Читать книгу Le palais de l'Isle à Annecy - Aimé Burdet - Страница 7

CHAPITRE II.

Оглавление

Table des matières

L’Isle pendant l’occupation française. — Détenus d’un nouveau genre. — Motifs de détention. — Prisonniers de la guerre de Thônes.

CETTE geôle n’a pas toujours été peuplée par des prévenus ou des condamnés pour délits communs: il fut un temps, de funeste mémoire, où la force haineuse, brutale et soupçonneuse se plaisait à v renfermer nos meilleurs citoyens. Bientôt même elle ne suffit plus au zèle des puissants de ce temps-là, dévorés de l’amour de la liberté, et on fut obligé de créer des succursales pour recevoir le trop plein.

On transforma en prison le couvent des Clarisses et celui des Annonciades célestes. Le château prit le nom de château national et la tour Est celui de grande tour du château, prison des casernes et ensuite prison de la Montagne. Sainte-Claire, qui était la maison de réclusion, de détention, renferma principalement les nobles et les prêtres. Presque tous les industriels, marchands et bourgeois d’Annecy ont passé dans la grande tour plus ou moins de temps.

Les hauts meneurs de ce temps-là avaient bien quelque instruction, mais les agents secondaires étaient pris généralement parmi des hommes illettrés qui, fiers d’être et de pouvoir quelque chose, abusaient étrangement de leur autorité éphémère. Le commandant du bataillon de la garde nationale était un cordonnier qui savait à peine écrire son nom. Hâtons-nous de dire que tous, quand l’ébullition révolutionnaire fut passée, revinrent à de meilleurs sentiments, et terminèrent une vie agitée par une fin qui réjouit le cœur de ceux qu’ils avaient persécutés.

Mais, dans ce moment d’exaltation, ils ne voyaient d’autre moyen de régénérer la nation que de vexer et emprisonner tous ceux qui, par leur position d’éducation et de fortune, humiliaient leur médiocrité. Ne croyons pas cependant que leur envie jalouse ne s’en prît qu’aux sommités sociales; leurs égaux et leurs supérieurs n’eurent pas moins à souffrir de leur orgueilleux despotisme. Aussi il fallait bien peu de chose pour se voir privé de sa liberté, et les fables que l’on se plaît à raconter sur les excès des seigneurs sur leurs serfs, pâlissent à côté des violences que les aristocrates du temps de l’égalité permettaient à leur bon plaisir.

Nous allons utiliser ici quelques notes recueillies de longue main et qui sont loin d’être complètes. Nous abrégeons nos citations, pour ne nous attacher qu’à la singularité des motifs cités dans les mandats d’arrestation.

Comme de raison, c’est un saint prêtre qui commence cette liste d’honneur pour ceux qui y figurent. M. François Rey, de Moye, fut emprisonné le 11 avril 1793, pour soupçon de fonction de prêtre. Il paraît qu’avant cette date la République n’avait pas encore mis ses arrêts à exécution dans la Savoie.

Puis c’est Joseph Fontaine, professeur de mathématiques, coupable d’avoir forcé ses arrêts. Nous ne savons pourquoi ni comment il avait été mis aux arrêts.

C’est Pierre-Joseph de Pelly fils, amené ici par la gendarmerie, par ordre du commandant du département de l’Indre, emprisonné le 3 mai, et rejoint, quinze jours après, par son père Claude-François de Pelly.

C’est Guillaume Dumollard, de Rumilly, pour soupçon de quitter sa patrie pour s’en aller en Piémont. Or, en avril 1793, la patrie était sous les drapeaux du roi, puisque la Savoie n’était qu’occupée par les troupes françaises et qu’aucun traité ne l’avait encore cédée.

C’est Julien Bocanier, officier, et Louis Bocquin, sergent-major dans la garde nationale de Rumilly, pour soupçon d’engager pour le roi de Sardaigne.

C’est Claude Mathelon, officier municipal d’Alex, pour avoir donné les clefs du clocher, pour sonner le tocsin, lors de l’insurrection de la vallée de Thônes.

C’est Claude Navilloz, dit Collombet, de Pers, prévenu de faits anti-civiques.

C’est Joseph Duret, de la commune d’Aviernoz, hameau du Vuard, prévenu d’aristocratie et d’incivisme marqué, et de préférer le service du roi sarde à celui de la République.

C’est Jean Favre, d’Evires, prévenu d’avoir refusé de remettre les monuments de la féodalité dont il était détenteur.

Claude Laffin, maire de la commune de Thorens, prévenu d’avoir édit et flétri une liberté contre-révolutionnaire. Nous avouons ne pas comprendre ce motif; cependant notre note est exacte.

Guillaume Dumolard, d’Annecy, convaincu de s’être porté à des propos désorganisateurs.

Derriey Eloi, du Jura, prévenu de la plus forte suspicion.

Vincent Valentin, ci-devant de Fésigny, pour suspicion.

François-Marie de la Fléchère, prévenu de correspondance contre la sûreté publique.

Constant Valentin, garçon tailleur, prévenu d’avoir tenu des propos inciviques et tendant à la désorganisation.

Marie Duret, veuve Dupachet, pour propos désorganisateurs.

Claude Guidonnet, pour discours tendant à décourager et soulever le peuple.

Etienne Adam, ci-devant ermite, prévenu de propos liberticides et contre-révolutionnaires.

Croset, ciergier, à défaut par lui de faire connaître le lieu où s’est retiré le nommé d’Osnier.

Joseph Astruz, de Poisy, prévenu d’avoir recélé un individu se montrant désobéissant à la loi.

Or cet individu était Eucher Astruz, son parent sans doute, qui fut aussi emprisonné le 24 septembre 1793, comme prévenu d’avoir désobéi à la loi qui ordonne au prêtre insermenté de SE déporter.

Gurret et Jéricoz, ci-devant hospitalières dans cette ville, pour cause de fanatisme et prévenues d’incivisme et de sentiments contre-révolutionnaires. Ces dignes femmes, après être sorties de prison, n’en ont pas moins continué leur œuvre de dévouement à l’humanité, et même à leurs persécuteurs.

Germain Favre, prévenu de propos contre-révolutionnaires.

Joseph Exertier, de Groisy, pour son nom de guerre.

Claude Lavillat, pour cause d’incivisme.

Victor Journel, de Rumilly, et Jean-Claude Lavanchy, d’Annecy, prévenus de vues contre-révolutionnaires.

Pierre-Nicolas Tissot, prévenu d’avoir favorisé et concouru même aux vues contre-révolutionnaires.

Jean Reignier, de Viuz-la-Chiésaz, prévenu d’incivisme et considéré comme révolutionnaire.

Claude Chagnon, Claude Dechosal et Jean Terrier, prévenus d’émigration.

Bernard-Thomas Thomasset, ci-devant recteur de la chapelle de la Maladière, prévenu d’avoir tenu des propos liberticides et incendiaires.

Décisier, de Sevrier, prévenu de contre-révolution.

Collomb de Bovagne, Pierre Dagan, dAllève, et François de Coussy, prévenus d’actes et de mouvements contre-révolutionnaires.

François-Marie Reydet, ci-devant noble, arrêté le 23 octobre 1793, prévenu d’avoir abandonné son domicile.

Remarquons bien qu’il eût été également emprisonné s’il ne l’eût pas abandonné. Il fut mis en liberté le 24 décembre 1794, sur la demande de Mme Marie-Georgine Pelly, son épouse, qui exposa aux représentants du peuple que le grand âge et les infirmités de son mari, et surtout quatorze mois de détention, avaient suffisamment expié son erreur.

Pierre Ortollan, de Viuz-la-Chiésaz, comme ci-devant jardinier de l’émigré du Belair.

Jean-Baptiste Bailly, de Thusy, prévenu d’avoir porté les armes contre la République. Notez que c’était son droit de citoyen autant que son devoir envers sa patrie et son roi.

Mais un emprisonnement très singulièrement motivé est celui de Pierre Coppel, d’Eteaux, prévenu de s’être refusé de servir comme volontaire après son élection. Bien certainement c’était peu aimable de sa part de refuser d’être volontaire.

Henry Mouxy, dit Charrière, prévenu de vues contre-révolutionnaires.

Claude Panisset, de Saint-Ferréol, pour avoir refusé les assignats en paiement.

Alexis Burdet, prévenu d’avoir été détenteur d’écrits contre-révolutionnaires.

Métral André, d’Aviernoz, prévenu de suspicion.

Jean-Baptiste Laplace, négociant en petit détail, prévenu d’avoir tenu des propos nuisibles à la société républicaine.

Jean-Claude Demotz, de Rumilly, homme suspect et prévenu d’émigration.

Jean-Pierre et Jean-Baptiste Chapelain, André Jaconin et Jean-Louis Baudé, prévenus de contre-révolution.

Claude Roux, de Faverges, prévenu d’incivisme. Boguet fils, Claude Hérisson, Claude Chappuis et sa femme, la femme Desusse, Claude Contât, Pierre Nanche et la femme Paturel, tous boulangers et tous déclarés suspects.

On voit bien qu’aucune classe n’était épargnée.

Les citoyens et citoyenne Claude-Joseph Coster, trouvés sans civisme, comme suspects.

Balthazard Vaudat, marchand de Rumilly, prévenu d’avoir distingué le prix de l’assignat et du numéraire.

Jean Thomé, ci-devant curé d’Héry-sur-Alby.

Voilà une partie du contingent de la prison en 1793, première année de la République, car nous n’avons mentionné que les emprisonnements dont les motifs nous ont paru dignes d’être transmis à la postérité. L’année 1794 ne laissera pas plus que sa devancière les prisons d’Annecy dépeuplées.

Le 7 janvier 1794, Jean-Antoine Reinier, de Poisy, est arrêté et amené à la prison de l’Isle par trente hommes de la force armée. Il était prévenu d’avoir, par mépris, tiré deux coups de fusils au bonnet de l’arbre de la liberté de la commune de Lovagny, de l’avoir criblé, et encore d’être un perturbateur, agitateur et un homme dangereux à la société.

Joseph Donier, demeurant à Annecy, suspecté contre-révolutionnaire.

Gilbert Masset, menuisier, prévenu d’avoir refusé les assignats.

Catherain Balleidier, agent du ci-devant noble de Reydet, prévenu d’avoir témoigné du mépris pour les assignats.

De Lalier Nicolas, marchand de vin à Héry-sur-Ugines, et Françoise Priquaz, prévenus de discours tendant à la provocation de la royauté.

Claude Tournier cadet, horloger, prévenu de s’être absenté de cette commune sans passeport.

Le 20 février, furent arrêtés Péronne Depolier femme Amblet, Georges Magnin et son fils Henry, d’Annecy, Henry d’Anières, de Hauteville, prévenus d’émigration.

Vinrent bientôt après Joseph Joli, Jean-Baptiste Durhone, Claude Perrin, Pierre Vibert, ci-devant prêtres, qui n’ont pas abjuré.

Dumont, horloger, prévenu d’avoir fait échange d’assignats contre le numéraire.

Antoine Guindin, dit Rocher, prévenu d’avoir enterré le corps de son petit-fils au ci-devant cimetière de Saint-Maurice, au lieu de l’avoir fait dans celui de la commune. — Notons que le cimetière de l’église paroissiale où reposent les corps de nos aïeux, était béni, tandis que celui de la commune ne l’était pas alors.

Antoine Terrier, de Versonnex, pour avoir voulu vendre un chevreau en argent.

Le sieur Ducruet, de Marlens, est arrêté pour avoir toujours donné des marques d’incivisme.

Thyrion frères, prévenus émigration.

Anne Gurlia, ci-devant gouvernante au château de Chitry, commune de Vallières, prévenue de bris des scellés apposés par la municipalité.

Jeanne Falconnet, prévenue d’avoir tenu des propos tendant à rallumer le fanatisme, et de n’être pas nantie, conformément à la loi, d’une cocarde tricolore.

Anthelme Huet, prévenue d’avoir désiré la mort de quatre représentants du peuple, étant à Chambéry.

Le 20 messidor, remis à la gendarmerie Jean-Baptiste Perréard, de Chevrier, vagabond, prévenu d’avoir propagé le fanatisme et d’avoir désobéi à la constitution civile du clergé, d’être prêtre réfractaire et d’avoir été sujet à la déportation.

Antoine Barioz, prévenu d’émigration, sujet à la déportation.

Bernard Prunier, de Rumilly, prévenu d’avoir fait la différence de la monnaie de la République avec le numéraire, en vendant des peignes à faire la toile.

Dumont Pierre-Joseph, horloger, prévenu d’avoir, par propos inciviques, décrédité les assignats.

Jean Verboux, d’Allondaz, prévenu d’avoir manifesté un refus formel des assignats, en demandant vingt mille livres d’une paire de bœufs. — Il est sorti après cinq mois de détention avec le considérant qu’il n’a été qu’égaré et qu’il mérite l’indulgence nationale.

Pierre Olive, de Chambéry, prévenu d’avoir tenu des propos inciviques tendant à avilir la Convention nationale, les autorités constituées et même tout le peuple français.

Claude Quétant, François et Louis Chappaz, de Thorens, arrêtés aux environs d’Evires, disant venir des vêpres célébrées ce jour (6 janvier 1795) dans l’église de cette paroisse.

Joseph Balleydier et sa femme sont condamnés à trois jours de prison, pour avoir manqué de respect aux autorités constituées.

François Dupont, de La Roche, prévenu de suspicion comme venant de l’étranger.

Luc Dupraz, de Neydens, pour avoir été saisi avec de la monnaie prohibée.

Jean-François Thonin, prévenu d’être prêtre réfractaire.

Pierre Richard et Claude Fournier, de Menthonnex-en-Bornes, prévenus d’avoir participé à l’enlèvement de cinq cloches sur la place de la Liberté à Annecy.

Il faut savoir que les cloches de tous les environs d’Annecy avaient été enlevées aux communes, et que plus de cinq cents étaient déposées sur la place Notre-Dame de cette ville, où bon nombre de paroisses sont venus les reprendre furtivement. Mais la nuit, il n’était pas facile de reconnaître sa propriété, et comme il n’y avait pas conscience de voler le voleur, on aimait assez à se tromper en choisissant les plus grosses.

Nous terminerons cette nomenclature bien incomplète, en enregistrant le nom peu connu dont la ville de Conflans avait cru devoir s’affubler à cette époque.

Joseph Dujardin, de l’Hôpital-sous-Roc-Libre, est emprisonné pour avoir tenu des propos contre-révolutionnaires.

Les mandats d’arrêt portaient toujours en tête: Liberté, égalité, fraternité, puis la formule invariable:

«Nous, membre du comité de surveillance de la commune d’Annecy, département du Mont-Blanc, régénéré par Albite (ou Gauthier, ou tout autre représentant), mandons et ordonnons à tous exécuteurs de mandements de justice, de conduire en la maison d’arrêt, etc.»

Voici la formule d’un mandat d’arrêt envoyé de Paris et qui donne une idée de la rigueur qui était alors à l’ordre du jour:

«Sur l’ordre de l’accusateur public du tribunal révotionnaire, établi à Paris par décret de la Convention nationale du 10 mars 1793, sans aucun recours au tribunal de cassation, en vertu du pouvoir à lui donné par l’article 2 d’un autre décret de la Convention du 5 avril suivant, portant que l’accusateur public dudit tribunal est autorisé à faire arrêter, poursuivre et juger, sur la dénonciation des autorités constituées ou des citoyens, mande et ordonne à tous accusateurs des mandements de justice de conduire en la maison d’arrêt de l’Egalité, à Paris, rue Jacques, de brigade en brigade, Claude-François Perret, de la commune de Megève, département du Mont-Blanc, traduit au tribunal révolutionnaire comme prévenu d’avoir tenu des propos contre-révolutionnaires et alarmants sur l’entrée prochaine des Piémontais en France, et à cet effet de l’extraire de toutes maisons d’arrêt.

«Paris, 19 brumaire an III.»

Un ordre aussi formel ne pouvait rester inexécuté. En effet, le 6 frimaire suivant, Perret fut écroué à la prison de l’Isle.

Il est avéré qu’à l’époque de l’entrée des Français en Savoie (22 septembre 1792), les habitants de ce pays étaient très attachés à la religion, à la famille royale, à leur nationalité. Les violences exercées par les occupants ne contribuèrent pas peu à exalter ces nobles sentiments, et à chaque succès, comme à chaque revers essuyé par les troupes françaises sur les Alpes, naissaient des craintes et des espérances qui se manifestaient de tous côtés. C’est ce qui explique les nombreux emprisonnements qui eurent lieu à cette époque dans le duché.

Le Sénat n’avait pas cessé de siéger, et le 23 octobre 1792, il élargissait un prisonnier détenu à Annecy. Il rendait encore des arrêts le 3o janvier 1793.

L’avocat Brunier, juge du mandement de Talloires, faisait opérer une arrestation le 23 octobre de la même année [soit de 1792].

D’un autre côté, la municipalité d’Annecy fonctionnait au 3 novembre 1792; les gendarmes étaient en activité en décembre, et le 20 avril 1793 le district d’Annecy rendait des arrêts.

Cependant, les troupes françaises étaient entrées à Annecy dans les derniers jours de septembre . Les premiers régiments arrivés furent ceux de l’Ariège, le 5e bataillon de la Gironde, le 4e régiment d’artillerie et son train, puis successivement le 5e régiment de cavalerie, le 20e de dragons, les grenadiers de Maine-et-Loire; puis, en mars 1793, l’artillerie et les dragons de la légion des Allobroges, le régiment du Bolonais; en mai, le 3e bataillon du Mont-Blanc, des chasseurs, des carabiniers et les ambulances. Toutes ces troupes allèrent établir un camp aux Iles, sur les bords du Fier.

Malgré la présence de ces troupes et les nombreux passages des corps d’armée qui se dirigeaient de France vers les Alpes, l’esprit public était agité. De temps à autre, des manifestations imprudentes avaient lieu.

En mai 1793, une armée sabaudo-piémontaise, sous les ordres du duc de Chablais, envahit le Haut-Faucigny. La vallée de Thônes se souleva, chassa les autorités françaises et arbora la croix blanche sur tous les clochers. Ce touchant et glorieux épisode de notre histoire a été décrit d’ailleurs avec talent, et nous n’en parlons que pour prendre les dates du passage dans la prison de l’Isle de ceux qui en furent les héroïques victimes.

On sait qu’après avoir défendu vigoureusement le défilé de Morette contre les troupes françaises commandées par le général d’Oraison et une partie de la garde nationale d’Annecy, les braves-défenseurs de Thônes furent obligés de céder, faute de poudre. Ils avaient suppléé au plomb par de l’étain et des débris de fer; les femmes et les filles de la vallée fondaient les balles à un immense brasier allumé sur la place. En même temps elles confectionnaient les cartouches, faisaient de la charpie, soignaient les blessés et préparaient les vivres qu’elles portaient au camp de la Balme et jusqu’au milieu de la fusillade. Disons aussi que leurs discours ne contribuaient pas peu à exalter le courage des combattants.

Aussi quand, dans l’après-midi du 9 mai 1793, les Français entrèrent à Thônes, ils se vengèrent cruellement d’avoir été si longtemps arrêtés par des montagnards presque sans armes. Pendant trois jours la ville et la vallée furent livrées au pillage de la soldatesque. Des arrestations nombreuses furent opérées, et on cherchait surtout ceux qui par leurs discours avaient provoqué le soulèvement.

Déjà la veille, étaient entrés à la prison d’Annecy neuf prisonniers: Etienne Brachet, J.-B. Lagrange, Jean-Louis Mabboux, Etienne Bergé, tous quatre de Dingy-Saint-Clair, commune qui avait aussi pris les armes: Jean-Claude Mermillod, Etienne Ducret, des Villards-sur-Thônes, Joseph Claris, de Thônes, qui furent relâchés à la fin du mois; Jean Bochet, des Villards-sur-Thônes, et Claude Combaz, du Bouchet, qui furent délivrés dans la nuit du 21 au 22 août suivant. Tous les neufs furent incarcérés pour s’être trouvés sur la montagne, munis de toutes sortes d’outils.

Le 12, furent amenés Jean-François Missilier et Pierre-François Avet, de Thônes.

Le 15, fut traduite par la troupe la nommée Marguerite Avet, surnommée Frigelette, native de Thônes, âgée d’une trentaine d’années. Elle avait commis le crime de parcourir, à la tête d’autres filles, les communes du haut de la vallée et d’avoir appelé les hommes à défendre cause de la patrie et du roi. Conduite devant le conseil de guerre, elle s’y montra grande, digne et énergique. Elle fut condamnée à être arquebusée pour cause de révolte, motif excessivement injuste, car aucun acte diplomatique n’avait en ce moment soustrait la Savoie à son légitime souverain. Elle n’était qu’occupée.

Le 18 mai, elle fut conduite au supplice au milieu d’une force armée imposante. Son maintien était calme, elle marchait la tête droite en récitant son chapelet. En traversant les rues d’Annecy, au milieu d’une foule qui compatissait à une fin si cruelle, quelques larmes humectèrent les paupières de la pauvre fille. Mais arrivée au Pâquier, son énergie reprit le dessus, elle se mit à genoux pour prier, donna elle-même le signal et reçut la mort comme une couronne et une récompense de sa noble conduite.

Trois jours après, le 21, fut amené par la troupe, dans la prison nationale, Jean-François Avrillon, âgé d’environ trente-six ans. Il avait été un des plus énergiques combattants de Thônes, et il était digne de mourir glorieusement. Aussi il fut condamné à passer par les armes et il fut fusillé le 29 mai .

Celui qui avait été le moteur le plus actif soit pour faire naître le soulèvement, soit pour le soutenir, c’était Louis Revet. Il défendit aux conscrits de partir et les organisa pour la défense commune. Depuis la prise de possession de la vallée par les Français, il erra de chalet en chalet, de grotte en grotte. Il finit par être pris et entra dans la prison de l’Isle le 31 décembre 1793. Le lendemain il fut conduit à Chambéry, où il fut jugé et condamné à mort.

Le 20 janvier 1794, fut arrêté Joseph d’Oniers, ancien mmandant de place d’Annecy, où il vivait fort retiré. Accusé très injustement d’avoir pris part aux divers mouvements populaires qui eurent lieu à la fin de l’année 1793, il fut aussi condamné à mort et fusillé au Pâquier le 9 mars 1794 avec Revet, dont nous venons de parler, et qui avait été ramené à Annecy le Ier mars pour y subir sa condamnation.

Nous terminons cette triste nomenclature en consignant ici, pour mémoire, quelques faits qui sont inédits ou peu connus.

Au moment de l’entrée des soldats, Dupont de Glapigny fut rencontré, armé d’un fusil sans chien. On lui enleva les oreilles que les bourreaux attachèrent à leurs chapeaux, puis on lui coupa les extrémités du corps avant de le tuer.

Pierre Duroz, honnête et riche propriétaire, était procureur de la commune de Thônes, et n’avait point pris une part active aux combats. Il fut traduit devant un conseil de guerre, où il prononça les belles paroles que l’histoire a conservées, il fut condamné et fusillé ensuite sous le pont du Non. Un de ses fils, Joseph, au service du roi, fut fait prisonnier et fusillé à Grenoble.

Barthélemy Tessier eut aussi la tête coupée et traînée dans la boue; les oreilles furent détachées et les soldats en parèrent leurs chapeaux.

Maurice Genand, des Golets, commune du Villard-sur-Thônes, était un ancien soldat au service de France. Après avoir combattu vaillamment, voyant l’impossibilité de résister davantage, il mit en l’air la crosse de son fusil et se rendit aux Français; mais il fut fusillé sur place.

On en fit de même de Jean-Michel Avrillon et d’un Savay-Guerraz, de Serraval.

Le soir du jour de l’entrée des Français, le général d’Oraison, voulant réparer le désordre de sa toilette un peu froissée par trois jours de combat, fit appeler l.e barbier Louis Pin et se mit à causer avec lui.

— Etais-tu avec ces brigands, lui demanda-t-il?

— Ce ne sont pas des brigands, mais des hommes d’honneur qui défendent leur pays, lui répond Louis, et j’étais avec eux.

— Comment! tu exposais ta vie pour soutenir le tyran sarde?

— Oui, général, et je suis encore tout prêt à verser mon sang pour la patrie et pour le roi.

Cet honneur ne lui fut pas refusé par le général républicain. Le lendemain matin, un conseil de guerre, devant lequel il exprima avec fierté ses nobles sentiments, le déclara hors la loi, et il fut immédiatement fusillé.

Le palais de l'Isle à Annecy

Подняться наверх