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Le Coloris.

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La Transfiguration n’est certainement pas un chef-d’œuvre de couleur, toutefois on voit combien Raphaël avait étudié les coloristes. J’y trouve les mêmes principes que dans les maîtres de l’Ecole Vénitienne, c’est-à-dire, l’ébauche, d’un ton propre a recevoir les glacis, se trouve chaude sous les draperies bleues, et froide pour les tons qui doivent être chauds lorsqu’ils seront finis.

J’engage à remarquer l’harmonie en quelque sorte individuelle qui règne entre les figures et la douceur du passage d’un ton à un autre, il fallait éviter la dureté, et toutefois que le dessein restat net, ferme et correct. Je prendrai encore pour exemple la figure de S.t André; la draperie jaune changeant, se réfroidit de ton en approchant de la draperie bleue, puis se réchauffe près de la draperie rouge du jeune homme qui est derrière l’Apôtre. Voilà des faussetés exigées par l’impuissance des moyens dont l’art dispose. C’est ce qui est surtout bien sensible dans le terrein: on voit que Raphaël a mis des tons chauds près des chairs et des draperies d’un ton chaud, et des tons froids à côté des draperies d’un ton froid. C’est dans la couleur des brins d’herbes que ce passage s’effectue; Raphaël a réfroidi ou réchauffé la couleur locale de ces objets peu importans, selon ce qu’ils devaient avoisiner.

Voyez la jambe du père du possédé, combien le dessein n’est-il pas arrêté et net? Supposez que cette jambe se détache sur un ton froid elle est dure; mais elle n’a point ce défaut parcequ’elle ressort sur un ton qui a de l’analogie avec le ton de la jambe.

L’avantage de ce dessin arrêté (lorsqu’on a soin d’éviter la dureté par les moyens que je viens de faire remarquer) c’est, que ces tableaux destinés à des Eglises et qui doivent être vus de loin, conservent même pour le fidèle qui est près de la porte le dessin particulier de chaque figure; tout se détache bien et devient intelligible, l’œil du spectateur ne trouve pas la moindre confusion.

De près comme de loin, le tableau reste également intelligible et ne perd rien de sa beauté. Les peintres qui ont employé le clair-obscur du Corrège, comme le Dominiquin dans la Communion de S.t Jérôme (placée vis-à-vis de la Transfiguration), ne craignent pas la confusion des groupes ou des figures, même de loin.

Placé au milieu de la Salle, à une distance égale de ces deux chefs-d’œuvres, comparez-les sous le rapport de la netteté des figures; comparez les deux copies en mosaïque qui sont dans S.t Pierre à l’extremité des deux nefs latérales.

Quant au défaut inhérent au sujet de la Transfiguration, pour arriver autant qu’il était possible à l’unité d’action, Raphaël a eu recours non seulement au dessein, dans le quel il triomphait, mais encore à la couleur.

Le dessein si l’on y regarde de près, a certaines grandes lignes qui sans affectation conduisent les regards du spectateur jusqu’à la figure du Christ. Une de ces lignes est très-prononcée dans les deux Apôtres qui sont derrière S.t André, on voit que le peintre non content d’un bras qui indique le Christ a voulu prolonger cette ligne en y ajoutant le bras d’un second Apôtre, dans la même direction que le premier, ce qui serait un défaut dans tout autre sujet; ces bras se joignant forment une longue ligne qui va prendre le contour de la jambe de S.t Pierre et finit au Christ.

Afin de rendre cette ligne frappante pour l’instinct de l’œil Raphaël a peint les draperies qui la forment en tons brillants, tandis que les deux figures placées derrière et qui lui servent de fond, se trouvent maintenues dans un ton fort tranquille. Remarquez qu’il n’y a presque aucun pli dans les vêtements. La partie inférieure de ces deux demi-figures étant dans l’ombre laisse briller la ligne que je cherche à rendre sensible au lecteur. L’instinct de l’œil la suit, mais l’esprit ne la remarque pas.

A gauche du tableau (à la droite du spectateur) une autre ligne moins sensible il est vrai, commence à l’homme placé au dessus du père du possédé, suit le contour ou profil de la montagne, l’épaule de S.t Jean, et arrive également au Christ.

Ces deux grandes lignes de rappel n’ont pas suffi à Raphaël; il les à multipliées dans les détails: voyez au côté droit du tableau combien les lignes qui se dirigent vers le Christ sont nombreuses. Le spectateur pourra remarquer au côté gauche des lignes analogues.

Les figures d’Elie et de Moyse qui sont aux côtés du Christ et inclinées chacune selon la direction des lignes perspectives des côtés du tableau, paraissent en être la suite et la fin, ensorte que l’on sent d’abord que le Sauveur du Monde est le point sur le quel toutes les lignes se dirigent.

Cette observation des lignes adressées à l’instinct de l’œil, si j’ose ainsi parler, a besoin de preuves: je citerai deux exemples d’un genre opposé mais pris l’un et l’autre dans les chambres du Vatican si voisines de la Transfiguration. J’appelerai l’attention sur la Dispute du S.t Sacrement et sur l’Attila. Dans la Dispute du S.t Sacrement voyez ces grandes lignes de figures en perspective qui conduisent vos regards sur les sujets principaux, savoir dans le bas du tableau, sur le S.t Sacrement exposé sur l’autel; dans le milieu, sur le Christ ayant à ses côtés la Vierge et S.t Jean; enfin dans le haut sur Dieu le Père.

Les lignes symétriques rendent imposante et majestueuse la représentation d’une scène d’ailleurs si décousue. C’est par ces artifices que Raphaël trouvait dans tous les récits des sujets propres à la peinture.

D’une scène tranquille passons à une scène de fureur. Dans l’Attila il s’agissait de représenter le désordre et la confusion qui suivent l’invasion d’une armée de barbares; ici toutes les lignes sont rompues, vous ne trouvez plus cet ordre tranquille qui triomphe dans les autres tableaux. Par ce seul fait le désordre et la confusion arrivent rapidement à la pensée du spectateur.

Toutefois il fallait ramener ce spectateur au Pape qui est placé dans un des côtés du tableau; eh bien, l’artiste employé les mêmes moyens, les grandes lignes, mais ici elles sont presqu’à découvert. Il suffit d’indiquer ces grandes lignes droites formées par les lances que tiennent les soldats barbares. Involontairement l’œil suit ces lignes dirigées vers le Saint Pontife, et l’attention arrive rapidement au principal personnage.

Comme le Pérugin Raphaël a quelques tableaux brillans par la couleur. Le coloris n’était point la partie forte de son talent, et l’on peut dire que dans cette partie de l’art il a été longtems l’élève timide du Pérugin. Toutefois dans la Transfiguration cet homme si sage et qui se connaissait si bien, s’est adressé même au coloris pour surmonter la grandeur antiperspective donnée aux personnages qui sont sur la montagne et l’étrange petitesse de cette prétendue montagne.

Il fallait lier autant que possible le bas et le haut du tableau; voyez avec quel art le peintre porte votre regard en trois bonds, jusqu’au Christ, à partir de la draperie jaune très-claire de S.t André. Le second point de départ c’est la draperie du jeune Apôtre qui s’incline vers la sœur du démoniaque, et je vois le troisième dans la draperie de S.t Pierre qui est sur la montagne près du Christ. Ces draperies que l’artiste a tenues d’un ton jaune très-brillant, attirent l’œil, et sont comme trois marches qui font monter au ciel.

Ces idées qui tiennent en quelque sorte au matériel de l’art, n’ont point encore reçu droit de cité dans les conversations des amateurs que mon lot a été d’écouter pendant tant d’années.

Ici Raphaël a fait preuve de talent si ce n’est dans la couleur locale des objets, du moins dans l’art raisonné des Titien, et des Paul Véronèse, ces grands hommes avaient recours à ces artifices pour donner plus d’unité et plus de force à leurs pensées, car le spectateur n’est ému qu’après avoir compris.

Non content d’avoir employé ces moyens puissants pour appeler les regards sur le Christ, sujet principal de la composition, Voyez de quelle manière simple et naturelle Raphaël dispose du second moment de votre attention, et vous ramène au possédé qui fait l’intérêt du bas du tableau. Un Apôtre placé vers le centre indique le démoniaque à un autre Apôtre; ce bras, cette main, qui montrent et qui paraissent sortir du tableau, vous indiquent à vous-même l’objet que vous devez regarder, et conduisent votre œil presque à votre insu; puis pour soulager du sentiment pénible que produisent les yeux renversés et l’expression presque horrible du possédé, Raphaël a placé tout auprès deux belles têtes de femme, celle de la sœur qui implore la pitié du plus jeune des Apôtres, et cette mère si belle et si jeune placée en avant du groupe presque sur la bordure.

Si je me suis permis de parler si longtems de la Transfiguration, c’est que ce tableau étant le dernier ouvrage du maître, on peut y chercher raisonnablement le résultat de son expérience, et de toutes ses études, et en quelque sorte son dernier mot en peinture.

Beaucoup des remarques que j’ai faites sur ce tableau peuvent s’appliquer aux autres œuvres de ce grand artiste, et je ne les repéterai point.

Il est bon toutefois si l’on en a le tems, et je l’ai toujours conseillé à mes amis, de voir en un même jour, ou du moins de suite, et sans demander du plaisir à d’autres produits des arts, tout ce qui existe à Rome des œuvres de Raphaël. Pour moi, quand la fresque que je copiais dégradée par le tems, me laissait dans l’incertitude sur un bras ou une jambe, avant d’en arrêter le dessein sur ma plaque de porcelaine, j’allais revoir tous les personnages de Raphaël à peu près dans la même position.

Plus on entre avant dans la pensée d’un grand homme, plus il donne de plaisir; avant d’aller visiter, pour la seconde fois, les Chambres de Raphaël, prenez une gravure au trait et comptez tous les personnages, examinez leurs gestes. Faute de cette précaution, il est telle figure perdue dans la demie teinte, que l’on n’eut jamais regardée.

Tous les tableaux de Raphaël sont peints sur bois comme la Transfiguration, à l’exception du S.t Jean de Florence.

Idées italiennes sur quelques tableaux célèbres

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