Читать книгу Traité complet des haras, et moyens d'améliorer et de multiplier les chevaux en France - Achille Demoussy - Страница 12

MONTE.

Оглавление

Les femelles, à l’époque de leurs chaleurs, provoquent les mâles de leur espèce.

Causes du délai qu’elles apportent à satisfaire leurs désirs.

Signes des chaleurs.

La nourriture verte dispose mieux les jumens à la conception que la nourriture sèche.

Régime des étalons pendant le cours de la monte.

Systèmes divers de la génération; le plus probable.

Amour maternel des jumens.

Régime à imposer aux jumens stériles pour les rendre fécondes.

Monte en liberté.

Monte à la main.

Accouplemens contre nature; ses dangers; moyens de les prévenir.

L’ardeur des étalons n’est pas toujours un signe certain de leur fécondité.

Régime qui accroît leurs facultés prolifiques.

Des lois fixes et immuables président à la conservation de l’homme et des animaux. Chaque espèce, quelque nombreuses que soient ses tribus ou ses races, a une époque déterminée pour se livrer à l’impulsion puissante qui porte chaque individu à perpétuer son existence en la transmettant à ceux qui doivent former sa postérité.

Il n’y a que l’homme qui fasse exception à cette loi générale de la nature. Il jouit seul de la faculté de se reproduire dans toutes les régions du globe, et de se livrer aux doux sentimens que l’amour inspire à toutes les époques de l’année. Dans toutes les latitudes, sous le ciel brûlant de l’Afrique comme dans les climats glacés des pôles, il recherche celle qui doit jeter quelques fleurs sur le printemps de sa vie, et les chaleurs de l’été comme les sombres frimats de l’hiver ne répriment pas les transports qu’il éprouve à la vue de la beauté qui fait palpiter son cœur.

Le chien, son ami fidèle, peut habiter comme lui tous les climats; mais l’instinct puissant qui le porte à suivre sans relâche sa compagne, qui est tourmentée par le besoin impérieux de devenir mère, ne se développe pour l’ordinaire que deux fois dans l’année. Les mâles peuvent bien s’accoupler en tout temps, mais leurs désirs sont subordonnés à ceux de leurs femelles qui ne provoquent leur approche que l’été et l’hiver.

Toutes nos espèces de quadrupèdes domestiques, comme celles des quadrupèdes qui ont su résister au joug de l’homme, offrent à l’observateur le spectacle uniforme de l’apathie, de l’indifférence la plus absolue, lorsque les désirs de leurs femelles ne viennent point réveiller leurs sens engourdis et stimuler leurs organes générateurs.

L’étalon paît tranquillement au milieu des cavales qui lui sont destinées; quand le temps fixé par la nature pour la fécondation s’est écoulé. Le taureau mugit au milieu des pâturages, mais ses cris d’amour ne se font entendre que pour répondre à l’appel de ses compagnes qui éprouvent la première turgescence de l’organe où doit être renfermée l’œuvre de la conception. Le bélier parcourt le troupeau d’un œil investigateur pour reconnaître les brebis qui souhaitent son approche, mais ses recherches n’ont lieu que dans le temps consacré à leur union.

Dans toutes les autres saisons de l’année, l’engourdissement des organes de la génération dans les femelles fait cesser l’exhalation de cette aura seminalis qui réveille les mâles de leur torpeur. Le but de la nature est atteint, la fécondation s’est effectuée, et leur vie instinctive se borne alors à trouver et à choisir les alimens qui conviennent le mieux à leur constitution.

Les étalons de toutes les espèces sauvages et domestiques éprouvent comme leurs femelles l’influence vivifiante de la saison des amours; mais les désirs auxquels ils sont en proie sont loin d’avoir l’empire, la violence de ceux qui maîtrisent leurs compagnes tourmentées par le besoin de se reproduire.

Nos basses-cours en offrent l’image la plus frappante. Qui de nous, habitué à la vie des champs, n’a pas observé la poule de l’Inde, qui a conservé dans nos climats l’ardeur de sa terre natale, pousser des cris plaintifs, faire entendre sans cesse ses piaulemens prolongés, peindre de la manière la plus énergique les tourmens qu’elle endure, se prosterner même aux pieds de l’homme pour réclamer le compagnon de son enfance qui doit apaiser le feu qui la dévore?

Son regard suppliant, son agitation convulsive, l’abattement dans lequel elle, tombe par intervalle, ne sont-ils pas des signes évidens de l’irritation intérieure qui embrase ses organes, et à laquelle elle cherche à se soustraire en suivant la loi imposée par le Créateur à tous les êtres auxquels il a dit dans son ineffable bonté : Croissez et multipliez? Cette titillation commençante excite des sensations agréables; mais, après une certaine durée, quand le besoin n’est pas satisfait, elle se change en souffrances intolérables.

Lu jument annonce aussi d’une manière non équivoque le besoin qu’elle a de satisfaire au vœu de la nature. Ses parties sexuelles se tuméfient; la membrane vaginale se colore; une humeur muqueuse, gluante, blanchâtre, distille des glandes qui la sécrètent avec abondance; elle se campe fréquemment comme pour uriner; la température de la région périnéale est plus élevée, les hennissemens sont plus fréquens qu’à l’ordinaire, les yeux plus expressifs, le regard plus animé.

Lorsqu’elle est dans l’écurie, elle est plus inquiète; elle tressaille au moindre bruit, et son inquiétude cesse lorsqu’on la fait sortir. La jument de selle, quand elle est montée, ne répond plus à l’éperon. Loin de le considérer comme un moyen de châtiment, ainsi qu’elle le fait dans les autres saisons de l’année, son appui sur les flancs ne hâte plus sa progression; elle s’arrête au contraire et se campe en écartant les membres abdominaux.

Quelquefois elle se révolte contre la correction qui lui est infligée; elle rue, et en s’enlevant, elle darde des jets d’urine à plusieurs reprises. Si elle est alors attaquée vigoureusement, elle se défend à toute outrance. On dirait qu’elle veut briser la chaîne de l’esclavage et rompre le pacte tacite qu’elle a conclu avec l’homme qui, en échange de ses services, doit lui fournir tout ce qui est nécessaire à ses besoins; elle veut s’affranchir de son joug, parce qu’il s’écarte, en la condamnant à la stérilité, des lois éternelles de la nature.

Cependant le caractère le plus irascible, l’humeur la plus farouche, cèdent quelquefois à la puissante impulsion qui la maîtrise. J’ai vu les jumens les plus sauvages, dans la saison de la monte, se laisser conduire avec la plus grande docilité, parce qu’elles avaient l’espoir d’être menées à l’étalon; mais ce cas est fort rare.

Il y a eu à Pompadour, avant la résolution, une jument nommée la Thémis, de race barbe croisée limousine, qui fut si révoltée des mauvais traitemens que lui avait infligés un cavalier brutal, qu’elle devint indomptable. La haine qu’elle avait conçue contre lui s’étendit bientôt à tous ceux qui l’approchaient.

On la consacra à la reproduction dans l’espérance de l’adoucir et d’en obtenir des rejetons qui hériteraient de sa vigueur et de sa légèreté. Rien ne put calmer l’amer souvenir de la brutalité à laquelle elle avait été exposée.

Les chevaux se distinguent, en général, par leur réminiscence; ils n’oublient pas les corrections injustes auxquelles ils sont soumis. Cette observation est surtout applicable aux chevaux de sang dont l’intelligence est bien supérieure à celle des chevaux communs, et qui, doués d’une plus grande énergie musculaire, rendent leur résistance plus opiniâtre et plus dangereuse pour l’homme imprudent qui les châtie sans raison et sans pitié.

Si la bonté, ce doux apanage d’un cœur noble et généreux, exerce le plus grand empire dans la société, elle n’a pas moins de puissance sur les animaux; elle resserre les liens qui les attachent à l’homme; elle développe davantage chez eux ce sentiment inné de soumission et d’infériorité dont le souverain Créateur les pénétra, quand il forma notre premier père pour habiter le globe où nous traînons notre fragile existence.

Le caractère farouche de la Thémis ne lui permettait pas de se laisser panser par aucun palefrenier. Il fallait que son râtelier fût garni de foin avant sa rentrée des pâturages. Il n’y avait qu’un enfant de dix ans qu’elle ne repoussait pas; il avait seul le droit de pénétrer dans sa loge.

Lorsque la monte fut ouverte, on essaya en vain de lui mettre un caveçon pour la conduire à Pompadour; toutes les tentatives auxquelles on se livra furent infructueuses. On désespérait de la faire saillir, lorsque l’enfant qu’elle avait adopté, et qui partageait souvent avec elle le morceau de pain que ses parens lui donnaient, eut l’heureuse idée de lui servir de guide jusqu’à Pompadour où les étalons du haras ont toujours été réunis. Ils firent la route de concert, en mangeant la double ration de pain dont l’enfant s’était muni.

La jument rejeta l’étalon, parce que ses chaleurs n’étaient pas assez prononcées pour que l’œuvre de la fécondation eût lieu; elle reprit elle-même le chemin du domaine de Romblac qui est distant d’une lieue du haras. Quelques jours après elle abandonna son pâturage et se rendit sans conducteur à Pompadour. Arrivée sur la terrasse du château, elle appela par ses hennissemens l’étalon qui devait la rendre mère. La copulation s’effectua en liberté, la conception eut lieu, et la Thémis, toujours farouche, toujours ennemie des soins de l’homme, ne songea plus à quitter le domaine.

Tant qu’elle a vécu, elle a fait chaque année un voyage à Pompadour, pour que le vœu de la nature fût accompli; et, pendant le cours de huit années consécutives, un seul appareillement a toujours suffi pour la rendre mère.

L’espèce chevaline n’est stimulée par le besoin de se reproduire que dans le cours du printemps. La saison qui voit éclore les premières fleurs de nos bocages est pour elle la saison des amours. Il faut admirer ici, comme dans toutes les œuvres de la création, la suprême intelligence qui a tout dirigé pour le plus grand bien de chaque espèce.

La gestation est de onze mois et quelques jours. La Jument, fécondée en avril, met bas dans le cours du mois de mars de l’année suivante. Ses mamelles fécondes fournissent à son poulain les matériaux de son alimentation pendant les premiers mois de son existence; mais à mesure qu’il se développe, ses organes digestifs se fortifient, la nutrition devient plus active, et la liqueur qu’il puise dans le sein de sa mère ne peut plus lui fournir assez d’élémens réparateurs; il commence alors à brouter les sommités des herbes qui sont tendres, succulentes, imprégnées d’une eau de végétation abondante; et cette nourriture herbacée qu’il augmente graduellement se trouve bien plus en rapport avec la délicatesse de ses organes, pendant les mois de mai et de juin, que dans une saison plus avancée où les parties mucilagineuses, gommeuses, saccharines des plantes se convertissent en huile, en baume, en résine, en gluten, en acide, en alkali, en tannin et en tissu ligneux, par le changement de proportion de leurs principes constituans.

La domesticité modifie d’une manière sensible le tempérament des poulinières. Les jumens qui sont condamnées à la stérilité, parce qu’elles servent soit à la selle, soit au trait, éprouvant pendant le temps de la monte des désirs qui ne sont pas satisfaits, n’échappent point à la loi générale de la nature qui veille sans cesse à la conservation des espèces, en faisant succéder les générations aux générations. Les individus meurent, mais les espèces se perpétuent; et il est digne de remarque que la multiplicité des produits est en raison directe des chances défavorables qui peuvent les détruire depuis leur naissance jusqu’à leur complet développement. Les poissons, les insectes, nous en offrent un exemple frappant. Je puis encore ajouter que les espèces qui servent à la nourriture de l’homme se distinguent par leur fécondité : tant l’inépuisable bonté qui préside à nos destinées a su pourvoir aux besoins nombreux dont nous sommes assaillis!

Les jumens qui n’ont point été saillies pendant le cours de la monte sont soumises par intervalle à une irritation génitale plus ou moins intense. Cependant elle a toujours moins d’activité que celle dont le développement a lieu pendant la durée du printemps. Cette irritation, qui n’a point été apaisée dans la saison favorable à la fécondation, laisse dans l’organe qui en est le siége une sensibilité occulte qui se ravive de temps en temps, et dont les phases sont plus ou moins rapprochées suivant l’idiosyncrasie ou la disposition particulière de chaque individu, selon la nourriture plus ou moins stimulante qui lui est prodiguée et le genre de service auquel il est soumis.

On a remarqué que les jumens dont la poitrine était délicate et qui tendaient à la phthisic pulmonaire étaient plus exposées que celles dont les poumons sont intacte, à ce fréquent retour de l’orgasme utérin. Tous les viscères ont entre eux des relations plus ou moins multipliées, des sympathies plus ou moins intimes, et la fièvre qui s’allume dans un point de l’économie étend de préférence ses irradiations phlegmasiques sur celui qui a le plus d’aptitude à les recevoir, d’après l’échelle de son irritabilité naturelle ou acquise.

La vache, dont le lait surabondant fournit à la nourriture de l’homme, contrariée également dans ses penchans naturels par celui qui a su soumettre tous les animaux à son empire, éprouve, comme la jument, celte anomalie de l’orgasme génital. Abandonnées l’une et l’autre à la nature dont elles sont les dociles enfans, elles se rangent de suite sous ses lois et ne conçoivent de désirs qu’à l’époque où elles doivent en ressentir la puissante influence.

La saison consacrée aux amours de chaque espèce agit aussi d’une manière énergique sur les mâles de chaque tribu, quoiqu’ils aient la faculté de se livrer en tout temps à la copulation que provoquent leurs femelles. Leur aptitude à la génération, la violence de leurs désirs, la fougue de leur tempérament, n’ont d’autres limites que celles de l’épuisement de leurs forces dans la période qui leur a été assignée pour perpétuer leurs espèces; tandis que dans les autres saisons de l’année ils sont plus calmes, moins ardens, plus longs à se préparer à un acte qui n’a plus pour eux le même attrait, parce qu’il s’effectue d’une manière intempestive: leur instinct repousse pour ainsi dire cet accouplement anormal.

Les jeunes étalons qui font le premier essai de leur force sont pour l’ordinaire long-temps à accomplir l’acte de la génération. Les sensations qu’ils éprouvent ne sont pas assez distinctes pour leur indiquer de suite les moyens de parvenir au but qu’ils veulent atteindre: ils brûlent de désirs; mais ils s’épuisent en vains efforts pour contracter l’union qui doit éveiller chez eux toute la fougue de leurs sens.

Tous leurs muscles frémissent, leurs yeux étincellent, leurs naseaux s’entr’ouvrent et se ferment avec rapidité ; ils s’élancent à chaque instant sur la jument, dans quelque position qu’ils se trouvent, et font retentir l’air de leurs cris d’impatience et d’amour. Cette agitation convulsive, ce spasme clonique de tous les agens musculaires, font bientôt ruisseler la sueur de toutes les parties de leurs corps; elle s’amasse en écume blanchâtre à leur poitrail et entre leurs cuisses, et ce travail violent de l’organisation, cette tension extrême de tous les ressorts de l’économie, se prolongent quelquefois plus de deux heures, sans que le vœu de la nature ait été satisfait; quelquefois même on est obligé de les rentrer à l’écurie pour mettre un terme à cet état de souffrance.

C’est alors qu’un palefrenier adroit et intelligent est bien utile pour abréger cette scène de désordre et pour diriger l’étalon lorsqu’il veut le permettre. Il évite toute saccade du caveçon et il donne de la corde au jeune étalon lorsqu’il se dresse à chaque instant sur ses jarrets: ces articulations sont celles qui souffrent le plus dans ce travail violent; tout le poids du corps est alors dardé sur ces parties chaque fois que le cheval s’enlève; et pour peu qu’elles aient une faible organisation, les maladies osseuses et synoviales ne tardent pas à se développer; elles sont bientôt cerclées par les vessigons qui se montrent en dehors et en dedans de ces articles et au pli du jarret, suivant le trajet de la veine tibiale. Ces vessigons sont dus au soulèvement de la capsule articulaire qui forme une poche dans laquelle se loge la synovie ou l’humeur huileuse qui facilite et entretient le glissement des pièces osseuses les unes sur les autres.

Bientôt les exostoses ou tumeurs osseuses connues sous le nom de jardon, de courbe, d’éparvin, viennent restreindre le mouvement de ces articulations. Les ligamens qui unissent les os divers qui entrent dans la composition des jarrets, les tendons qui glissent à leur surface, le tissu osseux même, malgré sa sensibilité obtuse, deviennent le siège d’une inflammation prolongée qui donne naissance à ces tumeurs.

La claudication en est la suite inévitable, et l’étalon qui donne les plus belles espérances se trouve arrêté au début de sa carrière, tandis que s’il est maintenu par le palefrenier qui, en se prêtant à ses mouvemens désordonnés, sait ménager ses forces et les renfermer dans de justes limites, il acquiert par degrés l’expérience qui lui apprend à user et à ne pas abuser de ses facultés. Avec l’âge les jarrets et les autres articulations des membres abdominaux se consolident, la colonne épinière se fortifie surtout dans la région lombaire, et le service de la monte n’est plus pour lui un écueil contre lequel il court le risque de se briser.

La variété des tempéramens s’observe dans les animaux comme dans l’homme. Il y en a qui sont naturellement phlegmatiques, d’une texture molle et lymphatique; il y en a d’autres qui sont si inflammables que la vue d’un animal de leur espèce, d’un sexe différent, suffit pour leur inspirer les désirs les plus effrénés. Ceux qui sont doués d’un tempérament nervoso-sanguin sont les plus disposés à cette incandescence.

Il y a de jeunes étalons qui, après avoir rempli une fois les fonctions pour lesquelles ils sont élevés dans nos haras, sont agités d’une telle fureur érotique qu’ils ne cessent d’appeler les jumens; ils font retentir l’air de leurs hennissemens; ils rejettent tous les alimens qui leur sont présentés; ils grattent sans cesse le sol; ils s’enlèvent dans leur mangeoire et restent long-temps dans cette position. Tourmentés par un priapisme continuel, ils s’épuisent en vains efforts pour se livrer à la fougue de leurs sens. Leur vie instinctive paraît bornée à un seul besoin, celui de la reproduction. Cet état violent qui use tous les ressorts de l’organisme, les conduit bientôt à une maigreur effrayante. Leur ventre se colle à l’épine, leurs muscles s’émacient, et l’irritation locale qui s’est emparée des organes générateurs, réagissant sur le cœur et sur les viscères les plus importuns à la vie, provoque souvent des phlegmasies redoutables dans les cavités splanchniques.

Il faut bien se garder dans cette occurence de prodiguer à l’étalon des alimens substantiels ou stimulans, tels que l’avoine, le froment, le foin aromatique, comme on a la funeste habitude de le faire dans les diverses stations de monte. On ne peut calmer cette effervescence qu’en suivant une marche diamétralement opposée et en insistant sur les réfrigérans employés sous toutes les formes.

L’eau blanchie avec la farine d’orge et légèrement nitrée, le foin donné en petite quantité et stratifié avec la paille de froment fine et tendre, des lavemens mucilagineux, de mauves, de laitues, de graines de lin, etc., rendus plus tempérans par l’addition d’une cuillerée de vinaigre, la promenade matin et soir, les bains, le séjour dans une écurie isolée et dont les volets sont fermés, pour qu’il y règne le calme le plus complet; la proscription la plus absolue de l’avoine et de tout autre grain échauffant, sont les seuls moyens hygiéniques et médicinaux auxquels il faille avoir recours. La mise au vert à l’écurie, en faisant couper l’herbe dans un pré frais, sans être humide, ne peut être alors que très-avantageuse. On est par fois obligé de le prescrire, parce que le jeune étalon rejette avec opiniâtreté le foin allié avec la paille de froment et tous les alimens secs, fibreux et farineux, de quelque espèce qu’ils soient.

Sous l’influence de ce régime anti-phlogistique, les sens de l’étalon s’émoussent, son sang brûlé par ses désirs se charge d’une plus grande quantité de véhicule; il circule avec plus d’aisance dans ses canaux; la rigidité, la tension extrême des fibres diminue, l’irritation s’apaise et la santé reprend son rithme habituel et normal; on revient alors peu à peu à son régime ordinaire.

Si l’on prodigue au contraire les stimulans, on verse de l’huile sur l’incendie et on plonge l’animal dans un état de langueur et de souffrance, qui n’a pour cause qu’une inflammation viscérale qui acquiert un caractère chronique et qui porte une atteinte notable aux sources de la vie.

Pour l’ordinaire, cette exaltation extrême n’a lieu que dans la première année de la monte: le jeune étalon apprend aménager ses forces, à ne pas se consumer en désirs infructueux et à réserver l’emploi de ses facultés pour le moment où il doit en faire usage; éclairé par l’expérience, il ne se livre plus à une fougue inutile.

Pendant tout le cours de la monte, et surtout lorsque la température de l’atmosphère est élevée, il faut donner chaque jour, à midi, aux étalons de tout âge une ration de provende, c’est-à-dire d’un mélange à partie égale de farine d’orge et d’avoine que l’on humecte avec une suffisante quantité d’eau. Cette méthode offre l’avantage incalculable de prévenir les maladies inflammatoires qui sont si communes dans cette saison, et qui reconnaissent pour causes l’action combinée de la chaleur sans cesse croissante de l’air ambiant et l’érection vitale plus énergique de toutes les parties constituantes de l’organisme.

Une observation que j’ai recueillie et qui a été confirmée par l’expérience de tous les palefreniers intelligens disséminés dans les diverses stations, de monte, c’est que l’emploi de la farine d’orge ou du son de froment combiné à l’avoine et donné chaque jour, à midi, rend les étalons plus prolifiques que l’usage exclusif de l’avoine. En 1818 et en 1819 on supprima la provende que l’on remplaça par l’avoine pure. Les résultats de la monte de ces deux années furent bien moins satisfaisans que ceux des années précédentes. On revint à la provende et on obtint un beaucoup plus grand nombre de productions.

Les Espagnols disposent leurs étalons à la monte en leur faisant manger pendant une vingtaine de jours de l’orge en vert: cette méthode est rationnelle, surtout dans la Péninsule Les matières muqueuses et sucrées de l’orge, unies à une eau abondante de végétation, fournissent une grande quantité de substances alibiles à l’organisation, et cette nutrition plus active ne provoque aucune irritation, parce qu’il y a absence de tout principe stimulant.

Les animaux herbivores, plus sobres que l’homme, n’ont point à redouter l’inflammation du tube digestif par le seul effet de la surcharge de ses réservoirs. La tempérance inhérente à leur nature les met à l’abri de cette cause d’inflammation, à moins que leur état de domesticité et le service auquel ils sont soumis n’excitent long-temps chez eux la sensation de la faim et de la soif, qu’ils se hâtent alors de satisfaire lorsqu’il leur est permis de réparer les pertes que la fatigue et une abstinence prolongée leur ont fait éprouver.

Il en est des jumens comme des étalons: quelques-unes sont si ardentes qu’elles sont insatiables; leurs désirs, qui s’éteignent pour l’ordinaire par la conception, persistent pendant toute la durée de la monte. Pour opérer leur fécondation, on suit, dans la plupart de nos établissemens, une méthode qui est presque toujours couronnée du succès: on amortit leur fureur utérine par la saillie de deux et même de trois étalons. Le calme qui suit les premières copulations appaise momentanément les feux qui les embrasent, et le dernier étalon accomplit l’œuvre de la reproduction.

Le plus grand nombre des jumens repoussent avec opiniâtreté le cheval lorsque le but de la nature est atteint; et l’instinct qui les porte dans cette position à se défendre à toute outrance est un guide sûr et fidèle, puisque l’approche d’un étalon, lorsqu’elles ont été fécondées, est constamment suivi de l’avortement. Il n’y a que celles dont les désirs sont permanens qui résistent à cette parturition prématurée, parce que l’irritation morbide de l’utérus, dans cette occurence, change le rithme habituel de la santé.

Toutes les femelles des quadrupèdes domestiques, comme celles des animaux sauvages, à la première apparition de leurs chaleurs, provoquent la recherche des mâles de leur espèce; mais elles ne se livrent pas de suite à leurs caresses: il faut que le travail intérieur qui s’opère dans l’organe qui doit servir de réceptacle au nouvel être qu’ils vont former, soit assez avancé pour qu’il puisse recevoir l’impulsion vivifiante, sans laquelle il ne peut acquérir les conditions premières de sa future existence.

Il ne sera peut-être pas inutile de tracer ici un aperçu rapide des divers systèmes de la génération, et j’en déduirai ensuite les conséquences qui en découlent nécessairement, dans l’intérêt de nos haras.

Quoiqu’il ne nous soit permis que de soulever un coin du voile dont la nature enveloppe ses opérations, cependant nous pouvons porter un œil scrutateur sur les mystères qui appellent notre attention, et qui, en développant notre intelligence, nous font remonter, par la pensée, jusqu’au souverain auteur de toutes choses. Il a tout réglé dans sa sagesse infinie, et il déploie à nos regards les merveilles de la création, pour que notre gratitude et notre amour égalent les bienfaits dont il nous a comblés.

L’union des sexes, qui assure la perpétuité des diverses espèces d’animaux, offre à l’esprit d’analyse qui doit présider à toutes nos investigations, trois systèmes qui divisent le champ de l’observation.

Le nouvel individu qui doit être le fruit de la copulation peut être formé instantanément par les matériaux que fournissent, d’une manière simultanée, le mâle et la femelle dans leur conjonction. A l’instar des deux liqueurs que mêle ensemble le chimiste pour obtenir une matière cristallisable, l’embrion peut être le résultat du mélange des deux liqueurs séminales. Leur pénétration réciproque, leur association intime, en les identifiant l’une et l’autre, donnent naissance aux premiers rudimens du fœtus; et la vie végétative, dont il vient de recevoir l’étincelle, se prolonge en augmentant chaque jour sa sphère d’activité, jusqu’à l’époque où il doit abandonner le réservoir dans lequel il flotte, pour être soumis à l’influence des agens extérieurs.

Ce système ne peut avoir de nombreux partisans. La nature ne procède pas par des voies si promptes et si brusques; elle établit lentement les bases sur lesquelles elle veut fonder l’édifice de l’existence de l’homme et des animaux; elle ne marche qu’à pas mesurés, et toutes ses opérations sont empreintes de cet esprit d’ordre et de maturité qui, après avoir surveillé tous les détails y sait en assurer l’exécution, en coordonner l’ensemble et en produire la synthèse.

Le second système de la génération a joui long-temps d’une grande faveur; il flattait la vanité de l’homme et caressait l’idée de suprématie qu’il a sur sa compagne: comment n’aurait-il pas été adopté ? C’est en intéressant l’amour-propre que l’on obtient les plus brillans succès, et c’est en faisant vibrer cette corde éminemment sensible que nous donnons la plus grande vogue à nos opinions et à nos sentimens.

D’après ce système, l’étalon est le procréateur des germes qui doivent, par leur évolution successive, former les individus qui assurent la perpétuité de son espèce. Dans la copulation, la jument ne sert que de réceptacle. Lorsque le germe est déposé dans ses flancs, elle lui fait subir une incubation intérieure qui développe graduellement ses organes et l’entoure de l’appareil chargé de lui transmettre les matériaux nutritifs qu’elle lui fournit jusqu’au moment où il brise les liens qui le fixent à l’utérus, pour renoncer à sa vie végétative et acquérir un nouveau mode d’existence par son immersion dans l’air atmosphérique.

Dans cette hypothèse, la jument n’a d’autres fonctions à remplir que de conserver et de nourrir le germe dont elle a été rendue dépositaire; elle n’agit sur ses organes tendres et délicats que par l’abondance ou la pénurie des sucs qu’elle lui fournit pour son entretien, ou par les commotions que lui impriment les parois du réservoir qui le renferme plus de onze mois; mais la trame de son organisation lui est étrangère: elle ne lui donne pas cette empreinte vitale, ce type originel, qui forment le cachet de la maternité.

Un faux principe amène toujours à sa suite de fausses conséquences. Tant que ce système a été en vigueur, on a négligé les jumens pour ne s’occuper que du choix des étalons; on a cru qu’il suffisait, pour perfectionner nos races, de se procurer des chevaux de prix, tant indigènes qu’étrangers, et de les répartir dans les contrées les plus susceptibles d’amélioration.

On entassait dans nos établissemens les jumens vieilles, communes, estropiées, ruinées par les courses violentes auxquelles elles avaient été soumises; et Pompadour, avant la révolution, comme dans le principe de la nouvelle organisation des haras, a vu errer dans ses pâturages des jumens qui n’avaient d’autre mérite qu’une taille élevée et un corps remarquable par son ampleur. Les tristes résultats qui en ont été la suite ont peu à peu dessillé les yeux, et le flambeau de l’expérience a fait reconnaître qu’un noble rejeton ne pouvait être produit que par le concours d’un bel étalon et d’une jument distinguée.

Quand bien même ce système serait fondé, la jument n’est pas un moulé inerte dans lequel le germe est déposé. Le sang des jumens communes qui est transmis au fœtus n’est pas aussi riche en principes actifs que celui des jumens de race. Leur tempérament n’a pas ce feu, cette énergie, qui caractérisent celles qui doivent la vie à un père et à une mère d’élite; elles sont les héritières directes de la beauté de leurs formes et de leurs qualités, et elles lèguent cet héritage à leurs rejetons.

Ce système de la génération qui attribue aux mâles les facultés procréatrices et qui condamne les femelles à ne servir que de dépôt aux germes qui doivent subir dans leur sein l’incubation sans laquelle les rudimens du fœtus ne jouiraient d’aucun développement, est contraire à la marche ordinaire de la nature. Cette mère féconde va toujours au but par les voies les plus courtes et les plus simples.

Elle ne livre pas les organes générateurs de la femelle à un travail intérieur qui précède la conception, pour qu’ils ne servent que de réceptacle à l’embrion. A quoi serviraient alors les ovaires et les trompes qui de ces corps arrondis s’étendent jusqu’à l’utérus? Dans cette hypothèse, ces organes accessoires seraient complètement inutiles, et le principal réservoir serait le seul qu’elle aurait formé. Le souverain Créateur n’a rien fait en vain. Tout ce qu’il a produit a une destination ultérieure qu’il est permis à l’homme de reconnaître. Le sentiment de l’amour maternel qui est si puissant aurait-il cette énergie, si la femelle était condamnée à développer seulement le germe déposé dans ses flancs?

Le système de la génération qui me paraît le plus fondé est celui qui attribue à la jument la formation des germes qui restent ensevelis dans les ovaires jusqu’au moment où, frappés par la liqueur séminale de l’étalon, ils reçoivent le principe de vie qui met en jeu les élémens de leur organisation.

Le tissu de celui qui a reçu cette commotion vitale se gonfle; ses vaisseaux cherchent à s’étendre; il brise les liens qui l’attachent à l’ovaire; il rompt la membrane dont ce corps ovoïde est revêtu, et il descend dans l’utérus par l’intermédiaire de la trompe qui le conduit dans ce réservoir. C’est dans cette poche membraneuse qu’il est fixé par un appareil dont l’évolution est toujours en rapport avec les besoins de son alimentation. Les cicatricules des ovaires, les conceptions extra-utérines militent encore en faveur de ce système qui est basé sur la véritable observation des faits et sur la structure anatomique des parties sexuelles.

La jument devient donc mère dans toute la plénitude de cette expression. Aussitôt que le temps consacré par la nature à la reproduction de son espèce commence à exercer son influence sur ses organes générateurs, leur sensibilité s’accroît; ils deviennent un centre de fluxion qui va toujours croissant, et l’érection vitale dont ils sont le siège prépare lentement les parties à remplir les fonctions qui leur sont assignées. Tant que ce travail intérieur est incomplet, la jument, tout en provoquant l’étalon pour éveiller ses désirs, se refuse à ses caresses, et elle ne cède à sa fougue qu’au moment où toutes les voies sont préparées pour la conception.

La chienne nous offre un exemple bien plus frappant de cette agitation intérieure, de ce refus formel de la copulation, tant que cette érection vitale n’est pas parvenue à son apogée. Dès qu’elle a atteint le terme d’où elle ne peut plus que décliner, ses désirs sont insatiables et comme elle est multipare, elle ne s’arrête qu’après avoir rempli toutes les conditions qui doivent assurer la production de ses nombreux enfans. Aussitôt que le but de la nature est atteint, elle repousse avec persévérance toutes les attaques de ses assaillans.

Le délai que la jument et toute autre femelle, de quelque espèce qu’elle soit, apportent à la saillie de leurs étalons respectifs, est employé à organiser l’être nouveau qui doit résulter de leur copulation. Dès que les rudimens de son existence future sont réunis et n’ont besoin que d’un moteur pour entrer en action, alors elles cèdent à leurs désirs, parce que la liqueur spermatique d’un animal de leur tribu, d’un sexe différent ou d’une tribu analogue, peut seule imprimer le mouvement vital au germe qui n’attend pour éclore que cette imprégnation génératrice. C’est vraiment la fable de Prométhée, dégagée des erreurs de la Grèce. Le nouvel être est formé par la jument, mais il ne peut s’animer que par le feu dardé par l’étalon.

Ce système de la génération assigne au concours des deux individus qui s’unissent pour conserver leur espèce la part qui leur est dévolue dans l’exercice de cette faculté. La femelle organise le germe, le dispose à recevoir l’impression de la liqueur fécondante, prépare les voies qu’il doit franchir pour parvenir à l’utérus, lui fournit dans ce réservoir les sucs qui sont nécessaires à son évolution; et lorsqu’il abandonne celte poche membraneuse qui ne peut plus le contenir, pour être immergé dans l’atmosphère, ses mamelles fécondes se remplissent d’un lait substantiel qui lui sert d’aliment jusqu’à l’époque où ses organes digestifs ont acquis assez de force pour digérer la nourriture herbacée ou animale qui lui a été destinée par la nature.

Le mâle, dont les organes générateurs sont bien moins compliqués, filtre la liqueur prolifique qui doit exercer son impulsion vivifiante sur le germe. Il le modifie par l’action stimulante qu’il imprime à toutes ses molécules, et il met en jeu les ressorts qui resteraient dans l’inertie sans cette commotion vitale.

L’amour maternel fournit encore une nouvelle preuve en faveur de ce système: l’étalon méconnaît et dédaigne même les poulains dont il est le procréateur; souvent même, par un instinct jaloux, il les éloigne de leurs mères.

Dans les carnivores, cette indifférence fait souvent place à la cruauté. On voit le tigre, le chacal, dévorer leurs enfans pour concentrer sur eux toutes les affections de leurs farouches compagnes. Sous nos toits domestiques, le chat nous offre quelquefois l’exemple de cette férocité. Il épie le moment où la femelle abandonne sa progéniture pour déchirer leurs membres palpitans et les priver d’une existence qui lui est odieuse.

Dans les femelles, au contraire, le sentiment qui les porte à veiller à la conservation des fruits de leur amour va toujours en croissant jusqu’à l’époque où ils n’ont plus besoin de leurs soins maternels. Alors ce sentiment s’éteint pour renaître lorsqu’elles auront donné la vie à une seconde génération.

Si l’étalon était vraiment le créateur des germes auxquels la jument doit seulement fournir un réceptacle, il n’aurait pas pour ses enfans cette indifférence, cette apathie, et je dirai même cet éloignement qui le caractérisent: il partagerait avec sa femelle les soins qu’elle ne cesse de leur prodiguer.

Dans les oiseaux nous voyons le mâle et la femelle apporter à leurs petits la nourriture qui leur est nécessaire. Cette communauté de soins, cette tendresse mutuelle, ont été prescrites par la suprême intelligence, parce que, dans cette classe d’animaux, les femelles sont privées des organes mammaires, et que ne pouvant les substanter avec la liqueur nutritive qui leur a été refusée, elles n’auraient pu pourvoir aux besoins sans cesse renaissans de leur postérité, si elles avaient été chargées exclusivement du soin de son alimentation.

La classe nombreuse des animaux ovipares jette une vive lumière sur le système qui attribue la formation des germes aux femelles de chaque espèce. La nature est simple et sublime dans ses opérations. Elle varie ses procédés suivant les espèces pour parvenir au même but; mais ses lois sont immuables et éternelles, et leur stricte observation maintient un ordre admirable dans toutes les œuvres de la création.

Dans toutes les espèces, quel que soit le mode de génération qu’elle ait adopté (mode toujours subordonné à la structure particulière de l’animal), c’est toujours la femelle qui rassemble les rudimens de l’embrion, qui les organise et qui leur donne l’aptitude nécessaire pour recevoir la commotion vitale que le mâle doit leur communiquer dans la copulation.

Les femelles vivipares ne se délivrent de leurs petits qu’après leur avoir fourni tous les élémens de leur existence future. Leurs germes détachés de l’ovaire et parvenus dans l’utérus y subissent l’incubation qui développe peu à peu leurs organes, les dispose graduellement à se mettre en rapport avec les agens extérieurs; tandis que, dans les femelles ovipares, cette incubation ne peut s’effectuer qu’après que l’œuf est détaché du corps de la mère; il ne peut être couvé qu’en dehors, parce qu’elle est privée du réservoir qui lui sert de réceptacle dans cette première classe d’animaux.

La mère le dépose dans un nid, le couve sous son aile et lui communique la chaleur dont il a besoin pour son évolution; ou lorsque son organisation se refuse à cette incubation extérieure, elle le place dans le nid d’une femelle étrangère, ou l’enfouit dans le sable, en le mettant dans un lieu exposé à toute l’intensité des rayons solaires, pour qu’il se pénètre de la chaleur sans laquelle s’éteindrait l’étincelle de vie qui lui a été communiquée.

L’homme a su profiter de ce double mode d’incubation extérieure pour multiplier les animaux qui servent à sa nourriture. Les marnais d’Egypte ou les fours dans lesquels on fait éclore les poulets en élevant leur température jusqu’au degré de la chaleur naturelle de la mère, et en y laissant les œufs autant de temps qu’ils en auraient besoin pour éclore sous ses ailes, nous le démontrent d’une manière frappante.

Tout est merveille pour celui qui sait étudier les œuvres de la création. Je ne puis m’empêcher de citer encore un fait qui nous prouve jusqu’où s’étendent les soins de la divine Providence pour la conservation des espèces.

Dans les vivipares, le germe qui a brisé la tunique de l’ovaire, et qui est parvenu dans l’utérus où il va subir l’incubation, est dénué de toute provision alimentaire. L’appareil intermédiaire qui le met en relation avec les organes de la mère lui transmet les sucs qui sont nécessaires à son développement. Il n’en est pas de même des ovipares.

L’œuf, détaché du bassin de la femelle, est renfermé dans une coque membraneuse ou recouvert d’un têt calcaire. L’embrion que la chaleur va faire éclore n’a plus aucune communication avec elle. Le domaine de sa vie est circonscrit par la coquille dans laquelle il est contenu. Il doit puiser tous les matériaux de son existence dans l’intérieur de la capsule qui lui sert d’habitation, jusqu’au moment où il aura assez de force pour en briser les parois et pour trouver au-dehors les substances alibiles que la nature lui a destinées.

Cette mère féconde n’a rien oublié ; elle a placé dans l’intérieur de son berceau les alimens appropriés à la délicatesse de ses organes, et elle les a disposés de manière à ce qu’ils puissent être consommés dans l’ordre croissant de leurs facultés nutritives. Prenons l’œuf de poule pour exemple.

Le germe couvé par la chaleur se métamorphose en embrion; ses organes naissans commencent à s’alimenter avec l’albumine qui s’assimile plus facilement que le jaune dont l’animalisation est plus complète, et ce n’est qu’après avoir consomme le blanc d’oeuf qu’il attaque le jaune qui, sous un volume égal, lui fournit beaucoup plus de substance alimentaire. Dès que ses provisions sont épuisées, il brise sa coquille et va chercher au-dehors la nourriture qu’il ne peut plus trouver dans son étroite demeure.

Ces facultés nutritives ascendantes se trouvent également dans le lait des femelles vivipares. Ce liquide est beaucoup plus séreux dans les premiers jours de la lactation. A mesure que les forces digestives du nourrisson acquièrent de l’énergie, il devient plus riche en parties butireuses et caseuses; et quand il ne peut plus suffire à son alimentation, les plantes, si l’animal est herbivore, ou la chair, s’il appartient aux animaux carnassiers, forment peu à peu sa nourriture exclusive.

J’ai déjà dit que l’affection des femelles pour leurs petits avait une exaltation que l’on ne rencontre jamais chez les mâles, et j’en ai tiré l’induction qu’elles étaient les véritables créatrices des germes, au lieu de leur servir seulement de réceptacle, comme on l’a cru long-temps. J’ai été témoin ( à la Rivière ) d’un fait qui prouve que les mères bravent tous les dangers pour défendre leur progéniture.

Les jumens du haras avaient été conduites pendant le mois d’août dans un pâturage nommé Les Besses. Il est situé dans une vallée profonde que traverse un ruisseau dont les bords sont ombragés par des saules. Ces arbres forment çà et là des bosquets très-touffus. Un loup énorme s’était glissé sous un des points les plus abrités, et épiait le moment où il pourrait se jeter sur un des poulains de l’année qui bondissaient autour de leurs mères.

Cet animal destructeur est aperçu par une pouliche de trois ans, nommée l’Argentine; elle pousse le cri d’alarme: à l’instant ce cri est répété dans le vallon par toutes les poulinières; leurs petits tremblans se réfugient auprès d’elles: les mères les renferment dans un cercle dont elles se partagent la circonférence, et attendent l’ennemi qui veut les assaillir.

Le loup, confiant dans ses forces, voyant qu’il était découvert, s’élance dans le pâturage et cherche à s’approcher du troupeau. La Férussac, qui en était la reine par la force de sa constitution, se précipite au-devant de ses pas. Ses yeux étincelans, ses oreilles couchées contre l’encolure, sa bouche ouverte dans toute la puissance de ses mâchoires, son galop rapide qui fait retentir le vallon, ses crins agités par la fureur, inspirent une telle crainte au loup, qu’il renonce à son attaque.

Il cherche à se retirer à pas lents; mais voyant qu’il allait être atteint, il accélère sa marche pour regagner les bords du ruisseau. Coupé dans sa retraite et obligé de traverser le pâturage, il est vivement talonné par la Férussac et par les autres poulinières qui, renonçant à la garde de leurs poulains, se mettent également à sa poursuite. Semblable au lièvre timide qui sa trouve au milieu d’une meute de chiens qu’il cherche à éviter, ce n’est qu’après plusieurs faux-fuyans pour se dérober à leurs atteintes qu’il parvient à franchir la vallée et à gravir la montagne où il trouve un asile assuré contre ses ennemis.

Je ne puis rendre par aucune expression le cri d’alarme de l’Argentine et des poulinières. J’ai vécu trente ans au milieu des chevaux; jamais un pareil cri n’a retenti une seconde fois à mon oreille. Il m’émut profondément ainsi que le palefrenier de garde qui était avec moi sur le sommet de la montagne opposée; il était le signal d’un événement funeste dont le danger est imminent; il imitait ces bruits rauques et sinistres qui précèdent la tempête et qui répandent l’horreur et l’épouvante.

Cette impression pénible fut promptement dissipée par le spectacle plaisant de voir un loup, l’oreille basse, la queue collée entre les cuisses, le regard humble et craintif, vivement chassé par les jumens, employer toute son adresse et toute son agilité pour échapper à leur poursuite.

Toutes ces réflexions seraient stériles, si nous n’en faisions l’application à la science des haras. Je ne me suis appesanti sur les divers systèmes de la génération que pour démontrer aux propriétaires combien il est de leur intérêt de faire un choix judicieux de leurs jumens pour les consacrera la reproduction, et combien il leur importe de leur prodiguer des soins basés sur les véritables règles de l’hygiène pour en obtenir des produits satisfaisans. Le rôle qu’elles jouent dans l’acte de la génération leur en fait une loi.

C’est la jument qui renferme les germes dans ses ovaires; c’est elle qui, dans la saison de ses amours, éprouve un travail intérieur sans lequel l’embryon qui doit éclore ne pourrait acquérir l’aptitude nécessaire pour recevoir la commotion vitale d’où dérive sa future existence; c’est elle qui, après la fécondation, le conserve dans ses flancs plus de onze mois, et c’est elle encore qui, après la parturition, l’alimente de son lait jusqu’à l’époque où le poulain n’ayant plus besoin de ses soins maternels, trouve dans l’herbe des prairies la nourriture que lui a préparée la main libérale de la nature.

Elle exerce donc sur son fruit la plus grande influence. Sa race, son tempérament, sa taille, son étoffe, son nerf, ses qualités, son caractère, la beauté de sa constitution, forment l’héritage qu’elle lui transmet. L’étalon contribue aussi à l’enrichir de ses dons; mais il est d’observation constante que la taille du poulain, la force de son organisation et la vigueur de son tempérament dépendent plus de la mère que du père.

Les jumens qui sont atteintes d’une affection chronique de quelque viscère important à la vie; celles qui sont épuisées par la fatigue ou brûlées par une nourriture incendiaire prodiguée pendant long-temps, ne peuvent léguer à leurs productions la force, la vigueur, l’organisation robuste, qui dépendent de l’intégrité complète des fonctions de la vie. Nul ne peut donner ce qu’il ne possède pas. Il y a bien quelques exceptions, parce que les organes du poulain sont profondément modifiés par l’étalon; mais quelques cas individuels ne peuvent être érigés en règle générale, et quand toutes les chances du succès se réunissent du côté paternel et maternel, on a l’espoir fondé que le rejeton sera digne de ses procréateurs.

Les peuples qui mettent un grand prix à l’éducation de leurs chevaux estiment infiniment plus leurs jumens que leurs étalons. Les Arabes, les Persans, les habitans de l’Andalousie, regardent leurs jumens comme les dépositaires du type de leurs races; ils vendent avec facilité leurs chevaux, et ils ne se décident qu’avec peine à se défaire de leurs jumens,

Cette opinion n’est-elle pas établie pour l’homme par les tribus guerrières de Madagascar? Les Naïres ne font dériver leur noblesse que de leur mère; et leur illustration est exclusivement attachée au sein maternel.

«La fécondité des jumens dépend beaucoup du genre de nourriture qui leur est accordée. Celles qui sont nourries au sec ont beaucoup moins d’aptitude à concevoir que les poulinières qui divaguent toute l’année dans les pâturages. Plus les animaux sont rapprochés de leur état primitif, plus la nature exerce d’empire sur leurs organes. Il y a beaucoup de jumens que la première copulation suffit pour rendre fécondes, et c’est toujours celles qui sont confinées dans les domaines.

Quand on veut rendre mère une jument qui paraît frappée de stérilité, il faut changer son régime et substituer aux fourrages secs et à l’avoine la nourriture verte qu’elle prend elle-même dans les herbages. Cette mutation d’alimens lui est extrêmement avantageuse. Les herbes qu’elle consomme fournissent un véhicule abondant à son sang chargé de fibrine; ses humeurs épaissies se délayent; l’éréthisme, la tension des solides diminuent, et le doux exercice qu’elle prend pour choisir les plantes qui lui conviennent le mieux favorise la circulation qui reprend peu à peu son rithme normal. Ses organes générateurs, qui éprouvent, comme tous les autres, une amélioration sensible dans leurs fonctions; sont mieux disposés pour opérer l’œuvre de la fécondation.

Les jumens, échauffées par la fatigue et par un régime incendiaire, sont quelquefois atteintes d’ulcères chancreux qui se montrent sur les limbes extérieurs des parties sexuelles. Il faut bien se garder de conduire alors la poulinière à l’étalon: ces ulcères se communiquent d’un sexe à l’autre dans la copulation; ils cèdent facilement à un régime humectant. La proscription de l’avoine, l’eau blanchie avec la farine d’orge ou de seigle, nitrée, les lotions mucilagineuses de mauves, de graines de lin, aiguisées ensuite par une cuillerée d’acétate de plomb liquide sur un demi-sceau de liqueur émolliente, les bains à l’eau courante, suffisent toujours pour les faire disparaître. Il ne faut y avoir recours qu’après que l’irritation de la peau et de la membrane muqueuse est dissipée. Une forte solution de sulfate de fer et de zinc dans l’eau est aussi employée avec succès dans cette occurrence, après la période d’irritation.

La monte se fait à la main et en liberté. Le premier mode est le plus généralement suivi. La jument, coiffée d’un licol de force, est attachée, par une double longe, à deux poteaux enfoncés profondément en terre et maintenus à leur sommet par une traverse qui accroît leur solidité. Les jambes postérieures sont entravées, pour éviter les ruades, et les cordes qui sont attachées aux entraves se croisent en diagonale sous le ventre, ou glissent de chaque côté du corps, pour se fixer, par un nœud coulant, au collier qui embrasse l’encolure à sa base. La queue est tressée avec une ficelle qui s’étend au-delà des crins, pour donner au palefrenier la faculté de la soulever lorsque l’étalon s’enlève pour opérer la saillie. Il vaut mieux l’attacher à la bricole quand le palefrenier n’a pas d’auxiliaire pour le seconder. Il n’est pas toujours assez leste ni assez adroit pour lever la queue lorsque l’étalon cherche à embrasser la jument.

Cette direction des cordes, suivant deux lignes parallèles ou se croisant sous le ventre en diagonale, offre, dans l’un et l’autre cas, des inconvéniens qu’il est bien difficile d’éviter.

Dans le premier, la poulinière, en se défendant, porte ses deux jambes de derrière du même côté ; alors elles se trouvent retenues dans cette position par une seule corde, et la chute de la jument est inévitable si elle n’a pas l’adresse de dégager le membre qui a passé pardessus la corde.

Dans le second cas, l’étalon, en se retirant, fait glisser les jambes de devant, lorsqu’il cherche à opérer son appui sur le sol, entre le corps de la poulinière et les deux cordes parallèles. Le paturon se trouve souvent arrêté par le point d’union de la corde avec l’entrave; il cherche brusquement à se dégager, et une distension violente du boulet et des articulations inférieures est la suite des efforts auxquels il se livre, de concert avec la jument, pour rompre les liens qui les unissent.

On évite les dangers que je viens de signaler, en se servant, pour entraver les jumens, du mode adopté dans un grand nombre de nos établissemens. Les entraves n’agissent que sur les membres; elles consistent en deux fortes lanières de cuir double et bien piqué, qui portent, à chaque extrémité, un anneau à l’un desquels est attachée une corde que l’on fait glisser dans l’anneau de fer correspondant, pour embrasser le paturon postérieur. Dès que l’entrave est placée, on tend la corde jusqu’à l’avant-bras et on l’arrête au-dessus du genou par une large courroie qui étreint ce rayon du membre thorachique; elle est fixée, par deux ou trois bouclereaux, sur la face externe de la jambe.

Cette méthode, pour s’opposer aux ruades de la jument, est infiniment préférable à la première que j’ai indiquée. L’étalon ne court plus les risques de s’estropier, et la jument chatouilleuse, qui cherche à se défendre lorsqu’elle sent l’approche du cheval, renonce promptement à toute tentative de résistance, parce qu’elle ne peut faire le moindre effort pour ruer, sans entraîner les jambes de devant sous le centre de gravité du corps, et sans provoquer, par conséquent, un chute sur le nez, qu’elle a bien soin d’éviter.

Dans nos stations de monte, les palefreniers, au lieu de faire glisser les cordes le long du corps, les dirigent sous le ventre et vont les attacher, par des nœuds coulans, au-dessous du poitrail et entre les jambes de devant, aux anneaux que porte la bricole qui embrasse le cou de la jument. Cette méthode vaut mieux que celle qui est suivie au haras; mais la poulinière fait plus d’efforts pour se défendre, parce que le point d’appui qui a lieu sur le poitrail ne lui fait point courir les risques de tomber, comme dans la méthode que je viens de décrire.

Les poulinières qui ont beaucoup de sang ont la peau si sensible, leur irritabilité est si grande, que, malgré l’envie qu’elles ont d’accomplir le vœu de la nature, elles ne peuvent maîtriser l’agitation que leur fait éprouver le contact de l’étalon; on les rend tranquille, en leur mettant les morailles ou le torche-nez. La douleur que provoque l’étreinte du bout du nez, dans lequel abondent les houpes nerveuses, absorbe toute leur attention et détermine leur immobilité.

Il faut bien se garder, comme on a l’habitude de le faire, d’entourer une oreille du torche-nez pour obtenir la position fixe de la jument; elle est pour l’ordinaire si révoltée de ce mode de châtiment, qu’elle se défend à outrance toutes les fois qu’on veut lui mettre le licol ou la bride; elle croit toujours qu’on cherche à lui infliger la même punition, et, pour peu que le palefrenier soit méticuleux, elle devient indomptable.

Dès que la conjonction est opérée et que toute idée de résistance est évanouie, il faut débarrasser le nez de la jument de la corde qui l’étreint. Si la douleur préside au commencement de cet acte, elle doit être promptement remplacée par une sensation contraire, pour que la fécondation s’effectue.

La monte en liberté a été presque abandonnée en France, et voici les motifs qui l’ont fait proscrire:

L’étalon, tout en exprimant ses désirs par ses cris d’amour et par ses hennissemens, dont le diapazon s’élève depuis le son le plus doux jusqu’à la plus forte intonation, sent le besoin de dompter la jument qu’il veut rendre mère et de lui faire reconnaître la supériorité de ses forces; il débute donc presque toujours par des ruades qui peuvent estropier et celui qui les lance et celle qui les reçoit. Le cheval se fatigue long-temps par des efforts infructueux et surtout quand il commence sa carrière: ses reins, ses jarrets et les autres articulations des membres pelviens, écrasés par le poids du corps qui est dardé à chaque instant suivant la ligne perpendiculaire, sont bientôt ruinés par ce violent exercice, et l’étalon le plus précieux est bientôt hors de service.

S’il est placé dans un troupeau de jumens, il se pique quelquefois de constance et néglige toutes les poulinières pour ne s’occuper que de celle qui a su lui plaire; il ne la quitte pas un instant et éloigne à coups de pieds et à coups de dents les jumens qui veulent s’approcher de l’objet sur lequel il a concentré toutes. ses affections. Pour l’ordinaire, il s’occupe de toutes celles qui provoquent ses caresses; mais ces copulations répétées l’on bientôt énervé, et quand la monte est terminée, il est dans le dernier degré d’épuisement.

Il faut, en outre, un surveillant qui n’abandonne point l’enclos où l’étalon et les poulinières sont renfermés.

Tous ces inconvéniens ont fait renoncer à la monte en liberté ; qui, d’ailleurs, n’est pas plus fructueuse que la monte à la main lorsqu’elle est dirigée par un palefrenier adroit et intelligent.

Quand la jument est attachée aux piliers et entravée comme je viens de le dire, l’étalon est conduit par le palefrenier qui le maîtrise avec le caveçon. Il a soin de lui donner de la longe toutes les fois qu’il fait des pointes, et il se garde bien de la tendre et de tirer dessus lorsque le cheval est dans cette position verticale, parce que la moindre résistance forme un appui trompeur qui l’engage à vaincre la tension forcée qu’il éprouve, et il en résulte constamment une chute en arrière qui devient très-dangereuse lorsque sa tête tombe sur quelques corps durs. L’apoplexie, le vertige, la cécité, ont été quelquefois la suite de ces chutes que l’intelligence et l’adresse du palefrenier savent prévenir.

On avait l’habitude de mener la jument à l’étalon avec un caveçon armé de deux longes dont chacune était confiée à un palefrenier. Il est beaucoup plus difficile alors de diriger le cheval, parce qu’il faut une unité, un concert de mouvemens, qu’il est presque impossible d’obtenir. L’étalon le plus fougueux est maîtrisé par un homme faible, lorsqu’il sait céder à propos à sa violence et profiter des momens de relâche qui se présentent toujours par intervalle pendant cette agitation. convulsive pour le ramener à l’obéissance.

Il y a des étalons dont les jarrets sont si nerveux, dont les reins ont une telle vigueur, qu’ils restent dans la position verticale qu’ils ont prise, et qu’ils marchent avec les seules jambes de derrière pour couvrir la jument. Cette pose est extrêmement brillante; mais elle ne peut s’effectuer qu’au détriment de toutes les articulations des membres pelviens, et principalement des jarrets qui. forment le ressort le plus puissant de la progression.

C’est auprès de la jument que le cheval, embrasé du feu de ses désirs, déploie toute la beauté des formes dont la nature l’a doué d’une manière si libérale. Le feu de ses regards, la pause élevée de sa tête, la convexité de l’encolure qui s’arrondit moelleusement comme les contours gracieux du cou du cigne qui vogue avec majesté sur un lac dont il sillonne les flots paisibles; l’extension de ses reins et de sa croupe dont les muscles se dessinent sous la peau; le soulèvement de sa queue que ses crins ondoyans font paraître plus touffue, forment un tableau que l’on ne peut considérer sans intérêt, parce qu’il est un des types de la perfection de la nature jouissant de la plénitude de la vie. L’homme le plus indifférent ne peut se défendre d’une vive émotion.

Aussitôt que le cheval est préparé à l’acte qu’il va accomplir, il s’enlève pour embrasser la jument avec ses jambes antérieures. Le palefrenier profite du moment où il exerce son appui sur la croupe de la poulinière, pour qu’il n’y ait pas déviation des voies naturelles. Les mouvemens de balancier que la queue opère annoncent que l’œuvre de la fécondation touche à son dernier terme, et le relâchement subit de toutes les parties du corps de l’étalon confirme que le but de la nature est atteint. Ce cheval si vif, si fougueux, a perdu tout le feu qui l’animait; il est doux et paisible; il traverse avec calme la cour qu’il avait fait retentir de ses hennissemens, et dans laquelle il n’avait point assez d’espace pour se livrer à ses bonds répétés.

Il y a quelques étalons auxquels il faut mettre des lunettes pour les conduire à la jument, parce qu’ils attaquent l’homme qui cherche à calmer leur impatience.

Dès que l’étalon est rentré à l’écurie, le palefrenier le bouchonne avec force et lui met une couverture pour l’empêcher de se refroidir. Si la sueur ruisselle de son corps, il l’abat avec le couteau de chaleur et il place un lit de paille brisée sous la couverture qu’il fixe avec un surfaix. Il est bien inutile de le laver avec du vin chaud, comme le conseillent quelques auteurs, de lui donner deux heures après de l’eau tiède blanchie avec la farine d’orge et de faire succéder l’avoine à cette boisson rafraîchissante. Le régime des étalons n’a besoin d’aucun changement, tant qu’ils conservent l’intégrité de leurs forces.

Après la fécondation, la poulinière n’a également besoin que d’être ramenée à l’écurie pour s’y reposer quelques heures. Le calme des mouvemens organiques doit succéder à l’effervescence de ses désirs. Il faut bien se garder de la faire trotter, comme je ne l’ai vu prescrire que trop souvent, immédiatement après la copulation, pour la faire retenir plus sûrement; de lui frotter le dos et les reins avec un bâton; de lui verser un seau sur la croupe; de la piquer de l’éperon et de lui mettre un paquet d’orties sous la queue. Les premières pratiques ne sont que ridicules, la dernière est aussi absurde que cruelle. Il ne faut point aussi la bouchonner pour éviter l’action sympathique de la peau sur l’utérus.

C’est en calquant ses procédés sur ceux de la nature que l’homme peut obtenir des résultats satisfaisans. Considérons les femelles dont la domesticité est moins rigoureuse que celle du cheval. Dès que la truie, la brebis, la vache, ont été saillies, elles se reposent tranquillement dans un coin de leur étable, ou elles se mettent à paître sans inquiétude, si elles sont dans leur pâturage. Tout ce qui peut interrompre cet état de calme et de repos si nécessaires à la conception ne peut être que nuisible.

J’ai indiqué aux propriétaires les signes qui dénotent que la fécondation de leurs jumens s’effectue, parce qu’il leur importe de savoir si l’étalon accomplit l’acte qui doit les rendre mères. Les chevaux trop ardens ou usés par l’âge, par la fatigue; ceux même dont la santé est la plus vigoureuse, mais qui sont échauffés par la monte, peuvent tromper leur attente, parce qu’ils ne remplissent pas dans toute leur étendue les fonctions qui leur sont départies. La copulation est imparfaite, quand il n’y a point émission de la liqueur fécondante.

Je leur ai conseillé aussi de remarquer si l’étalon suivait bien les voies naturelles, parce que l’introduction du pénis dans le rectum amène les résultats les plus funestes, lorsque l’acte de la copulation se consomme dans ce réservoir. Sa seule intromission n’offre aucune espèce de danger; mais la mort de la jument n’est que trop souvent inévitable, si l’étalon a complété l’œuvre de la fécondation; et c’est toujours dans les vingt-quatre heures qui suivent la copulation qu’elle succombe au moment où le propriétaire est loin de redouter cette catastrophe. Son ventre se ballonne subitement, tout son corps est agité d’un spasme clonique, et elle tombe morte aux yeux du spectateur interdit.

J’ai vu périr plusieurs jumens par cet accouplement insolite, et j’ai voulu reconnaître les lésions qui donnaient lieu à une mort aussi peu prévue. J’ai toujours remarqué que la membrane muqueuse du rectum était tuméfiée, jaune et parsemée de plaques noirâtres qui dénotaient la gangrène.

Cette altération profonde de l’intestin n’existe que dans le trajet qu’a parcouru le pénis. Il est intact dans le reste de son étendue. Il paraît que la mort subite de la jument est due au développement énorme des gaz qui se dégagent tout-à-coup, lorsque la gangrène du rectum est assez avancée pour le solliciter. Cette terminaison funeste est due à l’impression qu’exerce la liqueur spermatique sur les parois éminemment sensibles de l’intestin, et peut-être aussi à l’épanouissement plus considérable de la tête du pénis, lorsque l’éjaculation va s’effectuer. Cet épanouissement produit nécessairement une irritation plus vive, puisqu’il accroît le frottement de la membrane muqueuse du rectum. Je serais porté à croire que la liqueur fécondante agit aussi sur l’intestin d’une manière stupéfiante, parce que l’inflammation gangreneuse qui en est la suite n’enlève à la jument ni sa gaîté ni son appétit, jusqu’au moment où le ventre se météorise.

On arrache la jument à une mort presque certaine en lui faisant donner, immédiatement après cette copulation contre nature, des lavemens répétés qui provoquent des évacuations alvines abondantes, et qui entraînent au-dehors la liqueur qui, au lieu d’être un principe de vie dans cette occurrence, va tarir au contraire les sources de l’existence de la mère. L’eau de mauves, la décoction de graine de lin, l’eau qui tient du beurre en dissolution, l’eau de tripes, de vaisselle, l’eau pure tiède et même froide sont employées avec succès. Le point important est de les faire administrer le plus promptement possible. J’ai sauvé plusieurs poulinières en ordonnant de suite la prescription de ces lavemens, et en faisant donner de l’eau tirée du puits qui est dans la cour du haras de Pompadour où se fait la monte.

Les jumens très-maigres sont plus exposées à cet accident que celles qui jouissent d’une bonne santé. Le périnée est déprimé et l’anus enfoncé, parce que le tissu folliculaire sous-jacent est dépouillé de la graisse qui dans l’embonpoint distend ses cellules innombrables. Les jumens âgées résistent mieux que les autres à l’impression délétère que la liqueur fécondante exerce sur la membrane muqueuse du rectum. J’en ai vu deux dont la constitution n’a point été altérée par cette copulation contre nature.

L’emplacement de la monte doit être isole, pour que les étalons ne soient pas distraits des fonctions qu’ils ont à remplir par les divers objets qui peuvent captiver leur attention. J’ai vu bien des étalons rester plus d’une heure auprès de la jument qu’ils devaient saillir, et dont le feu s’était éteint sans pouvoir se rallumer, parce que leur vue instinctive avait pris une autre direction.

Il y a des étalons capricieux qui négligent la jument qui leur est destinée, pour ne s’occuper que d’une autre qu’ils ont vue dans la cour de la monte; ils l’appellent sans cesse par leurs hennissemens. On est obligé de la mettre en perspective, pour qu’ils puissent couvrir celle qui doit être fécondée. Il n’en est pas ainsi des jumens dont les désirs ont bien plus de véhémence; elles reçoivent indifféremment tous les étalons qui leur sont donnés.

Le terrain dans lequel sont implantés les piliers de monte doit offrir de chaque côté une pente douce dirigée en sens inverse, dont l’une est établie d’avant en arrière et l’autre d’arrière en avant, pour que la jument soit placée suivant le plus ou moins d’élévation de sa taille. Le sol doit être uni, sec et ferme, pour s’opposer aux glissades. Il ne doit pas être pavé, pour que lès chutes soient moins dangereuses. Un terrain sablonneux et mouvant fatigue prodigieusement l’étalon qui ne peut prendre un point d’appui fixe sur cette terre qui fuit sous ses pas.

Dès que la copulation est terminée, on fait descendre l’étalon en agitant doucement le caveçon dont son chanfrein est armé. Pour ménager ses jarrets, il vaut encore mieux détacher la jument des piliers et la porter en avant. Il ne faut pas alors qu’il y ait de traverse qui les maintienne à leur sommet.

Quand la jument est douce et tranquille, il n’est pas nécessaire de l’attacher aux piliers; un palefrenier la contient avec une bride, le caveçon et même le licol. La manœuvre de la monte s’effectue alors avec plus de facilité, et l’on n’a point à redouter les contusions qui sont souvent occasionées par la fixation de la jument aux piliers.

Les jumens qui conçoivent pendant le mois d’avril et la première quinzaine de mai donnent en général des poulains plus robustes que celles qui ne sont fécondées que dans les derniers temps de la monte. Elles mettent bas plus tôt; leur lait, rafraîchi par les premières pousses de l’herbe des pâturages, est moins stimulant; et les poulains, plus avancés en âge, bravent mieux les chaleurs de l’été et le tourment des mouches si insupportable dans cette saison. Ceux qui souffrent dans la première année de leur existence, ne prennent jamais l’évolution qu’ils auraient eue s’ils avaient constamment joui d’une bonne santé. La trame de leur organisation est si faible à cette époque de la vie, qu’elle ne peut être offensée sans qu’elle conserve l’empreinte ineffaçable des souffrances qui ont entravé son mouvement expansif et altéré la délicatesse de ses ressorts.

Le cheval ne doit Saillir qu’avant d’avoir mangé, ou deux ou trois heures après le repas, pour que la digestion stomacale soit effectuée, et que les matières chymeuses, qui ont été fluidifiées dans le réservoir, aient coulé dans l’intestin. Cette excellente méthode prévient l’apoplexie, le vertige et les diverses congestions cérébrales que provoque l’acte de la copulation. Lorsque l’estomac est distendu par les substances alimentaires, peu importe le moment de la monte, pourvu que l’estomac soit libre d’alimens.

Dans nos établissemens, l’heure de la monte est indiquée, parce que tout doit s’y faire d’une manière méthodique, pour que l’ensemble des travaux de chaque jour n’éprouve aucune interruption, et pour que les propriétaires aient la faculté de faire essayer leur jument d’une manière simultanée.

Cependant, s’il doit y avoir une heure d’élection pour la monte, c’est le matin qu’il faut choisir de préférence pour l’effectuer. L’étalon qui s’est reposé toute la nuit a peut-être plus d’aptitude à la génération. C’est pendant le sommeil que s’opèrent le mieux toutes les filtrations, et que l’animalisation des diverses humeurs, sécrétées par les organes, devient plus parfaite. La monte, comme je l’ai déjà dit, n’offre aucun danger lorsqu’elle a lieu quelques heures après le repas du matin, de midi et du soir; et la distance où sont souvent les propriétaires de la station où ils conduisent leurs jumens, les empêche de s’y rendre de bonne heure; il faut bien alors que les étalons soient employés dans le cours de la journée, pour qu’ils ne fassent pas un voyage inutile.

On peut appliquer les mêmes réflexions aux jumens poulinières. Après le repos de la nuit, leurs organes sont mieux disposés à remplir leurs fonctions, et le mouvement d’aspiration qui conduit la liqueur fécondante jusqu’à l’ovaire qu’elle va frapper, s’opère alors avec plus d’énergie. La conception offre donc alors plus de probabilité et plus de chances de succès.

Les jumens ne doivent point boire avant la copulation, si on les fait saillir le matin. L’expulsion de l’urine ne peut avoir lieu que par les contractions de la vessie et des muscles de l’abdomen qui concourent à son action; leurs mouvemens se communiquent à l’utérus et peuvent déterminer le rejet de la liqueur prolifique.

Ce rejet a lieu, pour l’ordinaire, immédiatement après la copulation, parce que le besoin d’uriner est provoqué par l’irritation des voies génitales qui a été accrue par l’accouplement.

La même règle est applicable aux étalons: la plénitude de la poche urinaire s’oppose à la libre expulsion de la liqueur spermatique.

Les étalons, pour être ménagés, ne doivent saillir qu’une fois par jour. S’ils conservent leur embonpoint et leur gaîté, on peut bien doubler la saillie trois et même quatre fois par semaine; mais pour peu qu’ils viennent à dépérir, il faut se borner à un seul accouplement par jour.

Ils peuvent saillir quarante jumens dans le cours de la monte, lorsqu’ils sont dans toute la vigueur de l’âge et quand ils jouissent de la plénitude de leurs facultés; mais s’ils sont plus jeunes ou plus vieux, le nombre des poulinières qui leur sont destinées doit se réduire de vingt à trente au plus.

Il y a des chevaux si ardens que leur vigueur semble redoubler d’énergie à chaque copulation, et qu’ils couvrent jusqu’à soixante-dix et même quatre-vingts jumens pendant le cours de la monte; mais ces copulations trop multipliées les frappent d’infécondité, et le nombre de leurs poulains est loin d’être en rapport avec la quantité des jumens qu’ils ont saillies.

L’étalon un peu froid, qui ne s’anime que par degré, est bien plus prolifique que celui dont la fougue ne peut être réprimée. Les cultivateurs se laissent séduire par cette agitation convulsive; mais leur attente est souvent trompée par ces mouvemens d’impatience qui dénotent plus d’irritabilité que de force réelle.

Il y a des étalons qui se fatiguent moins à saillir quarante et même cinquante jumens, que ceux qui n’en couvrent que quinze ou vingt, parce que leurs facultés prolifiques ont plus de puissance et que la fécondation s’effectue dans la première ou la deuxième copulation, tandis que les autres s’épuisent en saillies répétées sans que le vœu de la nature soit satisfait.

Le régime alimentaire des étalons répartis dans nos divers établissemens est augmenté avant l’ouverture de la monte; ils reçoivent une plus forte ration d’avoine. La quantité de foin n’est pas accrue, parce qu’il est d’observation constante que sa profusion exerce la plus funeste impression sur la poitrine qu’elle dispose éminemment à la pousse en déterminant la dilatation variqueuse et anévrismatique de ses vaisseaux. Cette augmentation de fourrage est encore plus à redouter pendant le cours de la monte, parce que l’amplitude des vaisseaux pulmonaires est favorisée par l’acte de la copulation qui retient le sang dans cette cavité splanchnique.

Quelques propriétaires mêlent du froment, des féverolles, du chenevis à l’avoine qu’ils donnent à leurs étalons particuliers. Ce mélange est plus nuisible qu’avantageux. Il y en a qui arrosent l’avoine avec du vin, de l’eau-de-vie qui tient du poivre en dissolution: cette pratique ne saurait être trop condamnée. Tout ce qui exalte le tempérament de l’étalon, tout ce qui exerce une impression trop active sur ses organes générateurs, loin de favoriser la fécondation, s’oppose à son accomplissement; un régime sain et substantiel est le meilleur aphrodisiaque que l’on puisse employer Suivons les voies que la nature nous indique et ne nous écartons pas des lois qu’elle nous a tracées.

Le vert donné aux étalons, lorsqu’ils peuvent le prendre en liberté en errant dans la prairie, est quelquefois le meilleur régime à prescrire aux chevaux dont les facultés prolifiques ont peu d’activité ; elles sont presque toujours enchaînées par une irritation chronique. Le département de la Vendée nous en fournit plusieurs exemples remarquables. Ses marais desséchés ont été convertis en prairies fécondes qui sont divisées par compartimens et séparées par des canaux dans lesquels coulent les eaux surabondantes auxquelles on a ménagé de larges issues.

Quelques étalons du dépôt royal de Saint-Maixent, que leur âge ou leurs infirmités ont retenus dans ce département, et un grand nombre d’étalons particuliers, restent constamment dans leurs pâturages pendant le cours de la monte. Ils n’en sont tirés que pour desservir les jumens qu’on amène à leurs stations; et dès qu’ils ont accompli l’acte de la copulation, ils sont reconduits dans leur enclos. On a observé qu’ils étaient en général plus féconds que ceux dont la nourriture était exclusivement basée sur le foin et sur l’avoine.

Je n’en suis point surpris: leurs alimens sont préparés par la main libérale de la nature qui les a appropriés à leur constitution, tandis que le grain et le fourrage que nous leur donnons produisent sur le tube digestif et successivement sur tous les organes une impression trop stimulante qui est encore accrue par les chaleurs du printemps et par l’exaltation de leurs désirs. Cette stimulation trop active nuit à leur fécondité, surtout quand ils sont doués d’une grande irritabilité.

Avant l’organisation de nos haras on préparait dans quelques établissemens les étalons à la monte par la saignée et par les boissons nitrées et réfrigérantes. Cette méthode absurde, qui tendait à dépouiller l’économie de ses matériaux réparateurs, a été abandonnée avec juste raison. Ces moyens ne doivent être prescrits que dans les cas où un organe va devenir le siège d’une phlegmasie dont les prodromes commencent à se manifester.


Traité complet des haras, et moyens d'améliorer et de multiplier les chevaux en France

Подняться наверх