et toi, au dehors, tu ne cessais pas, mais, bientôt, tu changeas de manière: tu te mis à me plaindre… non pas fraternellement, comme un ami, mais d'une voix plus humaine que ma voix.

Oh! quelles affreuses plaintes tu sus inventer! oh! les cruelles trouvailles!… Je reconnaissais, dans tes gémissements, les sanglots de ceux que j'ai le plus aimés, les déplorations de mes morts les plus chers… et c'était horrible, ces souvenirs qui m'assaillaient, car tu avais soin, par un raffinement dans la torture, de ridiculiser ces précieuses voix! Tu les salissais, tu les avilissais d'odieuse façon… Oh! l'injurieux outrage!… oh! vent cruel!

Et puis enfin, lassé de ton jeu, tu te mis à hurler!… Alors!… alors!… je sentis bien que je ne pouvais souffrir davantage et je me bouchai les oreilles, mais tes cris étaient les plus forts, ils m'atteignaient toujours! Tu criais dans ma cervelle et mon crâne résonnait comme une cloche!

Tu te faisais l'écho de tous les hurlements que l'on prête aux damnés, aux damnés les plus malheureux: à ceux qui ont gardé un peu d'espoir! Tu beuglais, tu rugissais, tu hennissais, et ces hennissements étaient aussi des râles… puis, soudain, tu coupais le tumulte par un petit sanglot, un tout petit sanglot d'enfant malade et qui ne veut pas mourir.

Va-t'en! va-t'en! va souffler dans les forêts, sur la mer ou sur la montagne, mais laisse cette ville où je suis! Va-t'en! laisse-moi! laisse-moi en paix! je t'en supplie!… Il me semble, maintenant que tu t'es attaqué à moi, que jamais tu ne me quitteras plus, et j'ai terriblement peur qu'à mon dernier soir, tu ne viennes, dans la chambre où je reposerai, agiter vaguement mon linceul, pour que les assistants de ma veillée funèbre pensent qu'il reste en moi un peu de vie encore et tardent, quelques instants de plus, à m'ensevelir!

Marseille.

Les moments perdus de John Shag

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