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ECOLE D’ATHÈNES
Fresque du Vatican peinte en1512.

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Chose singulière! Cette peinture si célèbre, l’Ecole d’Athènes, offre deux points de vue, un plus bas pour l’architecture, un autre plus élevé pour les figures. Voici donc encore la vérité sacrifiée à la beauté comme chez les Grecs. Si Raphaël eut mis les figures au môme point de vue que l’architecture, elles eussent présenté un aspect désagréable: les têtes des. personnages placées dans le fond du tableau, eussent été bien plus abaissées que celles qui sont plus près du spectateur. On peut juger de cet effet par les figures des Disciples qui entourent Aristote et Platon.

Le point de vue de l’architecture se trouve dans la main gauche de Platon (celle qui tient le livre). Supposez les personnages à peu près de même grandeur, tirez une ligne au point de vue à partir de la tête du jeune Alexandre, qui est la première du groupe à la droite de Platon, vous verrez à l’instant combien la dernière figure de ce groupe serait petite.

Cette observation s’applique au groupe qui est à la droite du spectateur.

Pour cacher ce défaut Raphaël a eu soin de resserrer ces groupes dans le fond affin de cacher les lignes du pavé qui vont à l’horizon; sur ces lignes est placée la figure d’Alexandre, Si l’architecture eut été placée au point de vue des figures, le peintre n’eut point eu ce beau développement dans les voûtes. Elles seraient devenues plus étroites et auraient été bien loin de produire l’effet de majesté dont on jouit aujourd’hui. Ces observations, permettez moi de vous le faire remarquer, emportent une bien grande conséquence: on ne peut plus douter de cette vérité: la production de la sensation du beau était pour Raphaël la chose de première importance: il fallait, avant toutes règles, que l’objet représenté fit plaisir aux yeux.

À la géométrie les contours rigoureusement exacts, la peinture doit charmer et élever l’âme.

Ici la fausseté est si peu sensible que parmi les centaines de spectateurs que j’ai entendu raisonner à perte de vue, pendant que placé sur mon échaufaud je copiais l’Ecole d’Athènes, pas un seul n’a fait la découverte de ces deux perspectives.

Le Poussin lui-même, ce peintre si raisonnable, si philosophe, a quelquefois suivi cet exemple; j’ai retrouvé cette fausseté dans plusieurs de ses tableaux.

Je ne me permettrai pas de louer l’Ecole d’Athènes, que dire aux gens qui restent froids? Voici des critiques fondées: la figure de Diogène couché sur les marches de l’escalier est, dit-on, trop petite.

On a tant parlé de celle d’Alcibiade que je trouve qu’on à exagéré le mal qu’on en peut dire, le corps me parait être vu trop de face pour les jambes, ce qui force la pose. Dans la peinture du17.me siècle ces contorsions devinrent un mérite, cela s’appelait du Feu.

Je ne quitterai point cette fresque sans dire quelques mots des moyens qu’employait Raphaël pour arriver à de si étonnans résultats: on peut lire ces moyens dans les dessins qui restent de lui. Les dessins ou études relatifs à l’Ecole d’Athènes sont maintenant en Angleterre; on les a gravés en fac-simile, ce qui donne à tous les diletanti d’Europe le moyen de suivre la marche du grand maître. Raphaël ne fesait jamais un pas que d’après la nature; on trouve dans le recueil que je viens d’indiquer1.o l’étude du Diogène; 2.o celle de la figure sur le devant du tableau qui regarde Pithagore, et tient un livre appuyé sur son genou gauche; 3.o le groupe des jeunes gens qui étudient la géométrie sous la direction d’Archimède.

Pour le Diogène on voit seulement que le mouvement des jambes a été plusieurs fois changé avant d’arriver à celui que nous voyons. Par bonheur les faux mouvements n’ont point été effacés.

Ceci a peu d’intérêt, mais ce qui en offre d’avantage c’est le groupe des jeunes gens. On reconnaît dans ce dessin que Raphaël a fait poser les jeunes hommes ses contemporains, et que souvent il leur a laissé le costume qu’ils portaient (probablement il fit poser ses élèves). Il a cherché les mouvements des personnages de son tableau d’après ces jeunes gens, et il les dessinait tel qu’il les voyait avec leurs longs cheveux, leurs tuniques ou blouses, etc.: Raphaël aurait eu horreur d’inventer lorsqu’il étudiait la nature, elle devait servir de base certaine à tous ses raisonnemens, et il dessinait ses modèles exactement tels qu’ils étaient. Quelques uns ont retroussé les manches de leur blouses, d’autres non; Raphaël a dessiné jusqu’aux pantalons et jusqu’aux chaussures du 16.me siècle, indiquant par un contour seulement, ce qui ne devait pas être peint; le reste est profondement étudié. Chose étonnante, sans rien changer à ces costumes, il a fait de ces jeunes gens des figures de haut style. Son âme agrandissait tout. Quelquefois pour conserver le souvenir d’une idée, il ajoute à telle figure une écharpe, à telle autre de riches brodequins; quelquefois il fait les jambes nues. J’ai vérifié que c’est un homme du peuple qui a posé pour l’étude du personnage qui tient un livre; le peintre lui a laissé le manteau qu’il portait, la manche est celle de son vêtement ou justaucorps. Raphaël a même indiqué les souliers à boucles qu’il portait, ses bas, et jusqu’à la caisse qu’il lui avait fait placer sous le pied qui est élevé. Cette étude faite le peintre a cherché une tête dont le type eut le caractère convenable.

Il a idéalisé cette tête, ou du moins il lui a donné l’expression que le modèle ne peut ni sentir, ni poser; puis il a agrandi le manteau qu’il a enrichi d’une riche bordure, ainsi que le vêtement à manches; les pieds sont nus, et c’est avec des moyens si simples, sans mannequin, mais toujours d’après ou sur la nature animée, que Raphaël a produit une des principales figures de l’Ecole d’Athènes, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de plus grandiose dans l’art moderne. Autre avantage, l’élève qui posait sentait l’art. Je suppose que Raphaël a suivi la même façon de procéder dans ses autres ouvrages. Il me parait hors de doute que c’est d’après ces études partielles et de petite dimension qu’il composait ses cartons destinés à être calqués sur le mur enduit fraichement. Ainsi ont été produites les fresques; et quelquefois sans doute l’élève qui avait posé, peignait.

Je demande la permission de parler d’une figure de cette collection de dessins anglais bien qu’elle n’ait point servi pour l’Ecole d’Athènes. Elle a été employée pour la femme à genoux, vue de dos dans l’Héliodore, fresque des Camere: le modèle parait une femme du peuple (peut-être la Fornarina), et Raphaël l’a copié dans son costume habituel; la robe est retroussée, et forme la draperie bleue dont une partie est étendue à terre; le jupon de dessous qui est rose, couvre la jambe qui vient en avant. Le fichu qui entoure la tête, celui qui est sur les épaules, et jusqu’aux souliers, tout a été dessiné avec une scrupuleuse exactitude.

Que de soins en1515, pour faire un tableau! mais aussi nous parlons de ces tableaux après trois siècles qui ont tellement changé le monde. Le curieux trouve sur la même feuille de papier les dessins qui montrent comment Raphaël a cherché la coiffure adoptée dans la fresque.

D’abord il agrandit certains plis et en diminue d’autres; il n’est point satisfait il dessine cette tête une troisième fois; il cherche de nouveau à tirer parti des plis tels que les présente la nature; il ajoute des bandelettes et s’arrête au parti que nous voyons: le fichu ou petit châle a aussi été agrandi, il en a développé le mouvement et a donné de la grâce à l’ensemble en ajoutant le morceau qui parait voltiger.

Quant à la partie de la robe qui rase le sol, la fresque reproduit exactement la forme notée dans le dessein; seulement, comme ce vêtement n’eut pas occupé tout l’espace que le peintre lui destinait, il l’a dessiné plus en grand. La robe de dessous n’a épreuvé aucun changement. Les manches sont celles que nous voyons encore chez les paysannes des environs de Rome. Raphaël y a ajouté des bandelettes comme il avait fait pour la coiffure. Par ces divers procédés il a cherché et trouvé une figure admirable. Tout le talent de Raphaël se trouve dans les lignes précédents. La Galerie de Florence possède une étude de lui représentant cette figure coloriée. Si Raphaël n’a pas peint toutes les figures il a fait du moins tous les cartons. On m’assure qu’il existe des dessins de quelques unes des figures de la Dispute du S.t Sacrement et que ces figures sont dessinées sans vêtemens.

Il est probable qu’en1508, lorsque la Dispute du S.t Sacrement fut peinte, Raphaël arrivant timide à Rome, protégé par un admirable intrigant, il est vrai, mais en butte à l’envie de cinq ou six peintres de grand renom employa avec scrupule tous les moyens qui pouvaient le conduire à bien faire. Il aura dessiné toutes les figures nues pour être sûr de ses proportions. Plus tard cette âme modeste, encouragée par le succès aurait travaillé plus vîte, et le jeune peintre aura dessiné moins souvent les figures nues. On trouve, comme on sait, dans le coin gauche de l’Ecole d’Athènes le portrait de Raphaël et celui du Pérugin son maître. Les traits de Raphaël expriment cette noblesse venant de simplicité et de naturel qui fait une des plus belles parties de son génie. De toutes façons il est fort différent des grands hommes du19.me siècle: l’affectation lui semblait, ce quelle est, une bassesse. Il n’était point beau et laissait en repos les muscles de sa figure. Le Musée de Brera à Milan possède ce magnifique carton de l’Ecole d’Athènes que la victoire nous a fait voir à Paris. Chose singulière! le triomphe de Raphaël est plutôt la peinture des caractères que celle dés passions; comme les Grecs, il a rarement représenté le point extrème des passions.

Ces notes étaient écrites depuis longtems lorsque les peintures à fresque des chambres du Vatican ont été nétoyées par ordre de ce noble protecteur des arts, S. S. le Pape Grégoire XVI (en Juillet1839). On n’avait pas touché, dit-on, à ces fresques vénérables depuis la restauration si grossière et si dure, exécutée par Carlo Maratta en1702.

L’artiste célèbre qui en1839a présidé avec tant de soins à cette opération délicate m’assure que dans l’Ecole d’Athènes la tête du Pérugin qui est maintenant de trois quarts, a d’abord été dessinée de profil; le trait gravé avec une pointe de fer sur l’enduit du maçon se voit encore quand on regarde de fort près.

M.r Agricola a remarqué que tous les détails de l’architecture et plusieurs draperies sont terminés à l’acquarelle; que les masses seulement sont peintes à bon fresque, ce qui explique les grandes altérations que l’on déplore dans ce tableau. La fresque seule dure fort bien quatre ou cinq siècles. Voir les portraits de la Cour de la Préfecture de Police à Paris, qui ont supporté deux siècles et demi d’humidité.

Les murs des chambres du Vatican sont profondément altérés, mais qui oserait entreprendre de transporter sur toile une fresque de Raphaël? Le corps du Christ dans la Dispute du S.t Sacrement se détache du mur, à ce qu’on assure.

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