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II
ÇA SE GATE

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Pendant que Germain et les autres, sortis sur le perron, la poursuivaient de leurs quolibets, Antoinette traversa la cour et allait en franchir le seuil quand Pataud, le chien de garde, sauta après elle en lui léchant le visage et les mains.

La fillette avait beau se débattre et crier:

–Assez, Pataud, assez!

Pataud n’en continuait que de plus belle.

On aurait dit que l’animal comprenait ce qu’éprouvait la jeune fille et cherchait à la consoler.

–Adieu, Pataud, adieu! continua Toinon. Je t’aimais comme tu m’aimes, mais il faut nous quitter… Adieu!

Après avoir embrassé Pataud à son tour, elle s’échappa enfin et reprit sa course de toute la vitesse de ses sabots.

Le soleil commençait à briller au ciel.

Les dernières vapeurs de la nuit disparaissaient, l’insecte s’éveillait sous l’herbe, l’oiseau voletait dans les buissons, au loin une voix enrouée psalmodiait quelque complainte amoureuse, sur ce mode traînard habituel aux paysans; tout un hymne de joie s’élevait de la terre vers Dieu, louant la belle journée qui se préparait et le bonheur de vivre.

Antoinette, haletante, courait toujours.

Tantôt un gars s’arrêtait ébahi pour la regarder et lui crier:

–Eh! Toinon!… Bonjour!

Ou bien un autre lui demandait:

–Où donc que tu vas si vite, Toinette?

La jeune fille n’y prenait garde, n’écoutant que le glas funèbre qui sonnait en son cœur la fin d’un rêve envolé!

Et les gens s’en retournaient, se demandant si le feu n’était point aux Houx.

Toinette alla longtemps ainsi.

Enfin elle entendit le bruit d’une charrette qui arrivait derrière et une voix lui cria:

–Eh! Toinon!

La jeune fille, cette fois, se retourna.

–Tiens, c’est vous, père Ladurot? fit-elle.

–Eh oui, c’est moi!

Ladurot, vieux vigneron, tordu comme un ceps de vigne, mais l’œil brillant encore sous ses sourcils gris, vaquait à ses affaires, monté dans sa guimbarde et conduisant allègrement sa jument Cocotte.

–Arrête-toi donc!continua-t-il.

–Je suis pressée!

–Ça se voit, et où que tu vas ainsi?

–Aux Blaviers, donc!

–Monte près de moi, j’y passe; t’arriveras plus tôt.

–Merci bien, monsieur Ladurot.

–Monte donc! puisque je te le dis.

La jeune fille se décida, après quelques façons, à monter près de Ladurot.

–Tiens! continua celui-ci en fouettant Cocotte, est-ce que tu aurais pleuré. par hasard?

–Non.

–Si, ben sûr.

–Non, que je vous dis.

–Qu’est-ce qui te chagrine?

–Rien.

Le père Ladurot se gratta l’oreille avec le manche de son fouet.

–Enfin, continua-t-il, c’est ton affaire… Mais je suis d’avis que celui qui te ferait pleurer n’aurait pas raison, parce que tu es une brave fille, et bonne, et courageuse.–Oh! je te le dis comme je le pense, moi… Hue! Cocotte.

Antoinette ne répondit rien.

On alla encore quelques centaines de tours de roues.

–Est-ce que tu sais la nouvelle? continua Ladurot qui décidément était en train de jacasser.

–Quelle nouvelle?

–Le fils à M. Beloison épouse mademoiselle de la Ferté.

–Qu’est-ce que cela me fait?

–Et à moi, donc?… Quelle noce! Les écus vont danser plus que les cœurs assurément, mais n’empêche que ce sera une belle noce tout de même… à quand la tienne, Toinon?

–La mienne?

–Eh oui…

–Ah! ah!

–Comme tu dis cela!

–Je ne dis rien.

–Tu m’inviteras, pas vrai? Je retrouverai tout exprès des jambes pour pincer un rigodon, parce que je serai content, ce jour-là, de te voir heureuse comme tu le mérites… ce jour-là…

–Est-ce qu’on épouse une fille qui n’a rien, ni sou ni maille, pas même un nom?

–C’est vrai que cela te fait du tort… mais un bon garçon…

–Il n’y en a plus.

–Allons donc!

–Une fille comme moi… c’est un joujou qu’on jette au tas après l’avoir cassé. Oh!. mon Dieu! mon Dieu!

–Quand je te le disais… que tu avais du chagrin… un chagrin d’amour… Diable! diable!

Et comme Ladurot vit que cette fois la jeune fille était déterminée à ne plus ouvrir la bouche, il se contenta de crier:

–Hue! Cocotte.

La jument, d’ailleurs, n’en allant ni plus ni moins vite.

–Après une heure de cette allure, on atteignit les maisons des Blaviers.

–Est-ce bien ici que tu descends? demanda Ladurot.

–Oui bien.

–En ce cas… Là… là… Cocotte… elle ne veut plus s’arrêter, maintenant… Oh! les juments!… comme les femmes!. quelles têtes!

–Bien obligée, monsieur Ladurot, fit Toinon en sautant à terre.

–Il n’y a pas de quoi.

–Adieu, monsieur Ladurot.

–Bien le bonjour, Toinette… Hue! Cocotte… allons, voilà ma satanée bête qui ne veut plus marcher, à cette heure… quand je le disais! Hue donc!… Adieu, Toinette, et ne pleure plus, va, ce ne sera rien.

La fillette hésita un instant, jeta autour d’elle un regard, comme si elle craignait d’être aperçue; puis, s’écria tout à coup:

–Au fait! qu’est-ce que cela me fait maintenant?

Et elle reprit sa course, dévalant par un chemin creux, tout pierreux, taillé à vif dans le versant de la colline.

Elle arriva bientôt devant une maisonnette dont le toit garni de mousses et d’iris s’inclinait jusqu’à terre, caché aux regards par un bouquet d’arbres rabougris; une haie d’aubépines enserrait autour de cette habitation un humble jardinet où croissaient sur le pied de la plus parfaite égalité les choux, les poireaux et les roses et le cerfeuil appétissant et le thym parfumé; tout cela pêle-mêle, empiétant sans scrupule sur des allées larges comme la main. Un pinson avait élu près de là domicile et payait son loyer en fredons.

Antoinette entra dans une salle, tellement enfumée et obscure qu’au premier abord on n’y distinguait rien; ni la cheminée massive, ni le lit entouré de rideaux.

La jeune fille n’hésita pas.

Elle se dirigea vers la cheminée, trouva là une bonne vieille qui, assise dans un fauteuil, faisait danser sur ses genoux une enfant mignonne et blonde.

La fillette les embrassa toutes deux d’une même étreinte et, en proie à un désespoir indicible, se prit à pleurer amèrement.

On n’entendit d’abord que ses sanglots.

–Ah bonne sainte Vierge, Jésus mon Dieu! qué qu’t’as petiote Toinon? s’écria enfin la vieille, tu me fais quasiment peur!

–Ah! Thérèse!…

–Ah! pauvres gens, pauvres gens que nous sommes, quoi qu’il t’est encore arrivé?

–M. Raoul se marie.

–Je me doutais bien un peu que cela se ferait un jour ou l’autre.

–Malgré tout ce qu’il m’avait dit…

–As-tu donc jamais cru à ses promesses?

–Malgré l’enfant.

–Il s’en moque bien… Ah! les hommes! Et qui épouse-t-il?

–Mademoiselle de la Ferté.

–Jolie pierre qu’il met dans son sac!

– Avec de l’argent.

–Oui… je ne dis pas… elle a de l’argent… et puis elle s’appelle mademoiselle de la Ferté; ça sonne mieux que rien du tout.

–Pleure pas m’amie Toinon, dit l’enfant en essuyant du bout de sa menotte rose les larmes de sa mère.

–Pauvre Églantine, voilà que tu n’as plus de père à cette heure.

–En a-t-elle jamais eu un! continua la vieille Thérèse. M. Raoul a-t-il jamais fait quelque chose pour elle, l’a-t-il jamais seulement vue, embrassée?

–C’est peut-être pour ça qu’il l’abandonne.

–Ah! ouiche!

–S’il savait comme elle est belle, comme elle est affectueuse, comme ses baisers sont doux, peut-être l’aimerait-il et alors… Voyons est-ce qu’il est possible qu’on n’adore pas cette enfant-là?

– Pauvre Toinon!… Et quand le mariage se fait-il?

–Jamais il ne se fera.

–Jam… voyons que te passe-t-il par la tête?…

–Non je ne le veux pas. Écoute: Je vais prendre mon enfant, je vais aller me jeter avec elle aux pieds de Raoul, de M. Beloison, de la fiancée, je vais leur dire. oh! je ne sais pas ce que je leur dirai, mais ils auront pitié de moi, pitié d’Églantine, ils ne feront pas une chose si abominable… Il le faut te dis-je, vieille Thérèse, moi ça m’est égal, mais je ne veux pas qu’Églantine soit aussi une fille sans nom. un jouet pour des valets de ferme!

–Toinette écoute…

–Habille l’enfant, mets-lui sa robe des dimanches et ses petits souliers bleus.

–Tu fais une sottise!

–Il le faut.

–M. Raoul se soucie de sa fille comme d’une dent malade, mademoiselle de la Ferté te fera chasser par ses domestiques et quant à M. Beloison… il a le bras long, tu sais, et ne plaisante guère. Il t’arrivera malheur.

–Ne me dis pas cela.

–Si, parce que c’est la pure vérité.

–Je le veux, je le veux, te dis-je, habille la petite.

–Qu’il soit donc fait suivant ton désir, mais je te le répète, je n’augure rien de bon de ce que tu entreprends.

La toilette de l’enfant fut bientôt faite, et vraiment avec sa belle robe, avec ses grands yeux bleus, étonnés, Églantine était à manger de caresses.

Après un dernier baiser, Toinon prit son enfant dans ses bras et repartit.

Le soleil devenait brûlant.

Au ciel, si pur à la première heure du jour, se montraient peu à peu des nuages pesants, pressés, s’entassant les uns sur les autres et teignant l’azur de nuances moroses.

Le vent par rafales soulevait la poussière du chemin.

L’enfant se mit à pleurer.

–Qu’as-tu? demanda la mère.

–Rien.

–Tu souffres?

–Non… j’ai peur.

–Viens, viens, dépêchons-nous, continua Toinette.

La pauvre mère était en sueur.

Les gouttes lui tombaient du front, son souffle haletait dans sa poitrine.

Mais, à mesure qu’elle approchait de la forge, elle sentait sa résolution s’évanouir; ce qui lui semblait si simple quelques heures auparavant, lui apparaissait maintenant comme une chose terrible. Soit de fatigue, soit d’émotion, elle allait peut-être s’arrêter, lorsqu’au détour du chemin, elle aperçut tout à coup quelqu’un qui lui cria.

–Où vas-tu?

La foudre n’eût pas davantage terrifié la pauvre Toinette.

–Monsieur Beloison! fit-elle en laissant glisser sa fille de ses bras.

Le maître de forges était en effet devant elle, debout, les bras croisés, l’œil en feu et lançant des éclairs; les longs pans de sa houppelande soulevés par le vent s’agitaient derrière lui d’une manière qui parut à Toinette remplie de majesté.

–Où vas-tu? répéta-t-il.

–Je ne sais pas, répondit Toinette.

–Ah! tu ne sais pas, ah! tu ne sais pas. Je le sais moi, ou plutôt je le devine, ce n’est pas par hasard que tu te trouves d’aussi bonne heure sur le chemin de la forge avec ta portée dans les bras.

–Monsieur Beloison!…

–Je sais tout, mon fils m’a tout dit. Ah! petite gueuse! Non contente d’avoir enjôlé cet imbécile de Raoul tu viens chez nous faire de l’esclandre.

–Moi j’ai…

–Tais-toi!…

–C’est moi que vous accusez!

–Tais-toi, te dis-je, pas un mot de plus! Tu voudrais bien faire croire que Raoul est le père de ton enfant, n’est-ce pas? empêcher le mariage ou me faire financer. Comme tu rirais de bon cœur, hein, si je déficelais pour toi un gros sac d’écus. Mais on ne me prend pas avec des grimaces, moi, et pour ta récompense, je vais tout simplement te conduire en prison.

–En prison!

–En prison coquine, enjôleuse de jeunes gens de famille, imposteuse…

Antoinette n’avait plus de voix.

Une telle accusation, un accueil si différent de ce qu’elle avait espéré lui enlevait toute force, tout raisonnement.

Mais quand elle sentit la main du maître de forges se poser sur son épaule, cette main osseuse et glacée, habituée à manier le fer…

–Grâce! fit-elle avec épouvante.

–Pas de grâce pour les filles comme toi.

–Monsieur Beloison. je vous jure que vous vous trompez. Je ne voulais pas ce qui est arrivé, c’est votre fils qui… vous savez bien qu’il est plus fort que moi… alors… Monsieur Beloison, je vous en supplie… ne suis-je pas déjà assez malheureuse… et ma pauvre petite Églantine, que deviendra-t-elle si vous me mettez en prison?

–En prison!

–Pitié! Monsieur Beloison, pitié!

Le maître de forges parut réfléchir un instant.

–Allons, dit-il d’un ton radouci, je veux bien te faire grâce, mais comme la loi m’ordonne en qualité de maire, de débarrasser le pays des vauriens et des filles perdues, il faut que tu t’en ailles à Paris.

–A Paris!

–A Paris bien vite ou en prison.–A ton choix.

–Eh Bachu! continua-t-il… Ah! çà voyons, Bachu, est-ce que tu es devenu sourd? N’était-ce pas déjà assez d’être idiot, hein?… Bachu, Bachu!

Antoinette vit s’approcher le cabriolet de M. Beloison.

–Monte là dedans, dit le maître de forges à Antoinette.–Allons pas tant d’histoires!.

Et après s’être placé à côté d’elle, il prit les rênes et gagna la station de Saint-Maurice.

Le train était en gare.

Et M. Beloison n’eut que le temps de prendre les billets et de faire monter en wagon l’enfant et la mère à qui il glissa dans la main deux louis en disant:

–Bon voyage et que je ne te revoie jamais!

L'homme à Toinon

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