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III
QUEL PLAISIR D’ALLER A LA NOCE…

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Table des matières

M. Beloison s’en revenait content, activant sa bête,–si content de la façon tout à fait triomphante dont il s’était débarrassé d’Antoinette, que son tic s’en trouvant excité outre mesure, la partie inférieure de sa mâchoire semblait avaler le reste de la figure,–lorsque, à quelque distance de la forge, il aperçut son fils qui se promenait machinalement, un cigare éteint à la bouche, l’air soucieux et passablement ennuyé.

Un grand blond, son fils, fadasse, coquettement vêtu d’un veston trop court, d’un pantalon trop étroit, avec un chapeau trop petit, un lorgnon dans l’œil et l’air insolent.

Enfin… une tête à gifles!

–Eh! Raoul! fit le père.

Raoul se contenta de s’arrêter.

–Raoul!

Voyant que M. son fils ne jugeait pas à propos de changer de place, le maître de forges jeta les rênes à Bachu, sauta à terre et s’avança en se frottant les mains.

–Eh bien, tu sais? fit-il.

–Hein? répondit Raoul.

–Elle est emballée!

–Qui ça?

–Antoinette.

–Ant… connais pas… Ah! si, au fait!

–Tu me dois une fière chandelle!. Figure-toi que ce matin, tout en faisant mon tour et préoccupé du contrat que nous signons cette après-midi.–Fichu contrat, ah! Ces La Ferté sont des finauds, enfin!–Qu’est-ce que je disais? Ah oui; tout en faisant mon tour voilà-t-il pas que j’aperçois au beau milieu du chemin… Antoinette… Antoinette avec sa miochette dans les bras.

–Eh bien?

–Tu ne devines pas?

–Non.

–Tu ne comprends pas ce qu’elle venait faire ici?

–Pas le moins du monde.

–Imbécile!

–Merci, p’pa.

–Elle venait te flanquer ton enfant dans les jambes, animal! Faire du bruit! Demander une indemnité! Que sais-je moi? empêcher ton mariage bien sûr!

–Par exemple!

–Si les La Ferté apprenaient que tu fais des enfants à toutes les filles… Dame! Je ne sais trop si, enfin.

–Oh! à toutes, p’pa c’est exagéré.

–Tu avais bien besoin de faire celui-là?

–On s’embête tant, ici!

–On s’embête… on s’embête… Je m’embête comme toi, moi, et je ne fais d’enfants à personne.

–Pourtant, p’pa, ma présence en ce bas monde semblerait démontrer que…

–Toi, toi, c’est différent, ta mère m’avait apporté une dot, une forte dot… Elle avait droit à… enfin ça suffit… Je n’ai pas de comptes à te rendre à cet égard, tandis qu’Antoinette.

–Comment vraiment… voyez-vous ça avec sa mine de sainte nitouche!… Elle voulait!…

–Rassure-toi. Moi pas bête, j’ai pris l’avance. Au lieu d’écouter ce qu’elle pouvait avoir à me dire, je me suis mis à crier comme un beau diable, l’accusant d’imposture, disant que l’enfant n’était pas de toi.

–Au fait rien ne prouve que…

–Certainement.

–Bien tapé, p’pa!

–Finalement, au lieu de desserrer les cordons de ma bourse comme elle espérait m’y contraindre peut-être, je l’ai menacée, j’ai fait mine de la conduire en prison et…

–Ah! ah!

–Tu aurais trop ri si tu l’avais vue trembler et gémir… Monsieur Beloison, me disait-elle de sa petite voix câline, monsieur Beloison, je vous en prie ne me faites pas de mal, grâce, pitié!…

–Je me tords, p’pa, je me tords.

–Alors je me suis attendri et…

–Tu t’es attendri… toi… pas possible!

–C’est-à-dire que j’ai pardonné… à la condition qu’elle partirait de suite pour Paris avec l’enfant.

–Pour Paris!

–Je les ai fait monter dans ma voiture, je les ai conduites à la gare, et après avoir glissé quarante francs dans la main de la mère, car tu sais, moi, au fond, je suis juste, je l’ai fourrée en wagon.

–Avec la petite.

–Parbleu!… Et en route mauvaise troupe, au plaisir de ne jamais vous revoir!

–Ah! ah! ah! Oh! non, c’est trop drôle… Ah! ah! ah!

–Ah! ah!

–Ah! ah! ah!… Après ça, moi, tu sais, ajouta Raoul subitement calmé par une réflexion qui lui venait, le mariage aurait manqué que je m’en serais consolé facilement.

–Encore!

–Écoute donc p’pa… mademoiselle de la Ferté, tu sais ce que j’en pense, avec cinq femmes de son espèce on ferait facilement un cercueil!

–Préfères-tu Antoinette?

–Cette bêtise!

–Eh bien, épouse mademoiselle de la Ferté.

–Sa dot, je ne dis pas… mais elle… c’est dur.

–J’ai bien épousé ta mère.

–Oh! toi, toi, p’pa!… mais moi…

–Vas-tu encore m’échauffer les oreilles avec tes jérémiades?

–Non, mais…

–J’en ai assez… Écoute et je te le dis pour la dernière fois: mademoiselle de la Ferté ou rien du tout. Mais, malheureux, réfléchis donc, fouille dans ta poche, qu’est-ce qu’il y reste de l’héritage de ta mère?…

–Rien du tout… mais…

–Crois-tu que je vais me dépêcher de trépasser pour ton agrément?

–Je n’oserais te le demander.

–Tape-toi sur l’estomac, qu’est-ce qu’il y reste aussi, à peine assez de force pour boire de la tisane; tu as tout épuisé, ta santé comme ta fortune.–As-tu seulement conservé quinze cheveux sur ta tête?

–Des cheveux, ça s’achète.

–Avec de l’argent, donc épouse mademoiselle de la Ferté. Ce mariage me convient sous tous les rapports, il t’assure une position et arrondit mon domaine et, sans plus tergiverser, je le veux; si tu refuses, va au diable et ne compte que sur ma malédiction.

–Oh! p’pa!

–Assez causé; allons déjeuner et faire un bout de toilette.

Le père et le fils arrivaient alors à leur habitation.

Le couvert était mis dans une salle nue, d’aspect sordide, où douze chaises boiteuses s’accotaient au mur pour ne point tomber; la tenture pendait en lambeaux, le parquet s’enfonçait sous le pied et un baromètre accroché dans un coin marquait éternellement: tempête.

Le déjeuner ne fut pas gai.

Les convives n’interrompaient le mouvement de leurs fourchettes que pour s’entretenir du contrat, des apports et des espérances que faisait concevoir la mauvaise santé de l’oncle le Commandeur et de la tante des Poirieux.

Au dessert, M. Beloison leva son verre et contemplant l’aigre liquide qui y était contenu, il dit en scandant solennellement ses paroles:

–Écoute bien, Raoul: quand tu seras marié, lance-toi dans la politique, tu n’es bon à rien, c’est le seul métier qui te convienne.

–Je ne dis pas non, répondit Raoul, mais comment? Ce ne sont ni vos ouvriers, ni les fermiers de ma femme qui voteront pour moi.

–Rends-toi populaire, flatte les masses en t’attachant à quelque machine de bienfaisance, l’éducation des petits Patagons, la propagation de l’anthropophagie, l’abolition de la peine de mort, n’importe quoi, à ton choix, pourvu que ça fasse du bruit et que ça ne coûte rien; c’est tout à fait l’affaire d’un homme qui, comme toi,–je te suppose marié avec mademoiselle de la Ferté,– représente l’union de la noblesse et de la bourgeoisie. L’empereur aime ça, il te remarquera et te fera nommer, bon gré, mal gré, député. Tu peux alors devenir ambassadeur, ministre. que sais-je? Tu seras au moins décoré.

–Eh! eh!… un petit bout de ruban ne m’irait pas trop mal, c’est vrai.

–Et la rosette donc!… Je te le dis, les vieux s’en vont, l’avenir est aux jeunes, à ceux qui, comme toi, n’ont de conviction sur rien, de connaissances en quoi que ce soit et peuvent par conséquent se plier à tout, promettre tout, sauf d’ailleurs à ne rien tenir. Heureux les pauvres de conscience, a dit je ne sais plus qui, le royaume de la terre est à eux!

–Eh bien, p’pa, ça y est. Je me marie et je deviens un homme politique et moral.

–Bravo I Et en attendant va t’habiller un peu mieux que ça.

Une heure après, le cabriolet de la forge emportait MM. Beloison père et fils vers le château de la Ferté.

Quand ils arrivèrent, les La Ferté, avec le notaire Me Gribouilly, étaient déjà réunis dans le salon: une pièce immense dont on avait laissé les rideaux baissés, sans doute pour qu’une trop vive lumière ne vînt pas révéler les piqûres de vers et les accrocs que présentait l’ameublement.

Aux murs pendaient, un peu crevés, les portraits de la famille.

Mademoiselle de la Ferté était assise entre son oncle le Commandeur et sa tante des Poirieux, près d’une table au bout de laquelle se tenait Me Gribouilly, recueilli et attendant avec une attitude empreinte du plus profond respect.

Il y avait là aussi quelques amis.

Tous silencieux et si raides qu’un visiteur quelque peu hurluberlu aurait facilement, dans l’ombre, confondu les La Ferté avec les portraits de leurs aïeux et pris Me Gribouilly pour un magot de la Chine.

L’oncle et la tante avaient d’ailleurs d’excellentes raisons à invoquer en faveur de leur mutisme.

M. le Commandeur dormait profondément, c’est ce qu’il savait faire le mieux.

Madame des Poirieux, affligée d’une surdité abominable, essayait de dissimuler cette infirmité sous une réserve austère et digne.

Quant à mademoiselle de la Ferté, elle n’était pas du tout satisfaite.–Ah! mais non! Pas du tout, du tout.

Raoul se faisait attendre!… Et pour un prétendu… un jour de contrat… quel avenir cela présageait-il?

Enfin, un laquais, vêtu pour la circonstance d’un habit beaucoup trop grand pour lui, annonça:

–MM. Joseph et Raoul Beloison. maîtres de forges!

–Après quelques paroles d’excuses que balbutia M. Beloison père, et que mademoiselle de la Ferté n’accueillit qu’avec des mouvements de sourcils et un pincement de lèvres tout à fait significatifs, le Commandeur, réveillé par le bruit, ouvrit les yeux et secoua la tête; madame des Poirieux, pour mieux entendre sans doute, mit sur son nez de gigantesques lunettes, et la lecture du contrat commença:

—Par devant Mes Pharamond, Polycarpe Gribouilly et son collègue, notaires à…

—Sang-Dieu! s’écria le Commandeur, où est-il votre collègue?

—Mais, Commandeur… nasilla Me Gribouilly.

—Va-t-il aussi se faire attendre, celui-là?

—Depuis l’an1270, du règne de…

—Comment, depuis…

—Depuis l’an1270, oui, nous inscrivons en tête de nos actes cette formule par devant Me… un tel, notaire, et son collègue, sans que jamais ledit collègue se soit présenté.

—Coquin de collègue! En retard depuis l’an 1270! Sang-Dieu! Il aura manqué la voiture, sang-dieu! Sang-Dieu! Ne l’attendons pas davantage et poursuivons.

Sur ce, M. le Commandeur ferma les yeux, renversa la tête en arrière et. se remit à dormir, madame des Poirieux sourit,–avec dignité,– et Me Gribouilly reprit sa lecture.

Le contrat était long.

La chaleur accablante.

Pas un souffle n’arrivait du dehors dans ce salon où régnait une atmosphère de plomb, où le bredouillement de Me Gribouilly seul se faisait entendre éternel,–et continu,–comme le roucoulement d’une crécelle.

A la dixième page madame des Poirieux sourit plusieurs fois, toujours avec dignité,–et se mettant tout à coup à contempler le plafond, comme si elle y apercevait quelque chose, elle imita le Commandeur.

Soyons vrais. M. Joseph Beloison roupillait déjà depuis quelques instants.

Raoul et mademoiselle de la Ferté résistèrent davantage.

Mais invinciblement et quelques efforts qu’ils fissent, Raoul étouffa un bâillement. Perpétue, –mademoiselle de la Ferté s’appelait, de son petit nom, Perpétue,–écarquilla les yeux en grimaçant; Raoul toussa, Perpétue se pinça les genoux sous la table; Raoul bâilla comme s’il voulait dévorer sa fiancée, celle-ci lui rendit la pareille, et tous deux après avoir toussé, craché, après s’être lancé des regards effarés… s’endormirent… comme le Commandeur, comme le maître de forges et la majestueuse madame des Poirieux.

Les autres invités, par politesse sans doute, en firent autant.

Me Gribouilly en était de sa lecture aux retraits des apports en cas de décès de l’un ou de l’autre des conjoints.

«—En cas de décès du futur, disait-il, la future » aura le droit de reprendre ses effets, bijoux, » instruments de musique.» Oh! oh! les instruments de musique, ajouta-t-il en manière de commentaire.

Et joignant le geste à la parole, il plaça les mains l’une au-dessus de l’autre, le pouce supérieur touchant ses lèvres comme s’il jouait de la clarinette.

—Oh! la musique, continua-t-il… Tiou… tiou… Tra la la, tiou…

Il voulait rire un peu, cet homme… mais en jetant un regard sur les assistants, il s’aperçut que tous dormaient.

Il poussa un soupir, laissa tomber sur la table son front qui rendit un coup sec et.

L’on n’entendit plus rien du tout.

Rien qu’une mouche capricieuse et bourdonnante qui voltigeait de ci de là.

Le jour était sur son déclin quand, lasse de ses pérégrinations aériennes, la mouche vint enfin se poser sur le nez du Commandeur.

Avait-elle pris ce nez pour une rose?

On n’a jamais pu le savoir. Toujours est-il que, réveillé brusquement, le Commandeur frappa brusquement du poing sur la table et s’écria:

–Sang-Dieu! monsieur le tabellion, avez-vous bientôt fini?

Chacun bondit sur son siège.

Me Gribouilly chercha d’abord dessus, puis dessous la table, où il avait roulé, son contrat qu’il reprit à la dernière page et chacun signa.

Impossible de raconter comme elles le mériteraient les fêtes qui suivirent le mariage.

Dès le matin les cloches sonnèrent à toute volée.

Au tantôt, les paysans, les paysannes du pays et des alentours, les ouvriers de la forge arrivèrent parés de leurs plus beaux habits.

On dansa en plein air.

On dansa tant que l’on but beaucoup.

On but tant que l’on finit par se battre, les hommes avec les femmes et tous avec le garde champêtre.

Et après un massacre général chacun s’en fut chez lui.

Les uns malades.

Les autres mal contents.

La vieille Thérèse, qui avait voulu assister comme les autres à la fête, rencontra en rentrant aux Blaviers le père Ladurot qui, un peu gris, rêvait, assis au bord du chemin.

–A quoi que vous pensez comme ça? lui demanda-t-elle.

–Eh! à cette pauvre Toinon!. Je ne l’ai point vue à la fête.

–Ah! la pauvre Toinon! exclama Thérèse.

–Qu’est-elle devenue?

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