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II

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Un vilain mot et une vilaine chose, que le maquillage! Et cependant une jeune et gracieuse frimousse qui s’arrange, qui se met au point, qui se maquille enfin, en se souriant à elle-même dans la glace, c’est un régal délicat qui a bien son prix pour un gourmet!

Seulement, il faut que la frimousse soit jeune et gracieuse. Il faut aussi arriver un soir où On soit d’humeur avenante et accueillante: sans quoi, vous risquerez fort d’être consigné dans le couloir avec ces mots rébarbatifs jetés à travers la porte, d’une petite voix impatiente: «N’entrez pas! ma figure n’est pas faite!»

C’est bien ce qui faillit m’arriver l’autre soir. Heureusement j’avais déjà réussi à me glisser à moitié dans la loge, et je m’étais fait si câlin, si humble, si plat même, qu’On avait eu pitié de moi et qu’On m’avait laissé m’asseoir dans un coin, où je m’efforçai de tenir le moins de place possible.

–Puisque vous êtes là, restez-y. Mais que je n’entende plus parler de vous; vous serez sage? vous le jurez?

Je jurai tout ce qu’On voulut, naturellement, et je m’appliquai à tenir mon serment si religieusement, que je crois bien qu’au bout de très peu de temps, On avait fini par oublier que j’étais là, les oreilles et les yeux grands ouverts dans mon coin, et ne perdant pas un mot du dialogue, si amusant parfois de fantaisie et de laisser aller, avec Alfred le coiffeur ou Thérèse l’habilleuse, ni un seul de ces mouvements d’impatience, de ces jolis gestes de colère, qui faisaient tout sauter sur la mousseline damassée de la table-toilette.

Les manches relevées très haut, Mary lava tout d’abord ses beaux bras dans de l’huile fine, puis, avec un linge, elle les enduisit d’une couche légère de blanc.

Après quoi, elle fit subir la même opération à sa figure, et rien n’était plus délicieux que ce charmant museau de pierrot, au milieu duquel étincelait l’éclair du regard.

Puis, approchant de la flamme du gaz un menu pinceau trempé dans un pot de noir, elle le passa délicatement, à plusieurs reprises, entre les deux rideaux des cils abaissés.

Et, tout en faisant sa figure, sans s’adresser à personne, elle causait de choses et d’autres, s’impatientant, entrant en fureur pour un rien; puis, à tout coup, sans motif, partant d’un joyeux éclat de rire.

–Tenez! voilà comment Montalant se fait les yeux! d’un seul coup de pinceau! Vlan! Et, vous savez? elle ne les a pas plus grands que moi! Seulement, à la scène, ils paraissent énormes! Le maquillage, mon cher! Personne ne se maquille comme Montalant.»

Les yeux faits, ce fut le tour de la bouche; les deux lèvres se rapprochant et s’avançant vers la glace comme pour donner ou recevoir un baiser, le bâton de rouge y vint mettre sa note, luisante comme une goutte de sang jeune et frais.

Et c’était une charmante chose, je vous jure, de voir naître peu à peu, sous la main savante de la jolie artiste, un visage tout nouveau, qui tenait à la fois du rêve et de la réalité.

Brusquement, Mary rejeta la serviette fine qui lui couvrait les épaules: et, se levant, se rapprochant de la glace, puis se reculant, se regardant de trois quarts, de côté, de face, fronçant les sourcils, se souriant, se caressant de l’œil, elle donna la dernière touche à l’ensemble, redressant l’arc du sourcil du bout du pinceau, enlevant ici un peu de blanc, ajoutant là un peu de rouge, piquant une mouche sur la tempe gauche, puis la retirant avec impatience, prenant et jetant tour à tour sur la toilette, sans regarder, la patte de lièvre, le bâton de rouge ou la serviette.

Et tout cela avec des mouvements gracieux, capricieux, de jeune chat en colère, ou le geste grave d’un peintre qui tremble de gâter son œuvre par un dernier coup de pouce.

Puis, quand ce fut fini, elle s’assit, bouffant ses jupes, juste en face de la glace, de façon à ne pas se perdre un instant de vue; et, m’avisant tout d’un coup dans mon coin, où je disparaissais presque derrière un monceau de mousseline:

«Tiens! vous étiez là? C’est vrai! Eh bien, suis-je à votre goût ainsi?

–Vous êtes adorable, tout simplement! répondis-je avec une conviction absolument sincère.

–Adorable! Vous me trouvez adorable? Bien vrai?

Puis, brusquement:

–Au fait, pourquoi ne m’avez-vous jamais fait la cour, vous?

Interloqué par la bizarrerie et l’inattendu de cette question, je regardai Mary pour voir si elle plaisantait.

–Tout le monde me fait la cour, continua-t-elle; je ne peux pas dire un mot à quelqu’un, ni lui sourire, sans qu’immédiatement ce quelqu’un se croie obligé de m’’adresser une déclaration incandescente. Il y a des jours, même, où cela n’a rien de récréatif. Vous, c’est tout le contraire: nous nous connaissons depuis des éternités, nous sommes de vieux amis.

–Eh bien, justement.

––Justement? c’est parce que nous sommes de vieux amis que vous ne me faites pas la cour? c’est parce que vous me connaissez depuis longtemps que vous ne m’aimez pas? Eh bien, je n’en crois pas un mot. Avouez donc plutôt que c’est parce que vous ne me trouvez pas jolie.

–Pas jolie! m’écriai-je avec indignation. Moi! je ne vous trouve pas jolie?

–Insignifiante! de celles dont on ne dit rien!

–Mais voulez-vous bien vous taire! Je vous trouve, au contraire, je vous ai même toujours trouvée, une des plus ravissantes et plus séduisantes femmes qui se puissent voir; et, si je ne vous l’ai jamais dit, c’est que je vous supposais blasée sur ce genre de compliments. Vous avez assez d’adorateurs, il me semble, qui…

–Et précisément, c’est peut-être parce que vous êtes le seul qui ne me l’ayez point dit que je voudrais vous le faire dire. Nous sommes ainsi, nous autres femmes, et vous le savez bien. Et puis, si je ne me défends pas d’être coquette, vous m’accorderez bien cependant que je ne suis pas assez sotte, ou assez aveugle, pour ne pas savoir distinguer entre les hommages; et que, s’il en est bon nombre qui me laissent absolument indifférente ou qui même me fatiguent, il peut s’en trouver d’autres qui me toucheraient davantage.

–Enfin, vous voulez…

–Oui, je veux que vous me fassiez la cour, puisqu’il faut vous le dire en face, à ce qu’il parait. C’est vrai, cela me fait quelque chose, cela m’humilie dans mon amour-propre de jolie femme, que vous n’ayez pas l’air de vous apercevoir que je vaux tout autant la peine d’être regardée que vos belles amies?

–Quelles belles amies?...

–Oui, oui! mademoiselle Bertin, par exemple.

–Mademoiselle Berltin? Pourquoi mademoiselle Bertin?

–Vous allez peut-être me dire que vous ne l’aimez pas, maintenant? Vous vous occupez assez d’elle pourtant! vous la poussez assez dans la presse, dans les salons, partout! Il paraît même qu’on ne voit que vous chez elle!

–Mais qui diable a pu vous raconter ces balivernes? Vous savez qu’il n’y a pas un mot de vrai dans tout cela?

–Alors, pourquoi ne m’aimez-vous pas?

–Pourquoi je ne vous aime pas? Mais, d’abord, laissez-moi vous dire, ma chère amie, que quand on approche d’une femme aussi attrayante que vous, quand elle vous accueille affectueusement, presque familièrement, quand enfin elle vous laisse pénétrer dans son intimité, il faudrait avoir un cœur autrement fait que celui du commun des martyrs pour que l’affection désintéressée qu’on portait à cette femme ne se colore peu à peu, sans qu’on s’en aperçoive soi-même, d’un sentiment plus vif, plus tendre. Quant à moi, je n’ai jamais osé m’interroger à fond sur ce sujet; j e préférais m’endormir dans une vague sécurité, et me figurer, par prudence, que je ne voyais, que je ne verrais jamais, en vous qu’une amie.

–Par prudence! Je comprends. Vous avez peur de vous laisser aller à aimer une femme de Théâtre. Oh! on sait ce qu’elles valent, ces femmes-là, et qu’elles sont absolument incapables d’éprouver un sentiment sincère! Quand elles aiment, c’est par intérêt, par calcul! ou bien, quand elles ne se vendent pas, elles se donnent au premier venu, dans un moment de folie.

–En voilà une idée, par exemple! J’espère que.

–Oh! je vous connais, vous nous mettez toutes dans le même sac. Voyons, soyez sincère, avouez que, si vous avez un peu d’amitié pour moi, je ne vous inspire, en revanche, aucune espèce de confiance ni d’estime.

–Mais c’est faux! archifaux! Où prenez-vous cela? Est-ce que j’ai jamais laissé échapper un seul mot qui puisse autoriser pareille supposition?

–Comment ne comprenez-vous pas, au contraire, que nous avons soif d’estime et de respect, que nous avons besoin d’être relevées à nos propres yeux et consolées de ces faussetés, de ces hypocrisies, de ces mensonges, au milieu desquels il nous faut bien vivre? Vous vous figurez peut-être que nous n’avons pas, nous aussi, nos heures noires, où nous sentons tout le vide de cette existence, où nous souffrons, à en pleurer, de ne pas sentir autour de nous une affection sûre, solide, sur laquelle nous puissions nous appuyer et nous reposer, dans laquelle nous puissions nous réfugier, oublier tous nos déboires, tous nos dégoûts…

–Écoutez! m’écriai-je tout bouleversé en prenant ses deux mains dans les miennes, vous voulez que je vous dise que je vous aime, que je vous ai toujours aimée, que.

A ce moment, un coup de cloche retentissant éclata dans le couloir desloges et presque aussitôt on entendit la voix de l’avertisseur qui criait:

–En scène pour le un!

La cruelle et coquette artiste éclata de rire en voyant la mine déconfite que je faisais, et, avant que je fusse rentré en possession de mon sang-froid, elle avait déjà disparu dans le couloir, au milieu d’un tourbillon de mousseline et de rubans, en jetant dans ma direction, en manière d’adieu, un baiser de ses deux doigts mignons posés sur ses lèvres rouges.

Le lendemain, vers les deux ou trois heures, après une nuit très agitée, je me rendis chez elle; ce qui ne m’était jamais arrivé encore.

Je la trouvai dans un petit salon vieil or, très confortablement meublé, mais sans ces fantaisies de mauvais goût qui ont bien cependant leur charme capiteux; elle était assise au coin de la c heminée, et parlait affaires et chiffons avec deux ou trois personnes assises gravement, comme elle, sur des fauteuils correctement rangés en rond.

J’attendis sans trop d’impatience que les visiteurs fussent partis, me contentant de faire acte de présence en plaçant de temps en temps mon mot dans la conversation. Puis, quand enfin elle fut seule, je me levai, et, m’avançant vers elle en lui tendant les deux mains, je voulus reprendre la conversation où nous l’avions laissée la veille lorsque nous avions été si brusquement interrompus.

Elle me regarda toute surprise et dit:

–D’abord, mon ami, faites-moi le plaisir d’aller vous rasseoir. Est-ce que vous n’étiez pas bien sur cette causeuse?

Puis, comme je me rasseyais tout penaud, et que je la regardais d’un air interrogateur.

–Ah! je comprends, dit-elle tout à coup en éclatant de rire. Mon pauvre ami, est-ce que, par hasard, vous auriez pris pour argent comptant ce que j’ai pu vous dire hier au soir?

–Ainsi, vous vous êtes moquée de moi?

–C’est votre faute, aussi. Pourquoi avez-vous tenu à assister à ma toilette? Vous avez voulu me voir faire ma figure, mes yeux, ma bouche. Eh bien, par-dessus le marché, vous m’avez vue faire en même temps ma voix et mon âme. Vous ne vous souvenez donc plus que je jouais Dinah Rambert hier au soir, un rôle de coquette, s’il en fut? et vous ne saviez donc pas qu’avant d’entrer en scène nous avons toujours besoin de nous fouetter le sang, de nous étourdir à l’avance, de nous pénétrer, de nous enivrer de l’esprit de notre rôle?

–Alors, c’était encore du maquillage?

–Parfaitement! vous avez dit le mot, mon cher.

Couloirs et coulisses

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