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Formes du théâtre, religion et société

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Marie-Madeleine Fragonard

Sorbonne Nouvelle-Paris III

Une des particularités des recherches organisées par Federico Doglio est la hardiesse: il s’est lancé avec courage sur le terrain des manifestations religieuses du théâtre, à moins qu’il ne faille dire des manifestations théâtrales de la religion. Pour les littéraires en ce temps déjà lointain, il n’était pas (au moins en France) coutumier de s’attaquer à cette proximité: les auteurs religieux étaient comme exclus du champ du littéraire, sauf quelques grands noms pour des motifs bien avouables et résiduels en quelques sorte: Pascal à cause des deux infinis et de l’angoisse existentielle (en un mot on étudiait les angoisses de l’homme sans Dieu et surtout pas les réponses des fragments proprement théologiques), Bossuet pour les oraisons funèbres et la dépréciation des gloires de ce monde, un peu de Fénelon pour l’éducation, le Polyeucte de Corneille avec précautions. Or la série des publications de Federico Doglio représente peutêtre bien la seule somme complète sur ce sujet trop souvent contourné, car j’y compte au minimum un total de 192 communications consacrées au théâtre religieux, près de 2000 pages.1 Ce n’est bien sûr pas l’objet unique, mais là où le théâtre des lettrés et le théâtre de Cour ont le plus souvent la faveur des critiques, il importe de souligner que ce choix comporte une thèse sur les origines du théâtre européen, un ancrage anthropologique et sociologique affiché, et une étude non théologique de cet aspect de la religion et de sa prédication, et que le choix du patrimoine théâtral religieux est aussi un choix idéologique sur un terrain très discuté, pour ne pas dire disputé.2

Dès la première publication [I. (1976): Dimensioni drammatiche della liturgia medioevale], l’affichage est fait: certes pour un Moyen-âge bien lointain, mais qui éclaire justement des liens originels qu’entretissent religion et théâtre, qui tiennent aux rites, qui tiennent à la manière de penser, de bouger, de ressentir d’une communauté. Reléguant au second plan la théologie des savants et des rhétoriciens, le fait religieux ici se fait corps, vue, audition et groupe. C’est dire aussi que la définition du théâtre est large: un art corporel qui signifie, au service d’une autre fonction que le plaisir du regard. Le théâtre est à naître et à émanciper comme le développe la communication finale de Franco Demarchi [I. (1976): «Una prospettiva sociologica sull’evoluzione della liturgia medioevale in teatro religioso»]. Le temps fort de Pâques est scruté dans tous les pays européens (Walter Lipphardt, Ritva Jonnson, Michel Huglo, Domenico Sartore, Jordi Pinell) et les différentes villes italiennes (Giulio Cattin, Alberto Gal-lo, Agostino Ziino); musique et dialogue s’y complètent (Eugenio Costa Jr., Giulio Cattin, Alberto Gallo) œuvrant avec la pédagogie de la prédication qui doit en élucider le sens et guider les fidèles par le seul discours (Bruno Luiselli). Soucieuses de mettre en valeur les manuscrits anciens qui sont des témoins (Raffaello Monterosso, Agostino Ziino) les études s’attachent à chacun des moments qui, en s’insérant, puis en se séparant de la messe, constituent des formes dramatiques à partir du Xe siècle: le trope Quem Quaeritis, mise en dialogue d’une scène de l’Evangile, devient par exemple chant, rencontre, mouvement, procession.

Cette première rencontre est fondatrice, parce qu’elle affiche des principes méthodologiques et idéologiques qui seront tenus jusqu’au bout durant 30 ans: le théâtre est l’âme d’une société, bien avant d’appartenir aux auteurs. Et les rites religieux lui donnent sa valeur originelle. Il n’existe évidemment pas de «pur religieux»: les préoccupations des producteurs, fût-ce pour manifester leur foi, se produisent en ce monde avec ses vicissitudes. Aussi le théâtre religieux pourra-t-il être capté pour servir la célébration du groupe producteur (ordres religieux, confréries) comme des pouvoirs séculiers qui le régissent (ou essaient de le régir). Le volume V (1980): Le Laudi drammatiche umbre delle origini reprend ces mêmes perspectives globales en avançant un peu dans le temps, en partant cette fois d’une forme musicale, associée à une structure dévotionnelle, les confréries (Joselita Raspi Serra), et certains «auteurs» célèbres, Jacopone da Todi, François d’Assise: c’est toujours la dévotion populaire (Paolo Brezzi), une liturgie émancipée (Silvano Maggiani) qui sort du temps préférentiel de Pâques et de l’église-monument vers des dates de célébration et des lieux urbains, parfois organisée en cycles (Peter Meredith). Parce que les études critiques ont privilégié les siècles et genres plus modernes, il n’était pas excessif de consacrer deux colloques proches à la naissance mal connue, où le latin est aussi la langue de la prière et du spectacle.

Synthèse et aboutissement de ce courant d’études associant sociologie (le peuple), esthétique (variété des formes) et croyances, X (1985): Ceti sociali ed ambienti urbani nel teatro religioso europeo del ′300 e del ′400 (nos 14e et 15e siècle) souligne la spécificité urbaine d’une culture qui se forme (difficile de savoir si la religiosité des campagnes est très différente en croyance et évolutive). La ville se fait à la fois commanditaire, acteur et lieu du spectacle religieux (Riccardo Pacciani): aussi les particularités locales peuvent se marquer (Orvieto, étudié par Raimondo Guarino, Eugenio Battisti). La représentation sacrée perpétue les événements locaux et l’évolution des dogmes, le Miracle de Bolsena suscite dans toute la chrétienté la fête du Corpus Domini (Raimondo Guarino, Eugenio Battisti, Roberta Mullini, Rosalba Spinalbelli). Au demeurant, la dignité des sujets laisse une place à des effets d’intertextualité et de mise à distance (Luigi Quattrocchi: «Aspetti parodicisti nel teatro religioso tedesco»). Témoignages écrits et témoignages iconographiques (Lina Bolzoni) sont interrogés pour illustrer le jeu de conventions et de «réalisme» par où la civilisation moderne se reflète dans ces jeux, marqués par la conscience urbaine ou par l’infiltration (déjà) d’une société des élites (Chiara Frugoni, Mercedes de los Reyes Peña, Joan Oleza).

Oserais-je dire, sans décaler beaucoup le propos, qu’il s’agit dans cette perspective d’étude de redonner à une (des) communauté(s) par le théâtre les rites d’intégration qu’elle avait il y a fort longtemps, rites dont le temps présent redécouvre les vertus structurantes? La théologie est à peine en cause, sinon lorsque les contestations se font vives au XVIe siècle: et encore, les études soulignent les aspects pédagogiques, préventifs, du théâtre religieux plus que la polémique. Or le religieux est partout, même si sa part va se restreignant dans la vie théâtrale: de la presque exclusivité des origines (où il n’est concurrencé que par les jongleurs!) à la presque inclusion dans le théâtre profane. Dans la série des colloques, seules 7 publications ne comprennent aucune allusion ostensible au religieux: rien dans XIV (1990): Nascita della tragedia di poesia nei Paesi Europei; XV (1991): Sviluppi della Drammaturgia Pastorale nell’Europa del Cinque-Seicento; XVII (1993): Origini della Commedia nell’Europa del Cinquecento; XX (1996): Tragedie popolari del Cinquecento europeo (crimes!); XXI (1997): Spettacoli studenteschi nell’Europa umanistica (humanistes!); XXXI (2007): Umor nero. Astuzia e sarcasmo nei testi comici popolareschi dell’Europa tardomedioevale, ni XXXII (2008) Fortuna Europea della Commedia dell’Arte.

Le théâtre religieux s’est donc glissé dans tous les endroits attendus. La quête d’un théâtre populaire est dominante, et donc via le peuple tout entier, le théâtre religieux est dans tous les lieux et moments, d’où le parcours de tous les lieux et des provinces in VI (1981): Rappresentazioni arcaiche della tradizione popolare (Gabriella Ferri Piccaluga: «Tra liturgia e teatralita: consuetudini sociali ed immagini dal Medioevo alla Controriforma», Roberto Cipriani: «Riti e simboli della Settimana Santa in Capitanata: il Cristo Rosso di Cerignola», Pietro Sassu, «La Settimana santa a Castelsardo»). Mais il peut réapparaître glissés dans les endroits inattendus, lié au comique, ce qui nous rappelle que nos ancêtres n’ont pas la même réticence au mélange des tons et des genres que ce que laisserait penser le discours pédagogique actuel: Chiara Settis Frugoni, «La rappresentazione dei giullari nelle chiese fino all XII sec.» in II (1977): Il contributo dei Giullari alla drammaturgia italiana delle origini; Sandro Sticca, «Dramma sacro e realismo comico nel teatro medioevale tedesco e francese (X-XII sec.): da Hroswitha di Gandersheim al Mystère d’Adam» in III (1978): L’eredità classica nel medioevo: il linguaggio comico. Avec le colloque XIII (1989): Il Carnevale: dalla tradizione arcaica alla traduzione colta del Rinascimento, on est ailleurs… et pas loin néanmoins de cette appréhension anthropologique du fait religieux.

Plus instrumentalisé, et plus tard le théâtre religieux sert aux ambitions: le rapprochement de la religion et du pouvoir, l’un instrumentalisant l’autre, est particulièrement parlant en XI (1987): Mito e realtà del potere nel teatro: dall′antichità classica al Rinascimento, quand les espérances religieuses servent à l’image impériale (Franco Cardini, «Il Ludus de Antichristo e la teologia imperiale di Federico I») et quand les souverains se font eux-mêmes auteurs (Mario Martelli, «Politica e religione nella Sacra Rappresentazione di Lorenzo de’ Medici»).

Même là où l’on pourrait penser que le théâtre est devenu un spectacle des passions humaines, on s’aperçoit que les thèmes et motifs religieux y fournissent les scénarios les plus évidents et les plus diversifiés, édifiants, terrifiants, le pathos est bien présent; ainsi quand il est question de persécution dans XXVIII (2004): Romanzesche avventure di donne perseguitate nei drammi fra ′4 e ′500, sans même évoquer les martyres, les Miracles fournissent des scénarios (pré-)romanesques que montrent Yasmina Foehr-Janssens «Reines et impératrices au désert: les figures de femmes persécutées dans les Miracles Nostre Dame par personnages du manuscrit de Cangé», ou Georges Ulysse «Donne perseguitate, persecutori e persecutrici. Lettura della Rappresentazione di Stella, un miracolo della Madonna». Plus inattendus, Gaetano Oliva «Margherita Porete: una figura femminile perseguitata» ou Adriano Prosperi «Ladri e martiri: storie di conversioni e di punizioni» dans XXX (2006): Libidine dei potenti e angoscia dei vinti. Drammaturgia della crisi alla fine del Rinascimento.

Le conflit latent entre spectacle et Eglise ne fait pas l’objet d’une étude sui-vie, mais apparait dans les interstices quand les ecclésiastiques entreprennent de contrôler les lieux ou les termes dans II (1977): Il contributo dei Giullari alla drammaturgia italiana delle origini; (Chiara Settis Frugoni, Carla Casagrande et Silvana Vecchio) ou quand le théâtre sert à la contre-propagande et lorsqu’au lieu d’être une arme de la religion, le théâtre pourrait bien être un adversaire, comme l’analyse par exemple Maria Luisi, «La satira anticlericale nella drammaturgia senese della Prima metà del Cinquecento» dans XXV (2001): Satira e beffa nelle commedie europee del Rinascimento.

Une seconde caractéristique est aussi de mettre en question ce que nous appelons «textes de théâtre». Textes élaborés, montages, fragments, adaptations: on part de formes non cataloguées dans nos genres littéraires. Certains montages ont de surcroit été effectués en vue des représentations et ne viennent pas tout droit comme des témoins sortis des archives. Ce faisant, qu’a encouragé Federico Doglio sur le plan littéraire et esthétique? D’abord le retour de pièces inconnues, dont on ne dira pas qu’elles «valent» Shakespeare, mais qu’elles interrogent forcément : si nous ne leur donnons pas la caution d’un éternel humain que chaque époque peut réinvestir, si nous les cantonnons donc à n’avoir de valeur qu’en leur époque de création, nous nous obligeons à une stricte analyse historique: elles ont été, et elles ont alimenté une satisfaction (une connaissance? un plaisir?), même si nous ne le percevons pas immédiatement. L’objectif de l’historien est de reconstituer les motifs et les formes de ce moment unique. Parce qu’il y a peu d’auteurs identifiés au départ de ce théâtre religieux, mais aussi par principe, il me semble, il n’y a pas de sanctification (!) de la condition d’auteur, ni de la personnalité des auteurs connus: peu de communications comprennent un nom propre, même là où les jésuites sont plus accessibles et plus connus (?) que Hroswitha de Gandersheim ou Jacopone da Todi.

En cela l’entreprise est cohérente avec elle même: la production de ce théâtre religieux est collective pour une collectivité, elle n’a pas besoin du renom préliminaire d’un auteur, et s’empare de tout ce qui peut se transposer en corps visibles, prières, fragments d’Evangile, récits et même parodies; on peut faire un montage de moments narratifs ou calculer un scénario complexe. Cela échappe à tout théorisation préalable qui définirait la bonne manière de jouer ou l’adéquation des tons et des scénarios au public, ce qui ne s’établit que très tardivement (dirait-on avec l’art jésuite?). On ne songeait pas à Aristote, ni pour suivre ses préceptes ni pour les offenser, même si Horace était bien connu [Ileana Pagani «Il teatro in un commento altomedioevale ad Orazio», in II (1977): Il contributo dei Giullari alla drammaturgia italiana delle origini]: il faut que le critique moderne se le rappelle en évaluant les archives et en ressuscitant les canevas dramatiques. L’évolution des formes est étudiée dans d’autres volumes, à travers des genres qui ont des noms stables (farce, comédie, pastorale, tragédie, à des dates déjà avancées du XIVe s.). Mais de surcroît, en encourageant la remise en jeu de ces pièces, Federico Doglio a fait découvrir qu’avec ou sans exploit du metteur en scène, elles pouvaient intéresser un spectateur non historien. Jeu d’amateurs, jeu d’étudiants, ou jeu de professionnels, il y a une place pour ces essais de résurrection. Et la possibilité de leur redonner des lieux semblables aux origines (les cloîtres, les parvis). La conservation de toutes les mises en scène au «Centro Studi» est un trésor inestimable, comme l’a synthétisé Véronique Domínguez dans sa présentation «Quelle renaissance pour le théâtre médiéval. Historiographie et mise en scène» du colloque Renaissance du Théâtre médiéval, (12e colloque de la Société Internationale pour l’étude du théâtre médiéval, UCL Presses universitaires de Louvain, 2009, pp.1-14). Elle y rend d’ailleurs un hommage vibrant à Federico Doglio. Doglio (et n’oublions pas Myriam Chiabò) a d’ailleurs travaillé avec cette Société Internationale dont le premier colloque fut accueilli par le «Centro Studi» en 1983. Des représentations ont donc été associées aux publications, concrètement liées aux colloques, et publiées avec préface (et traductions quand il s’agit du latin).3

On s’étendra peu sur la dimension internationale des travaux, troisième caractéristique des travaux ici présentés, qui, tout en faisant la part belle à l’Italie (mais les raisons ne sont pas partisanes, on y revient!) s’étend à tout l’espace européen de l’Angleterre à la Russie, et par conséquent pour notre sujet, à travers des christianismes dont les dogmes ne sont pas forcément identiques, et les supports sociaux fort différents. Par une rotation rapide des intervenants, dont peu sont sollicités une seconde ou une troisième fois, même lorsqu’ils sont des sommités (Graham A. Runnalls, par exemple), Federico Doglio a assuré une communication large des recherches et des rencontres croisées des chercheurs et des types d’expériences. Mais on soulignera d’emblée combien la présence d’une Bibliographie [depuis VI (1981): Rappresentazioni arcaiche del-la tradizione popolare] puis d’une Bibliographie européenne le plus souvent à quatre voix [depuis XXII (1998): Vita cittadina nel teatro fra Cinque e Seicento] est une aide précieuse pour circuler dans un domaine d’information où personne ne peut prétendre ni tout lire ni tout maîtriser, et où les recherches sont nombreuses en toutes langues. Elle permet de renforcer l’impression de cohérence interne à la culture européenne médiévale ou à l’actuelle culture universitaire qui ne peut être qu’européenne. L’Italie a la part belle, parce qu’au delà de la communauté anthropologique commune, elle a eu une organisation urbaine précoce, des communautés qui ont gardé leur cohésion et leur identité en même temps que des archives municipales à côté des archives de monastères, des particularismes locaux conservés. On ne peut être qu’émerveillés de la quantité, de la variété, de la précision, des documents institutionnels et narratifs qui conservent le souvenir de ce théâtre ancien. En avance sur les autres pays, elle a servi de modèle culturel conscient depuis le XIVe s. La prééminence romaine assurait que de nombreux visiteurs s’y éduqueraient forcément, pèlerinages, ambassades, conclaves… et quelques guerres, en passant par certains lieux symboliques religieux ou universitaires (Assise, Padoue, Florence).

Quatrième caractéristique qui apparait à la récapitulation, et dont on admire qu’elle se soit construite rationnellement au fil des travaux du groupe: une très cohérente exploration chronologique suit l’évolution du théâtre religieux dans ses structures sociales et esthétiques. Est-ce le souci de renouveler les thèmes ou un plan conscient élaboré sur plus de 30 ans et suivi avec une rigueur intellectuelle remarquable? Du premier livre (1976): Dimensioni drammatiche della liturgia medioevale) au XXIX (2005): Guerre di religione sulle scene del Cinque-Seicento, dix siècles de théâtre, et une problématique constamment renouvelée, explorant:

— le passage au texte conservé, faits et manuscrits.

— l’émancipation du religieux hors de l’Eglise.

— le passage des monastères aux confréries urbaines [Joselita Raspi Serra «Le Confraternite nella realtà strutturale ed urbana», in V (1980): Le Laudi drammatiche umbre delle origini].

— la relation aux textes antiques [Ileana Pagani «Il teatro in un commento altomedioevale ad Orazio», in II (1977): Il contributo dei Giullari alla drammaturgia italiana delle origini].

— la conception immédiate d’un art total avec musique et iconographie [Jean Maillard «Considérations musicales sur l’apport des ‘trouveurs’ et jongleurs dans la formation du théâtre moderne», in II (1977): Il contributo…, ed. cit.].

— l’évolution d’un monopole ecclésiastique sur les textes à la diversification des genres, des espaces (moins prévus) et des producteurs pour des destinataires moins uniformes (Cour).

— la circulation des modèles [Diego Carpitella «I Giullari e la questione della circolazione culturale nel Medio Evo», in II (1977): Il contributo…, ed. cit.].

— les liens entre genres religieux et genres profanes: prédication, pèlerinages, histoire, voyages.

— les variations d’une adhésion formelle du public à une confession dans des périodes de doute ou de scission.

— l’enrôlement du théâtre religieux de la célébration à la polémique, via les thèmes de la Contre Réforme, en particulier le choix des drames de martyre.

— le système européen du théâtre jésuite, avec sa capacité pédagogique et unificatrice.

— la coïncidence entre certains thèmes mondains et le théâtre religieux (femmes persécutées…) qui peut laisser hésiter sur le sens à donner à ces scénarios.

La publication VII (1982): Gli spettacoli conviviali dall’antichità classica alle corti italiane del ′400 opère un double changement: d’une part en reculant encore les limités temporelles de l’archaïque vers l’antique (intéressant glissement du vocabulaire) et d’autre part en s’exposant ainsi sciemment à se tourner vers un théâtre de lettrés latinisants. Ici l’objet du déplacement est le théâtre comique, mais ce retour à la tradition lettrée oppose au théâtre du rite un théâtre culturel où le plaisir du texte et le prestige des sources peut susciter un intérêt profane différent.

Le colloque de 1983: IV Colloquio, énorme colloque de la Société Internationale pour l’Etude du théâtre médiéval, avec 47 communicants, très européen, fait la part très belle au théâtre religieux, qui est encore dominant, mais replacé au sein de potentialités plus variées. On ne peut économiser une réflexion sur les genres et la constitution de savoir-faire et de procédures proprement littéraires à l’œuvre pour structurer un répertoire répondant à l’intérêt du public comme aux nécessités d’une apologétique sous-jacente

— des thèmes ou scènes réitérées constituent apparemment de grands moments de la symbolique du salut et une mise en scène appréciée (les procès de Paradis, dans tous les pays: Charles Mazouer, Graham A. Runnalls, Anna Cornagliotti, Jean-Paul Debax, Alexandra F. Johnston, Sarah Carpenter).

— des aspects du dogme : salut individuel, mariologie (Anne Marie Binctin).

— les sujets déclinent tous les aspects du récit évangélique, la Passion, mais aussi les mages (Federico Doglio).

— les formes allégoriques sont mêlées au narratif (le combat des Vices et des Vertus, Nerida Newbigin; le semeur, Marco Piccat).

— le mélange des tons, incluant le comique comme alternance (Wim Husken, Sandro Sticca).

Mais c’est aussi là que se manifeste une nouvelle complexité des études: peut-être moins sociologiques que les précédentes, mais plus attentives à la matérialité du théâtre (trucages, lieux), études très importantes mais communes à tous les registres théâtraux, et sur lesquelles nous ne nous attarderons pas ici: la structuration des espaces scéniques, l’organisation du spectacle, la présence d’un présentateur (Larry E. West), la primauté du régisseurs des «secrets», une vraie scénographie (A. Vitale Brovarone, Luis Quirante Santacruz), et une évidente apparition des auteurs (c’est encore modéré).

Un retour en force de ces panoramas techniques et thématiques, mais déplacé dans la chronologie vers une modernité relative, s’effectue dans XVI (1992): Esperienze dello spettacolo religioso nell’Europa del Quattrocento (15 communications). L’Europe s’est élargie puisqu’on va jusqu’en Russie-Hongrie-Pologne (Nina Kiraly). Mais pour l’Italie, Florence occupe le premier plan (Claudio Leonardi, Paola Ventrone, Nerida Newbigin, Giulio Cattin), plus loin des sanctuaires et plus près des palais. Les princes s’ajoutent aux organisateurs traditionnels. Les lieux et formes (le théâtre en rond, Richard Axton), la musique (Giulio Cattin) se modifient peu. Mais les personnages se sont diversifiés, la tendance est à l’hagiographie plus qu’aux Evangiles: et surtout quand il s’agit de légendes et de symbolisme associés à la féminité: Eve et Marie-Madeleine, pécheresses et sauvées (Jarmila Veltrusky, Jean Subrenat). Comme le dit avec humour Graham A. Runnalls, les mystères deviennent des drames romantiques!

Toutes les institutions étant en place, le temps était donc venu d’observer les figures dans lesquelles le public est appelé à se reconnaître, ou du moins à situer son évolution spirituelle puisque la première à apparaître est XII (1988): Diavoli e mostri in scena dal Medio Evo al Rinascimento. Ces acteurs majeurs du drame religieux méritaient bien un volume pour eux seuls, tant ils jouent de rôles dans le théâtre religieux, chargés du fantastique, du terrible, mais aussi du comique; les diables progressent sur la scène, et même hors de scène (Massimo Oldoni). Le diable est une figure complexe depuis l’antiquité tardive (Alba Maria Orselli, Claude Kappler) qui devient un principe (le Mal) et des présences scéniques envahissantes (Christian Bec), peut-être moins vraiment terrifiant au xvie (Nicasio Salvador Miguel, Marie-Thérèse Jones-Davies) qu’au XVe s. La coexistence culturelle avec les grands textes de l’imaginaire (Dante par Nino Borsellino) permet d’apprécier la diversité de fonction de ces personnages, quasi familiers, dans le théâtre. Le lien avec l’histoire de l’art est très fort (Daniel Arasse: «Le portrait du diable»), car la pédagogie du salut conjugue tous les moyens d’expression et d’encadrement des fidèles, puisqu’il devient un protagoniste opposé à Dieu (ce n’est plus un Procès de Paradis interne aux desseins de Dieu, mais une lutte, où Marie-Thérèse Jones-Davies le montre «gagnant ou perdant» de l’histoire mouvementée du salut humain.

Métaphore du salut en même temps que réalité concrète, la figure du pèlerin, qui permet de reprendre une ligne de réflexion diachronique et transgénérique: XXIII (1999): Letteratura e drammaturgia dei pellegrinaggi en 17 communications du Moyen-âge au XVIIe. Le pèlerinage déplace des voyageurs à travers des cultures différentes, suscite des récits, informe sur les particularités géographiques, ethnologiques, sert de modèle à une métaphorisation spirituelle (dès la Bible: Paolo De Benedetti). Pour en appréhender la valeur dans les transpositions scéniques, il faut donc explorer tous ces mélanges de formes, narrations et dramaturgie, prédicateurs, voyageurs et mise en scène et pour une fois il y a moins de théâtre que d’avatars du récit, et moins de tragédies que de formes sans nom: le pèlerin est une figure malléable (Michel Zink); faire une typologie des productions (Alda Rossebastiano, Corrado Bologna, Arturo Carlo Quintavalle) établit la richesse formelle et fonctionnelle du thème. Les incitations des prédicateurs magnifient l’entreprise (Carlo Delcorno).

Voyage d’occident vers Saint-Jacques (Anna Maria Testaverde, Robert Plötz) ou voyage d’Orient (Ferruccio Bertini) depuis l’antiquité, décrivent une géographie concrète, en même temps qu’ils figurent l’eschatologie (Dominique de Courcelles). Ce volume explore l’interdiscours religieux au fort de ce grand mouvement des contacts, ou l’errance comme figure spirituelle et sociologique, plus qu’il ne privilégie les formes théâtrales qui le mettent en scène et n’en sont qu’un aspect.

Thème aussi, mais cette fois capital pour le théâtre: XXIV (2000): Martiri e Santi in scena avec 16 communications et 5 bibliographies: italienne, française, anglaise, espagnole et russe, du Moyen-âge au XVIIe s. se resserre sur les genres et sur les héros dramatiques qui, bien avant la Contre-réforme, proposent aux spectateurs des modèles de vie et de mort, lient la représentation à une liturgie de célébration, et souvent à une fête, elle-même liée à la présence particulière de reliques par exemple, qui font qu’un saint est le cœur d’une communauté religieuse locale. Il faut combattre l’idée qu’il s’agit d’une forme seulement médiévale, parce que si, de fait, elle est médiévale (Elisabeth Lalou, Andrzej Dabrówka), elle s’épanouit comme instrument de la Contre-réforme. Analyses intertextuelles: l’hagiographie comme base narrative (Sofia Boesch Gaiano) va de Jacques de Voragine aux recueils plus historiques, unissant saints antiques et saints modernes locaux (Nicolas de Tolentino), certains sont tout à fait communs à l’occident, comme Marie Madeleine (Christine Richardson). L’iconographie continue l’édification des spectateurs (Anna Cavallaro). Mais les saints tout le temps ont des caractéristiques plus merveilleuses que la représentation des martyrs élaborées pour la Contre-réforme (Laura Auteri). Plus que les autres thèmes, le sujet se prête au pathos du terrible (la cruauté et la violence), au miracle, résurrection, résistance outre les forces humaines, et miracles cosmiques si besoin: le voile de Sainte Agathe freine une éruption du Mongibello chez Buonarroti le jeune…, étudié par Antonia Grimaldi et Donatella Di Mauro. Autrement dit le thème sollicite le savoir-faire des acteurs et des metteurs en scène pour une expressivité maximale qui touche le spectateur dans sa sensibilité: l’idéal est probablement de lui faire vivre en communion avec les héros les scènes de conversion (Il Velo et Il Ginnesio de Buonarroti il Giovane).

Avec ce sujet, un basculement chronologique privilégie la dernière période étudiée par le «Centro Studi». Car si nous avons insisté sur les Colloques consacrés aux fondations théâtrales urbaines, leur antithèse s’est établie à l’autre extrémité de la série des publications et de la période étudiée par le «Centro Studi»: le très intéressant volume XVIII (1994): I Gesuiti e i primordi del Teatro Barocco in Europa. Riche de 20 communications, le volume est une synthèse de toute la modernité du théâtre, qui échappe à la communauté urbaine, et qui s’écarte des rituels religieux auxquels il n’est relié que par ses thèmes: on ne prie plus à travers un rite, on va voir un spectacle édifiant. Et le spectacle, moyen d’instruction, est aussi un moyen de plaisir, qui s’épanouit grâce au savoir, aux passions et à un usage concerté de l’imagination (Heinrich Pfeiffer). Et l’utilisation du spectacle, savoir et plaisir, est aussi sciemment un moyen de contrôle exercé sur le public (Adriano Prosperi, «La Chiesa tridentina e il Teatro: strategie du controllo del secondo ’500»). Plusieurs interventions soulignent le caractère pédagogique de ce théâtre, effectivement lié aux collèges, mais qui se met en situation proche de la prédication pour former le public, à la fois à la rhétorique, manière de dire claire et organisée, et à une juste pensée de l’ordre civique et religieux (Marc Fumaroli, Mario Fois). Se développe ainsi sur l’ensemble des Collèges européens un art total presque uniforme: certes on peut en observer les particularités locales (Michela Sacco Messineo sur la Sicile; Nigel Griffin sur le Portugal; Jean-Marie Valentin sur son expansion en Allemagne). Les réalisations du Collège Romain stimulent les activités des autres collèges, et se répandent de façon durable en Europe (Bruna Filippi). Même si les textes ne sont pas immuables —on remanie, on adapte le modèle original— une forme d’unanimité s’effectue autour de thèmes et de héros, avec une primauté à la tragédie. Le théâtre jésuite représente la mondialisation à l’aune de ce dont est conscient notre xviie siècle: toute l’Europe de façon durable, parfois jusqu’au xviiie siècle (Irena Kadulska, les permanences en Pologne), dans un savoir formel qui forme futurs auteurs et futurs spectateurs. Au Collège Romain s’élabore aussi une théorie du spectacle plus moderne que celle des commentateurs renaissants d’Aristote (Irene Mamczarz): La forme privilégiée désormais est celle de la tragédie, dont la régularité se construit et permet d’interroger comparativement les «cas» des malheurs (Jacques Truchet). Le théâtre est art sensuel où le texte ne suffirait pas, la musique plus que les mots atteint aux émotions qui suggèrent le divin (Emilio Sala et Federico Marincola, sur le cas de l’Apothéose de St Ignace et François Xavier). Là aussi s’élabore un répertoire de sujets dramatiques, fondé sur le théâtre des martyrs, où la violence des sacrifices sanglants est la preuve paradoxale du triomphe du Bien, dans la volontaire acceptation de la mort. L’Hermenegilde, tragédie du fils mis à mort à cause de la calomnie de sa marâtre, est un sujet «familial», il est renouvelé pour célébrer la fondation de la catholicité en Espagne (et ailleurs); ce scénario, réécrit d’abord dans plusieurs collèges, est une sorte de prototype de la leçon jésuite (Julio Alonso Asenjo). Autre version thématique forte: les vengeances de Dieu, qu’incarne l’héroïne Judith, dans un message plus adapté aux guerres de religion et à la propagande politique (Jean-Michel Gardair). Sujets bibliques et sujets antiques exaltent le choix volontaire et se complètent idéologiquement (Daniela Quarta). L’unité de commanditaires et la volonté assumée d’une emprise européenne où former la jeunesse, la capacité pédagogique de détailler la religion dans ses dimensions personnelles et théologiques, les moyens rhétoriques assumés par des personnalités identifiées et relayées sur l’ensemble de l’ordre: le premier projet fort d’utiliser le théâtre a tous les atouts du succès et fonde des modèles que même ses ennemis adopteront. Il peut ainsi offrir son soutien à des entreprises politiques modernes par le biais des exemples martyrologiques. Les vedettes de l’Ordre (comme le RP. Stefonio, l’auteur du Crispus plusieurs fois recopié en Europe) sont moins mises en valeur que ce réseau où vont puiser tous les grands dramaturges (Josep Lluís Sirera sur Lope de Vega; Gianfranco Damiano sur Emanuele Tesauro, ce Jésuite sorti de l’Ordre).

En somme c’est le premier moment où il y a une stratégie, des auteurs, et une bonne utilisation de la culture pour la religion, en situation conflictuelle avec un théâtre laïcisé. Contrairement au Moyen-âge où les commanditaires sont une collectivité locale qui ne distingue pas entre culture et religion, le xviie siècle, surtout jésuite, est conscient de la scission entre culture et religion, dis-cute d’ailleurs âprement du fait que le théâtre soit acceptable pour la bonne doctrine religieuse, sauf entre des mains très jésuites, et face au triomphe des arts du spectacle princiers et urbains, se sait minoritaire.

A partir de ce gros plan sur l’Ordre qui a renouvelé la formation de tout un public, les colloques ultérieurs vont renouveler l’étude des sujets. A partir aussi de ce point d’aboutissement esthétique et doctrinal, il n’y a plus de confusion possible entre théâtre et religion: ce serait un blasphème d’insinuer que les cérémonies ecclésiastiques sont du théâtre démonstratif, alors même que leur célébration est de plus en plus tournée vers un art total de musique, d’images, de sensations et de symboles; inversement sur les scènes laïques les sujets religieux vont aller se restreignant aux commémorations hagiographiques locales, puis s’amenuisent et même disparaissent de fait par une autocensure des auteurs et du public. Le théâtre s’abstient du religieux, qu’il laisse aux jésuites… à moins qu’il ne se consacre aux lieux communs sans risque d’un bon comportement.

Dernier volume de la série, XXXIII (2009): L′eroe sensibile: evoluzione del teatro agiografico nel primo ′600 (9 communications), hors du théâtre jésuite, confirme une séparation des genres et de leurs publics. Le théâtre est cette fois encadré dans des salles. La différenciation des genres (leur enrichissement) vers un art total et luxueux, s’est effectuée; les communications mêmes peuvent varier leur point de vue: ouverture vers l’opéra, le jeu de l’acteur, la philosophie, en particulier le stoïcisme chrétien de Gryphius (Luigi Quattrocchi). Les publications de vies de saints sont à leur sommet (Sara Cabibbo). Les saints, sur scène, sont de plus en plus des héros et des passions corporelles et psychologiques subies et détaillées avec une précision gourmande de cruauté (Guendalina Serafinelli), de plus en plus des personnages. Le théâtre peut s’écarter des préoccupations religieuses pour une formation morale et une autonomie de plus en plus diversifiée de son esthétique, avec une recherche des effets émotionnels sur le spectateur (Christian Biet). Il y a des auteurs connus (Marzio Pieri) et des parentés entre héroïsme et sainteté (Giovanni Casoli). La religion et la culture se séparent, tout en restant en bonnes fréquentations à cause de leurs bases communes dans le christianisme général. La capacité à ressentir avec excès, physiquement et moralement, est une spécification d’une tendance globale des personnages tragiques, telles que le montre aussi XXX (2006): Libidine dei potenti e angoscia dei vinti. Drammaturgia della crisi alla fine del Rinascimento, où d’ailleurs des martyrs illustrent la découverte des pays exotiques et se heurtent aux formes étrangères du pouvoir (Christian Biet). La conscience d’être dans un spectacle, avec ses règles et son langage, offre, entre scène et salle, un dialogue.

Mais un autre terrain s’est offert au théâtre religieux: l’histoire immédiate, ainsi qu’une autre fonction, ouvertement polémique. Ce qu’explore le colloque XXIX (2005): Guerre di religione sulle scene del Cinque-Seicento (18 communications). A proprement parler, il ne s’agit plus d’un théâtre religieux soucieux de spiritualité, mais d’un théâtre de propagande qui mobilise la croyance pour des messages très politiques et militaires. Outre la propagande, la question des mises en scène s’enrichit de «réalisme» guerrier qui pousse à sa limite la capacité du décor et des acteurs professionnels à faire croire à des mouvement de collectivités, sièges et batailles: ce réalisme, ou cet effet d’historicité, est une sorte de défi nouveau, après les efforts culturels pour traduire la transcendance religieuse. Ceci poussant la mise en scène à ses extrêmes, et la rhétorique démonstrative au premier plan dans le combat d’idées (Corinne Lucas Fiorato). Après l’intolérance héritée du monde antique (Manlio Simonetti), épanouie dans les croisades (Grado Giovanni Merlo), sublimée par l’épopée (Giulio Ferroni), la guerre de religion se met en scène autour des guerres d’orient (Lépante), où le mélange des impérialismes en expansion, avec ou sans motivations religieuses, cherche à contrôler la Méditerranée (Renzo Cremante, Giorgio Tagliaferro) pour la plus grande gloire de Venise. L’Europe en guerre ne peut jouer les rites chrétiens de la paix (Claudio Bernardi), le regard ne saurait où en trouver les exemples vécus: les guerres de religion françaises (Franco Giacone, Marie-Madeleine Fragonard, Luigi Mezzadri), mais l’expansion espagnole (Michele Olivari, Ricard Salvat, Maria Grazia Profeti), les conflits allemands (Albert Meier), la tension sans guerre des drames anglais (Franco Marenco). Les intertextes sont modifiés, comme l’effet qu’on en attend sur le public: ni les vies de saints ni l’Evangile, mais la littérature historique et politique, et surtout la littérature pamphlétaire, celle d’une consommation rapide, réactive plus que réfléchie, ou du réflexe atavique, au profit d’un discours d’Etat. Changement de mémoire culturelle, l’accumulation des épisodes du théâtre, entre le spectacle des supplices et les fêtes civiques des triomphes, peut apporter toutes les nuances et toutes les hyperboles en vue d’une mobilisation des consciences de ceux qui sont déjà des partisans. L’exploitation des lieux communs tragiques remaquillés d’actualité (ou l’inverse) se fait sans grande finesse de spiritualité.

Et ceci, disait Federico Doglio en 2005, ne sort pas de notre actualité.

Le parcours de plus de trente ans de publication ne peut être que superficiel, ainsi réduit à des grands traits. Mais on voit que l’aventure fut cohérente, de chaque colloque nait une idée pour avancer dans les problématiques. Le lien de cohérence doit beaucoup à la rédaction parallèle de l’histoire du théâtre italien que Federico Doglio a poursuivie au fil de plusieurs publications,4 à moins que l’expérience accumulée dans les colloques et les représentations n’ait à son tour nourri la présentation historique: il est rare que la pratique et la réflexion, le travail communautaire et l’analyse individuelle convergent ainsi.

Le projet a su glisser le long du temps. Du départ archaïque jusqu’au XVIIe siècle, il a bien joué des systèmes de reprises thématiques: une ville, au début, c’est l’organisation des fêtes religieuses et les jongleurs; une ville au XVIe siècle, c’est un thème qui se met en scène soi-même dans ses activités laïques avec plusieurs types de théâtre et plusieurs types de public.

Il situe la place des œuvres religieuses dans la vie de la cité et des citoyens, dans des périodes où la croyance est au cœur de l’imaginaire et au cœur de la réflexion philosophique, puisant dans un fonds commun aux différents groupes sociaux, suscitant des formes d’expressions d’abord communes, puis différenciées. Grâce au théâtre, tant qu’il n’est pas renfermé dans les petites salles des théâtres de cour, existe un mode de partage émotionnel (et plus ou moins normatif). Le théâtre utilisant la puissance propre au spectacle (émotions immédiates, impression de présence, souder la collectivité, persuader si besoin, émouvoir toujours) pour matérialiser cette communauté d’Eglise croyante (un seul corps) et pour rappeler que les communautés terriennes ont une perspective qui transcende leur présence hic et nunc. Puis en s’ouvrant aux perspectives plus ludiques, ou plus strictement civiles, à d’autres commanditaires et à d’autres lieux, le théâtre se trouve amené à cantonner les sujets religieux dans l’excès ou dans la polémique, après lesquels, peut-être bien, le «théâtre religieux» sape sa propre vocation.

Les colloques organisés par Federico Doglio en ont suivi l’évolution, cinq siècles à étudier, 33 ans de travail, 192 communications, et ceci n’était qu’un des ensembles suivis. Remercions-le de ce grand voyage dans l’histoire.

1. Nous ne pourrons bien sûr citer tous les auteurs, qu’ils nous pardonnent des choix difficiles à faire.

2. Voir PERRONE CAPANO, C., «Les moments de la Renaissance du spectacle médiéval religieux dans l’Italie du xxxe siècle», XIIe colloque de la Société Internationale pour l’Étude du Théâtre Médiéval, 2007, sur les initiatives théâtrales et ecclésiastiques (Istituto del Drama Sacra) qui précèdent la création du «Centro Studi» de Viterbe. Mis en ligne sur le site < Sitm2007.vjf.cnrs.fr/pdf/s13-capano.pdf > de la Société Internationale pour l’Étude du Théâtre Médiéval.

3. Cfr. la table de toutes les représentations élaborée par Tadeusz Lewicki dans: «Tra Die Theaterwissenchaft… (con appendice degli Spettacoli)», pp. 77-100.

4. DOGLIO, F., Il Teatro in Italia (t. 1-Medio Evo e Umanesimo), Roma, Edizioni Studium, 1995; Il teatro scomparso. Testi e spettacoli fra il X e il XVIII secolo, Roma, Ente dello Spettacolo – Bulzoni Editore, 1990 [1976, 1ª ed.]; Teatro in Europa, Milano, Garzanti, 1982-1989, et autres volumes rédigés depuis les années 1960.

Europa en su teatro

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